«Depuis que je vois les savants de tous pays… venir fouiller nos grèves par tous les temps… je ne puis m’empêcher de croire qu’il n’y ait dans leurs études un intérêt supérieur», écrivait en 1876, Gilbert Le Dault, maire de Roscoff, au sous-préfet du Finistère, en faisant l’éloge de la station marine récemment créée dans sa commune. Et il ajoutait quelque peu songeur: «s’il y a quelques années on pouvait plaisanter sur un homme passant sa vie à étudier un puceron, je remarque qu’aujourd’hui les choses ont bien changé»… Le maire espérait ainsi que le sous-préfet appuierait les demandes de soutien financier en faveur des travaux que la station souhaitait mener sur la pêche côtière, dont l’industrie était fortement atteinte d’après lui.

La station, âprement défendue par la municipalité, avait été créée quelques années plus tôt, en 1872, par un scientifique parisien Henri de Lacaze-Duthiers. Ce dernier, descendant d’une vieille famille aristocratique gasconne, avait entrepris des études de médecine contre l’avis de son père, qui le priva alors de tout subside. Il dût ainsi travailler comme assistant du professeur Milne-Edwards afin de financer ses études, et cette rencontre allait être déterminante pour la suite de sa carrière.

Un voyage décisif

Quelques mois après avoir passé avec succès sa thèse de médecine, Henri de Lacaze-Duthiers, qui était animé de fortes convictions, refusa de prêter serment à Napoléon III après le coup d’État du 2 décembre 1851, et perdit son poste à l’Institut Agronomique de Versailles. Cette péripétie n’était pas pour décourager le scientifique qui s’embarqua alors pour un voyage d’études aux Baléares, où il se découvrit une passion pour l’étude des mollusques.

De retour en France, il embrassa une carrière universitaire comme titulaire de la chaire de zoologie à la Sorbonne, et devint un naturaliste reconnu. Mais, animé par un grand intérêt pour les milieux marins, ce professeur ne se résolvait pas à passer sa vie entre les murs d’une université parisienne et désirait, pour lui-même comme pour ses élèves, étudier la faune dans son milieu naturel.

C’est alors qu’au cours de deux voyages en Bretagne en 1868 et 1869, il prit conscience de l’importance de Roscoff et de la richesse de sa faune marine: «j’y reviendrai encore car mon intention est de la faire connaître…», écrivit-il avant de concrétiser son projet en 1872.

D’abord installé à l’hôtel du «Pigeon Blanc» chez Madame Rolland, le laboratoire devint rapidement une véritable station avec l’acquisition de vastes bâtiments au centre-ville, grâce à l’appui financier du ministère de l’Instruction Publique.

Des 4 coins de l’Europe…

Devenue officiellement annexe de la Sorbonne, la station acquit alors une réputation internationale et le maire de Roscoff pouvait se vanter auprès du sous-préfet de recevoir dans sa commune des savants et universitaires venus de Suisse, Grande-Bretagne, et même de Russie. Carl Vogt, recteur de l’Université de Genève, s’était même déplacé trois années de suite. Des étudiants affluaient également de tous côtés.

Disposant d’équipements très modernes pour l’époque, comme l’électricité, installée dès 1889, la station biologique favorisait des recherches scientifiques qui bouleversaient les conceptions d’alors en matière de connaissance de la faune et des fonds marins. Très attaché à l’ancrage territorial de la station et à sa participation au développement local, Henri de Lacaze-Duthiers n’eut aucune peine à recevoir le soutien des autorités communales et départementales.

L’universitaire parisien encouragea ainsi les travaux qui pouvaient bénéficier à l’activité ostréicole de la côte roscovite. Pragmatique, il accorda aussi toute sa confiance à un «homme de terrain», Charles Marty, qui fut un précieux collaborateur, tour à tour marin, mécanicien, responsable du laboratoire. S’il n’avait pas eu le privilège de suivre des études, son avis comptait cependant beaucoup pour les responsables de la station, et son décès prématuré fut une lourde perte pour l’équipe scientifique.

Un siècle après… toujours à la pointe

Malgré une santé déclinante et un surcroît de travail dû à la création d’une seconde station à Banyuls-sur-mer, Henri de Lacaze-Duthiers demeura jusqu’à la fin de sa vie très attaché à son œuvre à Roscoff, au sujet de laquelle il écrivait ces quelques mots personnels en 1888: «il m’a fallu faire tant d’effort et avoir tant de persévérance pendant près de 20 ans».

Ses efforts n’ont pas été vains … Henri de Lacaze-Duthiers est décédé en 1901 à l’âge de 80 ans, mais plus d’un siècle après, la station marine demeure plus que jamais un acteur important du territoire en accueillant un centre de recherche et d’enseignement rattaché à la Sorbonne et au CNRS, qui permet aujourd’hui à de jeunes Bretons de se former aux technologies de pointe.