«Piloter un hélicoptère, je n’ai fait que ça… je ne sais faire que cela !», affirme d’emblée, avec une humilité teintée d’une pointe d’humour, Nicolas Roudot.
Dès les premières phrases, avant même d’avoir entendu son parcours, l’aisance pour s’exprimer et le niveau de langage employé démentent cependant cette entrée en matière. Et ce n’est pas par hasard qu’il est arrivé à ce poste de responsabilité!
Comme bien des enfants, il a toujours rêvé de devenir pilote… mais comme peu d’enfants: il avait un père pilote lui-même et ce rêve, il le transforme à son tour en réalité dès l’âge de 19 ans quand, le fameux brevet en poche, il commence à s’installer seul aux commandes. Aujourd’hui, 30 années plus tard, il continue de le faire avec le même engouement…
N. Roudot nous entraîne à sa suite dans le survol d’une vie atypique aux péripéties étonnantes… comme si nous étions à bord de ce Dragon EC 145, toujours prêt à décoller, à deux pas de son bureau au sein de la base de la Sécurité Civile du Finistère qu’il dirige sur l’aéroport de Pluguffan à Quimper… »
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Voudriez-vous vous présenter brièvement ?
«J’ai 50 ans. J’ai rencontré ma compagne dans le milieu de l’hélicoptère, elle était agent d’opération dans une des compagnies où j’ai travaillé.
J’ai un fils de bientôt 23 ans. J’habite entre Morlaix et Saint-Pol-de-Léon.
Je ne sais faire que de l’hélicoptère… Depuis tout petit, j’en rêvais et j’ai commencé très tôt. Mais j’ai une excuse ou plutôt, il y a une raison à cela: mon père étant lui-même pilote, j’avais toujours sous les yeux des maquettes d’hélicoptères à la maison…
En fait, j’ai assez vite vécu avec un papa «ancien pilote d’hélicoptère». Jeune encore, son rêve s’était en effet effondré quand un jour il est sorti du coma à l’hôpital du Val-de-Grâce où il avait été rapatrié d’une périlleuse mission militaire au Tchad. Il a appris à son réveil qu’il venait de perdre là-bas son aptitude médicale et ne pourrait jamais plus être pilote…
Il m’avait cependant transmis le virus et a été très fier, je pense, qu’un de ses fils reprenne le flambeau…
J’aurai par contre eu la chance moi, de pouvoir le faire –maintenant quoi qu’il arrive– très longtemps, puisque j’ai été breveté pilote à 19 ans et qu’aujourd’hui à 50 ans je continue à piloter, et avec toujours le même plaisir!»
Piloter un hélicoptère fait rêver beaucoup d’enfants mais aussi d’adultes… la réalité du métier est-elle aussi «idyllique» qu’ils peuvent l’imaginer ?
«Alors, le fait de piloter, de voler d’une manière générale: Oui! C’est aussi idyllique qu’on peut l’imaginer! C’est le rêve d’enfant… le rêve d’Icare dans la mythologie!
Mais il faut quand même avoir à l’esprit qu’il y a des jours où on est en l’air et qu’on serait peut-être aussi bien à la maison ou dans son lit… quand vous vous retrouvez en plein hiver, la porte ouverte avec une mer toute noire démontée alors que quelque temps avant vous étiez en train de dormir comme il faut… C’est quand même un engagement, une tension, de l’adrénaline… Et ce n’est pas forcément toujours «confortable»!
Mais le fait de voler en soi, depuis tout petit, m’a fait rêver… J’ai conscience de ne pas être du tout objectif et j’ai la même passion pour le bateau, j’ai aussi fait du saut en parachute… Certains font de la montagne en conditions parfois extrêmes et l’on se demande quel plaisir ils peuvent y trouver… chacun a ses aspirations et ses centres d’intérêt. Pour moi, c’est voler, voler, quoi de plus…»
C’est un métier qui impose plus de contraintes que beaucoup d’autres ?
«Il n’y a pas de plaisir sans contrainte! Je pense que tout le monde s’en rend compte à un moment donné de sa vie. Ce qu’on obtient facilement sans avoir rien à donner en échange, a en général assez peu de saveur… Mais peut-être est-ce un peu «générationnel» de penser ainsi?
J’ai changé de métier plusieurs fois, j’ai toujours pris du plaisir à voler… quelle que soit la raison pour laquelle j’étais en vol. (Je n’ai d’ailleurs pas toujours été en accord avec celle-ci, et c’est ce qui m’a parfois amené à changer de métier…). Mais je pense que je suis arrivé aujourd’hui au métier qui, en tant que pilote d’hélicoptère, est le plus noble.»
Comment devient-on pilote d’hélicoptère? Quel parcours de formation, permis ou agréments sont nécessaires ?
«Pour devenir pilote à l’époque, et je pense qu’il en est toujours à peu près de même, il y avait deux options: soit la voie privée, si vous aviez des parents qui avaient les moyens de vous financer une formation hors de prix dans le civil ou si vous recouriez à un emprunt conséquent, sans aucune garantie de trouver du travail ensuite, puisque les compagnies sont très frileuses à embaucher de jeunes pilotes (les assurances des compagnies préfèrent ne pas prendre de risque…), soit vous vous dirigiez vers l’armée.
Cela explique qu’une très large majorité des pilotes que l’on trouve dans le milieu civil sont d’anciens militaires. La plupart d’entre eux y entrent d’ailleurs directement après l’armée. (Pour pouvoir postuler à la Sécurité Civile par exemple, il faut avoir déjà opéré au minimum 7 ans comme commandant de bord.)
Je fais donc un peu figure «d’extraterrestre» dans le cursus des «gens de la Sécu»: le fait d’avoir fait 10 ans d’autres choses entre temps est assez rare!
Quand vous entrez à l’armée pour être pilote, il y a une sélection, mais vous êtes militaire, soldat avant tout, être pilote n’est qu’une spécialité…
Et le «job» du pilote militaire, c’est d’être envoyé sur des théâtres d’opérations extérieures ou de défendre son pays et les intérêts de son pays, en délivrant si nécessaire le feu…
La formation coûtant très cher, vous devez 10 années de service à l’armée: l’engagement est donc réel! Le métier de militaire n’est pas anodin, nous avons tous des copains qui ne sont pas revenus…
Pour l’hélicoptère comme pour l’avion, il existe une licence de pilote privé qui vous autorise à voler, à emmener des passagers, en loisir. Mais pour en faire son métier, il faut la licence de pilote professionnel au-dessus de laquelle il y a la licence de pilote de ligne exigée notamment pour de gros hélicoptères de transport pilotés en équipage avec un commandant de bord et un copilote…
Mais la licence de pilote elle-même ne sert pas à grand-chose: il faut y ajouter des qualifications de type qui ne sont valables qu’une année. Tous les ans nous repassons donc un test que l’on appelle une prorogation de qualification de type, par type de machines sur lesquelles on opère.
Ici, en plus de cette prorogation de qualification de type que nous allons passer à Nîmes, nous avons nos «semestriels»: des contrôles en ligne effectués à la base, tous les 6 mois. L’ensemble du personnel est testé sur les différents types de vol, les procédures de panne, le treuillage en mer sur bateau ou le treuillage terrestre de nuit sous jumelles de vision nocturne, etc.
Peu de métiers connaissent comme dans l’aéronautique une telle remise en question permanente!
Nous avons une philosophie, une conscience un peu particulière, nous savons que nous avons la responsabilité de machines qui valent des millions d’euros et, au-delà, de vies qui elles sont inchiffrables…»
Y a-t-il un âge limite pour continuer à piloter ?
«C’est-à-dire que, en plus de toutes ces contraintes opérationnelles et techniques auxquelles nous sommes soumis comme je viens de l’évoquer, nous devons passer des examens au centre d’expertise médicale du personnel navigant, tous les ans, pour renouveler notre aptitude médicale à piloter. Et l’âge avançant, nous nous y rendons avec une petite crainte parce que cette aptitude dépend de critères dont nous ne maîtrisons pas les paramètres (ils sont intransigeants sur la vue bien sûr, mais aussi sur le système cardiovasculaire…) et du jour au lendemain le couperet peut tomber et l’on peut s’entendre dire: «Monsieur vous n’avez plus le droit de voler parce que…»
L’indispensable entretien physique et le respect d’une bonne hygiène de vie ne garantissent hélas pas de tout…»
Quelles dispositions, qualités physiques et psychologiques doit avoir un pilote ?
«D’une manière générale, pour être pilote d’hélicoptère, c’est comme pour jouer de la batterie, il faut une bonne dissociation des mouvements et de l’attention. Parce que piloter un hélico, c’est commander un effet principal à une machine et contrer un effet secondaire qu’a induit l’effet principal qu’on a demandé… Le pilote d’hélicoptère doit apprendre à avoir des mouvements qui soient coordonnés, maîtrisés.
Il faut être plutôt bon en anglais quand même. Dans l’aéronautique la maîtrise de l’anglais est indispensable. Les constructeurs étant européens, toutes les documentations de maintenance sont aujourd’hui en anglais. Jusqu’à il y a peu de temps, les constructeurs faisaient ce qu’on appelait des traductions de courtoisie, c’est maintenant fini.
Mieux vaut aussi avoir un esprit plutôt mathématique et aimer la physique. Pour tout ce qui est vol aux instruments notamment il faut connaître sa trigonométrie, et être capable de raisonner: sinus, cosinus, facteur de vent… c’est du calcul mental. Aujourd’hui nous sommes quand même sur des machines qui sont très assistées, il y a donc moins à savoir qu’il y a 20 ou 30 ans, mais ce sont des aptitudes intellectuelles de base qu’il est bon d’avoir au départ et après, bien entendu, cela se travaille.
Lors de la sélection, un ensemble d’expertises médicales nous teste sur le plan de l’équilibre psychique et psychologique. (En traquant notamment tout esprit le moindrement suicidaire.)
L’opiniâtreté et la volonté sont des qualités nécessaires, tout comme la capacité de rester calme, maître de soi dans des situations où l’on se trouve parfois un peu comme « en apnée »!»
Vous avez été pilote dans l’armée de terre pendant une quinzaine d’années. Quels types d’engins pilotiez-vous et quelles étaient vos principales missions ?
«A l’époque, on apprenait à piloter un hélicoptère sur une Alouette 2 dans un premier temps, puis nous suivions une formation sur Gazelle et nous partions en stage de combat où nous apprenions le vol tactique…
J’avais fait le choix d’être pilote d’hélicoptère dans l’armée de terre parce que, étrangement, c’est là en fait, que les missions en hélicoptère étaient à mon sens les plus intéressantes. J’ai ensuite opté pour les hélicoptères de manœuvre parce qu’ils étaient beaucoup projetés sur les théâtres d’opérations extérieures et c’est ce qui me plaisait: je rentrais à l’armée pour voir du pays!
Ces hélicoptères ont pour mission d’amener des fantassins derrière la ligne des combats ou d’aller les récupérer après une opération «coup de poing», le transport de parachutistes aussi, et l’apport de matériel, de mortiers, etc.
C’étaient à l’époque les hélicoptères de manœuvre qui avaient le panel de missions le plus large. Outre l’intérêt du vol aux instruments, vous faisiez aussi du treuillage, du transport à l’élingue… Sur un Puma Canon on faisait de « l’appui-protection », du transport de troupes…
Personnellement, j’ai fait le Tchad, le Gabon, le Togo et le premier putsch en Côte d’Ivoire, je suis aussi beaucoup allé en ex-Yougoslavie… Je passais entre 4 et 8 mois par an à l’extérieur. Le standard, c’était en alternance: 4 mois dehors, 4 mois en France.
J’ai été en unité opérationnelle jusqu’en 2000 et à partir de 2001, j’étais instructeur à l’EALAT (École de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre) sur la base aérienne du Luc: je formais les jeunes sur les hélicoptères de manœuvre.»
A l’issue de votre engagement militaire vous avez été pilote dans le secteur privé. Pour quels types d’emplois sont recrutés les pilotes privés ?
«Il existe deux types d’emplois différents. Il y a ce qu’on appelle le travail aérien: c’est un peu tout ce qui n’est pas transport de passagers. Cela peut être de l’image, pour la télévision et le cinéma, pour des photographes et des prises de vue particulières, pour des vidéos…
Cela peut aussi être du treuillage, du levage, un travail de grutier ou encore de la lutte contre les incendies de forêts avec des hélicoptères équipés de différents kits spécifiques, mais également de la surveillance de lignes électriques…
D’un autre côté, c’est le transport de passagers, comme les ouvriers des plates-formes pétrolières dans le monde du offshore, par exemple.
L’hélicoptère est considéré comme moyen de transport de la même manière que l’avion mais sur des distances plus courtes. Le transport de public aussi, de personnes fortunées, familles princières, vedettes de cinéma, etc., pour qui l’hélicoptère va remplacer la voiture ou le taxi. Le pilote est un peu dans ce cas comme le chauffeur de limousine, il passe la brosse sur la moquette et la peau de chamois sur le cuir des fauteuils!
Mon premier emploi consistait en la dépose et la récupération de pilotes maritimes sur les navires qui entraient ou sortaient du port de Dunkerque, qui est un des trois en France dont la station de pilotage dispose d’un hélico. C’est un travail particulièrement technique avec des conditions météo pas toujours faciles!
Comme je n’avais pas de contrat d’exclusivité avec la station de pilotage, j’ai pu en même temps faire –en freelance– des activités bien sympathiques, comme les 24 Heures du Mans… et travailler en Algérie aussi pour une société américaine.
Après je suis parti comme chef pilote d’une petite compagnie de transport public en Polynésie. J’y faisais du circuit touristique ou du travail aérien: entretien des relais de communication dans la montagne, de temps en temps du bombardier d’eau sur des feux de forêts, mais surtout beaucoup d’images, pour le cinéma, des chaînes de télévision comme National Geographic et des revues…
Notamment des revues spécialisées dans le surf, parce qu’il y a là-bas de très jolies vagues qui permettent aux photographes et cameramen de réaliser des belles images en hélico.
De la même manière que nous avons le Tour de France retransmis en direct à la télévision, eux ont des compétitions de pirogues et j’ai participé à ces retransmissions très suivies.
En tant que compagnie privée, nous avions aussi un contrat pour des transferts inter-îles, les évacuations sanitaires, etc. Nous étions tout le temps de permanence pour récupérer des gens sur les îles où il n’y avait pas d’hôpital. Nous pouvions être déclenchés de jour comme de nuit et interrompre nos activités touristiques à l’appel des pompiers ou de médecins…
Après je suis parti en Afrique du Sud pour passer mes équivalences là-bas. J’ai travaillé pour une compagnie sud-africaine en Guinée Conakry, je faisais du levage exclusivement, grutier avec du transport à l’élingue, seul à bord. Huit heures de vol par jour, dans les fortes chaleurs et la poussière des chantiers…
Je suis ensuite rentré en France, j’ai fait une saison de bombardier d’eau dans les Bouches-du-Rhône, avant de travailler pour un propriétaire russe. J’étais alors principalement sur une grosse machine qui était opérée par la compagnie Héli Sécurité, basée l’été sur l’héliport de Grimaud, à côté de Saint-Tropez et l’hiver à côté de Courchevel sur l’aéroport d’Annecy. J’ai fait à partir de là, un peu toute l’Europe…
Et enfin, j’ai postulé pour la Sécurité civile où je suis entré en 2016. Mon premier poste m’a conduit en Guadeloupe pour 4 ans, j’ai ensuite fait 3 ans à Lorient et suis maintenant à Quimper.
Voilà mon parcours: un peu atypique mais bien rempli !»
Vous avez donc intégré la sécurité civile. Qu’est-ce qui vous a amené à choisir cet engagement ?
«Vous l’aurez compris, j’avais envie de faire beaucoup de choses! Mais je tenais à finir ma carrière de pilote sur cette mission de secours qui est pour moi la plus noble. Je ne voulais pas le faire toute ma vie et j’étais persuadé que tout ce que j’aurais fait avant me donnerait aussi beaucoup d’expérience pour apprécier et remplir au mieux cette dernière mission. Je suis vraiment heureux… D’autant plus que j’ai pu revenir en Bretagne, et dans le Finistère!
Toute ma famille en est originaire et habite le secteur de Morlaix. Du coup, j’ai aussi acheté là-haut!»
Quel y est votre quotidien? Comment se déroule une «journée type» pour un pilote ?
«Il n’y a pas de journée type, mais il y a une trame qui est incontournable. L’horaire d’ouverture se situe entre 9h du matin et la nuit aéronautique officielle, c’est à dire: l’heure du coucher de soleil à Lyon + 30 minutes. Notre temps de travail est calculé au forfait. Et le fait d’être tous calés sur la base de Lyon permet un forfait commun et cohérent.
De 9 h du matin jusqu’à cette heure fatidique à Lyon, le décollage doit pouvoir s’effectuer à tout moment au plus vite: en moins de 30 minutes, s’il y a une préparation particulière à faire mais si possible en moins de 5 minutes, les hommes de l’équipage (un pilote et un mécanicien opérateur de bord) sont présents en tenue et la machine doit être toujours prête.
Du coucher du soleil à Lyon, jusqu’à 9 h le lendemain matin, nous sommes «en astreinte». Le décollage doit se faire dans la demi-heure, mais la limite longue du décollage de nuit passe à une heure, ce qui permet aux personnels qui habitent à proximité de rentrer chez eux, tandis que ceux qui, comme moi, habitent plus loin doivent rester dormir sur place. Nous avons le droit de le faire 5 jours et 5 nuits d’affilée au maximum.
A tout instant, on doit être capable de partir «au coup de sifflet»!
En l’attendant, nous faisons vivre la base: nous planifions les entraînements avec nos partenaires, le suivi de nos propres qualifications et entraînements pour notamment remplir les «conditions d’expérience récentes» obligatoires, concernant le vol aux instruments, etc.»
Vous êtes «chef de base», quels sont les attributions et responsabilités particulières qui incombent à cette fonction ?
«En fait, je suis un peu «la nounou»! C’est une gestion «de bon père de famille»! Je suis là pour être chef d’orchestre de quelque chose qui «roule» tout seul, avec des gens compétents…
Je veille aux dépenses, au respect de tout ce qui nous est réglementairement imposé. Je suis l’interlocuteur privilégié de nos partenaires et de nos échelons hiérarchiques: le chef de la zone Manche-Atlantique, chef Inter-base qui se trouve actuellement à Granville. Il est le référent de zone, point de contact direct avec l’État-major de zones qui se situe à Rennes. Le chef du Groupement Hélicoptère lui, est à Nîmes.
Mais je suis aussi et surtout pilote et monte mes alertes comme les autres.
Avant, il y avait ici une secrétaire, mais maintenant –restrictions budgétaires et choix politiques obligent– il n’y a plus, depuis plusieurs années, de personnel administratif sur place et je dois donc gérer absolument tout sur la base, des commandes de kérosène et de fioul à celles de savon et de papier toilette…
Bien évidemment je peux compter sur les collègues et déléguer. Des tâches annexes sont partagées: un collègue est responsable du parc automobile et de son suivi, un autre est principalement chargé de la planification des entraînements en relation avec le pompier du Centre de secours de Quimper, référent départemental des secouristes héliportés. Mais quand il s’agit des grosses réunions sur la politique globale, là effectivement, c’est moi et le chef opération du CODIS (Centre Opérationnel Départemental d’Incendie et de Secours) qui officions…»
Pour quels genres de missions fait-on appel au fameux «Dragon 29» ?
«En tant qu’aéronef d’état, nous travaillons au profit du SAMU, des pompiers, des «phares et balises» de Brest, du CROSS Corsen (Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage) et du CROSS Etel puisque la limite entre les deux se situe à la pointe de Penmac’h.
Nous pouvons être envoyés par la préfecture sur des missions de reconnaissance et également être réquisitionnés pour des missions pour la police ou pour la gendarmerie parce que nous dépendons du ministère de l’Intérieur. Ce n’est pas le cœur de notre métier mais on peut nous le demander…
Le CROSS est, en ce moment, habilité à nous déclencher de son propre chef. Pour le SAMU, le médecin régulateur va lui s’adresser au COZ (Centre Opérationnel de Zone) à Rennes qui a une vue globale de l’ensemble des hélicoptères de la sécurité civile du secteur et qui, s’il la valide, va nous relayer la demande de mission. Commence alors ce que l’on appelle une conférence à trois: entre le demandeur, le COZ et le pilote qui aura préalablement effectué un premier «filtre», consulté rapidement la météo, etc.
Pour ce qui concerne les interventions avec les pompiers, le CODIS, qui avait précédemment la délégation de déclenchement, a un peu gardé l’habitude de nous contacter directement, nous donnant la première information. Mais il nous faut la validation du COZ pour nous rendre sur les lieux d’intervention.
Outre ces opérations de secours, d’autres missions moins urgentes peuvent se préparer un peu à l’avance…
Pour les phares et balises, en général nous sommes appelés quand un phare tombe en panne. Et cela reste une mission de service public parce que c’est la sécurité des navigateurs qui est en jeu. Nous sommes amenés à treuiller des techniciens pour qu’ils effectuent les réparations.
Il nous arrive aussi d’intervenir sur des incendies, comme par exemple lors de l’épisode dans les Monts d’Arrée, pour des missions de reconnaissance, aider les pompiers à avoir une vue d’ensemble de la progression du feu, délimiter le chantier et savoir où concentrer les moyens… Outre cette vue tactique, nous pouvons également apporter notre aide dans ce que l’on appelle du guidage pour le largage des canadairs, des trackers, etc. Nous avons un officier aéro à bord qui a une tactique de feu avec un chef de chantier au sol, nous nous positionnons en stationnaire à l’endroit où l’avion doit larguer. Nous lui servons de repère dans la fumée…
Aujourd’hui les hélicoptères de la sécurité civile ne pratiquent pas eux-mêmes de largages d’eau.
Les CODIS passent des contrats avec des compagnies privées, c’est dans ce cadre que j’ai, un temps, piloté des bombardiers d’eau dans les Bouches du Rhône. J’étais alors employé par la compagnie privée « Hélicoptères de France ».»
Au cours de toutes vos missions, avez-vous vécu des moments particulièrement difficiles ?
«Il y a forcément des moments qui nous touchent plus que d’autres, et un secours ne finit pas toujours bien. Nous croisons la mort, nous côtoyons la misère, les blessures, la douleur au quotidien… Je pense que, comme tout le personnel de la chaîne des secours ou le personnel de santé et les pompiers, nous sommes moins sensibles ou du moins nous nous blindons et prenons du recul par rapport à la population qui n’y est pas pareillement confrontée. Ceci dit, il y a des choses auxquelles on ne s’habitue pas, auxquelles on ne peut pas s’habituer. Elles vous marquent et vous poursuivent, vous les ramenez à la maison, elles vous travaillent et troublent certaines de vos nuits… Ce qui touche aux enfants plus particulièrement, et quand vous êtes parents vous-mêmes, vous ne pouvez pas vous empêcher de transposer ce qui vient de se passer…
Il y a donc des moments psychologiquement un peu plus compliqués, pour d’autres raisons parfois de la frustration aussi… Mais à côté de cela, il y a tellement de moments de satisfaction, de plénitude, quand vous avez réussi quelque chose de techniquement compliqué et sauvé quelqu’un d’une mort certaine!»
Piloter un hélicoptère n’est pas sans risque, vous avez dû connaître quelques belles frayeurs au cours de votre carrière…
«Si on parle de frayeurs, elles sont en fait toujours rétrospectives… Parce que, au moment où les choses arrivent, nous sommes tellement concentrés sur l’action corrective, tellement mobilisés par ce que nous pouvons mettre en œuvre pour «sauver les meubles» qu’on ne peut pas considérer que l’on ait peur ou soit effrayé, c’est plutôt rétrospectif! Après coup, on se dit que l’on n’est vraiment pas «passé loin»!
Je me souviens d’une intervention sur des feux de forêts dans les Alpes, du côté de Barcelonnette.
Notre mission nous amenait sur des crêtes inaccessibles par la route. Nous étions censés y déposer une équipe de pompiers qui devaient aménager la zone, coupant à la tronçonneuse les arbres gênants pour que nous puissions ensuite leur apporter tuyaux, motopompes… avant les norias de poches d’eau, etc. Mais le feu est arrivé plus vite que prévu sur cette position qu’ils n’ont donc pas pu préparer comme demandé. De plus, le feu lui-même crée toujours des turbulences qui rendent l’hélicoptère plus difficile à piloter, et davantage encore en un lieu aussi encaissé… Dans ces circonstances périlleuses, lors du largage particulièrement compliqué d’une poche d’eau, les pales du Puma ont touché un arbre qu’il avait été prévu de couper…
Sous l’hélicoptère il y avait des arbres partout, le feu tout autour, mais surtout: cinq hommes qui s’activaient sur la bâche… Le premier réflexe est de se dire qu’on ne peut pas tomber sur nos pompiers, qu’on va essayer d’aller se vautrer devant, plus loin… La machine vole et redescend vers le fond de la vallée, en évitant les maisons, jusqu’à une zone dégagée… au moment où on coupe le contact, je vois un trou, deux trous puis trois trous dans les pales et le ciel au travers! On se dit alors que ce n’est vraiment pas passé loin et qu’on a eu de la chance!
Mais voilà au milieu de la nature, un Puma que plus personne ne pourra faire voler…
Nous avons fait venir des pales, des cultivateurs d’à côté ont apporté l’aide de leurs tracteurs et nous avons réparé sur place.
Dans pareil cas, l’idée est de repartir en vol tout de suite, chacun d’entre nous l’a fait en même temps, mais en mixant avec d’autres équipages d’hélicos présents sur le secteur…
Nous n’avons pas été fiers du compte-rendu à faire au colonel et nous avons été disputés pour avoir cassé un hélicoptère, mais nous avons aussi été décorés: ce que nous avions fait méritait une médaille… Cela arrive à l’armée!»
Qu’est-ce que vous redoutez le plus en tant que pilote ?
«On ne redoute pas les choses, on les anticipe! On les analyse, les quantifie, au sol avant de partir, en fonction de la mission, de la masse de la charge, de la météo, etc. Cela fait partie du métier.
Et j’ai une confiance extrême dans la fiabilité de nos machines, dans l’entretien qui en est fait par nos équipes. Cela ne veut pas dire que la panne n’arrivera jamais, mais de toute façon si elle arrive, au moment où elle arrive, nous avons déjà briefé au sein de l’équipage comment nous allions réagir. Nous nous préparons, nous nous entraînons à cela…
Ce qui fait partie de la difficulté de notre métier, c’est de savoir dire non. Le «syndrome du Saint-Bernard» est dangereux pour nous… Nous ne sauverons pas la planète! Par contre, nous ferons tout ce qu’il est possible de faire pour aller sauver quelqu’un. Mais ma responsabilité est aussi de ramener tout le monde, si je n’en ai pas la certitude au départ, je n’ai pas le droit d’y aller. Je ne peux pas mettre la vie de cinq personnes en péril pour tenter d’en sauver une autre.
Il y a parfois des décisions difficiles à prendre… Je suis un être humain, comme tout le monde, je peux me tromper donc si je dois craindre quelque chose, ce serait de me tromper… mais je ne travaille pas seul, nous sommes en équipage, tous sélectionnés et formés pour cela aussi.
La réglementation avec ses règles strictes et précises, à laquelle nous sommes soumis, fixe les limites de nos interventions et nous guide dans la prise de décisions.
Je ferai le maximum sans aller au-delà de ces limites réglementaires, techniques et météorologiques…»
La crainte de la « chute » et notamment sur des maisons ou personnes est-elle présente ?
«Je ne sais pas, mais quand vous enfilez vos baskets avez-vous peur que le lacet casse?
J’ai plus confiance dans le fait de monter dans mon hélicoptère que de prendre ma voiture quand je pars de Morlaix pour venir ici, surtout s’il fait nuit ou qu’il y a du verglas ! J’ai l’impression de faire quelque chose de beaucoup plus dangereux! Je ne dis pas que ce que l’on fait est anodin, il y a une part d’engagement et il existe des «temps d’exposition», mais tout dans notre raisonnement, notre manière de travailler est orienté vers l’amenuisement maximum du risque. Vis-à-vis des tiers d’abord, mais aussi de l’équipage et de nous-mêmes, nous avons une famille: nous ne sommes pas des kamikazes! Prévoir absolument toutes les éventualités n’est peut-être pas réalisable: l’exhaustivité n’est pas de ce monde, mais tous les dangers prévisibles sont analysés et étudiés. Nous partons systématiquement avec un projet d’action qui prend en compte l’éventualité de problèmes, allant de la panne de moteur à la panne du treuil en passant par celle du téléphone de bord…
Et nos machines sont déjà très fiables, mais la Sécurité Civile ayant entamé au niveau national un plan de renouvellement de sa flotte d’hélicoptères sur les 23 bases, à Quimper nous attendons avec impatience le début de l’année 2027 qui verra arriver ce modèle de nouvelle génération ultra performant dont nous rêvons! (Il coûte dans les 11,7 millions d’euros.)»
Quels temps (brume, vent, …) sont les plus préjudiciables ?
«Pour nous, le plus contraignant c’est la visibilité.
Les fortes pluies, la neige et plus encore le brouillard sont gênants… Il nous faut voir suffisamment au point de départ et d’arrivée, après nous avons des procédures de vol aux instruments et comme pour un avion de ligne, le fait de voler dans un nuage n’est pas un problème.
Par contre en cas d’orage, il n’est pas question de traverser un cumulonimbus, parce qu’il y a des forces qui s’y développent, des énergies que la machine n’est pas capable de supporter. Mais le fait qu’il y ait des éclairs à côté n’est pas dramatique! C’est juste qu’il ne faut pas entrer dans le mauvais nuage!
Le vent fort est inconfortable et très impressionnant pour les passagers mais il n’est pas dangereux en soi. Nous sommes limités à 50 nœuds de vent, disons 100 km/h, pour la mise en route mais après, en l’air nous n’avons pas de limitation… Il faut vraiment une grosse tempête pour que la force du vent nous empêche d’avancer, voire nous fasse reculer!
Le plus pénalisant, c’est donc la mauvaise visibilité et les conditions de givrage.»
Votre profession vous a fait voyager dans divers pays. Qu’en retenez-vous? Qu’est ce qui vous a le plus marqué ?
«La planète est magnifique!
Et pour ce qui est de notre pays: on est bien chez nous! Il ne faut pas toujours regarder le pré où l’herbe paraît la plus verte, mais plutôt quelle couleur elle a globalement un peu partout ailleurs et se dire que la nôtre, elle n’est quand même pas mal!
Il faut par exemple avoir à l’esprit, qu’ici, l’hélicoptère est à tout le monde, il est à vous, à moi, c’est de l’argent public, c’est un service public financé par nos impôts. Dans la plupart des pays, si vous ne payez pas une assurance très élevée, si vous n’êtes pas vous-même riche et capable de débourser 25000 ou 30000€ d’un seul coup, l’hélicoptère ne viendra pas vous chercher.
En France, nous n’avons pas cette culture: le secours en hélicoptère est gratuit pour tout le monde, et nous y sommes très attachés. Vous avez été imprudent en mer, vous avez pratiqué du hors-piste à la montagne, on viendra vous chercher gratuitement. La sauvegarde de la vie humaine est gratuite, en France, elle ne sera jamais facturée. Il ne sera jamais demandé d’argent pour venir sauver une vie.
Le fait d’avoir beaucoup voyagé surtout dans les pays d’Afrique comme je l’ai fait, permet –pour peu qu’on ait l’esprit ouvert et la mémoire un peu longue ou en tout cas pas trop courte– d’ouvrir les yeux sur un certain nombre de réalités: nos supermarchés aux rayons bien garnis, un service de santé qui –malgré tous ses défauts et son côté bancal de plus en plus préoccupant– demeure bien au-dessus de ce qui est offert à 90% de la population sur la planète…
Il faut remettre l’église au milieu du village!»
De toutes ces différentes facettes du métier de pilote laquelle avez-vous préféré ?
«C’est clair, c’est le secours! De tout ce que j’ai fait depuis le départ, c’est évident, c’est le secours!»
Vu d’en haut, le monde des hommes et les humains eux-mêmes semblent «petits»… quels sentiments ressentez-vous ?
Cela vous amène-t-il à réfléchir sur la destinée de l’homme?
Cela amène à réfléchir sur le fait que nous sommes, nous aussi, petits… Le fait d’être au-dessus ne donne pas un sentiment de puissance, bien au contraire ! Et quand on vole, notamment après des phénomènes comme la dernière grosse tempête que l’on vient de connaître, cette vue d’en haut nous permet de mesurer ce que la nature est capable de faire… ça rend humble.
Mais ce n’est pas tant le fait de voler, d’être en haut, qui fait réfléchir sur la vie ou sur l’homme, c’est plus la nature de notre mission. Le fait de se dire que les choses sont fragiles, que la vie est précieuse et que la richesse n’est pas toujours là où on pense qu’elle est… C’est davantage lié aux gens que l’on côtoie, que l’on essaye de sauver, que l’on sauve ou que l’on perd.
Nous sommes confrontés à des choses de la vie qui font que nous apprécions peut-être plus que d’autres certaines choses, mesurant à quel point, oui, la vie est précieuse… précieuse et fragile.»