Dès les temps anciens, à l’époque du duché, la Bretagne était réputée pour sa production textile. Drap ou toile ? Laine, lin, ou chanvre ? Chaque région avait sa spécialité. A Rennes ou à Vitré, on produisait avec du chanvre, des toiles très solides, les «canevas», et les célèbres «noyales».

En Centre-Bretagne, dès la fin du 17e siècle, le renouveau de la production de toiles «bretagnes», en fin lin, fit la richesse des négociants de Quintin, Uzel, Loudéac ou Pontivy.

A Locronan, le chanvre permettait la réalisation de toiles «olonnes», particulièrement résistantes et qui étaient utilisées pour faire les voiles des navires. Entre Saint-Pol de Léon, Morlaix, et Landerneau, le lin permettait de produire les «crées», largement utilisées pour le linge de corps. La Bretagne va rapidement «devenir l’un des principaux fournisseurs européens de toiles de chanvre et de lin», écrit l’historien Erwan Chartier-Le Floch. 

La société linière de Landerneau

Mais la révolution industrielle va rompre cet équilibre économique. En Centre-Bretagne, la manufacture de Quintin, Uzel et Loudéac va disparaître dans les années 1830. Nantes va s’adapter en accueillant des fabriques «d’indiennes».

Dans la région de Landerneau, les actionnaires de la Société Linière du Finistère, créée en septembre 1845, décidèrent de faire construire une manufacture moderne sur le lieu dit Traon-Elorn, qui s’étend sur les communes de Landerneau, Pencran et Plouédern. Ils avaient ouvert une première manufacture en 1821 dans  l’ancien couvent des Capucins. Elle comprenait 120 métiers à tisser manuels, et dès 1827, abandonnant la confection du linge de maison, elle s’était consacrée aux besoins de la Marine nationale, réalisant vêtements et voiles. Mais la question de la mécanisation des métiers se posa, et le site d’exploitation était devenu trop petit.

 C’est surtout en Écosse que les actionnaires trouvèrent les cadres expérimentés pour faire fonctionner l’usine et les machines. En novembre 1837, la presse s’intéressa à l’arrivée d’une trentaine d’ouvrières écossaises: «Ces femmes qui travaillent dans les manufactures depuis leur enfance, obéissent à la voix, au signe même (de leur contremaître) avec une précision qui ferait envie à un bataillon de troupe d’élite». Débarquées au Havre, elles prirent ensuite le vapeur de la ligne Le Havre-Morlaix. Auparavant, certains groupes avaient débarqué à Calais, mais avaient été «détournés» par des industriels du Nord qui leur promettaient de meilleurs salaires, rapporte l’historien Yves Blavier. En 1856, on comptait 167 Britanniques sur les 640 employés de la manufacture.  

La «Rue des écossais»

 Entre 1845 et 1891, date de fermeture de l’entreprise, on considère qu’environ 500 écossais quittèrent leur pays pour y travailler.

La Société Linière leur fit construire des petits cottages assez confortables pour l’époque. On trouve encore aujourd’hui de ces petites maisons dans la «Rue des écossais», à Pencran. Dans cette dernière localité, on note 80 naissances issues de parents britanniques entre 1850 et 1882.

Le consul du Royaume-Uni à Brest, monsieur Anthony Perrier, était bien sûr informé de cette arrivée massive de compatriotes. Étant un protestant militant, il voulut pourvoir à leurs besoins spirituels, car la majorité d’entre eux étaient protestants.

Les pasteurs de Brest ou de Morlaix vinrent les visiter, puis en 1853 le consul obtint que l’église presbytérienne d’Écosse finance un poste d’aumônier à Landerneau. A l’arrivée de Charles Frazer, les autorités «exprimèrent le plaisir que leur causait sa présence, qui devait avoir une heureuse influence sur l’état moral et religieux de ses compatriotes».  Le révérend eut aussi la charge de scolariser les enfants de ces expatriés. Mais ils eurent parfois à subir des manifestations hostiles envers eux. 

Un courrier de Gustave Heuzé –l’un des principaux actionnaires– au maire, rappelle les enjeux de la présence des Britanniques: «Nos ouvriers français éprouvent de vives inquiétudes, car ils savent bien que si les «Anglais» que nous employons dans notre filature… étaient forcés de partir, la fermeture de notre établissement en serait la conséquence immédiate».

Les Écossais repartent

Pourtant, quelques décennies plus tard, la fermeture de la manufacture devint inévitable. La concurrence, et surtout la perte du marché de la Marine, qui avait abandonné la voile pour la vapeur, ne permit pas de continuer la fabrication des toiles. La plupart des écossais retournèrent chez eux. Quelques-uns, ayant épousé des Bretonnes, restèrent et furent assimilés à la population.

L’intérêt pour cette page de l’histoire économique de Landerneau a connu un certain regain voici quelques années. En mai 2012, des écossais furent reçus à l’hôtel de ville. Ils venaient sur les traces de leurs ancêtres. La grand-mère de l’un d’eux, Angus Bell, était en effet née à Pencran.

F.K.