Allemagne, décembre 1943:
Par son refus d’achever l’avion en détresse, le pilote de chasse allemand risque la cour martiale!
L’avion descend en chute libre vers le sol, touché et gravement endommagé par des chasseurs allemands et par la «Flak», les redoutables canons antiaériens de la Wehrmacht. A son bord, le jeune pilote, blessé à l’épaule, voit comme dans un brouillard le sol s’approcher dangereusement. Il ne peut que s’accrocher de toute son énergie aux commandes, dans une tentative désespérée d’éviter le crash fatal.
Le sous-lieutenant Charlie Brown a tout juste 21 ans et c’est sa première mission en tant que commandant de bord d’un B-17, ce gros bombardier quadri-moteurs, appelé «Flying Fortress», –forteresse volante– et capable de transporter une tonne de bombes. La mission de ce groupe de B-17 le 20 décembre 1943 est précise: détruire des usines d’armement autour de la ville de Brême, au nord de l’Allemagne.
Une proie facile des chasseurs allemands!
L’entreprise est risquée, la ville de Brême est protégée par 250 canons et des centaines de chasseurs allemands sont prêts à décoller à la moindre alerte.
Volant à plus de 8000m d’altitude, avec une température extérieure de –66°C, ils doivent larguer leurs bombes en dix minutes, avant de se replier ensemble.
Cependant, avant même de commencer l’opération, le B-17 de Charles Brown, avec son équipage de neuf hommes, se trouve entouré de plusieurs Messerschmitt allemands qui le prennent pour cible, détruisant le moteur n°2, endommageant gravement le quatrième. Un tir du sol brise le nez en plexiglas de l’avion et déchire le fuselage, y causant des trous béants et exposant l’équipage à la température extérieure glaciale. Incapable de maintenir sa vitesse, il se trouve séparé des autres bombardiers alliés et devient une proie facile d’une douzaine de chasseurs allemands qui, en quelques minutes, le réduisent à une épave: un troisième moteur est touché, ainsi que les systèmes internes d’oxygène, hydraulique et électrique. Le mitrailleur de queue est décapité par un obus de canon et plusieurs membres de l’équipage sont blessés.
Ce n’est que tout près du sol que Charles Brown réussit à éviter le crash.
«Mon esprit était devenu un peu flou, raconte-t-il plus tard, mon épaule saignait et j’avais besoin d’oxygène. J’ai réussi cependant à redresser l’avion juste au-dessus du sol, arrachant ainsi les branches supérieures des arbres. J’ai eu ensuite des cauchemars de cette scène durant des années et des années, je voyais le sol, puis les arbres, j’ai cru mourir…»
Avec l’aide de son copilote, il réussit à stabiliser l’appareil à environ 300m d’altitude et met le cap sur sa base en Angleterre, avec un infime espoir de réussir à quitter le territoire allemand et traverser la Manche. Mais rapidement, contraints de survoler un aérodrome, ils sont repérés par un chasseur allemand au sol, Franz Stigler, en train de faire le plein de son Messerschmitt. Sans hésiter, il saute dans le cockpit pour lui donner la chasse.
Le « code d’honneur » du guerrier…
Charles Brown et son copilote voient soudain surgir le chasseur allemand, frôlant dangereusement l’aile du bombardier. Pendant un court instant, leurs regards se croisent. Le pilote est prêt à faire feu.
Mais à ce moment, quelque chose d’inattendu se passe. Le pilote allemand ne tire pas. Il regarde le triste état du bombardier, il voit les blessés, il constate qu’ils sont incapables de se défendre.
A ce moment, Franz Stigler se souvient de quelques paroles prononcées un jour par son commandant Gustav Rödel: «Si jamais je vous vois tirer, ou entends dire que quelqu’un de vous a tiré sur un homme qui descend en parachute, je le tuerai moi-même.» Ces paroles sont restées gravées dans son cœur comme un code d’honneur du guerrier.
Il dira plus tard: «c’était comme si ces soldats descendaient en parachute. Je les voyais, et je ne pouvais pas les tuer.»
Il sait que sa décision peut lui coûter la cour martiale, mais peu importe! Non seulement, il ne tire pas, mais il fait des signes amicaux pour montrer qu’il veut les aider à s’enfuir. Il les accompagne, volant à côté comme si les deux avions faisaient partie de la Luftwaffe afin de les protéger contre d’autres chasseurs allemands et aussi des tirs du sol. Il sait que les Allemands ont à leur disposition quelques bombardiers B-17, pris aux Alliés et utilisés pour des missions secrètes. Ainsi, l’étrange duo poursuit son chemin jusqu’à la mer, où le pilote allemand, après un dernier salut, fait demi-tour et disparaît.
Des dizaines d’années plus tard,
des retrouvailles émouvantes!
Charles Brown réussit l’exploit de survoler la Manche et d’atterrir à Seething, sur la côte est de l’Angleterre. Si le geste fraternel de Franz Stigler reste secret militaire à l’époque, le pilote américain ne peut jamais oublier celui qui lui a sauvé la vie, ainsi qu’à son équipage, en pleine guerre.
Des dizaines d’années plus tard, en 1986, il entreprend des recherches pour retrouver son sauveteur.
Après bien des tentatives infructueuses, il publie un jour un bref récit de cet épisode dans un bulletin adressé à d’anciens pilotes de guerre de la Luftwaffe, et quelque temps plus tard, le 18 janvier 1990, il reçoit une lettre, signée Franz Stigler, où il peut lire:
Cher Charles,
Pendant toutes ces années, je me suis souvent demandé ce qui était arrivé à ce B-17. Était-il arrivé en Angleterre, son équipage avait-il pu être sauvé…? Apprendre que vous avez survécu me remplit d’une joie indescriptible…»
Le pilote allemand avait quitté l’Allemagne après la guerre et s’était établi à Vancouver, sur la côte ouest du Canada. La guerre lui avait tout enlevé.
Les deux hommes se rencontrent une première fois au Canada. Étreints d’émotion, ils tombent dans les bras l’un de l’autre. Par la suite, ils se rencontrent à plusieurs reprises et une profonde amitié les lie jusqu’à leur mort, à quelques mois d’intervalle, en 2008.
La fille de Charles Brown retrouve un jour, dans les affaires de son père, après son décès, un message du pilote allemand où celui-ci écrit:
«En 1940, j’ai perdu mon frère, pilote de chasse de nuit. Décembre, le 20, 4 jours avant Noël, 1943, j’ai eu la chance de sauver un B-17 tellement endommagé que c’était un miracle qu’il puisse encore se maintenir en vol. Le pilote de ce bombardier, Charlie Brown, est pour moi aussi précieux que l’était mon frère. Merci Charlie.
Ton frère Franz.»