Le jeune garçon l’interpelle profondément. Abandonné par les Khmers rouges parmi une multitude d’autres victimes de la barbarie, il agonise. Émue, elle s’arrête. Elle ne peut tout simplement pas abandonner cet enfant à son triste sort. Elle s’en occupe, le soigne et finit par l’adopter. A force d’amour et de patience, elle arrive à le sortir de ses peurs et de son agressivité pour en faire un jeune équilibré, heureux. Des années plus tard, elle voit son dévouement récompensé. Olivier, comme elle l’a appelé, devient à son tour un collaborateur dévoué dans le travail de sa mère adoptive pour porter secours à tous ceux qui souffrent.
La dame qui ce jour de 1979 s’arrête devant la souffrance des victimes des Khmers rouges au Cambodge s’appelle Yvette Pierpaoli. Sa vie, riche en péripéties, est difficile à résumer en quelques lignes.
Née en 1938 à Ban Saint-Martin, en Moselle, elle connaît une enfance difficile. Son père est un immigré italien et sa mère une jeune orpheline, prise en charge par l’Assistance publique. Yvette elle-même est une enfant rebelle mais aussi curieuse, désireuse d’apprendre, même si, dès sa quinzième année, elle quitte l’école, et le soir de Noël 1958, elle abandonne le domicile de ses parents après une énième dispute familiale.
Elle va à Paris où elle vit misérablement de petits travaux. Elle essaie même un jour de mettre fin à ses jours. Mais curieusement, c’est suite à cette tentative de suicide qu’Yvette Pierpaoli décide de se prendre en main pour ne pas gâcher sa vie.
Des multitudes en fuite pour échapper aux massacres
Ayant été depuis son enfance attirée par les pays asiatiques, elle décide, en 1967, alors âgée de 29 ans, de partir au Cambodge, où elle réussit à mettre sur pied plusieurs entreprises florissantes, notamment dans l’aviation en s’associant à un entrepreneur suisse.
Tout va bien jusqu’en 1975, où Phnom Penh tombe entre les mains des Khmers rouges. Yvette préfère alors partir s’installer en Thaïlande, mais c’est lorsqu’elle découvre, dans ce pays voisin, des multitudes de Cambodgiens en fuite pour échapper aux massacres, que naît en elle un désir profond de consacrer son temps, son argent et ses forces à secourir les personnes en difficulté, notamment les enfants. Elle sillonne la frontière des deux pays au volant d’une petite voiture, elle visite les camps où les réfugiés sont entassés dans des conditions inhumaines, leur apportant des médicaments et de la nourriture. Elle envoie à Bangkok des enfants blessés dont l’état nécessite une opération.
Lorsqu’en 1979, l’armée vietnamienne envahit le Cambodge, libérant la capitale, le gouvernement de Thaïlande décide de renvoyer dans leur pays un grand nombre de réfugiés cambodgiens qui, hélas, sont très mal accueillis, internés et parfois même massacrés.
C’est l’occasion pour Yvette Pierpaoli de se lancer dans une nouvelle lutte pour sauver de nombreuses personnes en obtenant des autorités thaïlandaises plusieurs tonnes de riz pour les nourrir et en entreprenant de nombreuses démarches auprès des autorités cambodgiennes pour la libération des prisonniers.
Un village indien au Guatemala
En 1985, lasse de tous les combats, elle confie à des collaborateurs les sociétés qu’elle a créées et qui lui ont permis d’entreprendre toutes ces actions humanitaires. Elle rentre en France, et pour faire le point sur sa vie, elle décide de faire une retraite dans un monastère en Normandie. C’est là qu’elle rencontre un jeune religieux qui se prépare à partir en mission en Amérique du Sud. Il lui décrit la situation préoccupante, notamment au Guatemala qui vient de connaître une guerre civile qui a laissé dans son sillon autour de 100 000 orphelins qui manquent de tout. Il n’en faut pas plus pour que Mme Pierpaoli comprenne que sa mission humanitaire, entreprise en Asie, ne fait que débuter…
Elle crée alors officiellement une organisation qu’elle appelle «Tomorrow» (Demain), sillonne la France pour trouver des fonds, se rend également aux États-Unis, s’associant à une grande ONG qui œuvre beaucoup parmi des réfugiés, puis part au Guatemala où elle commence par prendre en charge un village d’Indiens que la guerre civile a laissé dans un triste état avec une population décimée, quelque 225 orphelins et une soixantaine de veuves. Avec des volontaires qui la rejoignent, elle s’attelle à faire reconstruire les maisons, à creuser des puits, à remettre en état les terres cultivables, elle fait construire une école, et après trois années de labeur, le village de Zaculeu retrouve son indépendance, peut nourrir ses habitants et instruire ses enfants, montrant, comme l’exprime un journaliste «qu’une personne seule peut parfois réussir ce que de grandes organisations ne permettent pas.»
Un combat «pour faire naître l’espoir»
Après Zaculeu, Yvette Pierpaoli part pour la capitale où elle organise notamment la création d’un centre pour accueillir plus de 500 enfants, âgés de 5 à 17 ans, des jeunes livrés à eux-mêmes, souvent drogués, violents, vivant de vols et de prostitution. Les enfants, très reconnaissants, lui donnent affectueusement le surnom d’abuela (grand-mère).
Après avoir œuvré aussi en Bolivie, elle devient officiellement la représentante en Europe d’une grande organisation, basée à New York: «Refugees International».
A ce titre, toujours infatigable, elle accomplit de nombreuses missions un peu partout dans le monde, dans les zones sinistrées du Mali, du Niger, du Bangladesh, de l’Albanie, au Cambodge, le pays où elle a commencé.
En 1992, elle écrit son autobiographie: «Femme aux mille enfants, du Cambodge à la Bolivie, un combat pour faire naître l’espoir».
Puis, en 1999, le 18 avril, alors que, accompagnée d’un couple d’Américains, engagés comme elle dans ce travail gigantesque, ils circulent près de la frontière entre l’Albanie et le Kosovo, la voiture, conduite par un chauffeur albanais, dérape sur une petite route en montagne et s’écrase dans un ravin profond, tuant sur le coup tous les occupants.
La conclusion de son autobiographie est un appel au courage devant une mission difficile qui n’est jamais terminée, mais c’est aussi un message d’espoir et d’encouragement pour continuer, ensemble, sans nous lasser, notre combat pour un monde meilleur :
«La tâche est écrasante, et immense notre faiblesse, mais le fait que nous puissions si peu ne justifie pas de ne rien faire. Pour moi, je garderai ma foi invétérée. Si à l’échelle individuelle nos actions ont la légèreté d’un nuage, réunies, elles pourraient changer la couleur du ciel.»