Les ordres du major Yoshimi Taniguchi sont clairs, sans équivoque: le petit groupe de soldats japonais qu’il envoie sur l’île de Lubang, à 150 km au sud-ouest de Manille, aux Philippines, pour une mission spéciale de guérilla, vers la fin de la Deuxième Guerre mondiale, doit poursuivre le combat coûte que coûte, ne jamais se rendre et attendre le retour de l’armée, même si cela prend des années.

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Ces ordres se gravent de manière indélébile dans la mémoire du jeune officier Hiro Onoda qui a été sélectionné pour recevoir une formation spéciale en matière de renseignement. Il apprend la guérilla, la philosophie, l’histoire, les arts martiaux, la propagande et les opérations secrètes. Et sur cette petite île du Pacifique, il doit, avec ses camarades, pendant les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale, entraver les attaques ennemies sur l’île coûte que coûte, y compris en détruisant la piste d’atterrissage sur laquelle il est arrivé.

«Je suis officier et j’ai reçu un ordre !»

Lorsque les Alliés s’emparent de Lubang le 28 février 1945, les troupes japonaises sont éliminées ou faites prisonnières. Onoda, accompagné de trois camarades, réussit à fuir, se réfugiant dans les montagnes, où commence pour eux une longue période de survie difficile. Cachés dans des grottes, ils se nourrissent de noix de coco, de bananes et d’un peu de riz, volé dans les plantations autour.

En octobre la même année, ils découvrent un tract annonçant la fin de la guerre. Mais Onoda et ses camarades, privés de toute source d’information, n’ont pas suivi l’évolution de la guerre, ils ignorent tout des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki et de la reddition du Japon.

Persuadés que ce tract n’est qu’une fausse information, une ruse de l’ennemi, de la propagande alliée, ils la rejettent et décident de poursuivre la résistance, fidèles à leur mission, obéissant jusqu’à la fin aux ordres reçus.

« Je suis officier et j’ai reçu un ordre. Si je n’avais pas pu l’exécuter, j’aurais eu honte…», déclare Onoda des décennies plus tard, en 2010.

Onoda poursuit donc la guérilla avec ses camarades. En 1950, l’un d’entre eux se rend aux autorités philippines et retourne au Japon. C’est l’occasion pour les autorités japonaises d’entreprendre des recherches sur toute l’île. Des appels à reddition sont envoyés accompagnés de photo de la famille d’Onoda, mais celui-ci refuse d’y croire. Il pense toujours que c’est un montage fabriqué par les troupes alliées pour le piéger. Avec ses camarades, Onoda redouble encore de prudence. Et lorsqu’il entend des avions survoler la région où il est caché, notamment durant la Guerre de Corée entre 1950 et 1953, il pense que c’est une contre-offensive japonaise.

Seul et plus isolé que jamais

Un deuxième de ses compagnons est tué par la police en 1954. A partir de ce moment, il ne lui reste qu’un seul camarade, qui, lui aussi, sera tué par la police locale, mais beaucoup plus tard, en 1972.

Pendant 29 années, Onoda est ainsi resté caché sur cette île. Durant ce temps, il continue à réunir des renseignements sur des mouvements d’un ennemi supposé sans pouvoir les transmettre à ses supérieurs. Les dix-huit derniers mois, il se trouve donc totalement seul et plus isolé que jamais.

Mais même seul, il persévère. Pour lui, la seule chose qui compte est l’obéissance aux ordres, l’accomplissement d’une tâche qui lui a été confiée par ses supérieurs. Tant qu’il n’a pas reçu officiellement l’ordre d’arrêter le combat, il s’en tient à sa feuille de route, faisant preuve d’une volonté inflexible, d’une loyauté sans faille, prêt à se sacrifier jusqu’au bout.

On peut évidemment se poser la question comment, dans notre monde moderne avec tous ses moyens de communications, ses supérieurs dans l’armée japonaise n’ont pas été capables de l’avertir de la fin de la guerre.

Mais il faut savoir que pour les autorités japonaises, Onoda n’existait plus. Il avait été déclaré mort en 1959. Et pour Onoda lui-même, isolé du monde entier dans les grottes de Lubang, seul un ordre direct, émanant de sa hiérarchie, pouvait le libérer de son engagement.

Le 7 mars 1974: enfin la reddition !

L’histoire de ce soldat japonais aurait pu s’arrêter là, si un étudiant de son pays, Norio Suzuki, n’avait pas refusé de croire à sa mort.

En 1974, près de 30 ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, cet étudiant commence des recherches pour le retrouver. Il se rend sur place, déterminé à faire toute la lumière sur ce qui s’est passé. Et – immense surprise – il ne lui a fallu que quatre jours de recherches pour le trouver.

Malgré un contact amical avec ce compatriote, le soldat Onoda refuse toujours l’évidence, déclarant qu’il lui faut un ordre officiel avant de capituler, et Suzuki se voit contraint de retourner au Japon sans obtenir la reddition du soldat. Mais il ne baisse pas les bras. Muni de photos pour prouver sa rencontre avec celui-ci, il se met à la recherche du Major Yoshimi Taniguchi, le commandant qui, pour Onoda, était seul habilité à le libérer.

Le major, qui entre-temps est devenu libraire, enfile alors à nouveau son uniforme militaire et se rend à son tour sur l’île pour une dernière tentative de faire plier le soldat incrédule : il faut 11 heures de discussions pour convaincre celui-ci de cesser le combat.

Le 9 mars 1974, le soldat Onoda accepte enfin de se rendre, remettant officiellement aux autorités philippines ses armes, dont un sabre que sa mère lui avait donné avant son départ à la guerre. Il a été gracié pour les actes de guerre commis par lui-même ou par ses compagnons après la signature de la paix.

Malgré un accueil chaleureux au Japon lors de son retour, Onoda a du mal à s’adapter à la vie dans ce pays qui a tellement changé depuis son départ, près de 30 ans auparavant. Il part s’installer au Brésil où il épouse une Japonaise. Plus tard, cependant, le couple retourne au Japon, où Onoda décède en 2014, à l’âge de 91 ans.»