Et ceci est vrai avec les animaux domestiques comme avec les animaux dits sauvages…
Pour ma part, je m’efforce toujours d’observer, et d’analyser le comportement de l’animal comme d’un individu propre, et de le respecter dans ce comportement, en évitant de projeter sur lui mes propres émotions, mon propre «ressenti»…
Il faut garder à l’esprit que ce sont des animaux, et donc ne pas faire d’anthropomorphisme. Respectons l’animal dans ce qu’il est, pour ce qu’il est…», nous a confié Mme Solenn Marzin.
Regard lumineux aux teintes d’azur, sourire et accueil chaleureux, Solenn Marzin possède cette franche convivialité des tempéraments ouverts et curieux, qui aiment partager leur passion, sans ignorer celles des autres…
L’enthousiasme sincère et communicatif qui habite cette jeune femme énergique – dont le flot rapide des paroles est parfois ponctué par une cascade de rire cristallin – se mêle à une réflexion que l’on perçoit solide et profonde, qui fait même manifestement une large part à la méditation et au rêve…
Les animaux – tous les animaux, mais surtout ceux que l’on dit «sauvages» –- sont sa passion, et sa vie.
Mais attention : une passion raisonnée, aussi pensée que «viscérale», et qui n’est pas exclusive…
Car les gens et le contact humain lui tiennent tout autant à cœur! Ces chemins intérieurs – et peut-être, ajouterait-elle, les voies du destin – l’ont menée dès les premiers pas de sa carrière professionnelle vers le métier de soigneur animalier, et aujourd’hui au-delà, en tant que directrice du ZooParc de Trégomeur, dans les Côtes-d’Armor.
Outre une découverte de ce site singulier, c’est à une rencontre entre «des animaux et des hommes» que Regard d’Espérance a souhaité convier cette fois ses lecteurs :
Voudriez-vous vous présenter brièvement ?
«J’ai 36 ans, et je suis arrivée ici il y a 10 ans, à l’ouverture du ZooParc de Trégomeur.
Originaire du Trégor, dans la région de Dinan, j’avais fait des études de biologie à l’Université de Rennes, et ne sachant trop que faire après ma Maîtrise, j’avais envoyé des lettres de candidature pour effectuer un stage…
Mon père m’avait conseillé d’adresser une demande au zoo de la Bourbansais, proche de Dinan, ce que j’ai fait sans conviction, car je n’avais absolument pas envisagé de travailler dans un zoo après mes études, à l’inverse de beaucoup de mes camarades de fac… Et finalement, il se trouve que je suis la seule à y travailler aujourd’hui ! La vie vous réserve ainsi des surprises… ou – plutôt peut-être – vous conduit dans des chemins tracés? Je n’avais pas reçu de réponse du zoo de la Bourbansais dans un premier temps.
Et c’est à nouveau mon père qui m’a incitée à appeler au téléphone, ce que j’ai fait avec toujours autant de réticence…
C’est le responsable animalier du site, Arnaud Dazord, que j’ai eu en ligne, et qui m’a annoncé qu’il sortait de réunion et avait justement besoin d’une stagiaire !
J’ai commencé par des stages. Puis j’ai fait la saison, mais dans la restauration. Cela m’a beaucoup appris, depuis la préparation des saucisses-frites au travail en équipe, au management…
Etant assez enthousiaste par tempérament, j’aime découvrir et trouve que tout métier possède des aspects intéressants !
Après une année à la Bourbansais, il s’est aussi trouvé que j’étais au bon endroit au bon moment, puisque c’était l’époque où mon patron et formateur, Olivier de Lorgeril, prenait la gestion du zoo de Trégomeur, qui avait été mis en vente… Il m’a proposé d’y travailler comme responsable animalier. Tout le site étant à réaménager, et les travaux ayant été retardés d’une année, j’ai pu faire à Paris une spécialisation universitaire en éthologie, suivre des stages à la Bourbansais tout en étant étroitement associée aux travaux d’aménagement du ZooParc de Trégomeur… Une formidable expérience quand on n’a pas encore 25 ans ! Tout y étant à mettre en place, mon poste consistait aussi bien à faire venir les animaux qu’à créer les équipes, donc à faire du management. Là encore, je m’étais toujours promis de ne jamais m’occuper des humains, du personnel… Mais je me suis donc trouvée à le faire, par la force des choses ! Et finalement cela me passionne aussi…
Mon travail reste aujourd’hui très polyvalent: en saison, on me voit aussi bien à la restauration qu’aux soins des animaux ou à l’accueil, au suivi vétérinaire, et même à nettoyer les toilettes s’il le faut… Nous avons des équipes autonomes et compétentes, mais j’aime «le terrain» !
Voilà pour le parcours. Je suis une «pure» Bretonne, qui est de plus restée travailler près de son pays natal!»
Le ZooParc de Trégomeur s’apprête à accueillir un nouvel hôte : un lion d’Asie… Parlez-nous un peu de cet animal sans doute rare: d’où vient-il et quelles sont les particularités de ce lion, comparées à celles de ses cousins africains ?
«La thématique du parc étant axée sur l’Asie, nous avons voulu ajouter à nos animaux un animal qui est particulièrement menacé d’extinction dans son aire d’origine – bien plus que les lions d’Afrique – qui se situe dans le désert de Gir, dans le Gujarat, en Inde. Le lion d’Asie est un peu plus petit que le lion d’Afrique – bien que cette différence ne m’ait pas sauté aux yeux – a un peu moins de crinière, et vit en groupes plus petits. Il est inclus dans un E.E.P., programme d’élevage européen, auquel participent de nombreux parcs animaliers. Un coordinateur s’occupe d’une espèce spécifique.
Il centralise toutes les données des parcs sur cet animal, crée des couples, propose des transferts, des échanges…
Nous venons ainsi d’envoyer, par exemple, une panthère des neiges aux U.S.A., d’autres animaux au Maroc, et avons accueilli un lémurien venu de Jérusalem… Car le réseau dépasse maintenant l’échelle européenne. Je ne peux donc dire pour l’instant d’où nous viendront, au printemps, ces lions d’Asie. Ni si ce seront des mâles ou des femelles. Nous devrions le savoir fin février…»
Vous avez également des tigres blancs, des panthères des neiges, félins que l’on voit moins fréquemment dans des parcs animaliers que leurs cousins à la robe fauve, ou noire pour les panthères… Quelles sont leurs origines ?
«La panthère des neiges – ou léopard des neiges – vit dans l’Himalaya. Comme on le voit à leur épaisse fourrure, ce sont des animaux du froid. Nos panthères ont apprécié les gelées de la fi n décembre et du début janvier ! Nous avons ce couple de panthères des neiges depuis l’ouverture. Elles sont donc un peu âgées, et ont eu plusieurs portées. Elles nous sont venues d’un zoo d’Allemagne.
Car il faut savoir que 99% des animaux qui se trouvent aujourd’hui dans des parcs animaliers sont nés en captivité. Le 1% restant vient généralement de saisies des douanes, qui nous demandent de les accueillir. L’on ne prélève plus d’animaux dans la nature. Au contraire, les zoos participent à des programmes de conservation des espèces menacées, par des fondations, des associations…
Nos tigres blancs, eux, n’appartiennent pas à une sous-espèce particulière. Ce sont des tigres du Bengale, mais porteurs d’une mutation génétique qui rend leur pelage blanc tout en conservant les rayures noires, à la différence de l’albinisme, ils n’ont donc pas non plus les yeux rouges des albinos. Nos deux tigresses, deux sœurs, sont nées en Allemagne. Elles sont très faciles, très calmes…»
Avant de reparler de vos hôtes «sauvages», des soins qui doivent leur être apportés – et des «coulisses» d’un parc animalier tel que le vôtre – voudriez-vous nous résumer l’histoire de ce site ?
«Ce site était à l’origine, dans les années 1960, un camping. Ses propriétaires, M. et Mme Arnoux, allaient régulièrement à Madagascar et en ramenaient, comme c’était encore possible à l’époque, des lémuriens. Devant l’intérêt des gens, ils en sont venus à créer un petit parc animalier familial, à la place du camping…
Arrivés à l’âge de la retraite, ne trouvant pas de repreneurs, M. et Mme Arnoux ont souhaité abandonner l’activité, que le Département a voulu, lui, pérenniser parce que c’était le seul parc animalier des Côtes-d’Armor.
Il était, de plus, très apprécié des Costarmoricains et très visité. Par la suite, le Conseil départemental n’ayant pas la compétence animalière, il a souhaité en confier la gestion à un spécialiste en créant une Délégation de service public : le site est propriété du Département, mais la gestion est privée, par une S.A.R.L. dirigée par M. de Lorgeril, également gérant du zoo de la Bourbansais.
La S.A.R.L. a investi un million d’euros à l’ouverture du parc, et loue le site au Conseil départemental…»
Le ZooParc de Trégomeur a donc résolument choisi une orientation particulière : l’Asie et ses animaux. Pourquoi ?
«Le Grand Ouest a beaucoup de parcs animaliers, et celui de la Bourbansais est à moins d’une heure de route de Trégomeur. PontScorff et Branféré sont dans le Sud-Bretagne… Il nous fallait une originalité. Quand nous avons ouvert, il y a dix ans, la plupart des parcs étaient orientés vers l’Afrique, héritage de l’histoire française et des colonies.
D’autre part, le site – une vallée parcourue par des ruisseaux – avait des bambous et était propice à ce type de végétation plutôt asiatique… La faune asiatique était alors peu représentée dans les parcs animaliers, et nous avons choisi d’être un peu avant-gardistes en ce domaine, en proposant des choses différentes aux visiteurs.»
Cela n’ajoute-t-il pas une difficulté en réduisant la diversité des animaux que vous pourriez présenter au public?
«Cela peut présenter une difficulté dans la mesure où il n’est pas toujours facile de trouver des espèces adaptées à la vie en parc. Il n’était pas aisé, par exemple, d’avoir des primates. Nous avons des gibbons, des entelles, des siamangs… Mais nous ne pouvons pas avoir de macaques parce que cette espèce nage, or nos primates sont hébergés sur des îles… Les petits singes asiatiques sont rares. Nous avons des loris, mais ce sont des animaux nocturnes. Il est certain que cette orientation asiatique exige une autre réfl exion.»
D’une manière plus ample, comment défi niriez-vous la «politique» du ZooParc de Trégomeur et son «offre» ?
«Précisément, notre orientation vers l’Asie nous a conduits à développer l’aspect culturel asiatique: une ferme thaï du Vietnam, des statues, une grande volière spécifi que… Ce qui fait que beaucoup de visiteurs apprécient autant la balade sur nos chemins, pour le site et son ambiance, que les animaux eux-mêmes…»
Revenons-en donc aux soins – au sens le plus large du mot – à apporter aux animaux: parlez-nous d’une journée typique, mais «côté-coulisses» : ce que les visiteurs ne voient pas forcément, et qu’ils ignorent peut-être; ce dont on ne se doute pas…?
«Prenons l’exemple d’une journée-type pour un soigneur animalier, ce qui est la base même de l’activité. Nous en avons plusieurs sur le Parc… De plus, il faut en parler car beaucoup de gens idéalisent le métier, ne se rendant pas compte de ses contraintes physiques, et de son côté répétitif. D’autant que des émissions de «Téléréalité» en donnent aussi une image très édulcorée !
La matinée est consacrée au nourrissage et aux soins. Et les soins, c’est essentiellement le nettoyage des parcs et des bâtiments des animaux. Ramasser les déjections, le fumier, nettoyer, changer les litières. Il ne faut pas rêver, c’est un métier d’agriculteur-éleveur ! On travaille toujours à l’extérieur, et il faut s’entretenir physiquement. D’autre part, le soigneur est au service des animaux. C’est l’animal qui décide. S’il ne veut pas faire quelque chose, on ne peut rien sinon tenter une douce persuasion, avec beaucoup, beaucoup de calme et de patience ! Ce qui ne marche pas toujours…
C’est un métier d’humilité. Nos animaux vivent, certes, dans des enclos, mais restent des animaux «sauvages».
C’est extraordinaire de pouvoir être à leur contact, de leur apporter ce dont ils ont besoin… C’est aussi une école d’humilité face à la maladie et à la mort, car comme nous, nos animaux ne sont pas éternels.
Parfois on voit ces choses arriver, et on n’y peut rien. Parfois on n’a rien vu, car les animaux sont incroyablement résistants et durs au mal…
Pour en revenir à la journée de travail : après la matinée occupée par nettoyage, nourrissage et sortie des animaux, il peut y avoir encore – selon les espèces – un ou deux autres nourrissages en après-midi, la préparation des rations du soir et du lendemain matin, du bricolage ici et là, parce qu’il y a toujours quelque chose à réparer, ou à ajouter pour enrichir le site; sans oublier la stimulation à apporter à certains animaux… Et le soir, il faut les rentrer.
Ce à quoi s’ajoutent, en été, les animations pédagogiques pour le public.»
Des animaux et des… hommes ! Que représente pour vous l’animal ?
«Comment dire simplement des choses complexes à exprimer ?!… Les animaux et le respect de l’animal ont toujours fait partie de ma vie. C’est très important pour moi, et émotionnellement prenant…
Plus encore aujourd’hui qu’auparavant, j’essaie de respecter toute forme de vie. Les animaux sont différents de nous. Je ne dirais pas l’homme supérieur à eux – ni inférieur, surtout pas! – mais différent…
Les animaux nous accompagnent, nous apprennent énormément, et sont un miroir pour nous: quand je suis stressée, je stresse mon chien !… Je ne pourrais pas me passer des animaux. Ils m’apportent un équilibre…
Mais ceci dit, je ne suis pas non plus extrémiste. Je suis végétarienne, mais ne l’ai pas toujours été, et vit avec un homme qui ne l’est pas, en respectant totalement son choix. Je tiens à respecter les convictions de chacun…»
Votre vie au milieu des «bêtes» vous a-t-elle amenée à revoir certains de vos a priori ou conceptions… ou, à l’inverse, à relativiser certaines certitudes, peut-être trop «anthropomorphistes»?
«Je reprendrais à ce sujet la réfl exion faite précédemment sur l’humilité, l’acceptation de la «perte de contrôle» des choses, du «lâcher prise»… Au début, sortant de l’école, je voulais que tout soit bien cadré, bien contrôlé avec les animaux. Il fallait que chaque animal soit rentré chaque soir, qu’ils s’entendent bien, que tout problème soit évité… Ce qui ne marche jamais! Aujourd’hui, je fais plus confi ance à l’animal…»
«Un loup est un loup»… concluait un familier de ces animaux… Que diriez-vous des tigres, des lions et autres, et même d’une «brave petite bête» comme le Petit Panda roux ?
«J’ai été amenée à beaucoup travailler sur l’anthropomorphisme pendant mon année d’éthologie (N.D.L.R.: Etude des comportements des animaux)… Et je vois ici s’exprimer cet anthropomorphisme: on attribue souvent aux animaux des émotions et des sentiments qui ne sont en fait que des reflets de nos propres émotions, et pas du tout les leurs ! Et ceci est vrai avec les animaux domestiques comme avec les animaux dits sauvages…
Pour ma part, je m’efforce toujours d’observer, et d’analyser le comportement de l’animal comme d’un individu propre, et de le respecter dans ce comportement, en évitant de projeter sur lui mes propres émotions, mon propre «ressenti»…»
Du «gros nounours» si aimé des enfants aux plantigrades – ours noirs, grizzlys… – n’y a-t-il pas un immense fossé ?
«Nos ours malais, par exemple, sont de petits ours bien tranquilles et bien sympathiques… Mais nous ne pénétrons jamais avec eux dans leur enclos ou leur bâtiment. Il m’est arrivé une fois de me retrouver, par erreur, dans le couloir avec Malaka – notre oursonne – que j’ai donc dû endormir en la «fléchant». Elle en a été furieuse, s’est mise à grogner, courir, grimper aux troncs… Quand on voit cela, on comprend que l’animal, même le plus «sympa», reste un animal sauvage. On apprend à le respecter, et à mettre la distance nécessaire entre lui et nous !»
Quels conseils donneriez-vous aux parents, et aux enfants, quant à la fréquentation des animaux «sauvages»…, et domestiques ?
«Je dirais d’abord que les animaux «sauvages» – et tous les animaux de manière générale – ont leur place sur terre. Nous ne sommes pas les «maîtres du Monde»… Nous partageons la terre avec eux ! Animaux «sauvages» et animaux domestiques sont à respecter. Et les respecter, ce n’est ni les abaisser, ni les sublimer, ni les traiter en humains. Or, quand on voit ce que certains font de leur «toutou» !…
Il faut garder à l’esprit que ce sont des animaux, et donc ne pas faire d’anthropomorphisme, précisément. Respectons l’animal dans ce qu’il est, pour ce qu’il est…»
Quels sont vos animaux les plus difficiles à soigner, soit en raison de leur dangerosité, soit à cause de leur fragilité, ou pour toute autre raison…?
«Les plus difficiles sont ceux qui sont dits «dangereux» : les fauves et ours… Il faut être, et rester, extrêmement concentré. Il y a des procédures strictes de sécurité à mettre en œuvre…
Le face à face, le contact direct, est exclu! Il y a toujours entre nous une clôture, des sas de sécurité, des trappes… Nous sommes déjà très heureux de parvenir à leur donner un morceau de viande – ou un fruit pour les ours – à travers le grillage !
Je prends un exemple : nous avons chaque année une conférence européenne des Parcs animaliers qui participent aux Programmes EEP dont nous avons parlé. En Suède, j’avais assisté à l’une d’elles dans un zoo où un enclos abritait des loups apprivoisés. On pouvait y entrer pour les caresser. Ils se comportaient comme des chiens! Mais il y a quelques années, la soigneuse de ces loups s’est fait manger par eux… Nous cherchons à ce que nos animaux s’habituent à la présence humaine, pour qu’ils n’en soient pas stressés, mais tout en préservant leur identité «sauvage».
D’autres animaux sont délicats à soigner en raison, effectivement, de leur fragilité. Pour les oiseaux, par exemple, il est plus difficile de cerner leur état. Déjà quand vous voyez qu’un animal va mal, c’est qu’il est vraiment malade. Mais c’est encore pire pour un oiseau…
Le travail des soigneurs est en cela très important : leur observation de l’animal, leur connaissance de ses comportements…»
Et les plus faciles, les plus robustes, ceux qui se suffi sent presque à eux-mêmes ?
«Les fauves et les ours sont résistants et sans gros problèmes dans ce domaine… Le «climat» un peu humide de la vallée nous amène à veiller aux parasitoses, mais sans grosse difficulté… Notre vieux mâle tigre est mort récemment, à 19 ans. L’autopsie a révélé une tumeur cancéreuse agressive. Un homme n’aurait pas survécu avec le dixième de ce qu’il avait… Il faut aussi veiller, notamment avec les primates, à ce que nous, les humains, ne leur transmettions pas de maladies. Cela passe par le port de gants, des mesures sanitaires, une vigilance…»
Vous avez évoqué le nourrissage… Qu’en est-il de l’approvisionnement pour l’alimentation de vos animaux ?
«Elle est capitale. Nous achetons des fruits et légumes chez un grossiste. Ce sont donc les mêmes que pour nous, et c’est la même chose pour toute la nourriture de nos animaux. Pour les aliments secs, nous avons des croquettes spécifiquement adaptées à chaque espèce. Ces granulés ne sont pas les mêmes, par exemple, pour les grues et les fl amants roses… La cuisine du zoo a une vingtaine de conteneurs, avec 20 sortes de croquettes différentes. C’est le menu à la carte, littéralement ! Il s’y ajoute les apports en vitamines… »
Quelle formation possèdent vos soigneurs ?
«La plupart ont suivi la formation de soigneur animalier dans une des écoles qui la proposent. Mais ce n’est pas une obligation, on peut aussi se former sur le terrain, par des stages.
Cependant, nous recevons tellement de demandes que nous avons tendance à favoriser ceux qui ont suivi une formation en école, celle-ci incluant déjà des stages. Il est important d’avoir eu ces diverses expériences, dans des zoos différents…
Les soigneurs animaliers sont souvent relativement jeunes, même si certains font une longue carrière dans le métier. Mais ses contraintes font que beaucoup d’entre eux évoluent ensuite vers autre chose, après la trentaine : il y a l’aspect très «physique» du travail, le fait que vous travaillez à l’époque des vacances, et souvent le week-end, que la vie sociale et la vie de famille ne sont pas facilitées, que les perspectives d’évolution de carrière sont assez peu nombreuses.
Elles consistent surtout à travailler successivement dans des parcs différents pour connaître d’autres cadres, d’autres espèces animales… C’est un métier de passion, que des jeunes veulent absolument faire, sans trop considérer ce qu’ils feront après… Trégomeur étant un parc de taille modeste, nos soigneurs n’ont pas d’animal attitré. Tout le monde fait un peu de tout. Sauf pour les animaux dangereux, qui exigent un certain niveau de compétences et d’expérience…
J’en profite pour parler des vétérinaires : ils ne sont pas sur place, et il n’y a pas d’école vétérinaire spécialisée dans la faune sauvage. Ce sont des gens qui s’intéressent ensuite à ce domaine, et se forment eux-mêmes sur le terrain. Mais certains vétérinaires ne veulent pas du tout travailler avec les animaux «sauvages».
Nous travaillons ici avec une vétérinaire de Quintin-Châtelaudren, qui est passionnée par cela, a suivi des stages de spécialisation et fait partie d’un groupe français de vétérinaires des zoos, qui est organisé en forum de partage d’informations et de savoir…»
Combien d’espèces animales abritez-vous ? Et combien d’animaux au total ?
«Une soixantaine d’espèces, et plus de 250 animaux… Les plus emblématiques sont bien sûr les tigres blancs, les panthères des neiges et les ours malais, mais les petits pandas roux sont aussi très aimés du public.»
Le temps de l’animal en cage est révolu… Comment parvient-on à concilier l’attractivité pour les visiteurs – et donc un certain «accès» aux animaux – et la tranquillité de ces derniers ?
«Y parvient-on vraiment?… Si, quand même ! Il y a souvent une attitude paradoxale: d’une part, les ménageries avec des animaux tournant en rond dans des cages de 20 m² ne sont plus acceptées, mais d’autre part, certains se plaignent de ne plus voir les animaux d’aussi près, quand ils se trouvent à l’autre bout de leur parc.
Or, pour leur bien-être, nos animaux sont dans des parcs assez vastes. Nos chameaux, par exemple, disposent d’une plaine d’un hectare… Mais globalement, les visiteurs sont contents de voir l’espace offert aux animaux. Ils remercient souvent pour les grands enclos et se plaignent de moins en moins de ne pas toujours les voir tout proches.
J’ai noté une nette évolution de cette attitude depuis l’ouverture en 2007. Certains nous disent que cette forme de respect de l’animal les a réconciliés avec les zoos… De la part des visiteurs, ce respect me semble aussi devoir se traduire par l’entrée payante. Car on entre chez l’animal. On n’est pas chez soi dans un zoo, même si l’on paie… Payer ne donne pas droit à tout. Et quand on vient dans un parc, il faut prendre son temps. Rester longtemps sur place… Or, nous sommes dans une société pressée, où on veut «tout tout de suite»!»
La législation est aujourd’hui contraignante, et cela est très compréhensible ; quelles sont les principales contraintes qui vous sont imposées ? Certaines vous paraissent-elles «excessives» ou inappropriées ?
«Non… La principale contrainte est que chaque zoo doit avoir ce qu’on appelle un «capacitaire», une personne habilitée à présenter des animaux au public. Cette personne est responsable de l’ensemble des aspects tels que la sécurité, la taille des enclos, les barrières…
La loi est assez souple, à chacun ensuite de bien gérer les choses, d’être vigilant. J’ai même constaté, quand nous avons fait partir une panthère des neiges aux U.S.A., que l’administration française était plus rapide que celle des Etats-Unis : j’ai obtenu en une semaine le certificat nécessaire pour «l’export» – l’équivalent d’un passeport – alors que l’obtention du même document pour «l’import» aux U.S.A. a pris un an… Ne nous plaignons donc pas!»
Au-delà de cet aspect légal, quelles sont les difficultés majeures que l’on rencontre dans le fonctionnement et la gestion d’un parc animalier ?
« L’une des principales est de parvenir à faire comprendre aux gens que l’entretien d’un parc animalier – s’occuper des animaux – a un coût, et qu’un prix d’entrée est donc indispensable… »
Comment gère-t-on la « saison morte » de l’automne et de l’hiver ? Est-ce une activité saisonnière ?
« C’est une activité très saisonnière. Nous faisons l’essentiel de notre année sur juillet et août. Et nous sommes très tributaires de la météo… Nous ouvrons aussi pendant l’hiver, à toutes les vacances scolaires, et les mercredi, samedi et dimanche après-midis d’octobre à mars, mais les visiteurs sont évidemment beaucoup moins nombreux qu’en été. Pour donner une idée : nous avons une dizaine de permanents, auxquels une dizaine de saisonniers viennent s’ajouter en crescendo jusqu’à juillet-août… Pour moi, ce sont de nouvelles équipes à constituer chaque année. »
L’un des défis qui se posent à vous n’est-il pas de faire revenir sur le site des visiteurs qui y sont passés une première fois ? La Télévision vous concurrence-t-elle ou au contraire incite-t-elle jeunes et moins jeunes à venir voir les animaux en réalité ?
« Faire revenir les gens est effectivement un défi . Mais beaucoup reviennent. Nous vendons beaucoup de « cartes-pass ». Nous venons de réaliser notre meilleur mois de décembre depuis 10 ans… Les émissions TV sur les parcs animaliers sont très nombreuses et ont un très grand succès, bien qu’elles donnent une idée très fausse du métier !
Je pense qu’elles ne nous concurrencent pas vraiment, et j’en veux pour preuve le nombre de personnes qui viennent à nos demi-journées de découverte du métier de soigneur ! Beaucoup de jeunes, mais pas seulement puisque le plus âgé avait 89 ans. C’était son rêve, et sa fi lle lui a offert cette « demi-journée soigneur »… »
Qui sont les visiteurs des zooparcs, en 2017 ?
« Le public est très divers, mais surtout familial. »
Quel avenir entrevoyez-vous aux parcs animaliers ? Quelles évolutions anticipez-vous ?
« L’évolution va se faire dans le sens d’un aménagement des parcs avec des enclos de plus en plus grands et naturels, et vers une participation croissante aux programmes de conservation des espèces, avec une meilleure communication en ce domaine à destination du public.
L’aspect « animation » est aussi appelé à se développer. Nous en proposons beaucoup, comme le nourrissage… cela plaît énormément et permet d’une part d’occuper l’animal sur un comportement naturel – il n’est donc pas stressé, ni forcé… On sait que la captivité reste la captivité, mais on vise à donner aux animaux la possibilité d’exprimer au mieux des comportements naturels. Ce sont des animaux qui ne pourraient pas survivre en dehors des parcs. Ils y sont nés et ont toujours connu cette vie-là. On entend parfois des réflexions du genre : « relâchez-les ». C’est illusoire !
La dimension pédagogique se développe également, avec les écoles comme avec les autres visiteurs. Les gens ne se contentent plus des panneaux, ils aiment interroger les soigneurs, par exemple…
Par arrêté, les zoos doivent actuellement remplir quatre obligations, ou quatre missions : divertissement, pédagogie, recherche et conservation. Divertissement et pédagogie à l’adresse du public ; recherche pour des vétérinaires qui font des thèses sur les animaux sauvages ou des chercheurs qui font de l’éthologie ; conservation par des actions in situ – notamment par des donations… – ou ex-situ, par la participation aux E.E.P. et autres… »
Et quel avenir pour celui de Trégomeur tout particulièrement ?
« Un bel avenir, je l’espère ! Mais j’essaie de vivre sans trop de projection dans le futur. Nous avons déjà le 10e anniversaire cette année 2017, et l’arrivée des lions… dont nous parlions il y a dix ans déjà ! Vivons donc cette année ; tout en sachant que le ZooParc sera forcément amené à évoluer avec le temps… »
La réduction rapide des « terres sauvages » met en péril l’existence de certaines espèces. Lesquelles plus particulièrement ? Que peut-on entreprendre pour enrayer cette évolution ?
« Même si certaines espèces sont évidemment plus menacées que d’autres, toutes souffrent de la réduction des milieux naturels.
Prenons l’exemple des panthères des neiges, qui est assez caractéristique : elles vivent dans les montagnes et sont donc limitées dans leur territoire en altitude. Or, celui-ci est « mangé » par le bas à cause du développement des activités agro-pastorales des populations locales, qui croissent. Le bétail empiète sur les pâturages naturels des ongulés sauvages, qui sont les proies des panthères des neiges, et qui diminuent par conséquent. De ce fait, les panthères s’attaquent au bétail, entrent en conflit avec les éleveurs… c’est ce cercle vicieux qu’il faut parvenir à briser. C’est d’ailleurs dans ce but que les actions de conservation s’accompagnent maintenant toujours d’un travail avec les populations locales.
L’on s’occupe d’une espèce animale et de la population concernée par sa sauvegarde, sachant que de toute façon, la protection d’une espèce ne pourra pas se faire sans l’adhésion de cette population. Ici, nous soutenons, par exemple, l’action de la « Snow Leopard Trust » qui travaille à la conservation de la panthère des neiges. Grâce à cette espèce emblématique, c’est tout un milieu qui est protégé, en aidant les populations nomades de Mongolie, dans le domaine médical, dans la gestion du bétail, dans le développement de petites activités artisanales grâce au microcrédit. Nous revendons ici de petits objets fabriqués là-bas… C’est donc tout un système qui est porté par la conservation d’une espèce emblématique. Et ce principe existe pour bien d’autres animaux, comme le panda, le gibbon en Indonésie…
Je ne suis pas pessimiste. Beaucoup d’actions sont menées et marchent bien, et la prise de conscience collective progresse rapidement ! »