«L’impôt est le sport national français» pouvons-nous entendre parfois. La France serait même championne du monde en ce domaine! Et il est vrai que la France est réputée pour ses prélèvements obligatoires particulièrement importants. Ainsi, en 2022, son taux de prélèvements obligatoires atteignait les 48% du PIB (c’est-à-dire que sur 100€ produits en France, 48€ retournent à l’état), soit 14 points de plus que la moyenne des pays de l’OCDE et 6 points de plus que son voisin allemand.
Et il est vrai qu’il suffit souvent que le mot «impôt» se glisse dans une conversation pour que soudain celle-ci s’enflamme… «Trop d’impôts», «injustement répartis», … chacun a son avis sur la question, et il est généralement intimement lié à sa situation personnelle!
Mais il est un impôt que tout le monde paie, qui est réputé «socialement juste», qui, s’il est parfois qualifié de «transparent» n’en est pas moins la première ressource de l’état! Vous aurez peut-être reconnu la TVA (Taxe sur la Valeur Ajoutée)!
La TVA, qui vient de fêter ses 70 ans en 2024, est née en France sous l’impulsion du polytechnicien Maurice Lauré. Elle a rapidement conquis les pays voisins au sein de l’Europe, mais aussi une bonne partie de la planète puisqu’à ce jour 172 états auraient adopté cet impôt, ce qui représenterait près de 95% de la population mondiale! (A noter l’absence majeure des états-Unis dans la liste de ces pays).
Un impôt collecté par les entreprises !
La TVA s’applique en France sur l’ensemble des biens et services vendus (ou du moins l’immense majorité car certains produits et certaines entreprises bénéficient d’une franchise de TVA). Concrètement, il s’agit d’une majoration du prix de vente, que le vendeur fera payer à son client mais qu’il devra reverser à l’état (au Trésor Public), l’entreprise étant collecteur pour l’état.
Cette majoration du prix correspond à un «taux de TVA» qui peut varier selon la nature du bien ou service (par simplification nous parlerons uniquement de «biens» dans la suite de l’article). Ce taux est appliqué à chaque vente faite par une entreprise.
Mais pour que le même bien ne soit pas taxé plusieurs fois s’il y a plusieurs intermédiaires entre le producteur initial et le consommateur final, ou s’il est consommé dans le processus de fabrication d’un autre bien, chaque entreprise va pouvoir déduire la TVA qu’elle a payée (la TVA dite «déductible») de celle qu’elle a collectée (facturée à ses clients).
Ainsi une entreprise qui aurait « facturé » (collecté) 10000€ de TVA à ses clients mais qui en aurait payé 7000€ à ses fournisseurs ne reversera que la différence, soit 3000€ à l’état (les 7000€ déduits seront déjà reversés à l’état par ses fournisseurs qui en auront été les collecteurs).
A chaque déclaration de TVA, l’entreprise renseignera sa TVA déductible et sa TVA collectée, ce qui déterminera si l’entreprise doit payer de la TVA ou si elle a un crédit de TVA (c’est-à-dire qu’elle ait payé plus de TVA qu’elle n’en a collecté, et dans ce cas elle pourra le déduire de la prochaine déclaration voire se le faire rembourser par le Trésor public).
Une taxe «transparente» ?
Ainsi, c’est à chaque fois le consommateur final du bien qui supporte le poids de cet impôt.
Mais s’il en supporte le poids, il est quasi «transparent» (au sens d’invisible) pour lui puisque ce n’est pas lui, le payeur, qui le verse directement au Trésor public. Le consommateur ne s’en aperçoit, lors de ses achats, que s’il porte attention à la petite ligne «TVA» sur le ticket de caisse ou la facture…
Il peut alors voir le montant «Hors taxes», qui est «réellement» encaissé par l’entreprise, la TVA, encaissée pour le compte de l’état, et le montant TTC (Toutes Taxes Comprises), qui correspond à la somme des deux, soit ce que le client a effectivement payé.
C’est donc un impôt «indirect». Et cette caractéristique lui permet de bénéficier d’une meilleure «acceptabilité» que les impôts directs que les contribuables doivent aller payer au Trésor public.
Quand la première source de recette de l’Etat «s’émiette» !
La TVA est la principale ressource de l’état puisqu’elle représentait 176,9 milliards d’euros en 2024 soit 38% de ses recettes, devant l’impôt sur le revenu, à un peu moins de 25%, et l’impôt sur les sociétés à 18% (d’après l’INSEE).
Pour autant, comme le révèle le rapport du CPO (Conseil des Prélèvements Obligatoires, qui évalue l’impact économique, social et budgétaire des prélèvements obligatoires pour la Cour des Comptes), cette taxe commence à peiner à remplir son rôle…
En effet, avec le développement des «taux réduits de TVA», les recettes ont baissé. (A ce jour il existe en France 4 taux de TVA: le «taux normal» à 20%, le «taux intermédiaire» à 10%, le «taux réduit» à 5,5% et le «super réduit» à 2,1%.) Ces taux réduits «coûteraient» à l’état aux alentours de 45 milliards d’euros par an!
En parallèle, depuis 2017, cet impôt a servi d’instrument de compensation pour permettre la mise en œuvre des réformes fiscales… Elle s’est alors «émiettée» entre l’état, la Sécurité Sociale, et les Collectivités Territoriales. Ainsi, alors qu’en 2017, 90% de la TVA collectée revenait à l’état stricto sensu, en 2021, ce dernier ne bénéficiait plus que de 51% des 186 milliards de TVA collectée, 29% étant alloués à la Sécurité Sociale (notamment pour compenser la perte de revenus générée par le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE)), et 20% aux Collectivités Territoriales (principalement pour compenser la suppression de la taxe d’habitation et de la Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises (CVAE)) .
Le CPO pointe le fait que cette diminution des ressources de l’état, pour des niveaux de dépenses stables, a considérablement réduit ses capacités à assurer ses politiques prioritaires.
Quelles solutions ?
Il précise encore qu’il semble difficile d’augmenter le taux normal de TVA… Quelles solutions reste-t-il alors?
Lutter contre la fraude à la TVA, notamment par la lutte contre l’économie souterraine ou «travail au noir», et la «fraude au carrousel» (en simplifiant, un système de fausses facturations permettant de grossir artificiellement la TVA déductible d’une entreprise). Ces fraudes représenteraient un manque à gagner pour l’état de près de 20 à 26 milliards d’euros par an selon l’INSEE.
Si l’impôt est le sport national N°1, la fraude fiscale serait-elle le second?
Mais une autre «niche» semble dans le viseur de l’administration fiscale puisque le budget 2025 prévoyait d’abaisser à 25 000€ de Chiffre d’Affaires annuel le seuil d’exemption de TVA des auto-entreprises à partir du mois de mars. (Il était auparavant de 85 000€ pour les activités commerciales et artisanales, et de 37 500€ pour les prestations de services et professions libérales.)
Cette décision ne manque pas de susciter débat… l’impôt restera donc encore longtemps un sujet de controverse en France!
Guillaume Keller