«La situation n’est pas la même pour tous les étrangers qui arrivent sur le sol français… Nous avons eu la chance d’arriver dans une petite ville. Nous n’avons pas rencontré de problèmes pour l’obtention des papiers. Même si certains rendez-vous ont parfois pu être un peu compliqués. Mais c’est normal, c’est la vie !

Nous avons été très bien accueillis, l’on a vraiment été aidés et nous en sommes très reconnaissants…»

Dans l’appartement qui leur a été attribué aux HLM de Carhaix, Salman Abou Ghanem et son épouse Kawthar ont réussi à recréer l’atmosphère de sérénité familiale perdue, avec dans le décor une touche de leur Syrie natale aujourd’hui dévastée…

Le profond respect mutuel et la grande communion de ce couple transparaissent dans les regards complices qu’ils échangent et les quelques mots qu’ils prononcent avec discrétion en arabe, leur langue maternelle, avant que l’un des deux ne prenne la parole pour s’exprimer au nom de l’autre aussi, qui souvent attend quelques instants pour affiner ou compléter la pensée, malgré la barrière de la langue qu’ils font tout pour essayer de contourner.

Il émane des propos de cet homme chaleureux une force de caractère et un optimisme déterminé, tandis qu’à l’évocation de sujets encore trop douloureux, apparaissent dans les yeux de sa femme –toute en sensibilité– des larmes très vite dignement refoulées…

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Voudriez-vous vous présenter brièvement ?

Kawthar : «J’ai 43 ans. J’habite Carhaix, mais je suis née à Es Souweïdà, ville du sud de la Syrie. J’avais six sœurs et trois frères. Je me suis mariée à Salman en 2002, nous avons trois enfants: un fils de 21 ans: Aysar, un deuxième de 15 ans: Youssef, et Salma, notre fille qui a 7 ans. 

J’aime beaucoup cuisiner et faire du sport, actuellement surtout la marche: j’en fais une heure à une heure trente, le matin.»

Salman: «J’ai 50 ans et suis également né en Syrie où j’ai grandi, dernier d’une fratrie de six garçons. Avec mon épouse et nos deux garçons, nous avons fui notre pays en 2012 pour nous installer en Jordanie. C’est là que notre petite fille est née… En 2021, nous avons obtenu l’autorisation de venir en France et sommes arrivés à Carhaix le 15 décembre…»

Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance et de votre jeunesse en Syrie ?

Salman: «Nous habitions le même très joli village: Salya, situé sur une magnifique montagne qui s’élève à 1600 mètres. Nos familles vivaient, comme presque tout le reste de cette population, de la culture et l’élevage. Cette région est particulièrement célèbre pour ses pommes, son raisin et ses olives. Nos parents travaillaient donc la terre et élevaient dans leurs fermes des vaches, des moutons, des chèvres, des poules mais pas de porcs! Ils possédaient aussi des chevaux. Nous menions à la campagne une vie tranquille entourés de nos grandes familles: grands-parents, oncles, tantes… tous solidaires.

J’ai suivi la scolarité dans l’école du village jusqu’à 15 ans. A cet âge, je suis parti pour trois années à Es Souweïdà, ville proche, pour y préparer le bac. J’ai ensuite rejoint Damas, la capitale du pays, ayant choisi de me former dans le secteur industriel.

Pendant ce temps d’étude, je travaillais aussi dans un hôtel. Après avoir obtenu le diplôme professionnel, j’ai dû effectuer, comme tout le monde, mon service militaire qui à l’époque durait au minimum 30 mois (contre un an et demi actuellement). J’ai ensuite travaillé dans l’industrie. Mais les salaires en Syrie sont tellement bas que beaucoup de jeunes partent en Jordanie, au Liban ou en Europe…

J’ai moi-même fini par aller chercher un emploi au Liban puis en Jordanie dont les frontières sont proches. Les conditions de travail y sont meilleures et pour passer la frontière du Liban, la simple présentation de sa carte d’identité, sans même sortir de sa voiture, suffit; pour la Jordanie, le passeport est nécessaire. Je n’avais guère plus d’une heure à une heure trente de trajet, si bien que finissant ma journée de travail à 16 heures, vers 18 heures, nous pouvions dîner en famille à la maison.»

Pouvez-vous nous présenter à grands traits votre pays, ses principales caractéristiques, sa population, ses paysages…?

«Un peu comme la France et toutes ses régions, la Syrie possède une grande variété de paysages avec la mer, les montagnes, les plaines, les grandes forêts et la campagne arborée. L’essentiel de la ressource en eau provient des très nombreux lacs.

Les villes y sont aussi très belles. Il y a des villages en bord de mer et trois grandes villes situées directement sur la mer.

Chacune des villes selon sa localisation est différente des autres: l’activité économique de celles en bord de mer dépend de la mer, celles qui en sont éloignées dépendent de la terre: culture et élevage comme dans tout le sud du pays. Damas, la capitale, et Alep ont beaucoup d’industries, d’entreprises, d’usines…

Ma petite ville se trouve dans une grande forêt à 1500 mètres d’altitude sur une grande montagne. L’hiver, pendant trois mois, il fait froid et la couche de neige peut atteindre cinquante centimètres. Le printemps, très ensoleillé, y est magnifique, c’est la plus belle des saisons! L’été, il y fait de 20 à 30 degrés, un peu comme ici…

Avant 2012, c’était un très beau pays, après, malheureusement, le déclenchement de la guerre a tout détruit, rien n’est plus pareil…»

La Syrie a un long et riche passé historique, quels époques et événements vous marquent dans cette épopée d’un peuple du Moyen-Orient ?

«La Syrie est un pays très ancien que l’on retrouve dans la Bible notamment dans le passage bien connu du récit de l’expérience que fit Saul de Tarse, le futur apôtre Paul, sur le chemin de Damas…

Tout au long de son histoire, sa richesse, ses ressources ont suscité beaucoup de convoitises.

De 1925 à 1946, la Syrie a été placée sous mandat français, et c’est donc la France qui l’a administrée pendant ces années…

Quand les Français sont partis, les Turcs sont arrivés, puis les Iraniens…

Ensuite, période un peu plus facile –ou moins difficile– que celles qui ont précédé et celles qui vont suivre, jusqu’en 2000, la Syrie connaît quelques années marquées malgré tout par le développement et des progrès. Mais, quand à la mort de Hafez al-Assad, son fils Bashar al-Assad lui succède, la situation du pays commence très vite à vraiment se dégrader…»

Pour les Syriens, que représente le voisinage avec Israël ? Comment au cours des siècles ont-ils considéré ce peuple ? Et qu’en est-il aujourd’hui ?

Kawthar: «A nous tous en pays arabes, l’on enseigne dès le plus jeune âge que ce peuple a occupé la Palestine et l’on nous apprend à en avoir la plus grande défiance. Le plateau du Golan où il se trouve est une région de la Syrie…

Salman: «Mais ce sont des gens comme vous et moi… Israéliens et Palestiniens peuvent se côtoyer et même travailler ensemble. En Jordanie, j’ai souvent eu comme collègues de travail les uns et les autres sans que cela ne pose de problème. J’ai notamment travaillé avec un Palestinien qui avait une petite entreprise en Jordanie et qui retournait tous les ans voir sa famille, il était toujours tranquille et respectueux…

Entre 2012 et 2020 quand notre ville était confrontée à tellement de problèmes, des Israéliens apportaient leur aide en donnant médicaments et nourriture, prenant parfois même en charge des malades ou des blessés pour qu’ils puissent recevoir des soins dans leurs hôpitaux…

Je pense qu’il y a beaucoup de mots comme l’expression «entité sioniste» ou des termes similaires qui sont des concepts qui incitent à la haine en général…

La Jordanie et la Syrie sont proches, et la population de la Jordanie par exemple est en grande majorité palestinienne: sur les 6 ou 7 millions d’habitants qui y vivent, 5 millions sont Palestiniens (depuis 1945-1948…) et 2 millions sont des Jordaniens, auxquels s’ajoutent beaucoup d’autres nationalités… C’est une histoire longue et très compliquée ! »

A quel moment avez-vous décidé de tout quitter ? Quels étaient vos sentiments face à cette difficile décision ?

«Nous avons décidé de quitter la Syrie à cause de la guerre et de tous les problèmes qu’elle engendrait.

C’était très difficile de quitter notre famille, la terre –notre terre–, notre maison et tout…

Notre priorité c’était de chercher la paix, de trouver du travail…

Un de nos frères est parti en Irak, un autre aux États-Unis, nous avons opté pour la Jordanie toute proche et que nous connaissions déjà.

Maintenant, il n’est plus possible de quitter ainsi la Syrie. Des membres de notre famille qui voudraient le faire ne le peuvent pas. Il y a très peu de temps, un de nos jeunes neveux voulant fuir au Liban est parti. Ses parents savent qu’il est dans un premier temps arrivé jusqu’à Damas, mais personne n’a plus la moindre nouvelle de lui depuis et nous sommes tous très inquiets pour lui…»

Vous avez vécu donc plusieurs années en Jordanie…

«C’est mieux qu’en Syrie, la vie est moins difficile parce qu’on peut y trouver du travail et surtout parce que ce n’est pas un pays en guerre!

Malgré les lois dures et très restrictives surtout pour nous Syriens qui sommes très minoritaires, nous avons donc retrouvé une certaine liberté là-bas… Mais nous y avons aussi et surtout trouvé quelque chose de bien plus merveilleux et plus beau quand nous avons découvert la foi et le salut en Jésus-Christ, cette rencontre a transformé notre vie!

Nous nous sommes joints aux membres de l’église évangélique de la ville où nous habitions. C’était magnifique pour nous… Mais cela nous a aussi occasionné de nouvelles difficultés car les chrétiens y sont très mal acceptés et subissent toutes sortes de persécutions…

La situation est déjà difficile pour les Syriens mais, si en plus ils sont chrétiens, elle devient alors vraiment très compliquée!

Très très minoritaires, tout nous est interdit!

Nous étions en location dans un appartement, nous avions tous les deux un travail et donc de l’argent mais l’achat d’une maison nous était impossible, refusé… l’obtention du permis de conduire nous était interdit, les études pour nos enfants aussi…

Au bout de 10 ans de cette vie, partir à nouveau devenait une priorité: nous avons donc cherché des solutions pour pouvoir quitter ce pays. Nous avons écrit des demandes d’asile aux gouvernements français, allemand, canadien…

C’est de France que nous est arrivée la première réponse positive: nous n’avons pas eu un instant d’hésitation!»

Que connaissiez-vous de la France avant d’y être conduits ?

«Nous savions que la France est un peuple instruit en plus d’être un grand et beau pays… Tous les Syriens ont une image très positive de la France qui les fait beaucoup rêver !

Pays de rêve pour la liberté, pour y vivre et y travailler (et le peuple syrien est très travailleur…).»

Quels espoirs ou craintes nourrissiez-vous à l’orée de cette nouvelle étape de votre vie ?

«La plus grande appréhension concernait la langue ! Puis l’accueil aussi bien sûr… mais nous étions pleins d’espoir et confiants dans une vie meilleure ! Le rêve devenait réalité!»

Quelles ont été vos premières impressions de la France, puis de la Bretagne et de Carhaix ?

«En Jordanie, quand tous les papiers ont été en règle, nous sommes montés dans l’avion et quatre heures après nous étions à Paris. Le temps de régler quelques formalités administratives et de remplir de nouveaux papiers et nous repartions pour Brest, puis pour notre destination finale en soirée: Carhaix! Tout cela dans cette même journée du 15 décembre 2021…

Nous nous retrouvions en l’espace de quelques heures dans ce tout nouvel univers, n’ayant pu emporter avec nous que quelques valises contenant un minimum de vêtements et un peu de notre vie précédente en quelques photos, souvenirs précieusement conservés… Tout était resté derrière nous en Jordanie, partir était la priorité!

Nous étions très contents, soulagés et nous avons été tout de suite accueillis, aidés notamment par les gens d’une association. Sans eux cela aurait été difficile, impossible même, puisque nous ne connaissions rien ni personne, pas même un mot de français…

Nous avions aussi la chance d’arriver dans une petite ville, où l’ambiance est agréable, où les gens se connaissent et sont gentils, et où, hormis le problème de la langue, il n’est pas difficile d’entrer en communication avec eux…»

Quels aspects de la vie ici vous étonnent le plus, vous plaisent ou vous déplaisent ?

Salman: «Malgré tout, au début c’est vraiment difficile, les trois premiers mois sont vraiment très compliqués: nous avons tout à découvrir, tout est si différent! La vie, les magasins…

Nous étions contents mais un peu perdus… Nous sommes dans un premier temps restés tranquilles dans l’appartement, puis j’ai commencé à sortir pour rechercher le contact et aussi essayer de trouver une église telle que celle que nous fréquentions en Jordanie…

Ayant tellement de difficulté à me faire comprendre, malgré l’aide de la traduction sur mon téléphone portable, j’ai eu du mal à trouver le Centre Missionnaire un peu éloigné de la ville.

Mais j’ai persévéré et fini par le découvrir: y rencontrer des «frères et sœurs en la foi» qui partageaient nos convictions et participer avec eux aux offices a été pour nous un grand réconfort…

Ici, ce qui est déplaisant, ce sont tous ces papiers qu’il faut remplir! C’est tellement compliqué!

Pour la santé aussi, c’est difficile. Kawthar a besoin d’un suivi médical régulier pour des problèmes de santé particuliers, nous sommes obligés pour cela de nous rendre à Brest, sans moyen de locomotion personnel, ce n’est pas facile!

Nous avons cependant pu par ailleurs apprécier les soins reçus ici à l’hôpital quand nous en avons eu besoin et auprès de notre médecin de famille avec qui tout se passe bien aussi…»

La maîtrise de la langue française –particulièrement compliquée et éloignée de votre langue maternelle– est une barrière difficile à franchir. Comment le ressentez-vous ?

Kawthar: «Oh oui, ce n’est vraiment pas facile! Surtout pour moi qui suis malheureusement d’un naturel très timide!

Cette timidité rend la communication et les progrès encore plus difficiles: écouter OK, parler stop!

Cela me faisait très peur quand nous sommes arrivés en France…

Les enfants par contre, en immersion à l’école, ont par la force des choses vite appris, et la langue n’est plus un problème pour eux. Même Salma, notre petite dernière est devenue un professeur pour nous et s’agace parfois de nos difficultés à bien prononcer certains mots! Les enfants servent vite de véritables petits interprètes à leurs parents!»

Salman: «On s’oblige à parler français le plus possible. J’essaye fréquemment de l’imposer dans l’appartement… mais bien souvent cela ne dure pas plus de cinq minutes, la langue maternelle revient immanquablement, cela nous demande tellement d’efforts!

Conformément à la loi sur l’immigration, nous avons bénéficié tout au long de la première année après notre arrivée, de cours d’apprentissage du français langue étrangère et de cours d’intégration.

J’ai aussi personnellement beaucoup travaillé et je continue à le faire.

Avant des rendez-vous, j’étudie à l’aide du traducteur sur mon téléphone le vocabulaire dont je peux avoir besoin et prépare des phrases. A partir de ces quelques mots ou phrases, les gens, patients et compréhensifs, apportent en général toute leur aide.

En stage ou à la moindre occasion, j’ai toujours sur moi un carnet où je prends des notes en situation et à partir desquelles je retravaille ensuite…

Au bout de deux ans maintenant, c’est quand même bien mieux. Nous avons fait beaucoup de progrès, nous avons moins de mal à comprendre, mais s’exprimer, communiquer reste cependant encore compliqué.»

Cela vous a tout particulièrement posé problème pour obtenir le permis de conduire français, vous qui le possédiez déjà depuis bien longtemps dans votre pays…

«Oui, et pourtant pour cela aussi nous avons beaucoup travaillé!

Mais à l’examen du code, les questions sont très nombreuses et s’enchaînent si rapidement que pour des étrangers qui ne maîtrisent pas bien la langue, c’est une épreuve vraiment très difficile.

J’ai échoué à peu de points près et j’attends depuis tout un temps la possibilité de pouvoir repasser cette épreuve à nouveau, mais pour l’instant aucune date ne se précise…

Après, la conduite ne devrait pas, je pense, poser problème. Nous avions l’habitude de conduire. Les leçons de conduite obligatoires à l’auto-école avant l’examen ne devraient pas être difficiles pour nous…

Je trouve normal que ces examens ne soient pas trop faciles à obtenir. En Syrie et en Jordanie, non seulement il n’est pas difficile du tout de les avoir, mais en plus après, le code de la route est très mal respecté! Il ne faut pas chercher ailleurs l’explication du fléau que représentent les très nombreux accidents de la route dans ces pays!»

Que pensez-vous de l’accueil et des conditions de vie des réfugiés en France ? Au regard de votre expérience, comment cet accueil pourrait-il être facilité ou amélioré ?

«La situation n’est pas la même pour tous les étrangers qui arrivent sur le sol français…

Nous avons eu la chance d’arriver dans une petite ville. D’autres familles arrivent à Brest, à Rennes…

Nous n’avons pas rencontré de problèmes pour l’obtention des papiers. Même si certains rendez-vous ont parfois pu être un peu compliqués. Mais c’est normal, c’est la vie!

Comme nous l’avons déjà dit, nous avons été très bien accueillis, l’on a vraiment été aidés et nous en sommes très reconnaissants.

Nous n’avons pas encore de travail et ne gagnons donc pas d’argent, mais en France, la CAF aide l’étranger de son arrivée à l’obtention d’un travail et permet ainsi, en attendant, aux familles de vivre décemment.

Nous travaillons bénévolement dans des associations caritatives de la ville et suivons des formations avec l’intention de nous préparer au travail dans un avenir que nous espérons proche. Nous faisons tous les efforts possibles dans l’espoir d’atteindre des objectifs tels que l’éducation de nos enfants, l’intégration complète dans la communauté locale et l’autosuffisance…»

A votre avis, que peut faire un réfugié pour faciliter son adaptation et son intégration au pays d’accueil ? Quels sont au contraire les écueils à éviter ?

Travailler la langue pour l’améliorer et la maîtriser est la priorité!

Nous avons les cours de français obligatoires mais pour y arriver il faut bien davantage! Il est indispensable de travailler par soi-même. Nous avons fait la connaissance d’étrangers arrivés bien avant nous à Carhaix mais qui n’ont, semble-t-il, pas fait d’efforts en ce sens… Tout juste sont-ils capables de dire bonjour! Et ils semblent s’en contenter!

Il faut faire preuve de beaucoup de volonté et de persévérance pour apprendre à s’exprimer en français mais aussi chercher le contact, pour établir la communication, les relations et s’intégrer…»

Quel métier exerciez-vous en Syrie et lequel aimeriez-vous pouvoir exercer ici ?

Kawthar: «J’étais cuisinière dans la cantine d’une école maternelle et aussi coiffeuse dans le salon d’une amie. J’aimerais pouvoir exercer un de ces métiers ici, mais là encore la langue est une barrière difficile à franchir. Notamment pour l’exercice de la coiffure, un niveau de langue assez élevé est exigé… pour l’atteindre, j’ai encore du travail en perspective! (Et ce d’autant plus que je suis timide et stresse beaucoup pour lire et écrire au moment de passer les examens…)

Nous suivons actuellement des formations au Greta et j’effectue des stages aux cuisines du self du lycée de Carhaix et cela me plaît beaucoup…»

Salman: «J’ai toujours travaillé dans l’industrie sur les métaux, j’ai une formation de tourneur-fraiseur. C’est un métier que je connais bien et que j’aime beaucoup. Si j’en avais la possibilité, je serais très heureux de pouvoir l’exercer ici… Ceci dit, si l’occasion ne se présentait pas et que des portes s’ouvraient pour un autre type d’emploi je serais partant aussi…»

Vos enfants sont scolarisés à Carhaix, comment s’est passée leur intégration ? Comment cela se passe-t-il maintenant? Que pensez-vous des écoles en France ?

«Les débuts ont été difficiles. Aucun ne connaissait un mot de français et cela ne représentait pas la seule difficulté pour eux!

Ils ont donc eu un peu de mal à s’intégrer. Surtout Youssef au collège, il a plusieurs fois été vraiment sérieusement malmené par d’autres élèves qui lui étaient ouvertement hostiles. Nous en étions bouleversés…

Maintenant, il a bien grandi, il s’est adapté et ne rencontre plus ce genre de problème…

Aysar, l’aîné est depuis la rentrée en formation dans le secteur de la coiffure à Quimper, il continue en parallèle à travailler le français pour atteindre le niveau de langue B1 (défini par le CECRL: Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues).

A notre arrivée, Salma a été scolarisée en école maternelle, elle est maintenant en élémentaire et est capable de parler, de lire et d’écrire en français. Elle s’est fait des amies et est contente d’y aller.

Le système scolaire français est complètement différent de celui de la Syrie ou de la Jordanie…

Il est demandé là-bas beaucoup plus de travail personnel en dehors des heures de classe, le peu de «devoirs» à faire le soir ici nous étonne beaucoup!

Le fait que chacun s’habille comme il veut pour venir en classe nous a aussi surpris, nous étions habitués à ce que tous les élèves soient vêtus de la même manière à l’école…»

Comment imaginez-vous l’avenir de vos enfants? Envisagez-vous vous-même de retourner vivre un jour en Syrie ?

«Franchement, nous ne savons que répondre…

Nous ne savons pas quel sera l’avenir de nos enfants, ni le nôtre d’ailleurs… Mais nous avons foi en Dieu, nous prions et nous sommes confiants.

Nous sommes reconnaissants de pouvoir rester ici, d’y voir grandir nos enfants, surtout la plus jeune…

Mais si cela devenait à nouveau possible, nous aimerions bien sûr pouvoir retourner au pays, c’est notre grande famille, notre maison…

Salman: «Quand nous vivions en Jordanie, seule Kawthar pouvait retourner quelques fois rendre visite à la grande famille restée en Syrie, accompagnée de Salma quand elle est née.

Mais pour moi et les garçons ce n’était pas possible, c’était trop risqué. Avec la guerre, le pays a perdu beaucoup d’hommes, tués ou partis, il a donc besoin de main d’œuvre et à partir de 18 ans les jeunes sont enrôlés, pour le service militaire, travailler pour le gouvernement… Si nous nous y rendions, nous ne pourrions certainement plus en repartir…»

Vos enfants… et plus tard vos petits-enfants, se sentiront-ils français ou nostalgiques du passé familial moyen-oriental ?

«Difficile aussi de répondre…

Aysar, notre fils aîné, garde beaucoup de souvenirs de la Syrie, il la connaît bien. Youssef ne se souvient pas du pays ni de la famille là-bas, par contre il connaît bien la Jordanie. Quant à Salma, elle est donc née en Jordanie mais elle était encore bien petite quand nous en sommes partis…

Nous avons des photos, des souvenirs et pour ma part je suis attentivement l’actualité, recherchant tous les jours des informations et des nouvelles de la situation du pays et de la grande famille. Nous communiquons par téléphone, WhatsApp, etc.

Nous continuons à prendre essentiellement des repas syriens. Nous trouvons les ingrédients nécessaires à cette cuisine dans les commerces en ville mais nous en achetons aussi à quelqu’un de Brest qui les reçoit directement de Syrie ou de Jordanie et vient en vendre chaque mois à Carhaix…

Outre nos formations au Greta, nous travaillons cependant beaucoup le français pour passer l’examen du niveau B1, minimum indispensable à l’obtention de la nationalité française que nous avons comme objectif. Nous pourrions alors recevoir des passeports français valables dans toute l’Europe en plus de tellement d’autres facilités dans la vie de tous les jours. Et nous serions enfin comme tout le monde!

Après 5 mois de scolarité en France, Youssef et Salma l’obtiennent directement. Pour nous et Aysar, cela représente beaucoup de travail… A l’examen, il y a aussi d’autres questions, sur l’histoire de France, etc. Mais nous sommes motivés!»

Vous connaissez certainement des moments de nostalgie… quels aspects de votre pays, de votre mode de vie précédent vous manquent-ils le plus ?

C’est la famille, les parents et les amis qui nous manquent le plus. Frères, sœurs, oncles et tantes: nous vivions tous ensemble dans le même village avec beaucoup de relations et d’entraide…

Nous avions une grande maison avec un jardin…

Et, à la tristesse de voir dans quelle situation ils vivent là-bas, s’est ajouté pour Kawthar le chagrin d’apprendre le décès d’un de ses jeunes frères qui venait juste de se marier et d’obtenir un travail en tant que palefrenier…

A l’annonce de ce décès, elle qui était déjà confrontée à tant d’adversité, a cru perdre la tête. Sans la prière et le secours de Dieu elle aurait sombré…

Tout dernièrement, elle vient à nouveau de perdre une jeune sœur…

Mais dans toutes ces épreuves, notre consolation a toujours été la patience, la foi et la prière…»

Dans la vie d’un homme ou d’une femme, quels que soient les lieux et les circonstances, qu’est-ce qui vous paraît le plus important ?

Salman: «Pour moi le plus important, c’est ma famille! Dans ma vie, ma femme et mes enfants sont la priorité. Kawthar, mon épouse est l’une des principales raisons de mon bonheur: elle a été et est toujours à mes côtés avec amour et sincérité tout au long des jours de notre vie…

Nous avons été confrontés à beaucoup de difficultés que nous avons ensemble surmontées. Nous nous sommes toujours aimés, respectés et mutuellement aidés…»

Kawthar : «C’est vrai… Et en Syrie, en Jordanie, comme en France maintenant… Nous avons toujours compté sur Dieu, il est toujours là pour nous. Tous les jours nous prions: après, la vie est facile ! »