Copropriétaires d’une terre «appelée Kergalof» (actuellement Kergalaon), située près du Grand Chemin menant de Plougonver à Gurunhuel, ils étaient en effet assujettis à un type de corvée seigneuriale dite « corvée naturelle », ou « corvée réelle », dont le temps, la nature et la durée avaient été fixés par écrit en 1539 par les articles 87 et 88 de la Coutume de Bretagne.
Ceux-ci stipulaient qu’en temps de guerre, les tenanciers d’une terre roturière, « vassaux » d’un suzerain auquel ils payaient le cens (un droit féodal versé en nature ou en argent), devaient aider celui-ci «à fortifier ses places»
En échange, il les nourrissait, «eux et leurs bêtes», pendant la durée de cette corvée, et les protégeait pendant les hostilités en leur permettant de s’y réfugier «avec tous leurs biens».
En temps de paix, ils devaient aussi participer aux réparations de ses châteaux, mais uniquement en cas d’incendie ou de ruine.
Des menaces inefficaces
En tant que procureur fiscal, Joseph Bobony de Kergré était chargé du recouvrement de tous les droits féodaux perçus par le duc de Penthièvre.
Mais, dans son ordre de réquisition, il avait omis de préciser à quels édifices délabrés étaient destinées les ardoises provenant de la carrière de Maël-Pestivien.
D’un commun accord, les corvoyeurs de Kergalof refusèrent donc d’effectuer cette corvée.
Trois semaines plus tard, pour les y contraindre, le procureur fiscal obtenait du sénéchal de Guingamp Pierre Le Gac de Lansalut la signature d’une ordonnance, selon laquelle, s’ils persistaient dans leur rébellion, une amende individuelle de 3 livres leur serait infligée.
Ils devraient aussi, solidairement, rembourser les frais des charrois d’ardoises effectués par d’autres corvéables, dont le montant fut fixé à 21 livres 30 sols par attelage.
Bien décidés à ne pas céder à ces menaces, les treize tenanciers, pour assurer leur défense, eurent alors recours aux services d’Yves Pastol, un avocat expérimenté, qui résidait en Plougonver au village de Peudordel.
Un procureur fiscal arrogant
Le 5 janvier 1709, celui-ci, devant les juges de la cour ducale, exigea la communication du nom et de la nature des bâtiments guingampais dont l’état nécessitait des travaux de restauration.
Joseph Bobony de Kergré, indigné par «cette demande impertinente», répondit tout d’abord avec morgue «qu’il ne se croyoit pas obligé» de fournir ces renseignements.
Puis, devant l’insistance de l’avocat, il dut se résoudre à répondre que les ardoises réclamées seraient, dans un premier temps, entreposées à Guingamp.
Ultérieurement, en cas de besoin pressant, elles seraient utilisées pour restaurer les fours de Montbareil et de Notre-Dame, ainsi que les halles et quelques autres bâtiments.
Une habile plaidoirie
Yves Pastol n’eut alors aucun mal à démontrer que le duc de Penthièvre ne résidait pas dans ces bâtiments.
La corvée réclamée n’entrait donc pas dans le cadre des obligations prévues par la Coutume de Bretagne, mais dans celui de servitudes féodales abolies au XIIIe siècle par Philippe Le Hardi et Philippe Le Bel.
Comme leurs ancêtres depuis le Moyen Age, les copropriétaires de Kergalof étaient toutefois soumis aux « banalités ».
Ils devaient donc, en payant une redevance en nature, moudre leurs grains, cuire leur pain et presser leurs pommes au moulin, au four et au pressoir de leur suzerain.
Mais ils ne se servaient jamais des fours de Guingamp, situés à quelque 6 lieues (environ 24 kilomètres), de leurs domiciles.
L’entretien de ceux-ci incombait donc au « fournier » qui les louait au duc de Penthièvre, en échange d’une taxe payée par les boulangers guingampais.
Les magistrats de la cour de justice ducale furent-ils sensibles à ces arguments, ou condamnèrent-ils les paysans récalcitrants?
Les documents conservés aux archives départementales des Côtes-d’Armor ne mentionnent pas leur jugement.
Mais en 1789, dans la plupart des cahiers de doléances ruraux, les paysans réclamèrent la suppression de ces corvées seigneuriales, tout comme celle des corvées royales imposées vers 1730 dans tout le royaume par le Contrôleur Général des finances Orry pour l’entretien des Grands Chemins.
Abandonnées par les privilégiés lors de la nuit du 4 août, elles furent définitivement abolies le 15 mars 1790 par l’Assemblée nationale constituante.