«Cette même année, le monastère de saint Guénolé fut détruit par les Normands».

Ces quelques mots, portés en marge d’un calendrier liturgique provenant du scriptorium de l’abbaye de Landévennec, conservé à la bibliothèque royale de Copenhague, nous apprennent qu’en 913, les Vikings avaient repris leurs raids sur les côtes bretonnes, en profitant de la crise politique ouverte vers 907 par le décès d’Alain Le Grand, qui les avait chassés de notre province une vingtaine d’années plus tôt.

 

Ces redoutables « guerriers de la mer » convoitaient en effet particulièrement les objets de culte et les reliquaires d’or et d’argent souvent incrustés de pierres précieuses qui abondaient aux IXe et Xe siècles dans les églises et les monastères de l’empire carolingien.

 

Une ville sans défenseurs

L’une de leurs razzias les plus fructueuses s’était déroulée à Nantes le 24 juin 843.

Cette nuit-là, 67 drakkars montés par plus de 2000 Vikings du Vestfold (une région située sur la rive occidentale du fjord d’Oslo) avaient silencieusement remonté la Loire jusqu’à Nantes et s’étaient amarrés au pied des remparts.

Aucune sentinelle n’y veillait, malgré les avertissements prodigués par les villageois et les moines des abbayes d’alentour, qui s’étaient réfugiés dans la ville avec tous leurs biens, terrorisés par l’approche de ces « fléaux de Dieu » dont ils redoutaient les exactions.

Ceux-ci avaient sûrement appris que Nantes était dépourvue de défenseurs depuis la disparition de son protecteur, le comte Renaud d’Herbauge, mort le 24 mai précédent en combattant contre Nominoé, qui rejetait à cette époque la suzeraineté du roi de Francie occidentale Charles Le Chauve et luttait pour conquérir l’indépendance de la Bretagne.

 

Livrée au pillage

Bien décidés à profiter de ces circonstances favorables, les assaillants les plus agiles, après avoir escaladé les murailles, ouvrirent les portes de la ville à leurs compagnons, restés sur les drakkars.

Armés d’épées, de haches aux tranchants aiguisés comme des rasoirs, de poignards et de javelots, tous se ruèrent vers la cathédrale Saint-Pierre, où ils massacrèrent sans pitié l’évêque Gunhard ainsi que «tous les clercs et les laïcs mêlés, sans distinction d’âge, de sexe ou de dignité».

Puis, après avoir pillé la ville, ils rejoignirent avec de nombreux captifs l’île de Noirmoutier où, depuis 819, ils séjournaient chaque année à la belle saison.

Là, butin et prisonniers furent entassés sur des knorrs (lourds caboteurs plus larges que les drakkars), qui les débarquèrent quelques semaines après sur l’un des marchés aux esclaves de Scandinavie.

 

Une abbaye fortifiée et prospère

Aucun manuscrit ne relate ainsi la destruction de l’abbaye de Landévennec, survenue 70 ans plus tard, et révélée par les fouilles archéologiques menées sur le site depuis 1978.

Nous savons seulement que c’était un monastère prospère, auquel l’empereur Louis Le Pieux, en 818, avait attribué la prééminence sur toutes les fondations monastiques créées en Bretagne occidentale.

Il s’élevait à l’embouchure de l’Aulne, au fond de la rade de Brest, qui constituait un excellent abri naturel pour les escadres de drakkars.

Une importante flotte danoise, commandée par Othar et Hroald, y avait vraisemblablement séjourné en 914, avant d’aller ravager les côtes méridionales du Pays de Galles.

La sécurité dont avait bénéficié l’abbaye de Landévennec avant 913 était donc surprenante.

Provenait-elle de la protection accordée par la riche résidence carolingienne bâtie à proximité?

Venait-elle du paiement d’un tribut versé par les moines aux envahisseurs?

Ou était-elle due aux puissantes défenses, constituées «de fossés, de talus et de palissades», ainsi que d’«un rempart massif» édifié «du côté de la mer» ?

 

Un incendie dévastateur

«L’absence de traces attestant une quelconque bataille», notée par les archéologues A. Bardel et R. Pérennec, semble montrer que les moines qui se réfugièrent à Montreuil-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais, avec les reliques de saint Guénolé, avaient quitté l’abbaye avant l’attaque des Vikings.

Ces derniers pillèrent la plupart des sépultures monastiques et brûlèrent les ossements qu’elles contenaient dans une chapelle jouxtant le chœur de l’église, avant d’enfouir les cendres sous un tumulus de pierres sèches, conformément à leurs propres rites funéraires.

Puis, après avoir démantelé ses fortifications, ils abandonnèrent l’abbaye, dont toute la partie orientale avait été détruite par un incendie très violent, probablement déclenché accidentellement par ce bûcher.

En 936, le petit-fils d’Alain Le Grand, Alain Barbetorte, exilé en Angleterre, revenait en Bretagne et chassait à nouveau les Vikings.

La même année, l’abbé Jean de Landévennec, qui avait favorisé ce retour, ramenait aussi les moines dans leur abbaye, dont ils s’empressèrent de relever les ruines.


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Reconstitution historique de l’attaque d’une fortification en bois par les Vikings au IXe siècle, mise en scène au Puy-du-Fou…