Dans la nuit du 7 au 8 juin 1783, Pierre-Louis Pitot du Hellès, le «miseur» (trésorier) qui gérait les finances de la municipalité de Morlaix, avait veillé très tard pour clore le registre sur lequel il avait inscrit toutes les recettes perçues par la ville en 1781 et 1782, ainsi que ses diverses dépenses.
Le temps pressait, car il devait remettre moins de trois semaines plus tard ce «journal de miserie» au Procureur Général de la Chambre des Comptes établie à Nantes, qui le transmettrait aux conseillers chargés de le vérifier.
Mais à peine avait-il quitté son bureau que des voisins, affolés, vinrent l’avertir qu’un feu venait de s’y déclarer et qu’il menaçait de détruire toutes ses écritures.
Aussi furent-ils surpris de le voir revenir sur ses pas sans manifester d’inquiétude, pénétrer dans la pièce enfumée et fermer la porte derrière lui, comme s’il voulait «éteindre l’incendie sans le secours de personne».
Le lendemain matin, il conviait le maire de Morlaix Guillaume Rannou et son second adjoint à venir constater les dégâts.
Là, il se contenta «de leur faire voir quelques papiers brullés» pour lesquels il leur demanda une attestation de perte.
Puis il réclama un délai de deux mois, indispensable pour remplacer son livre de comptes, ses quittances et les pièces justificatives qui, selon lui, avaient été consumés dans l’incendie.
Mais à l’expiration de ce délai, il prétendit que leur disparition l’avait définitivement empêché de reconstituer sa comptabilité.
Il pria donc Calonne, le Contrôleur Général des finances du royaume, de le dispenser de la présenter.
Mais en gage de bonne volonté, il offrait cependant de restituer aux édiles morlaisiens la somme de «4871 livres 16 sols 11 deniers» qu’il estimait devoir à la ville «sur ses exercices de 1781 et 1782».
Acculé à la faillite ?
Des lenteurs, notamment dans l’acheminement du courrier, retardèrent pendant plusieurs mois le règlement de l’affaire, qui fut relancée à Morlaix par une rumeur publique insistante en mars 1784.
Certains de ses concitoyens accusèrent en effet le miseur, qui était aussi négociant, «d’avoir fait de mauvaises affaires».
Acculé «à la faillite», il aurait lui-même tenté d’incendier son bureau pour dissimuler d’éventuelles malversations et surtout éviter de rembourser les quelque «17299 livres 15 sols 3 deniers» qui appartenaient à la municipalité et qui se trouvaient toujours dans sa caisse de miserie.
Alerté par cette rumeur, Calonne ordonna l’ouverture d’une enquête destinée à le blanchir ou le confondre.
Un rapport accablant
Un rapport accablant fut alors remis le 26 avril 1784 à l’Intendant de Bretagne Antoine Bertrand de Molleville par son subdélégué dans la sénéchaussée de Morlaix.
Monsieur Du Vieuxchastel y notait, entre autres, que le trésorier n’avait jamais eu l’intention de faire vérifier ses comptes et qu’il ne cherchait qu’à gagner du temps.
Sans aller jusqu’à nier la réalité du sinistre qui avait détruit une partie de sa comptabilité, il le qualifiait de «léger incendie».
Il suspectait aussi la manière dont M. Pitot du Hellès l’avait facilement éteint en versant sur ses papiers enflammés «une barattée», soit «quinze à vingt pintes d’eau» (environ 18 litres) contenues dans un récipient posé fort opportunément à portée de sa main près de sa table de travail.
Il démontrait enfin que le miseur, avec un peu de bonne volonté, n’aurait eu aucun mal «à se procurer toutes les pièces nécessaires» pour refaire ses comptes, et déconseillait au Contrôleur Général des finances de l’en dispenser, soulignant au passage qu’une telle faveur risquait de créer un fâcheux précédent.
Une disparition suspecte
Entre-temps, Pierre-Louis Pitot du Hellès avait quitté Morlaix.
Nous ne savons pas s’il s’était réellement enfui, comme certains Morlaisiens le suggéraient, ou simplement «absenté pour régler quelques dérangements dans ses affaires» commerciales, comme l’affirmait son épouse Margueritte Le Gris, à qui il avait laissé une procuration pour gérer sa charge de trésorier.
Comme son retour tardait, la municipalité morlaisienne se tourna donc vers elle pour recouvrer au plus vite ses fonds.
Cette femme honnête, soucieuse de préserver «la bonne réputation» dont sa famille avait joui jusqu’alors, dut donc se résoudre à vendre cette charge.
Elle fut acquise pour «60150 livres» le 30 décembre 1784 par le banquier Matthieu Beaumont, ce qui permit à Mme Pitot du Hellès «de payer tout ce que son mary devait à la ville de Morlaix» et «à ses autres créanciers».
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