Bien que les fouilles archéologiques aient permis de découvrir l’utilisation de couteaux pliants dès l’Antiquité, c’est plutôt vers la fin du Moyen âge et durant la Renaissance que le couteau pliant va petit à petit remplacer les dagues et autres «couteaux droits» (c’est-à-dire à lame fixe). Il est plus pratique à transporter, sa lame pliante permettant de s’affranchir d’un étui, et plus sécurisé, surtout avec l’apparition des viroles de blocage de lame, à la fin de la Renaissance.
Si la majeure partie des couteaux resteront encore longtemps artisanaux, à partir du XIXe siècle certaines coutelleries vont prendre une véritable dimension industrielle. Chaque région ou presque développe son propre modèle de couteau, souvent en fonction des besoins et des spécificités locales. Certains noms deviennent célèbres, et le sont encore aujourd’hui: Thiers, Laguiole, Opinel, Nontron…
Un regain d’intérêt pour les couteaux
Le canif, comme on le nomme dorénavant, a démontré son utilité par les «mille services» qu’il rend au quotidien. Ainsi, adultes, mais aussi enfants (et c’est une grande fierté pour ces derniers d’avoir leur premier couteau) prennent l’habitude de l’avoir dans la poche ou dans un étui fixé à la ceinture.
Pourtant, à partir des années 1970 et jusque dans les années 1990, les couteaux de poche sont de plus en plus délaissés, la culture campagnarde et paysanne n’est plus à la mode, et la vie «moderne» (et plus «assistée») semble lui faire perdre de son attrait!
A cette baisse d’intérêt s’ajoute, à partir des années 1980, l’arrivée massive de la concurrence asiatique, et notamment chinoise, qui inonde littéralement le marché de couteaux à faible coût (mais souvent aussi hélas de piètre qualité). Ces deux éléments conjugués commencent à mettre à mal la coutellerie française.
Ainsi, entre 1980 et 2014, les emplois liés à la coutellerie sont divisés par deux, passant de près de 3000 emplois à 1350!
Mais depuis une dizaine d’années la tendance s’inverse, et les Français reviennent vers les couteaux pliants de qualité et «made in France».
Le retour en grâce des activités de plein-air comme la randonnée, le campisme, etc., d’une part, et la popularité des émissions gastronomiques télévisées et des chefs cuistots français d’autre part amènent un regain d’intérêt pour ce petit instrument, qu’il soit purement fonctionnel et multifonctions ou une véritable œuvre d’art !
Un marché français à 660 millions d’euros
Profitant de cette amélioration de tendance, et d’après les études régulièrement menées par le cabinet Katalyse pour la Fédération Française de la Coutellerie et l’Observatoire de la Métallurgie, le chiffre d’affaires du secteur a crû de 13% entre 2013 et 2018, et encore de 6,3% entre 2020 et 2023, pour atteindre 278 millions d’euros HT pour la seule production de couteaux.
Ce chiffre d’affaires est ventilé comme suit: 72% en France, 17% en export au sein de l’Union Européenne, et 11% en export dans le reste du monde.
Au-delà du simple chiffre d’affaires de production, la taille du marché de la coutellerie (estimée à partir des prix de revente aux consommateurs) est estimée pour la France à 660 millions d’euros (TTC), auxquels il faut ajouter un peu moins de 100 millions d’euros d’export.
Ce secteur comptait 1415 emplois directs en 2018, outre 260 emplois environ en sous-traitance. Ils sont répartis en 1200 sociétés unipersonnelles et 113 entreprises de coutellerie, majoritairement des TPE de 1 à 5 salariés puisque seules 23 entreprises ont plus de 20 salariés. Mais les 20 plus gros fabricants représentent 75% de la production française, et les 7 premiers réalisent 51% du chiffre d’affaires. On y retrouve les grands noms comme Opinel, Laguiole, Lion Sabatier, Thiers-Issard, Perceval, Le Fidèle, Fontenille Pataud, etc.
Cette activité de coutellerie est largement tirée par l’art de la table et la cuisine qui représentent 68% du chiffre d’affaires du secteur… quand les couteaux pliants n’en représentent que 27% (+3,5 points en 4 ans cependant).
Une législation de plus en plus restrictive…
Mais le secteur des couteaux pliants souffre peut-être d’un autre handicap: celui du «grand flou» de la législation sur leur utilisation! En effet, à quoi bon acheter un canif, surtout un haut de gamme, fait par un artisan français, si l’on est obligé de le laisser sur une étagère ou dans une vitrine comme un simple bibelot?
Depuis 1810 et jusqu’en 1994, la loi considérait que: «les couteaux et ciseaux de poche […] ne seront réputés armes qu’autant qu’il en aura été fait usage pour tuer, blesser ou frapper». Les canifs bénéficiaient donc d’une grande liberté tant qu’ils étaient bien utilisés.
Mais, notamment depuis les attentats du 11 septembre 2001 et les différents attentats au couteau qui ont émaillé l’actualité depuis, la législation sur le port et le transport des couteaux en France s’est durcie. La nouvelle classification des armes, entrée en vigueur en 2013, a fait rentrer l’ensemble des couteaux dans la catégorie des «armes blanches», soit la catégorie «D».
Il n’y a donc plus de distinction dans les textes entre les couteaux «armes» (conçues pour blesser ou tuer) et les «outils du quotidien» (non conçus pour blesser ou tuer)… quelle que soit leur forme, leur taille, etc. Tous sont en effet considérés comme pouvant devenir des armes par destination (mais tout comme un tournevis, un marteau, etc.)
Et si l’achat et la détention sont toujours libres pour un majeur, le port et le transport (couteau non utilisable immédiatement) sont interdits sans motif légitime.
La peine encourue pour le port ou le transport d’une arme de catégorie «D» sans motif valable peut aller jusqu’à 15000€ d’amende et 1 an d’emprisonnement! (Une expérimentation d’une amende de 500€ mais avec une inscription au casier judiciaire est en cours dans 12 grandes villes.)
Cela est évidemment de nature à «refroidir» plus d’un honnête citoyen qui avait l’habitude d’emporter avec lui son canif au quotidien…
… mais une jurisprudence rassurante !
Pour autant, la jurisprudence se montre bien plus compréhensive et clémente, selon les circonstances… Le flou réside en effet dans la notion de «motif légitime». Elle dépendra de l’appréciation des forces de l’ordre au moment du contrôle, puis, le cas échéant, de celle du juge.
Il ressort des propos du législateur et des jurisprudences disponibles, que les couteaux traditionnels, dans la mesure où ils ne disposent pas de cran de blocage de lame, bénéficient d’une grande tolérance. Plusieurs jugements sont en effet allés dans ce sens. Pour les autres, il faudra que la taille, la forme, etc., soient adaptées à l’usage qui en justifie le port et le transport.
Un petit couteau traditionnel bénéficiera de plus de tolérance qu’un gros couteau «tactique» de style militaire, aux formes agressives ou avec cran de blocage et ouverture à une main. Certains lieux (transports en communs, stades, etc.) ou circonstances (manifestations, rassemblements, etc.) réduiront, eux aussi, drastiquement la tolérance des forces de l’ordre.
Si donc la loi est dure pour tous les couteaux, la jurisprudence a démontré que le port et le transport d’un petit couteau de poche au quotidien est toléré pourvu que ce soit fait avec bon sens et de façon adaptée à la situation et à l’usage !
Guillaume Keller