«Ce qui aurait vraiment pu faire développer le Centre-Bretagne, c’est l’axe central! Depuis le temps que l’on en parle: c’est de Gaulle qui l’a promis quand il est venu en Bretagne à Quimper en 1969!

Tant d’années après, les travaux sont toujours en cours!…»

Les idées claires, précises et concrètes à l’image des mots qu’il choisit pour les exprimer, M. Berthou ne les a pas acquises sur les bancs de l’université ou d’une grande école. Elles sont le fruit d’une longue confrontation aux réalités du terrain…

Ces 46 années passées au service de la population, les huit élections et réélections (pour sept mandats de maire et celui d’adjoint actuel), ne font pas de lui à ses yeux un homme politique. Il ne cache cependant pas être heureux d’avoir croisé le chemin de plusieurs d’entre eux et d’avoir eu le privilège de collaborer avec quelques-uns (et pas des moindres: C’est Jean-Yves Le Drian lui-même qui l’a parrainé quand il a reçu la médaille de l’Ordre National du Mérite).

Tout au long de l’entretien, sans se départir de son sourire, il enchaîne souvenirs, réflexions et anecdotes. C’est un vrai plaisir de l’entendre et il est intéressant de l’écouter…

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Nous avons eu le privilège de vous interviewer à plusieurs reprises depuis 1989.

En quelque 33 années notre monde a beaucoup changé, quelles sont les caractéristiques qui vous paraissent les plus marquantes… et quelles incidences ont-elles eues sur notre contrée et sur ces habitants ?

«A l’image de Plounévézel, il y a 33 ans ou plus, la vie était totalement différente, les contacts, les relations entre les gens ont beaucoup changé…

Je me souviens que quand nous nous sommes installés dans notre village, on se rencontrait, on partageait des moments conviviaux entre voisins. J’en garde de bons souvenirs, les jours de l’An, par exemple, en étaient tout particulièrement l’occasion.

Aujourd’hui, on ne se connaît plus! Pourtant élu municipal, je ne sais même pas comment s’appellent les familles qui habitent le village à côté de chez moi… On ne se rencontre jamais!

Le respect a disparu aussi. Avant les gens se respectaient, on pouvait discuter… Tout cela se perd, c’est dommage, c’est si important!»

Vous êtes une personnalité connue de notre région… Cependant, notamment pour les jeunes générations, voudriez-vous brièvement vous présenter?

«J’ai 75 ans. Je suis le second d’une famille de 5 enfants. Mon père travaillait au service voirie de la ville de Callac. Il avait cinq enfants à nourrir et éduquer, il y est très bien parvenu!

J’ai fréquenté l’école primaire et le collège à Callac, j’ai ensuite suivi une formation de cinq ans au lycée Freyssinet de Saint-Brieuc pour obtenir un Bac technique puis un B.T.S en « Bâtiment – Travaux publics », ce qui m’a permis par la suite dans mon rôle de maire, d’avoir des compétences très utiles.

J’ai deux enfants et cinq petits-enfants.»

Comment est née en vous cette passion pour l’élevage ?

«Je suis né à la ferme de mes grands-parents à Plusquellec. Par la suite quand mes parents ont déménagé à deux kilomètres, j’y retournais toujours, à pied ou à vélo dès qu’il n’y avait pas école… Mes oncles avaient repris cette ferme, cela me plaisait beaucoup!

En 1968, je me suis marié à une fille d’agriculteurs de Plounévézel, mais c’est dans l’enseignement que j’ai commencé ma vie professionnelle. J’ai enseigné en tant que maître auxiliaire avant de partir accomplir mon service militaire. A mon retour, le poste que j’ai obtenu se trouvait à côté de Rennes… Je ne voulais pas quitter notre secteur et ai donc préféré changer d’orientation en devenant adjoint technique à la ville de Callac.

Quand mon beau-père a décidé de prendre sa retraite, personne n’étant intéressé par la reprise, j’ai saisi l’opportunité. J’ai donc pris sa relève, ici à la ferme de Kermarzin en Plounévézel où ma femme avait toujours vécu.

Mes beaux-parents en étaient ravis, mes parents moins… Mon père était réticent, il aurait préféré pour moi une carrière assurée dans l’enseignement comme mes deux frères ou à la ville de Callac: «Fais attention à ce que tu fais!» m’avait-il mis en garde!

Je n’ai pas eu de formation agricole, j’ai appris « sur le tas », je suis autodidacte!»

Avant de vous engager dans l’agriculture, vous aviez donc commencé une carrière dans l’enseignement, n’avez-vous jamais regretté ce choix de vie ? Quelles réussites ou grands moments vécus vous restent plus particulièrement en mémoire ?

«Non, c’est clair: je n’ai jamais regretté ce choix!

Et je dis toujours que si je revenais sur terre, je serais agriculteur, toujours agriculteur! J’ai beaucoup aimé mon métier!

Nous avons traversé des périodes difficiles, nous en parlons souvent avec mon épouse…

Quand nous avons commencé en 1975, il n’y avait aucune prime, nous étions payés pour nos produits au prix du marché… Après sont venues se greffer les primes avec la PAC… Je préférais le système sans prime, mais cela est un autre débat!

J’ai monté seul mon cheptel de limousins. Au début, nous ne faisions que du « hors-sol » et de la culture, nous n’avions pas de bêtes à cornes et je ne connaissais même pas cette race… Je m’y suis intéressé auprès d’oncles de ma femme qui élevaient des vaches limousines à Motreff.

Je me suis tout de suite « branché » sur la sélection, je voulais constituer un troupeau, mais avec un « bon élevage ». J’avais acheté des bêtes à droite, à gauche, mais je voyais bien qu’il n’y aurait pas ainsi d’avenir…

Avec Pierre Le Floch, éleveur de limousins, Guy Le Normand aussi, nous discutions souvent et nous avons décidé de monter dans le berceau de la race pour améliorer notre cheptel.

Nous nous sommes donc rendus à la Station Nationale de Limoges où nous avons acheté dix vaches sélectionnées parmi les meilleurs animaux de la race.

L’année suivante, Pierre et moi y sommes retournés, « nous, tout petits dans la cour des grands! » pour, cette fois, faire le pas d’acquérir des taureaux reproducteurs, un chacun. C’était toute une expédition et aussi un défi (qui a d’ailleurs un peu inquiété mon épouse, il faut dire que le prix de ces taureaux est multiplié par quatre!).

Avec ce premier taureau, dont le nom amusant « Boum-Boum » est resté gravé dans notre mémoire, j’ai gagné des concours dans le secteur et mon cheptel a beaucoup progressé. Il est l’origine de mon élevage limousin, c’est lui qui a été le point de départ de la sélection telle que je la souhaitais.

Par la suite, je retournais à Limoges tous les deux ou trois ans acheter un nouveau taureau… C’est ainsi qu’est arrivé notre fameux « Rintintin » avec lequel j’ai remporté en 2005 le premier prix au concours national limousin, devançant les meilleurs élevages du berceau de la race!

Au départ il y a eu un investissement mais après est venue la récompense. Nous avons réussi à vendre des bêtes de qualité et à exporter… J’ai toujours été passionné et le travail accompli a été récompensé, j’étais content: aucun regret!»

Le monde agricole a été secoué par des crises successives et se trouve encore dans la tourmente, comment l’avez-vous vécu?

Quelle est votre vision de la situation actuelle?

«Nous avons eu des moments vraiment difficiles, nous avons connu la « crise de l’œuf » en 83-84. Quand le premier ministre est venu inaugurer le foyer logement, nous avons été manifester, lancer des œufs…

Nous en avons connu des crises… Aujourd’hui plus qu’à notre époque, il faut être surtout très bon gestionnaire pour réussir. Ce n’est pas le tout de savoir travailler, il faut savoir gérer son exploitation.

Les fermes ne sont plus des fermes de mêmes dimensions. Nous avons démarré avec 45 hectares, aujourd’hui le voisin a 600 truies et 200 hectares.

La ferme familiale n’existe plus, ce sont des fermes avec salariés, ce qui est totalement différent. Il n’est pas aisé de mener ce type d’exploitation, il faut vraiment « avoir la tête sur les épaules » d’autant plus que comme dans bien des domaines, la situation est difficile. Si l’on n’est pas bon gestionnaire, c’est fini!

Il y a les comptables, mais ils sont là pour faire les comptes et prévenir s’ils « passent au rouge », peut-être pour conseiller de changer la façon de voir les choses ou d’orientation mais pas pour apporter les solutions.»

Plounévézel –et le monde rural en général– a beaucoup changé depuis votre premier mandat de maire… Dans le premier interview que vous avez accordé à Regard d’Espérance en 1989, vous avez donné le chiffre impressionnant de 80 exploitations agricoles sur la commune… Combien en reste-t-il aujourd’hui ?

«Quand j’ai commencé, il y avait même sur la commune à peu près une centaine d’exploitations agricoles, actuellement il doit en rester une dizaine dont seulement deux laitiers! Il y a 15 ans encore, il y avait des vaches allaitantes partout, aujourd’hui elles ont disparu…

On oriente la production vers le « hors-sol », du porc, de la volaille.

Si nous avions gardé la même structure qu’à nos débuts, nous n’aurions pas pu en vivre, c’est impossible: il faut de grandes structures, de plus en plus grandes… Mais ce n’est pas avec cette orientation-là que l’on va faire vivre les communes!»

Entre la crise agricole en France, la guerre entre l’Ukraine et la Russie (appelées « greniers à blé de l’Europe »), les tensions entre la Chine et les USA, etc., pensez-vous que l’on pourrait en venir à manquer de produits agricoles même en Bretagne?

«Avec la guerre, les prix des céréales ont fortement augmenté, la récolte de 2021 était payée autour de 2€, la récolte de 2022 a été payée autour de 3€, sans entrer dans les détails. Lorsque l’on ramène cela à l’hectare: un blé qui fait 70 quintaux à 20€ le quintal, ça fait 1400€ et l’année dernière cela faisait 2100€, la différence est énorme. Mais les engrais avaient aussi progressé: ils sont passés de 300€ à 800, voire 1000€ la tonne!

Aujourd’hui, ça a un peu baissé, la tendance se situe entre 2021 et 2022: le blé est à 2,40€ et l’engrais autour de 600€ la tonne.

Pour les agriculteurs, il va donc falloir encore faire bien attention parce qu’avec de tels prix, il faut bien gérer, surtout ne pas se tromper!

De là, à dire que l’on manquera…

Au mois de décembre, l’Ukraine a pu sortir du blé du pays, mais elle va certainement perdre en récolte… Je ne crois pas malgré tout que l’on va manquer de matières premières, le prix cependant va être différent…»

Les « circuits courts » tendent à se développer dans l’agriculture. A l’échelle de la filière, est-ce une solution à étendre ou est-ce seulement un « complément de revenu » pour quelques-uns?

Comment voyez-vous l’évolution des circuits de distribution et de commercialisation des produits agricoles?

«Puisque vous me posez la question, je vais vous répondre… à ma façon:

Ma petite-fille a repris l’exploitation depuis quatre ans. Au début, je l’ai aidée, je suivais de près la gestion et lui donnais des conseils qu’elle suivait. Maintenant elle a appris son métier et gère toute seule… Et nous sommes d’ailleurs un peu opposés sur la façon de voir les choses: elle est entièrement « circuit court » et « bio »… moi pas trop!

Il y a cependant un point où nous sommes pleinement d’accord: c’est l’orientation vers le maraîchage. Puisqu’elle tient à faire du bio, je trouve que c’est une bonne idée de produire sur une petite surface, en une structure à part, du maraîchage bio…

Il faut laisser les gens faire ce qu’ils ont envie de faire! Elle est intéressée, travailleuse: elle peut réussir…

Je ne suis pas contre le bio, mais pas en grande culture: l’exploitation de la ferme en culture conventionnelle et du bio à côté… Très bien!

Parce que ce n’est pas le tout de produire, il faut pouvoir vendre ses produits. Ce n’est pas facile, la vente doit être vraiment bien organisée, il faut qu’il y ait une bonne structure.

Je ne dis pas que l’on ne peut pas réussir, mais il faut y aller petit à petit…

Le prix du bio est de plus en plus réservé à une partie de la population… quand l’étau se resserre et que le portefeuille est vide…

Je suis donc d’accord pour le circuit court mais je le redis: ce n’est pas le tout de produire, il faut trouver son créneau pour la vente, c’est cela le plus important parce qu’il faut pouvoir vivre de son exploitation… Là est le vrai problème!»

Élu, engagé depuis tant d’années sur le territoire, vous considérez-vous comme un homme politique?

«Non! J’ai bien sûr mes idées politiques, je soutiens des hommes politiques, mais je n’agis pas en homme politique. Je me considère comme une personne de terrain.

Il y a les périodes électorales où chacun sait quelles sont mes opinions mais après, quand on est maire (et qu’on le reste longtemps) on traite tout le monde de la même façon, il faut que la commune puisse vivre.»

Le maire que vous étiez en 1977 était-il le même que celui qui a souhaité « passer le relais » en 2020?

«Je suis le même homme bien sûr! Mais en plus de 40 ans, j’ai connu beaucoup de monde, j’ai eu beaucoup de contacts… Et au bout de 40 ans, je sais maintenant à quelle porte frapper. Au début en 1977, je ne le savais pas et je n’avais pas grand monde sur qui compter. Quand le secrétaire de mairie, Yves Morvan, est parti à la retraite, nous avons dû en recruter un tout jeune: Philippe Connan (Nous avons fait le bon choix, il est resté là toute sa carrière!).

Pour une petite commune, avoir un bon secrétaire de mairie est peut-être plus important que d’avoir un bon maire!

C’est un ensemble: il faut que le binôme s’arrange bien!

Quand on avait des choses à se dire, on se le disait!

Nous discutions beaucoup sur la façon de voir les choses, nous nous écoutions beaucoup aussi et nous entendions très bien. Nous avions du respect l’un pour l’autre… et nous travaillions!

Tout s’est très bien passé, la preuve: nous sommes restés chacun à notre poste quarante ans!

Nous avons évolué ensemble. Elections après élections, la population nous a renouvelé sa confiance.

Pour qu’une commune marche, il faut que tout le monde s’arrange.

Je suis donc resté le même, mais maintenant je connais tous les rouages de la gestion d’une commune (qui est d’ailleurs totalement différente aujourd’hui). Je sais, j’ai su à quelle porte frapper pour faire avancer les dossiers, pour obtenir des subventions et … nous avons eu de la chance!»

Au cours de ces 43 années à la tête de la commune, quelles réalisations, quels projets aboutis vous ont donné le plus de satisfaction?

Avez-vous connu des déceptions, nourrissez-vous quelques regrets?

«La première fois que nous avons fait des travaux, c’était à l’école, nous avons mal fait, je n’ai pas peur de le dire! C’était en 1977, nous étions tout jeunes, il fallait retaper la bâtisse de la vieille école qui comptait deux classes: baisser les plafonds… Elle était encore chauffée avec le poêle à bois, la cantine qui n’était pas municipale était gérée par les parents d’élèves… Il n’y avait pas de salle municipale non plus. Entre le petit carré de l’ancienne mairie et ce que l’on appelait le bourg, c’est-à-dire l’église et le presbytère bien plus bas, il n’y avait qu’une maison, le bistrot et dans le champ en face: le four à pain et une vache, celle de Job et Claudine Véguer!

Quand j’ai rencontré Josiane ma future épouse et que je suis venu pour la première fois à Plounévézel, je lui ai demandé où était le bourg… Elle m’a répondu: «C’est ici!», je n’ai pas pu m’empêcher de rire! (Je ne me doutais pas à ce moment-là que j’allais arriver à Plounévézel!)

Avant la fin du premier mandat, des projets avec les études de faisabilité étaient lancés. Au mandat suivant, l’ensemble mairie-salle polyvalente, la première partie de la nouvelle école (prévue en trois tranches de travaux, dont plus tard la nouvelle cantine) étaient réalisés. La création des lotissements a aussi contribué à changer l’aspect de la commune et a attiré beaucoup de gens. La salle municipale a créé une dynamique, elle a permis à des associations de regrouper des personnes parfois venues de l’extérieur.

Elles découvraient ainsi la commune, l’offre de logement et s’installaient souvent dans un premier temps dans les pavillons locatifs pour après, s’y plaisant, se lancer dans une construction.

La population de Plounévézel a rapidement doublé. De 575 habitants en 1977, elle en comptait 1100 en 2005 et se trouve à 1255 aujourd’hui.

Il en a été de même pour l’effectif scolaire, l’école est passée de 2 à 5 classes quand il y a eu jusqu’à 120 enfants scolarisés.»

La commune de Plounévézel est connue dans la région pour son hippodrome et son centre d’insémination artificielle dont on pouvait admirer les imposants taureaux depuis la route… Qu’en est-il aujourd’hui de ces deux lieux emblématiques?

«L’hippodrome est toujours là… C’est en fait l’hippodrome de Carhaix, qui est situé sur la commune de Plounévézel. Contrairement à d’autres, il s’est maintenu. Il faut dire que le président du comité, Jean-Yves Le Bras, est quelqu’un de dynamique. Souvent ce sont les hommes et les femmes à la tête des structures qui font la différence!

A l’époque, quand nous allions aux courses, c’était un événement: il y avait foule à Plounévézel!

Il y avait la gare et les gens arrivaient en train de Morlaix…

Aujourd’hui il est en bon état, bien entretenu et il s’y tient toujours des courses deux fois par an.

Le centre d’insémination artificielle a très bien fonctionné, Plounévézel était connu surtout grâce à lui. En tant qu’élus, nous y avons organisé beaucoup de visites: Kofi Yamgnane est venu, des préfets, sous-préfets venaient régulièrement… Le centre accueillait aussi souvent des cars entiers d’élèves de lycées agricoles.

Il y avait les gros taureaux visibles dans leurs abris individuels du côté gauche de la route, jusqu’à 200, et de l’autre côté se trouvaient les jeunes du « testage »: ces veaux, environ 200 aussi, étaient testés pendant 16 mois pour savoir s’ils seraient de bons reproducteurs.

Les progrès techniques ont amené le CIA à évoluer (maintenant une simple prise de sang dès la naissance du veau permet de déterminer ses futures qualités de reproduction…). Quatre ou cinq structures comme celle de Plounévézel ont de ce fait arrêté leur activité. Les taureaux eux-mêmes ont tous été regroupés près de Rennes. Il ne reste plus sur place qu’un bâtiment administratif avec un peu de personnel.

Les autres bâtiments ont été mis en vente. La commune les a rachetés et en a revendu une partie.

Il s’agissait d’une coopérative, la commune ne bénéficiait donc pas de la taxe professionnelle, mais cette fermeture a eu des incidences: des bouviers et inséminateurs qui y étaient employés s’étaient installés sur la commune…»

La presse alerte régulièrement sur le nombre croissant d’élus qui démissionnent depuis les dernières élections de 2020. En ce début d’année, elle annonce la démission de 46 maires rien que pour la Bretagne et de 730 élus municipaux pour le département du Morbihan… En êtes-vous étonné? Quelles réflexions vous inspire ce constat?

«Non, je ne suis pas étonné… La vie du maire n’a pas que des bons côtés, il y a tout le travail et les ennuis!

Mais parmi ces élus-là, tous étaient-ils prêts à être maire? Étaient-ils vraiment conscients de ce à quoi ils s’engageaient? Avaient-ils mesuré le travail d’un maire au quotidien?

Il est vrai que le rôle du maire aujourd’hui n’a plus rien à voir avec ce qu’il était auparavant, sa fonction est plus délicate et plus compliquée. Les relations ne sont plus les mêmes non plus, le respect du maire n’existe plus: pour un oui ou un non, il est ouvertement contesté ou pris à partie. Avant, jamais un maire n’aurait entendu « un mot de travers » à son encontre!

Certaines communes sont aussi plus difficiles que d’autres à diriger et quand les gens commencent à se buter, il n’est pas toujours facile de rétablir le dialogue et de trouver un terrain d’entente…

Il faut les rencontrer, aller vers la discussion pour se faire comprendre…

Si le maire n’est pas préparé à cela, ce peut être très vite difficile à vivre…»

Voudriez-vous nous expliquer comment vous avez réussi si bien et si longtemps à concilier la vie professionnelle avec la gestion de votre exploitation agricole et celle de la commune, sachant qu’en plus s’y sont ajoutées des charges telles que la présidence du syndicat de voirie, du syndicat de production d’eau du Stanger, la vice-présidence à l’économie de Poher-Communauté?

« »Si bien »… je ne sais pas! Tout d’abord, il faut être bien secondé partout, autant au travail (l’exploitation agricole pour moi) qu’à la mairie.

J’ai eu la chance que mon épouse ait accepté ce rôle, m’aidant beaucoup à la ferme. Ce n’était pas simple, elle savait bien que j’étais très pris, souvent parti, la laissant avec nos 100 vaches dont parfois une ou deux prêtes à vêler: je lui disais alors de m’appeler s’il y avait un problème lui promettant de revenir dans ce cas rapidement… Ce ne sont pas toutes les femmes qui auraient accepté cela!

Pour le maire, les réunions, c’est tel jour à telle heure, mais pour l’agriculteur, ce n’est pas ça, surtout quand on fait de l’élevage: la vache qui doit vêler n’attendra pas que l’on soit disponible!

J’ai aussi eu la chance d’être solide, toujours en forme! Le travail ne me dérangeait pas: je pouvais commencer à travailler à 5 heures du matin pour être prêt à partir à 9 heures…

C’est donc tout un ensemble, il faut que tout le monde soit d’accord et disposer du personnel pour être bien secondé, à la mairie aussi. Ce qui a été le cas avec Philippe, le secrétaire sur qui j’ai toujours pu compter.

Personne ne m’a obligé à faire cela pendant 43 ans, j’aurais pu arrêter… mais quand on est pris, c’est un virus!

Au moment où j’ai pris ma retraite et arrêté la ferme, j’étais un peu surmené, je n’avais pas beaucoup de temps libre!

Maintenant sur l’exploitation, j’aide un peu ma petite-fille et à la mairie j’ai décidé (les électeurs ont validé!) de passer la main, tout en restant un dernier mandat pour accompagner le nouveau maire. Ceci dans l’intérêt des administrés. Mon expérience sert, je conseille en m’occupant notamment des travaux et des finances… Mais à la fin de ce mandat, j’aurai 78 ans, je pense que j’aurai fait mon temps!»

Le rôle de l’élu au sein des différentes structures citées est très différent de l’une à l’autre, pouvez-vous nous en expliquer l’essentiel?

«Aujourd’hui, le syndicat de voirie où le matériel et le personnel étaient en commun aux différentes communes du canton, n’existe plus. C’est devenu intercommunal. Le fait d’être titulaire d’un B.T.S en travaux publics m’a aidé à en assurer la présidence…

Le syndicat de production d’eau du Stanger concerne Carhaix, Plounévézel, Poullaouën et Kergloff. Il s’agit bien de la « production » d’eau elle-même, la distribution étant gérée par chaque commune. Plounévézel et Kergloff sont en régie et décident eux-mêmes. Carhaix et Poullaouën sont en délégation, ils ont confié cela à Véolia, je crois. Environ 93% de la production du Stanger va sur Carhaix.

Je suis toujours membre du syndicat qui en compte 12: 6 représentants de Carhaix et 2 de chacune des autres communes. Nous nous réunissons une fois par mois. C’est intéressant et actuellement il y a du travail puisqu’une modernisation du site est prévue pour environ 9 millions d’euros… Les élus suivent ces travaux, ce qui demande de l’investissement de la part de chacun, mais « quand on aime, on ne compte pas »!

Au sein de ces structures, comme à la Communauté de communes, le rôle de l’élu est donc très différent, c’est plus de l’administratif. Le contact avec la population, c’est en mairie que nous l’avons, c’est là qu’elle vient à notre rencontre. J’aime ce contact avec les gens, on apprend à les connaître. Le maire peut être sollicité à n’importe quel moment de la journée (ou de la nuit en cas d’accident, de décès, ce qui n’est jamais facile).

Je considère que l’essentiel c’est le rôle de maire. Nous participons aux autres structures par la force des choses, parce qu’il faut bien des représentants et qu’il faut que « ça bouge ».»

Les habitants de Berrien ont manqué d’eau potable… Vous qui avez été président du syndicat de production d’eau du Stanger, estimez-vous que nos réseaux d’approvisionnement en eau potable ont des fragilités?

«Berrien manquait d’eau mais ils vont être reliés. Nous les avons desservis en eau par transport de camions, ce qui revient très cher, mais il n’y avait pas le choix, ils avaient besoin d’eau!

Ils sont en train de refaire un groupement dans le secteur de Huelgoat.

Aujourd’hui le syndicat du Stanger pompe l’eau sur l’Hyères dans la rivière, après elle est traitée pour la rendre potable et amenée à l’entrée de chaque commune.

L’été quand il n’y a pas assez d’eau dans l’Hyères, nous allons pomper dans l’Aulne en bas de Cléden-Poher et Landeleau en respectant des règles strictes, bien définies. Nous avons le droit à un certain volume. Par une conduite de 14 kilomètres, cette eau brute est acheminée jusqu’au Stanger. Le lac de Brennilis constitue aussi pour d’autres communes une bonne réserve d’eau.»

La communauté de communes a-t-elle apporté un réel avantage aux diverses composantes? Qu’en est-il de Plounévézel?

«La communauté de communes a apporté des avantages. Elle est de toute façon le passage obligé pour l’obtention de subventions qui passent en grande partie par les EPCI.

Mais les mairies perdent ainsi de leur pouvoir et de leurs compétences. Elles deviennent dépendantes de décisions prises plus haut par les politiques et qu’elles ne font qu’exécuter.

En 2026, la compétence « Eau et assainissement » va passer sous le régime communautaire (il était initialement prévu que cela se fasse dès 2020).

En urbanisme aussi, la disparition des PLU (Plan Local d’Urbanisme) signifie pour la commune « perdre le droit du sol ». La gouvernance des PLUi qui les remplaceront, sera décidée non plus à l’échelle communale, mais à l’échelle communautaire où la représentation est différente. Elle est faite au prorata de la population, la représentation carhaisienne y est donc supérieure, ce qui est normal, mais elle a de ce fait un pouvoir de décision bien plus fort que celui des petites communes…

Comme dans toutes les communautés, il se crée des coalitions, il y a des majorités qui dirigent et il y a des minorités…»

Depuis la baisse des dotations et l’augmentation du prix de l’énergie qui grève les budgets… quelles solutions ont les petites communes rurales aujourd’hui pour faire face aux dépenses?

«C’est la vraie question! Pour Plounévézel, le coût de l’énergie était de 45000€ l’année dernière, là nous allons dépasser les 100000€…

Petite « leçon »: entre les recettes et les dépenses d’une commune comme la nôtre, il va rester en gros 150000€ pour investir: salle polyvalente, école… ce n’est pas grand-chose!

Sur ces 150000€ (passant de 45000 à plus de 100000€ pour l’énergie), on nous enlève 60000€, ce qui diminue de moitié l’investissement. Il y a des dépenses obligatoires, parfois des emprunts à rembourser, le personnel à payer, la voirie à entretenir et un tas de frais réels incontournables: il va vraiment falloir être un très bon gestionnaire pour pouvoir faire face et bien réfléchir avant de s’engager dans des travaux…

La situation est compliquée et si l’on en vient à ne plus avoir assez d’argent pour boucher les trous dans les routes, elle va même devenir critique!

En viendra-t-on à des regroupements de communes? (Mais dans les regroupements autour d’une ville centrale, les petites communes ont peut-être plus à perdre qu’à gagner…)»

Le Centre-Bretagne fait preuve de dynamisme, des actions emblématiques, des « combats » y sont régulièrement menés… Mais aurait-on manqué des opportunités, négligé des voies de développement… Voyez-vous des obstacles ou des pesanteurs qui seraient des freins à l’évolution nécessaire?

«Ce qui aurait vraiment pu faire développer le Centre-Bretagne, c’est l’axe central!

Depuis le temps que l’on en parle: c’est de Gaulle qui l’a promis quand il est venu en Bretagne à Quimper en 1969!

Tant d’années après, les travaux sont toujours en cours!

Le CELIB avait défendu cette cause à l’époque, mais il a été fait d’autres choix là-haut…

Si nous avions eu l’axe passant par le centre, nous aurions évolué comme les autres, nous nous serions développés. Nous avons pris du retard à cause de cela. Des entreprises seraient venues s’installer. Les politiques font ce qu’ils peuvent mais si on n’a pas les structures, c’est difficile…

L’hôpital lui-même aurait été plus soutenu, l’axe aurait donné un atout de plus.

Mais il ne faut pas être pessimiste: maintenant nous pouvons aller à Brest et Quimper sans problème!»

Que pensez-vous globalement de l’évolution du Centre-Bretagne? Êtes-vous optimiste pour son avenir?

«Je suis optimiste! Si les élus ne montrent pas l’exemple, comment va-t-on avancer?

La voie achevée changera les choses et elles se sont déjà bien améliorées.

L’installation de l’OCP, de l’usine Synutra et plus récemment de la centrale Mondial Relay est de bon augure! Cette structure ne s’est pas implantée là sans faire d’étude de marché: s’ils sont venus, c’est qu’ils avaient de bonnes raisons de le faire!

Nous avons des atouts. Nous avons ce qu’il faut pour recevoir demain les entreprises qui voudront s’implanter: Poher Communauté dispose de terrains pour les accueillir.»

Richard Ferrand a eu une influence marquante sur notre région, non seulement par les fonctions officielles qu’il a assumées mais aussi par sa personnalité, sa présence, ses interventions…

Vous l’avez bien connu et avez été l’un de ses proches… Quelle impression gardez-vous de cette collaboration, et quel jugement portez-vous sur l’homme politique et sur l’homme relationnel?

«J’ai très bien connu Richard Ferrand.

C’est nous qui sommes allés le chercher…

Koffi Yamgnane, élu député en 1981, a choisi Richard Ferrand comme attaché parlementaire. Lors de leurs venues à Plounévézel, nous avons fait connaissance et tissé des liens.

Quand sont arrivées les élections cantonales, nous n’avions pas de candidat socialiste (à l’époque nous étions encartés), on m’a proposé d’y aller mais j’étais déjà maire et agriculteur!

Avec Pierrot Belleguic, Marcel Sergent et Yvon Guenver, tous les quatre élus de la région, nous avons pensé solliciter Richard Ferrand qui était alors à Châteaulin, il a accepté et a été élu conseiller général… Quand sont arrivées les élections législatives: le voilà élu député.

Je l’ai invité tous les ans aux vœux du maire, il a à chaque fois répondu présent sauf une fois où il n’a pas pu venir. (J’en ai connu des députés avant, mais on ne les voyait jamais!)

A Plounévézel, il se montrait très simple et proche des gens, saluant tout le monde, prêt à prendre du temps pour écouter chacun…

Nous avons beaucoup travaillé ensemble (c’est un travailleur!), il a apporté son aide pour de nombreux dossiers dans nos communes qui ont contribué à leur développement. On peut faire beaucoup de choses si on est bien accompagné!

C’est un ami, un homme de grande envergure qui, même troisième personnage de l’Etat, est demeuré proche.

Je suis resté, je reste encore en admiration devant un tel homme!

Il semble s’être très éloigné du monde politique après avoir exercé des responsabilités nationales de premier plan…

Regrettez-vous ce retrait? Pensez-vous qu’il sera définitif?

«J’ai eu du mal à accepter sa défaite, je l’ai beaucoup regrettée… Mais c’est la démocratie!

Pour le secteur, c’est une grande perte: nous avions ici le troisième personnage de l’Etat, se priver d’un homme comme cela, alors qu’on en a tant besoin!

Avec le recul beaucoup de gens disent maintenant que c’est dommage, mais c’est trop tard!

Il a été lui-même tellement déçu… Est-ce qu’il reviendra?»

Entretien recueilli par Gaëlle LE FLOCH