«Les prochaines années vont être «violentes» dans la consommation… On voit la digitalisation à outrance pénétrer partout. Amazon s’est lancé dans la distribution alimentaire, et vise le «zéro-collaborateur», sauf des vigiles, grâce à la robotisation intégrale… 

Mais j’ai l’intime conviction que les gens ont quand même besoin de lien humain, de lien social, de contact… Et que notre commerce de demain ne devra pas se contenter d’être un commerce. Il faudra des collaborateurs hyper-compétents, du conseil, le service, de l’accompagnement…», nous a confié M. Romuald Garnier. 

«Quelle densité humaine !…» Telle est la première réflexion qui vient à l’esprit en écoutant cet homme et plus encore en découvrant son parcours.

Sourire engageant, regard lumineux, aisance du sportif accompli… Romuald Garnier vous semble d’emblée incarner l’énergie concentrée, le dynamisme foisonnant, l’esprit d’initiative et d’entreprise, mais le tout maîtrisé par une capacité de réflexion et d’analyse sans cesse en éveil, et guidé par une bienveillance, un souci d’humanité qui demeurent la règle à mesurer de ses multiples engagements.

Ce passionné, curieux de tout, ne fait rien avec désinvolture ou superficialité.

Son parcours professionnel et sa pratique sportive, de compétition ou de loisir, sont à l’unisson de ce tempérament entier : intenses, divers, déterminés…

C’est donc la richesse d’un parcours un peu hors norme que Regard d’Espérance propose cette fois de découvrir, au fil d’un interview jalonné de récits, d’anecdotes, de réflexion et d’analyses jamais banales.


Voudriez-vous vous présenter brièvement ?

«Je suis né à Quimper en 1975 et j’ai grandi à Ergué-Gabéric, tout proche. Mes parents étaient ouvriers, mes grands-parents ouvriers agricoles dans le Porzay, à Ste-Anne-La-Palud. Ma mère était native de Douarnenez…

Après un bref passage par l’Armée, mon père est entré à la Société Laitière de Cornouaille, basée à Quimper… Il était originaire de Brest, sa famille étant dans le milieu des chemins de fer, alors que ma mère avait une filiation dans le monde agricole.

Je suis le cadet d’une fratrie de quatre garçons: un frère qui est mon aîné de douze mois –et avec lequel j’ai beaucoup grandi– et deux petits frères, jumeaux, qui ont sept ans de moins.

Mes parents n’avaient pu faire que peu d’études, étant sortis du milieu scolaire à 13 ou 14 ans, mais faisaient beaucoup de sport –notamment mon père qui était un bon amateur en cyclisme– si bien que notre environnement éducatif a été centré sur le sport. Nous avons grandi dans les valeurs du sport, et très rapidement et énormément, dans la compétition sportive. Pour moi, c’était la course à pied et le vélo, de l’âge de 13 ans à l’âge de 19 ans, où j’ai arrêté le vélo, mais jamais la course à pied…

Je suis marié depuis longtemps – j’avais 20 ans. Mon épouse est originaire de la presqu’île de Crozon, d’une famille d’agriculteurs de Landévennec. Elle est notaire, après un parcours très linéaire, contrairement au mien, et brillant. Après avoir exercé au Faou, elle a installé son étude notariale, en association, à Audierne, quand j’y ai créé un de nos magasins Biocoop…

Nous avons adopté un petit garçon, Victor, qui est né à Bogota, en Colombie. Il avait alors 6 mois et a maintenant 11 ans. Il est scolarisé à l’école Diwan…

Ce parcours de l’adoption a été toute une «aventure», dans laquelle nous nous sommes engagés jeunes, qui nous a fait mûrir très rapidement, et permis de construire un projet de vie familial…»

Vous pratiquez l’alpinisme et vous avez gravi de hauts sommets, tels le Mont-Blanc et l’Aconcagua (6962 m)… Quelles ascensions vous ont laissé les plus grands souvenirs ?

«Sans doute le Mont Toubkal (4310 m) au Maroc… Je l’ai gravi deux fois, dont la dernière avec mon épouse et mon fils, qui avait 9 ans. Il faisait un froid terrible le dernier jour, et j’ai cru qu’il n’y arriverait pas dans la toute dernière partie de l’ascension, mais on a réussi à trouver une petite veine dans une ravine au soleil pour arriver au sommet. C’est mon plus beau souvenir.

Ce n’est pas techniquement compliqué, mais c’est sportif; et ce n’est pas seulement une ascension, mais un trek de dix jours au total…

Pour le Mont-Blanc, nous avons eu la chance d’être les 3e et 4e à arriver au sommet ce jour-là, par un temps magnifique !

La veille, au refuge, les conditions météo avaient été tellement exécrables que beaucoup de gens étaient redescendus. Mon guide, qui était un peu «risque-tout», m’avait incité à tenter le coup… On l’a fait «à l’arrache», comme on dit, mais c’était inoubliable ! Hélas, c’est une ascension qui ne dure pas longtemps. J’ai préféré des courses comme celles des Ecrins… 

Je viens d’être invité à participer à une expédition au Cho Oyu pour l’automne 2021. C’est la montagne de mes rêves depuis mon adolescence : 8200 m face à l’Everest, par le versant tibétain.»

Avez-vous parfois tremblé dans les dangers de ce milieu à la fois magnifique et hostile qu’est la haute montagne ?

«Lors de l’ascension de l’Aconcagua, j’ai fait un œdème facial à 6000m, qui m’a empêché d’atteindre le sommet : j’ai été obligé de redescendre après avoir atteint les 6400 m, car cela devenait trop dangereux.

C’est une expérience dont il est intéressant de tirer leçon: les deux principaux facteurs d’accident en montagne sont la jeunesse et les gens trop sportifs, paradoxalement. Les jeunes parce qu’ils sont souvent trop fougueux et prennent des risques inconsidérés ; les sportifs, qui sont trop préparés et surestiment leurs possibilités, faisant trop confiance à leurs sensations et manquant de retenue…

Cela a été mon cas à l’Aconcagua : j’étais hyper-préparé, en pleine forme sportive. Mon copain est tombé malade à 5000 m. J’ai voulu prendre sa charge pour la monter à 5700 m afin d’établir notre 2e camp, et à la redescente, je suis tombé malade à mon tour, parce que j’étais monté beaucoup trop vite. Je n’ai jamais réussi à me remettre, même en remontant plus doucement le lendemain. Il fallait arrêter; j’avais du sang dans les yeux…

Le «mal des montagnes» est quelque chose de fréquent. On le voit en particulier chez les Parisiens qui font le «TGV-Mt-Blanc» : ils arrivent en TGV la veille, grimpent au Mt-Blanc… et vomissent tous, à quatre pattes, arrivés au refuge du Goûter, parce qu’ils ne sont pas préparés!»

Vous faites aussi de la plongée sous-marine… Quels en sont les dangers spécifiques? Qu’en est-il notamment de la plongée «en apnée» : il y a eu ces derniers temps plusieurs accidents mortels…?

«Je n’ai jamais paniqué en plongée. J’ai vu des gens le faire, et là c’est extrêmement dangereux !

Mes plus grosses frayeurs sont survenues en surf, trois fois, dont une ici,  en Baie d’Audierne. J’étais seul, en plein hiver, par gros temps, ce que je ne fais jamais d’habitude. Une grosse vague, au large, a fait éclater le lien qui me retenait à la planche, qui est partie… J’étais à l’eau, dans des baïnes et des séries de grosses vagues qui se succédaient…

Je me suis dit que c’était vraiment  mal parti. Heureusement, la plongée m’a appris la maîtrise de soi, le sang-froid, à ne pas se laisser gagner par la panique. 

J’ai attendu l’arrivée d’une grosse série de grandes vagues pour tenter de rentrer en «body surf», en étant porté par elles jusqu’à la plage ! J’ai réussi… Sinon, je risquais au mieux de me retrouver au large de la pointe de Penmarc’h, avec intervention de la SNSM, des hélicoptères…

En plongée en apnée, le risque est la noyade, et la narcose de l’apnée: on pousse toujours plus loin, on perd connaissance… Et s’il n’y a pas un collègue à côté pour ramener à la surface, c’est terminé.

En plongée avec oxygène, le premier danger, c’est l’accident barotraumatique, souvent lié à la panique. Et il ne survient pas le plus souvent en grande profondeur, mais dans les 0-10m: c’est la surpression pulmonaire tout d’abord, le plus souvent due à des remontées brutales, en panique : les sinus – ou pire, les poumons – éclatent…»

A quelles profondeurs avez-vous plongé ?

«En Mer Rouge, j’ai plongé jusqu’à 60 m, sur différents sites.

C’est extraordinaire: à 60 m de profondeur en Mer Rouge, on voit la surface, le bateau… C’est le grand bleu! Et c’est moins impressionnant que de plonger à 40 m à Ouessant, en automne !

Dans nos régions, hormis la recherche d’épaves intéressantes, le plus passionnant, le plus beau à explorer, c’est entre 0 et – 30 m : c’est là que sont la faune et la flore sous-marines… Au-delà, il n’y a que des cailloux et du sable.»

Le célèbre auteur et montagnard Samivel avait donné à l’un de ses livres le titre «L’Amateur d’abîmes»… Vous êtes un amateur d’abîmes, puisque alpiniste, mais aussi d’abysses, puisque plongeur… Sont-ce l’ivresse des sommets et celle des profondeurs, ou le désir de repousser des limites, ou encore quelque quête intérieure qui vous ont conduit vers ces sports de l’extrême ?

«J’ai commencé la plongée à 16 ans, lors de mon voyage découverte en Nouvelle-Calédonie. Cela a été un «choc», une révélation. Cela m’a fasciné. Je suis rentré en me disant que j’allais la pratiquer… J’ai beaucoup plongé ici, dans le Cap, aux Glénan, mais aussi ailleurs…

La montagne, je l’ai découverte très jeune: nous allions chaque été dans les Alpes, dans la chaîne des Aravis, où mes parents pouvaient avoir un chalet d’entreprise. Jusqu’à mes 19 ans, j’ai crapahuté partout en montagne, et gravi à vélo tous les cols des environs… Cela a «imprimé» quelque chose en moi. L’univers des grands espaces m’a toujours inspiré: la montagne, la mer, l’océan…

Pour la plongée, l’idée était aussi d’aller voir sous la surface ; celle de la mer, et celle de sa propre personnalité: la plongée est source d’introspection ; un miroir de ses propres émotions. On apprend à gérer cela, donc à commencer par l’appréhender…

S’y ajoute le côté très technique, physiologique, la préparation minutieuse, la sécurité… Tout cela participe au développement psychologique de la personne.»

La mer et la montagne, marins et alpinistes ont beaucoup en commun, dit-on ; est-ce votre sentiment ?

«Oui! Ce sont deux univers qui se rapprochent beaucoup. Les deux milieux sont à la fois différents et identiques. J’ai lu un livre écrit par un garçon qui avait gravi l’Everest en 2008, et disait que sa meilleure préparation pour l’ascension de l’Everest avait été sa pratique de la plongée. Il avait le même niveau que moi en plongée: le monitorat…

Beaucoup de montagnards sont d’ailleurs devenus des navigateurs, et vice versa. 

Le guide qui m’a accompagné au Mont-Blanc est venu faire un stage de voile avec moi ici en Bretagne… Il n’avait jamais navigué et a trouvé cela formidable. 

De même, le copain avec qui j’ai fait l’Aconcagua est venu faire de la plongée…»

Quelles similitudes et quelles différences ces deux activités présentent-elles ?

«Elles se ressemblent par l’hostilité des milieux, les dangers qu’ils présentent… L’aspect barométrique: on s’y trouve dans des schémas inversés : on prend de la pression en plongée, et on en perd en altitude… 

La première similitude est d’évoluer dans un milieu incertain, que l’on ne maîtrise absolument pas, qu’il faut apprendre à «lire», avec un maître-mot: la sécurité avant tout !

Il faut s’adapter en permanence, prendre des décisions rapides et capitales, parfois vitales. Il faut y faire preuve d’énormément d’humilité, acquérir des connaissances, et de l’expérience, ce qui est infini…

La technicité est pareillement présente dans les deux disciplines… 

Une question se pose d’ailleurs : est-ce que ce sont les éléments, ces milieux-là, qui forgent les traits communs des personnalités qui pratiquent ces activités, ou des prédispositions personnelles qui attirent certaines personnalités vers ces milieux ?…»

Que représente pour vous-même, ce que l’on appelle de manière générale : le sport ? 

«Un bienfait fondamental, physiquement et psychiquement! On sait aujourd’hui tout ce qui se passe biologiquement, «chimiquement» quand on fait du sport: la production de sérotonine, de dopamine… d’hormones qui nous font du bien. C’est un évacuateur de stress excellent, essentiel, qui participe à l’équilibre psychologique de la personne.

Et il n’y a pas besoin d’en pratiquer de manière intense pour en tirer un bienfait: la marche à pied ou le running suffisent… Je suis d’ailleurs content de voir de plus en plus de gens en faire.

Encore une fois, nous sommes corps, cœur et âme, et il faut entretenir, nourrir tout cela ! L’entretien physique en fait partie… C’est – avec l’alimentation – un préventif en matière de santé…»

Aux nombreuses personnes de tous âges qui disent «qu’elles aimeraient bien faire du sport, qu’elle en ressentent même le besoin, mais qu’elles n’ont pas le temps, car…» que dites vous ?

«Que c’est très rarement vrai ! Nous sommes plusieurs dans nos magasins à aller courir pendant la pause du midi… La première chose que j’ai faite en devenant directeur d’un Décathlon, a été d’y faire installer une douche. C’était quand même un comble qu’un magasin spécialisé dans le sport et l’outdoor n’ait même pas une douche pour son personnel dans ses locaux ! Comment incarner le projet sans avoir cet équipement basique du sportif ?…

Au début, j’ai été le seul à aller courir, puis nous avons été 2, puis 3… puis on a monté un petit club de coureurs au sein du magasin…

Marcher, courir, cela se fait avec rien et ne coûte presque rien: une paire de chaussures adaptées… On sort de chez soi et on peut pratiquer directement pendant 30 minutes à une heure, et cela suffit.

Mais en réalité, le «j’ai pas le temps !» signifie souvent «j’aime pas» !…»

Vous avez un enfant, l’initiez-vous à la pratique du sport, et peut-être d’un sport «en particulier» ?

«Mon fils fait du judo depuis l’âge de 3 ans et demi, de la voile, du surf… et passe beaucoup de temps dehors. Et il n’est jamais malade !

J’ai des neveux et nièces très sportifs et d’autres qui ne le sont pas du tout… Et cela se voit dans leur santé, leurs postures physiques, leur gestuelle…»

P.Daninos fait dire à son personnage anglais, le major Thompson, quelque peu ironique, qu’en «France, il y a des dizaines de millions de sportifs…» (autant que de Français) car, être sportif en France c’est autant regarder les matchs et autres événements que pratiquer soi-même…! Cet humour «britannique» est-il teinté de quelques zestes de réalité ?

«Les jeux vidéos sont venus s’ajouter à tout cela ! Et la situation est catastrophique chez les jeunes. Ces personnes que je disais voir de plus en plus nombreuses à courir, ce sont rarement des jeunes…

Aujourd’hui, la plupart des enfants et des jeunes ne font presque plus de sport. Regardez la place du sport à l’école… Elle est quasi inexistante en réalité ! Les «dispenses» sont tellement nombreuses que les profs de sport ne font plus cours qu’aux élèves qui en ont envie… Et on voit la même désaffection dans les clubs sportifs. Beaucoup de jeunes «zappent», ne persévèrent pas…

Et le résultat est que l’obésité devient un fléau dans la jeune génération, avec les problèmes de santé qui en résultent.

Mais n’est-ce pas fondamentalement une question d’éducation ? D’une génération de parents qui ont abandonné, ont cédé à la facilité : «Si tu veux pas, tu ne fais pas…»

Pour l’enfant, le sport – se construire physiquement – fait partie de la construction de l’adulte qu’il sera…»

La pêche, et tout spécialement la pêche à la mouche, vous passionne également… Comment y êtes-vous venu, et quels agréments y trouvez-vous ?

«J’ai pratiqué la pêche en mer depuis tout jeune, mais la pêche à la mouche depuis quelques années seulement. J’avais depuis longtemps envie de découvrir cette pêche, et c’est une rencontre avec le président de l’APPMA du Goyen qui m’a décidé. On travaille toujours ensemble sur la promotion de la pêche sur le territoire, notamment vers les enfants…

C’est une pêche qui me passionne: elle est sportive, dynamique; on y est dans l’action. On marche, on est dans l’eau en waders…

Il y a tout un côté technique: on est obligé de jouer avec les courants ; il faut savoir «lire» la rivière, observer le milieu, chercher les endroits propices, faire de l’approche, «pister» le poisson, adapter les mouches à la saison…

On peut fabriquer ses propres mouches, monter son propre matériel. C’est «magique» de prendre son premier poisson avec une mouche qu’on a soi-même fabriquée !

Mais c’est l’immersion dans la nature qui m’attire le plus, car je pratique le «no kill»…»

Plus que d’autres styles ou pratiques de la pêche, elle est tout un art – une pêche un peu aristocratique diraient d’aucuns – qu’en dites-vous ?

«Je pourrais vous faire rencontrer beaucoup de pêcheurs à la mouche qui n’ont rien d’aristo!…

Non, c’est une erreur, peut-être due à une certaine impression d’inaccessibilité en raison de sa technicité, qui est en fait toute relative. En une semaine d’apprentissage, on peut y aller !

Et pour les jeunes, qui désertent la pêche, elle est un très bon moyen de s’y intéresser. La pêche au bouchon, statique, passive, ne peut pas rivaliser avec le foot ou les jeux vidéo !

Mais la pêche à la mouche peut les captiver par son côté dynamique. C’est vital pour l’avenir de la pêche, car la désaffection actuelle pour les cartes de pêche est inquiétante, et l’âge moyen des pêcheurs est plutôt élevé…»

Votre parcours professionnel est aussi riche et divers que votre pratique sportive… Quelle source intérieure, quel ressort ou motivation profonde réunissent ou unifient en vous ce foisonnement d’actions, d’entreprises et de projets ?

«J’y travaille, justement!… Eh oui, c’est la question ! Le pourquoi du «feu intérieur» et d’une certaine incapacité à laisser du vide. Question existentielle…

C’est sans doute la qualité de mes défauts, et le défaut de mes qualités : je suis très curieux de tout par nature, très intéressé, passionné, constamment assoiffé de découvrir, d’apprendre de nouvelles choses et de me mettre en contact avec de nouvelles personnes qui vont être inspirantes pour moi…

Je ne suis expert en rien ; j’aime toucher à tout.

Et plus je passe du temps dehors et plus je suis au contact de la nature, mieux je me porte !

L’éducation reçue a aussi beaucoup joué en ce sens. Mon père était syndicaliste, très engagé lui aussi ! De même, le fait d’avoir fait du sport de compétition très jeune a forgé cela en moi…

Des «choses» se sont également déclenchées à certaines périodes de ma vie: des projets en montagne quand j’ai perdu mon père, par exemple… Certaines choses sont de cet ordre-là. Depuis, je n’ai eu de cesse de bâtir, de construire des projets…

Toutes les activités sportives que je pratique sont aussi un miroir: un excellent moyen de me connaître moi-même. Cela m’a permis beaucoup d’introspection, a été source d’équilibre… avec cependant le défaut du «feu intérieur», du côté passionné et engagé, qui est la tendance à aller dans les extrêmes, que ce soit en sport ou au travail. Et cela m’a valu quelques ruptures physiques !

Pour trouver un équilibre, il faut savoir aller dans les deux sens, et j’essaie d’être maintenant un peu plus équilibré, apaisé dans ce que je fais, ce qui n’est pas toujours simple, car le tempérament est là, et il faut l’apprivoiser !…»

Comment trouvez-vous à la fois l’énergie et l’organisation pour mener de front ces multiples activités sans vous disperser ?

«L’énergie est là ! Chacun a son capital énergétique, son ressort et son histoire, différents de ceux des autres…

Trouver le temps… On y arrive en s’organisant dès lors que l’on est motivé, et bien sûr selon les responsabilités que l’on a ; c’est plus ou moins facile…

Mais en ce qui concerne le travail, le secret est de savoir déléguer, faire confiance aux hommes et femmes qui nous entourent, qu’on accompagne. C’est vraiment symptomatique dans mon métier : j’ai des collègues gérants qui sont submergés, qui ne font rien d’autre que passer leur vie dans leur magasin ou leur entreprise… parce qu’ils ne savent pas construire une équipe et déléguer. C’est hors de question pour moi ; je ne peux pas rester entre quatre murs !

Il faut aussi avoir un regard juste, précis sur sa propre fonction : à moi de savoir construire une équipe qui soit capable de faire tout ce que je ne ferai pas au sein de l’entreprise…

J’ai donc bâti des équipes, qui n’ont pratiquement pas changé depuis le début… Et l’énergie que l’on met dans le développement et l’accompagnement de l’humain, c’est autant d’énergie que l’on n’aura pas à mettre ailleurs ensuite !»

Vous êtes marié et père d’un – aujourd’hui – «grand garçon»… Qu’en dit votre épouse ?

«Elle vient faire ses courses dans mes magasins!… Elle est aussi passionnée que moi – heureusement ! – et aussi très engagée dans son travail de notaire et pratique beaucoup le sport : on partage la randonnée, la course à pied, le trekking…

Et nous partageons, échangeons beaucoup, et nous nous questionnons ensemble… Le souci de l’humain est le trait commun de nos entreprises.

Cela m’amène à dire que l’échange est essentiel: on parle souvent de la solitude du dirigeant… mais il faut précisément savoir échanger !

Je parle beaucoup avec des dirigeants tels que Loïc Hénaff, et j’ai tout un réseau d’amis entrepreneurs – et autres – pour de tels échanges, réflexions, questionnements…»

Un dénominateur commun de tous ces engagements est manifestement une proximité, un amour de la  nature ; d’où cela vous vient-il, et que représente-t-elle pour vous ?

«Cela me vient du fait que j’ai passé mon enfance dehors, depuis mon plus jeune âge! Toutes les vacances se passaient dans la campagne, au bord des rivières. On partait le matin et on rentrait le soir! Je faisais du vélo, de la course à pied, mais on allait aussi à l’école à vélo – il n’y avait pas de scooter à l’époque ! On allait souvent à la plage à vélo, à Bénodet, depuis Ergué-Gabéric…

Et tout cela a été un facteur d’émancipation, de liberté… 

Enfin, un événement marquant a été aussi fondamental : à 16 ans, j’ai eu la chance de pouvoir partir en Nouvelle-Calédonie avec la Fondation Ushaïa de Nicolas Hulot, qui se lançait alors, pour un séjour d’un mois et demi, aux côtés de scientifiques : géographes, océanographes, ethnologues…

Cela a construit quelque chose en moi. J’en suis revenu avec un regard changé, sur mon territoire, sur mes pratiques… Ce fut une prise de conscience écologique.» 

Vous avez débuté votre carrière professionnelle dans la publicité, au journal Ouest-France puis au Télégramme : quelles réflexions retirez-vous de cette fréquentation de la presse quotidienne ?

«J’ai eu un parcours scolaire un peu contrasté: bon élève dans le primaire et au collège, mais un peu «différent». Le «ventre mou» me convenait très bien, en tant que cadet à la maison, comme à l’école ! Au lycée, mon orientation, décidée par les enseignants, a été chaotique, et j’ai fini par lâcher prise en terminale…

J’ai donc fait une formation d’éducateur sportif, ai obtenu mon Brevet d’Etat (BEES), mais j’ai ensuite passé mon Bac par correspondance tout en travaillant, puis ai suivi des études de Droit, avant de faire mon service militaire en tant qu’instructeur sportif à l’Ecole Navale, à Brest.

J’ai perdu mon père cette année-là. J’ai failli m’engager… Mais une formation en communication m’a été proposée, au sein du groupe Ouest-France, à Nantes, où j’ai donc travaillé pendant un an, puis au Télégramme, pendant deux ans.

J’ai beaucoup aimé cette expérience, parce que j’avais toujours été un grand lecteur de la presse, l’information me passionnant… Et là, bien que travaillant dans la partie publicitaire, je côtoyais l’information car, à l’époque, la cellule publicitaire était intégrée à la rédaction du journal… C’était passionnant !

Mais je me suis assez vite ennuyé sur ce qui était mon métier spécifique : me manquaient notamment le travail en équipe, le projet collectif à construire… Et le sport !»

Vous avez ensuite travaillé au sein de la chaîne de magasins Décathlon ; voudriez-vous résumer votre parcours dans cette enseigne ?

«Une amie qui y travaillait déjà m’a parlé des différents métiers qui existaient en magasin chez Décathlon. J’ai envoyé un CV, et ai été pris après 5 entretiens successifs, comme responsable de rayon dans le magasin «historique» de Brest, au départ et pendant 2 ans.

Je dirais tout simplement que cela a été mon école!… Ecole professionnelle –et scolaire, presque– tant Décathlon possède un extraordinaire système d’accompagnement, de «coaching», de formation d’entreprise… 

Puis, je suis devenu responsable de l’exploitation de ce même magasin (il y en avait alors 3 à Brest) – qui regroupait les univers montagne, nautisme, cycle et l’atelier…, et qui était le site très porteur de Brest.

Je n’ai fait ce métier que pendant 7 mois, puisque l’on m’a vite demandé de prendre la direction du troisième magasin Décathlon de Brest, qui se trouvait en très grande difficulté, économiquement et humainement depuis longtemps, pour diverses raisons…

En deux ans, nous avons réussi à redresser la situation, grâce à de multiples plans d’actions et d’accompagnements en tous domaines…

La direction régionale m’a alors demandé de piloter tout le projet de déménagement de Décathlon Brest – et donc de l’unification des trois magasins brestois – sur le site de Froutven, près d’Ikea, où il se trouve aujourd’hui.

J’en suis arrivé là à atteindre certaines limites de mes capacités physiques, et j’ai donc donné mon accord pour mener à bien ce projet jusqu’à l’ouverture de ce nouveau magasin, qui comptait 180 collaborateurs, mais pas au-delà…

L’on m’a ensuite proposé de créer un métier au sein de la direction générale de Décathlon en France, à Lyon : les magasins Décathlon créaient à l’époque les «événements-clients acteurs», genre d’animations et de manifestations sportives pour permettre l’initiation à des pratiques sportives…

Cela se faisait de façon un peu «anarchique», et il fallait rationaliser, sécuriser, encadrer, uniformiser, standardiser ces actions. J’y ai passé presque deux années extraordinaires, avec un budget d’1,4 million d’euros,  une feuille de route très simple, la possibilité de recruter, de monter de multiples partenariats nationaux et locaux, pour créer à travers toute la France 77 événements sportifs correspondants aux 77 sports que Décathlon distribuait à l’époque !

Mais j’ai démissionné de ce poste rêvé après une année, parce que mon épouse ne parvenait pas à trouver d’emploi de notaire à Lyon; c’était la crise de 2008… Décathlon, qui voulait absolument me garder, m’a proposé plusieurs emplois très intéressants, mais je suis rentré en Bretagne. C’était le sens de l’histoire, de notre histoire…»

Quels souvenirs – bons et moins bons – cette expérience professionnelle vous a-t-elle laissés ? Le «décor» correspond-il à l’envers du décor dans ce type de chaîne commerciale de la grande distribution ?

«Je serai très clair : le groupe Mulliez –propriétaire de Décathlon– c’est la grande distribution…

Par contre, jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas rencontré une autre entreprise qui mise autant sur l’humain que Décathlon !

Ce que nous essayons de faire aujourd’hui chez Biocoop – dont je suis élu à la coopérative – c’est ce que Décathlon faisait déjà il y a 20 ans en ce domaine, en termes d’accompagnement des collaborateurs, de management, de développement…

C’est là que j’ai trouvé mes figures tutélaires, ou mes mentors, et mes meilleurs patrons, en matière de management humain du personnel, de capacité à déléguer et à faire confiance; notamment à faire confiance à la capacité d’apprentissage, de savoir-être, aux potentialités de la personne plus qu’au CV initial… Leurs parcours de formation sont extraordinaires!

L’envers du décor, c’est l’obligation de mobilité professionnelle, de changement de «métier», de fonction, au sein des magasins. Cela provoque de la lassitude et de l’amertume chez des collaborateurs qui prennent de l’âge, atteignant les 50-55 ans, où beaucoup aimeraient pouvoir «se poser» un peu… Car ces changements permanents entraînent une désocialisation du couple, qui ne parvient plus à s’intégrer à un environnement social, vit dans l’incertitude…»

La marque bretonne Hoalen, spécialisée dans les vêtements destinés aux sports de la mer, a ensuite été votre champ d’activité. Voudriez-vous nous en dire quelques mots ?

«C’est après un passage à Carhaix, où j’ai travaillé dans la banque, au CMB, pendant un an et demi, que j’ai rejoint Hoalen…

Un copain avait créé en 2006, avec trois amis, cette marque de textile, qui recherchait un responsable commercial… Je me sentais commerçant, et non commercial – pas du tout – mais je les ai contactés quand même…

Et finalement, je me suis lancé dans l’aventure, parce que cela me paraissait être une étape extrêmement intéressante, au sein d’une petite entreprise, avant de monter ma propre entreprise.

Il n’y avait pas d’argent; il fallait tout faire tout seul, mais j’y ai appris la prise de risque, et c’était très complémentaire de mon expérience chez Décathlon…

Ils venaient d’acheter un hangar, à Kerlerdut, en face du phare de l’Île-Vierge, et voulaient y implanter un magasin… Or, cela je savais le faire !

Une fois ce projet réalisé, nous sommes vite passés d’un projet de développement d’un réseau de distributeurs pour vendre nos collections, à un projet de création de nos propres magasins à côté de ce réseau d’autres distributeurs.

Je me suis centré, pendant 5 ans, sur cette fonction de développeur, créant 7 magasins, à Morgat, Brest, St-Lunaire, la Trinité-sur-Mer, Paris, Bordeaux et Barcelone en Espagne…

J’ai quitté l’entreprise quand j’ai vu qu’elle commençait à abandonner une trajectoire et des valeurs que je considérais comme essentielles, et auxquelles elle est aujourd’hui revenue… Entre autres, une vigilance sur la préservation d’un  style original, sur «l’éco-responsabilité», et plus encore sur une notion de l’humain, qui était marketée mais n’était plus incarnée, ce qui a été pour moi une cause de rupture… »

Vous vous êtes orienté par la suite vers le commerce biologique… Pourquoi ?

«Je voulais inscrire mon projet dans un territoire que je connaissais, que j’aimais, où j’avais envie de pratiquer mes sports favoris, où je voulais vieillir ; et dans une activité, des valeurs qui me tenaient très fortement à cœur, autour de l’éco-responsabilité…

De plus, je voulais que cette entreprise, même petite, puisse avoir une résonance à l’échelle locale.

Que l’on soit un peu entendu – même si l’on n’est pas écouté – ce qui est possible sur un petit territoire, où l’on peut stimuler ou initier des choses auprès des associations, des élus… Une interaction qui n’est guère possible dans une métropole où existent des centaines d’entreprises semblables.

Cela s’est donc concrétisé par la création d’un magasin Biocoop à Douarnenez en 2016. Pouvoir intégrer le réseau Biocoop était une forme de reconnaissance car la sélection est rigoureuse et les candidats se bousculent au portillon. Entretemps, j’avais eu une proposition du directeur général des Comptoirs irlandais pour un poste de développeur de la marque et de l’enseigne, que j’ai déclinée après une nuit de réflexion…»

Quel a été votre parcours professionnel en ce domaine ?

«Dès le départ, il y avait outre Douarnenez, l’idée d’essaimer sur le cap Sizun, ce qui s’est réalisé deux ans plus tard, par la création d’un second magasin Biocoop, à Audierne… 

Et nous envisageons très sérieusement l’ouverture d’un autre magasin Biocoop à Douarnenez, la ville étant assez atypique, avec des singularités fortes, notamment des transferts de flux de clientèle qui ne se font pas entre Tréboul et Douarnenez  même, où nous sommes.»

Quelle est votre philosophie, votre pensée dans le développement de vos magasins ?

«La première question que je me suis posée en montant cette entreprise a été : «qu’est-ce que je veux faire, moi, là-dedans ?»

La vente de bons produits, les clients… Oui, mais ce n’est pas ce qui me passionne le plus. Par contre, faire du management d’équipe, accompagner des collaborateurs, leur permettre d’avancer… Voilà ce qui me motive vraiment! Puis, faire du développement, monter des projets, des collaborations, des partenariats…

Il existe dans beaucoup de structures comme les nôtres de très bons projets stratégiques de développement, de commercial, d’offres… mais il y a très souvent un défaut de projets dans l’humain. Or, la partie humaine du projet est pour moi la base, l’essentiel.

Nous avons aussi une volonté d’accompagnement de nos clients au-delà de l’acte d’achat, dans la prise de conscience de l’impact de celui-ci, dans une vision globale de la responsabilité écologique… de faire comprendre aussi à tous que le bio, ce n’est pas de la diététique, ou de la nutrition…»

Quel regard portez-vous sur «l’écologie» ?

«Vaste question !… L’écologie est une notion qui a littéralement «explosé», surtout depuis 5 ans, et cela me laisse un peu médusé tant elle devient de plus en plus galvaudée.

Je prends l’exemple de nos magasins Biocoop. Il y a 30 ans, la coopérative avait pour objectif de développer de l’agriculture biologique pour tous… Aujourd’hui, l’on y est pratiquement, et on voit la grande distribution s’emparer à fond du sujet; Carrefour rachète le réseau de magasins «Bio C’Bon»…

Il existe aujourd’hui une multitude de petites marques, avec des discours très marketés autour du «durable», du «recyclable», du «renouvelable», de la proximité, du local…

Et la clientèle n’est plus celle des débuts, militante, engagée. Celle-là devient très minoritaire dans la masse des gens qui fréquentent ce commerce bio. C’est bien, mais n’a-t-on pas perdu l’essence du projet en route ?

Notamment dans la profondeur, la réalité de ce que doit être l’écologie… La sémantique, le champ lexical autour de l’écologie est maintenant complètement galvaudé. Beaucoup d’amalgames se font, autour du «local», par exemple, comme si le local était nécessairement plus écologique. Un maraîcher local qui vend des oranges en hiver sur le marché d’Audierne, est-ce un écologique ?

L’explosion de ce marché a finalement joué contre son projet initial. On a l’impression d’avoir une consommation de mode, d’effet marketing, sans la conscience qui devrait la porter…

Et cela illustre assez bien l’évolution de «l’écologie» dans son ensemble, qui est désormais présente partout, mais qui est parfois tout et n’importe quoi…

L’écologie, c’est finalement pour moi prendre soin du contexte, de l’environnement dans lequel on évolue, prendre soin de soi-même et des autres; et l’écologie humaine, c’est de réaliser que l’on a un corps, un cœur, une âme, et qu’il faut nourrir tout cela sainement pour bien vivre… L’écologie doit d’abord être humaine.»

Et à 45 ans, vous voici à nouveau sur les bancs de l’université, étudiant… Pourquoi ?

«Après mon temps à Carhaix, j’ai intégré le Master de Gestion des Territoires et Développement local à Brest, en 2010, ayant auparavant passé une licence par équivalence (Validation des Acquis d’Expériences – VAE)…

Je m’intéressais déjà beaucoup à la question des territoires, du local. Après avoir eu toutes ces expériences, à Brest, en presqu’île, à Quimper, en Cornouaille, je me passionnais pour mon territoire ! C’était pour moi un chemin logique.

Mais cela avait aussi été déterminé par la rencontre avec un prof, Erwann Charles, qui m’avait impressionné par sa qualité pédagogique dès le premier cours. Il donnait envie d’apprendre… j’ai voulu faire un parcours dans sa formation…

J’avais donc commencé ce parcours à l’époque, et je l’ai repris dernièrement pour aller plus loin, en reprenant un cycle. Le but est aussi de me «poser» un peu, après avoir lancé deux magasins, construit et acquis de l’expérience, afin de «percoler» un peu de connaissances, de concepts, d’amener un peu de profondeur dans le cheminement, de prendre de la hauteur…

Ce n’est pas le diplôme qui m’intéresse. Il n’y a pas d’enjeu à ce niveau-là !»

Nous traversons une grave crise sanitaire et économique, celle-ci s’annonce dévastatrice, avec des conséquences sociales difficilement imaginables… Comment voyez-vous l’avenir proche et plus lointain en ce domaine ? Et quel regard portez-vous sur l’avenir de la consommation et du commerce ?

«L’on s’interroge tous les jours là-dessus… Et le secteur tangue énormément. Il est évident que des modèles entiers vont disparaître. Nous avons récemment vécu deux phases contradictoires : un élan des consommateurs vers les producteurs locaux, un commerce de proximité lors de la première partie de cette crise du Covid 19, comme s’il y avait eu une prise de conscience sociétale… Puis, un retour rapide aux vieux réflexes et aux vieilles habitudes !

La situation est très compliquée. Les prochaines années vont être «violentes» dans la consommation… On voit la digitalisation à outrance pénétrer partout. Amazon s’est lancé dans la distribution alimentaire, et vise le «zéro-collaborateur», sauf des vigiles, grâce à la robotisation intégrale. Ils vont monter un premier «magasin» de ce type à Paris, après les USA. Donc: déshumanisation du commerce de proximité…

Mais j’ai l’intime conviction que les gens ont quand même besoin de lien humain, de lien social, de contact… Et que notre commerce de demain ne devra pas se contenter d’être un commerce. Il faudra des collaborateurs hyper-compétents, du conseil, le service, de l’accompagnement… 

Je crois en la revalorisation du petit commerce de proximité par un professionnalisme accru, une plus grande profondeur de compétence et de connaissance… et un rôle social. Le commerce devra s’inscrire durablement dans son territoire, en synergie avec tous les acteurs de celui-ci, pour participer à la construction d’un projet de territoire qui fasse sens…

Le rôle de l’entrepreneur de demain se passera, beaucoup plus encore qu’aujourd’hui, en dehors des murs de son entreprise.»

«Confinement», «reconfinement»… «déconfinement»… «effondrement sanitaire, économique, social», les «augures» et «spécialistes» s’en donnent à cœur joie… Qu’en pensez-vous ? Un grave affrontement social est-il à envisager… à craindre ?

«Je serais bien incapable de percevoir et plus encore de dire des choses pertinentes à ce sujet! L’on n’a jamais été autant dans l’incertitude… L’on voit bien qu’il va y avoir des ravages. Des entreprises commencent à tomber… Des secteurs entiers s’effondrent… Des foules de gens vont rester sur le bord de la route. Des écarts de niveaux de vie vont se créer. La précarité va augmenter… Eh oui, cela risque d’être très troublé sur le plan social !»

Demeurez-vous optimiste ? 

«Oui, malgré tout… parce que de nouveaux modèles émergeront. Les nouvelles générations vont devoir faire preuve de créativité, d’innovation… Et j’espère que de l’effondrement de ce modèle économique devenu un peu fou, émergera un modèle économique et sociétal plus sensé, parce qu’il n’y aura pas d’autres solutions.

J’ai donc à la fois de l’inquiétude, et de l’espoir…»

Vous connaissez quelque peu la ville de Carhaix pour y avoir brièvement travaillé dans le secteur bancaire… Quels souvenirs en gardez-vous? Et comment considérez-vous notre ville ?

«Je suis donc venu à Carhaix après avoir quitté Décathlon. J’envisageais déjà alors de lancer un jour mon propre projet commercial, mais sentais qu’il me fallait avoir une autre expérience professionnelle complémentaire, et me suis dit qu’un travail dans la banque répondrait à ce besoin…

J’ai postulé au CMB, ai été pris, et affecté à Carhaix, où toute une clientèle d’origine britannique ne trouvait pas de chargé de clientèle ! Or, elle représentait presque à elle seule un portefeuille à part entière… Je m’en suis donc chargé, avec plaisir, pendant une année et demie.

J’ai découvert cette ville, dont je connaissais surtout auparavant le circuit de cross de Kerampuil, puisque j’avais participé à plusieurs championnats de France, et de Bretagne…

Nous habitions à Logonna-Daoulas et je faisais l’aller-retour tous les jours, en covoiturage avec un ami. Mais je me suis très vite terriblement ennuyé à faire le métier de banquier entre les quatre murs d’une agence locale. J’avais besoin d’air, même si j’allais courir tous les midis sur la piste d’athlétisme du stade…

Carhaix, c’est donc pour moi la course à pied, les souvenirs des championnats de cross, le salon de pêche à la mouche. C’est tout le charme de l’Argoat, la centralité, une terre de bascule entre le Nord et le Sud Bretagne, une «rotule», une charnière entre deux univers, une terre de bretonnité… Et pour avoir travaillé à Carhaix, je peux dire qu’il s’y passe des choses ! Pour moi, Carhaix, c’est un peu le Douarnenez des terres, de l’intérieur; ou Douarnenez le Carhaix de la mer… Il y a la même force identitaire, militante dans ces deux lieux!

Et j’ajouterais que Carhaix, c’est pour moi la Biocoop de Jean-Marie Capitaine, un «personnage » singulier… que j’aime beaucoup.»

Quelles sont à vos yeux les valeurs essentielles de la vie humaine ?

«Chacun a ses valeurs. Parmi celles qui me sont chères, il y a le respect, l’ouverture à l’autre, l’écoute, le partage, la fraternité et la solidarité, la confiance, l’engagement… Encore une fois : l’humain avant tout. C’est ce qui fait socle et permet de bien évoluer en société.

Je dis souvent à mon fils : «Si tu veux être intéressant, intéresse-toi aux autres.»

Je crois aussi que l’on n’est pas là où l’on est par hasard, que l’on a une destinée. Une vie réussie est, pour moi, de parvenir à trouver et à incarner cette destinée… »