«La communauté des Augustines de Carhaix est en feu». C’est par ce message lapidaire, écrit au crayon sur un morceau de papier, que l’évêque de Quimper, en déplacement à Morlaix, apprit le drame qui se déroulait dans la capitale du Poher. Il demanda aussitôt à son vicaire général qui l’accompagnait, de se rendre sur place. Celui-ci, Léopold Le Léséleuc, futur évêque d’Autun, était le frère du juge de paix de Carhaix.
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C’est le 14 juillet 1663 que fut fondée à Carhaix la communauté des religieuses hospitalières de Saint-Augustin. Elle avait pu voir le jour grâce à la libéralité de Claude du Perrier du Ménez, sieur de Boisgarin (en Spézet). Sa fondatrice, Anne du Chastel de Kerlech, sa belle-sœur, était issue de l’ancien manoir du Rusquec situé près des cascades de Saint-Herbot. D’abord installées au prieuré de Saint-Antoine, à l’est de la ville, les Hospitalières prirent ensuite en charge l’hôpital général Sainte-Anne rue du Pavé (rue Brizeux), avant d’occuper les terres et l’auberge du Soleil levant, de triste mémoire. En effet, des voyageurs y étaient assassinés, dépouillés, et les corps jetés dans un caveau. On raconte qu’une servante, prenant en pitié un jeune négociant de Rouen, lui conseilla de fuir l’auberge sans délai. Le voyageur la quitta discrètement, mais revint bientôt avec les magistrats et des gens d’armes, qui se saisirent des aubergistes. On découvrit le caveau « comble d’ossements avec des cadavres tout frais ». L’histoire ajoute même que le jeune marchand épousa la servante qui lui avait sauvé la vie ! Toujours est-il que les Hospitalières habitèrent l’auberge le temps de construire l’hôpital, l’église Notre-Dame de Grâces, puis un grand corps de logis, le tout étant enfin terminé en 1698. La communauté était alors dirigée par la « Révérende Mère » Françoise de Kérampuil.
Une prison départementale
Les bâtiments permirent d’accueillir un hôpital civil pour les indigents et étrangers malades, un hôpital militaire annexe de celui de Brest, et un pensionnat pour jeunes filles. Une épreuve particulièrement difficile fut la traversée de la Révolution. Les vingt religieuses et les six sœurs converses furent expulsées durant l’été 1792 et le mobilier des Hospitalières fut vendu, tandis que le monastère fut utilisé comme caserne et prison. En effet, en septembre 1793, Carhaix fut choisie pour être le siège de la prison centrale du Finistère. La vieille prison municipale était trop petite pour accueillir tous les suspects du département. La ville étant fort éloignée des côtes, l’Anglais était moins à redouter ! C’est ainsi que fut créée « la prison de Grâce » ! Nous possédons le récit, publié en 1901, des conditions d’incarcération d’une prisonnière, ancienne religieuse, qui plus tard fut guillotinée à Paris : « Madame Victoire de Saint Luc, journal de sa détention à la maison d’arrêt de Carhaix sous la « Terreur »». Elle compare sa prison à une arche de Noé, tant la diversité des détenus y est grande, par les âges, la condition sociale, la nationalité, et même la religion !
En 1802, il fut décidé, puisque les deux hôpitaux (Ste Anne et de Grâces) étaient « détruits », de n’en faire subsister qu’un seul, dans les locaux, à rénover, du couvent des Augustines. Après 18 ans d’exil, elles ne furent que six à revenir à Carhaix en 1811, pour retrouver leur établissement « dans un délabrement complet ».
Un incendie et une épidémie
En 1818, il y avait 21 religieuses hospitalières à Carhaix, 27 en 1830, et 36 en 1857. Au moment du sinistre qui anéantit la communauté, celle-ci était dirigée par sœur Caroline Banéat, une petite-fille du maire de Carhaix, guillotiné sous la Révolution. C’est le 10 septembre 1857, vers 9h du matin, alors que les religieuses réunies écoutaient la lecture d’une chronique des Augustines du Canada, que le feu se déclara dans l’appartement de l’aumônier. Celui-ci était contigu à la chapelle, où l’aumônier se trouvait justement avec un confrère. Le feu se propagea à partir du grenier. Sitôt l’alerte donnée, on s’évertua à sauver les ornements et autres objets du culte. Malgré l’aide de la population, du maire M. Laurent Lemoine et du juge de paix François-Joseph Le Léséleuc, « l’incendie consuma la chapelle, et les appartements voisins, mais la maison conventuelle fut épargnée ». Pour comble de malheur, une épidémie de choléra se déclara dans les jours qui suivirent l’incendie, 15 sœurs furent atteintes, deux succombèrent, ainsi que l’aumônier, l’Abbé Mahé. La remise en état de l’établissement des Augustines nécessitait d’énormes fonds dont ne disposaient ni la communauté, ni la ville, propriétaire des bâtiments. Après bien des tergiversations, l’évêque de Quimper décida en 1859 le transfert de la communauté à Pont-L’Abbé, région qui ne possédait pas d’établissement monastique et était en voie de déchristianisation. Elles y créèrent un Hôtel-Dieu qui devint un hôpital réputé. Celui de Carhaix, après remise en état sommaire, fut repris par les « sœurs de la Sagesse », qui avaient l’avantage, n’étant pas cloîtrées, de pouvoir visiter les malades à domicile.
Des bâtiments qui menacent ruine
Mais en 1873, elles décidèrent de quitter Carhaix. « Les sœurs de la Sagesse quittent à cause du mauvais état des bâtiments que l’on n’a pas voulu réparer. Il y en a qui menacent ruines » écrivait le préfet le 12 juin 1873 à la supérieure des Augustines de Pont-L’Abbé, que la municipalité de Carhaix aurait voulu voir revenir. Finalement ce sont des « filles du Saint Esprit » qui prendront la relève en janvier 1874, dans des bâtiments en très mauvais état. Ces sœurs accompagneront ensuite, en 1913, la construction du nouvel hôpital-hospice, situé en bordure de la route de Gourin. Les bâtiments des Hospitalières finirent par être abandonnés. Sur l’emplacement du monastère, on ouvrit en 1936 une nouvelle rue permettant la construction de l’actuel bureau de poste et de l’école maternelle Huella. Quant aux « filles du Saint-Esprit », elles restèrent comme cadres et soignantes de l’hôpital jusqu’à ces dernières décennies.
F.K.