Alors qu’il n’a pas encore atteint la surface de l’eau, il sait qu’il a fait une grave erreur et que l’accident est inévitable.
Ce jour-là, en 1982, David Constantine, un Anglais de 21 ans, venu en Australie pour parfaire sa formation agricole, a voulu se rafraîchir dans une étendue d’eau sur l’île de Fraser dans le Queensland. Et comme il l’avoue lui-même dans le récit de son accident, il a aussi voulu « frimer » un peu par un plongeon spectaculaire dans cette eau peu profonde.
Mais lorsqu’il réalise son erreur, c’est trop tard. Sa tête heurte violemment le fond de l’étang. Incapable de bouger, il flotte comme un mannequin à la surface de l’eau, la tête immergée. Toujours conscient, il réussit néanmoins à attirer l’attention de ses camarades qui le tirent sur la berge.
Tous ses projets d’avenir s’évanouissent
«Je me suis brisé la nuque, je suis paralysé», dit-il à ses camarades qui refusent de le croire. Mais David sait bien dès cet instant que ses projets d’avenir s’évanouissent et qu’il doit certainement renoncer à une belle carrière à haut niveau dans l’agriculture pour laquelle il est venu se former en Australie. En attendant l’ambulance, les questions se bousculent dans sa tête sur ses projets d’avenir compromis…
Il passe d’abord cinq mois à l’hôpital en Australie. Les trois premiers mois, il est maintenu en traction et retourné dans son lit toutes les deux heures. Après ces long mois de soins en Australie, il peut retourner en Angleterre, où il doit passer encore cinq autres mois à l’hôpital. «Cela m’a donné beaucoup de temps pour réfléchir», raconte-t-il plus tard.
Après ces dix mois à l’hôpital, le bilan semble irréversible: paralysé des épaules jusqu’aux pieds, David est condamné au fauteuil roulant pour le restant de ses jours. Il peut bouger ses bras, mais ses mains n’arrivent plus à saisir des objets, et il est contraint de réapprendre les gestes les plus simples de la vie de tous les jours, en s’adaptant en tout à son handicap.
«C’était comme si je remontais dans le temps, dit-il. Je me sentais comme un petit enfant, mais dans le corps d’un adulte. Les dix mois à l’hôpital me paraissaient très longs, mais c’était aussi un moment clé de réflexion sur ma vie.»
Il faut qu’il accepte de renoncer à tous ses rêves, à tous ses projets. Mais David est un battant et il est décidé à ne pas se laisser aller au découragement mais à chercher à comprendre ce qu’il peut encore faire et ainsi réussir, malgré tout, une vie utile, une vie qui vaut la peine d’être vécue.
Concevoir des fauteuils roulants bien adaptés à chaque utilisateur…
Quel travail est possible dans un fauteuil roulant?
Une évidence s’impose: l’informatique!
A la sortie de l’hôpital, il reprend donc des études, s’inscrivant à des cours à l’Institut polytechnique d’Oxford. Après trois années d’études intenses, il est embauché par IBM, la grande société informatique.
Et un jour, rencontrant des ingénieurs qui conçoivent le design des ordinateurs pour les rendre aussi agréables et faciles à utiliser que possible, il leur fait un reproche sur un ton humoristique: «Ah! c’est vous les gars qui placez le bouton de démarrage de mon ordinateur derrière l’appareil, là où je ne peux pas l’atteindre…» Mais au même instant, au-delà de cette remarque, David réalise qu’il vient de trouver sa voie: concevoir des appareils plus pratiques pour les utilisateurs, notamment pour des hommes et des femmes qui, comme lui, ont des difficultés particulières.
Pour ce faire, il va bien sûr se servir de ses compétences en informatique, mais il lui faut une formation complémentaire, qu’il va trouver dans un institut à Londres, et justement l’année où David intègre cette école, on propose aux étudiants en première année un concours: concevoir un fauteuil roulant particulièrement adapté aux pays en voie de développement.
Pour David, qui lui-même est un utilisateur quotidien d’un tel fauteuil, c’est un défi qu’il a vraiment envie de relever.
Avec un autre étudiant, il se lance dans un travail ardu mais passionnant. Jour après jour, ils étudient non seulement comment ce fauteuil doit être conçu pour fonctionner dans un environnement tout autre avec des routes peu praticables, etc., mais un fauteuil qui pourra aussi être fabriqué sur place avec des matériaux locaux, au moindre coût.
A la fin de l’année, David et son camarade obtiennent le premier prix, et les responsables les exhortent vivement à concrétiser leur projet.
Dans plus de 120 pays du monde
Ainsi commence pour le jeune Anglais une nouvelle étape très importante. Entouré de deux collaborateurs, il effectue des voyages d’étude aux quatre coins du monde pour affiner le projet en effectuant une étude «sur le terrain».
Au Bangladesh, ils sont accueillis à bras ouverts dans un centre pour paralysés. Dans un atelier qui continue à produire un modèle de fauteuil roulant conçu dans les années 1930 et absolument pas adapté à l’environnement au Bangladesh, ils fabriquent un premier exemplaire de leur modèle primé qui trouve un excellent accueil. Après un retour à Londres pour trouver les fonds nécessaires, créant la société «Motivation», ils retournent au Bangladesh où ils restent six mois pour lancer le travail, dormant dans un abri en tôles.
Après le Bangladesh, ils partent dans bien d’autres pays du monde…
En 1992, «Motivation» est déclarée comme œuvre de charité. D’autres collaborateurs sont embauchés, on construit des ateliers de fabrication en Angleterre mais aussi ailleurs, en employant de la main d’œuvre sur place. Ainsi, des milliers de fauteuils roulants, adaptés aux situations les plus diverses, sont fabriqués chaque année.
Le travail de David Constantine est aujourd’hui reconnu et apprécié partout dans le monde. Il a reçu des prix prestigieux pour ses inventions. Grâce à son travail inlassable, des dizaines de milliers de personnes dans le monde entier ont reçu la possibilité de sortir d’une vie de misère, pour trouver leur place dans la société, faire des études, trouver un travail afin de pourvoir eux-mêmes à leurs besoins sans dépendre de la charité.
Faisant le bilan de sa vie, David se souvient du jour où l’accident de plongée met fin à ses rêves mais aussi de cette porte qui s’est ouverte pour lui permettre de vivre une vie utile et épanouie malgré son handicap:
«Motivation a touché et transformé la vie de beaucoup de personnes handicapées dans plus de 120 pays du monde… Nous avons déjà fait un bon bout de chemin, mais il reste encore tant à faire…
Si je n’avais pas eu cet accident, je ne serais pas en train de faire ce travail… Je crois vraiment que je fais ce pourquoi je suis venu sur terre.»