Les 4 et 5 novembre 1481, Carhaix fut le théâtre d’un événement unique pour le Poher. Il s’agissait du rassemblement de tous les «gens d’armes, de traits et autres gens de guerre, nobles, ennoblis et autres tenants de fiefs et héritages nobles et sujets aux armes de l’évêché de Cornouaille». Il y eut donc foule à se rendre à «Kerahaes», la capitale du Poher. Ces hommes en tenue de combat vinrent des régions, ou «châtellenies» de Carhaix, Gourin, Châteauneuf, Châteaulin, Quimperlé, Concarneau, Quimper…

Ces «montres générales» comme on les appelait, avaient pour but de faire le recensement des hommes devant répondre à l’appel du suzerain pour la défense du duché s’il était menacé, et de vérifier leur équipement qui devait être en rapport avec leur fortune et leur rang social. Les plus fortunés (ils sont 46 hommes d’armes en armures) se présentent avec plusieurs chevaux, des archers à cheval également, et accompagnés d’un «coustilleur», homme à pied muni d’un coutelas, et chargé d’achever l’ennemi jeté à terre par son homme d’arme. Pour la plupart, on signale leur équipement en brigandine, aussi appelé corselet. C’est un vêtement qui fait office d’armure souple avec des plaques de métal rivées  sur du cuir ou du tissu résistant.

L’alliance avec l’Angleterre

En Bretagne, ces montres sont documentées pour les XVe et XVIe siècles. C’est le roi Jean II le Bon qui les avait instituées dans le royaume par une ordonnance du 31 avril 1351 qui crée véritablement une armée royale. Auparavant, il existait seulement un «immense fourmillement des gens de guerre soldés». Il fallait donc discipliner et équiper cette population avide de pillages et d’aventure. En cette fin du XVe siècle, la Bretagne était particulièrement menacée… par le roi de France Louis XI. Le duc François II, n’ayant pas de descendant mâle, la province semblait une proie facile. Pour contrer les ambitions territoriales du souverain français, François II avait noué des alliances avec l’Angleterre, et avec le duc de Bourgogne Charles le Téméraire.

Ce dernier ayant trouvé la mort en combattant les Suisses en 1477, le roi de France pouvait se tourner sans crainte vers la Bretagne. On comprend donc l’importance de cette «montre générale» convoquée à Carhaix en cette fin de l’année 1481. La réponse à la convocation des commissaires du duc était obligatoire, ceux qui étaient «défaillants» s’exposaient à de lourdes sanctions (confiscation des terres ou des revenus…). Il fallait avoir une dispense ou excuse valable, comme le service du duc, pour être exempté d’apparaître aux «montres». Ce fut le cas en 1481 pour Maurice du Méné, seigneur de Kergoat en Treffrin, et fondateur en 1478 du premier hôpital de Carhaix.

Les «commissaires» du duc

Les commissaires représentant le duc et organisant la «montre générale» de Carhaix, étaient placés sous l’autorité d’un très grand seigneur, Pierre, «noble et puissant sire du Pont (L’Abbé) et de Rostrenen», vraisemblablement l’homme le plus riche de Cornouaille, qui sera fait baron en 1483. Il était fils de Jehan du Pont et de Marguerite de Rostrenen, et son frère était seigneur de Plusquellec. Les autres commissaires sont Bertrand de Lanros et Yvon de Tréanna. Le procureur de Cornouaille Maître Jehan Lodic signera le compte rendu de l’inspection, qui est conservé à la bibliothèque municipale de Saint-Brieuc (fonds Boisgelin avec une copie aux archives du Finistère), et qui a fait l’objet d’étude de la part de plusieurs érudits (Norbert Bernard, Hervé Trochet…)

En 1488, l’ultime bataille.

On peut se demander si Carhaix ne possède pas un souvenir de ce grand événement. En effet en mairie est exposé un «tabard», considéré comme étant le vêtement de cérémonie des rois d’armes et des hérauts des ducs de Bretagne. Le «Livre des tournois» de René d’Anjou, rédigé vers 1460, présente un tournoi imaginaire, provoqué par le duc de Bretagne, avec le duc de Bourbon. On a l’impression que pour représenter le héraut d’armes du duc de Bretagne, transmettant le défi, l’artiste a eu devant les yeux le tabard de «Kerahaes», tant la similitude du costume est frappante !

Celui-ci semble dater, d’après les études les plus récentes, du XVe siècle, donc de l’époque de la «montre» de Carhaix! Qui sait s’il n’a pas été porté à cette occasion. Toujours est-il que la liste des participants de ce rassemblement (au nombre de 743) nous permet de connaître les noms et qualités de certains habitants de nos communes rurales de ces temps lointains, deux siècles avant l’établissement officiel de l’état civil. Ainsi pour Carhaix on a 12 noms (dont Pierre de Kerampuil, Pierre Kerniguez…) ; Plounévézel 5 (dont Louis de Coatqueveran à Penalan, Guillaume Sioc’han à Lamprat…),  Poullaouën 3, Carnoët 8, Plusquellec 11, Duault 22, Motreff 3,  Glomel 9…

Un grand nombre de ceux qui étaient à Carhaix, se retrouveront en 1488 à l’ultime bataille qui scella la perte de l’indépendance du duché. A Saint-Aubin-du-Cormier, les Bretons laisseront 5500 corps sur le champ de bataille, contre 1500 pour les Français. Mais Carhaix n’en aura pas pour autant terminé avec la soldatesque, notamment lors des guerres de la Ligue à la fin du siècle suivant.

F.K.