«Je crois qu’aujourd’hui, l’on n’habitue plus suffisamment les jeunes générations à l’écoute de l’autre, à l’empathie, à essayer de comprendre comment l’autre fonctionne avant de considérer comment on doit fonctionner et de rechercher quels sont ses droits à soi…

Je le dis souvent à mes responsables nouvellement nommés, ici comme je l’ai fait dans les autres entreprises: quand vous êtes responsables, vous avez d’abord des devoirs, les droits passent après…»


Comme en quelques lieux ainsi dépaysants parce que tellement bien aménagés, pendant des années, le zoo de Pont-Scorff offrait la possibilité à ses visiteurs de ressentir l’étonnante impression de se croire en terres lointaines, tout en étant bien conscients d’être sous le ciel breton…

Une très grosse tempête particulièrement destructrice, la brusque disparition de son fondateur, les aléas des reprises et les tentatives de relance échouées ont bien failli mettre un point final à la belle aventure de cet espace boisé exceptionnel qui avait enchanté tant de familles et d’écoliers, référence emblématique du monde animal dans la région…

Mais, fort des compétences acquises au fil d’un parcours professionnel particulièrement riche et s’entourant d’une équipe à son image experte et passionnée, Sébastien Musset a eu à cœur – comme il nous l’a expliqué – de relever le difficile défi offrant une seconde vie, quelque peu différente mais encore plus appréciable, à ce parc, pour le bonheur de beaucoup… humains comme animaux !

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Pouvez-vous vous présenter brièvement ?

«J’ai quatre enfants, Manon, Camille, Malone et Marcel, de bientôt 14 à 4 ans. Avec mon épouse, ils sont tout pour moi ! La famille est un élément extrêmement important pour moi, au-delà de la passion animalière…

Nous habitons à Perros-Guirec la maison qu’avait construite mon grand-père. J’y ai aussi passé une grande partie de mon enfance, très souvent accueilli par mes grands-parents. Mon père, professeur de médecine, était le deuxième d’une fratrie de 9 garçons…

Je suis ancien directeur général de différentes sociétés, dans la banque, l’assurance et le digital.»

Vous avez un parcours particulièrement riche et varié, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

«Je citerai une chanson de Jean-Jacques Goldman que j’aime beaucoup, elle dit: «Des vies, que des vies, pas les mieux, pas les pires»…

Des carrefours se sont successivement ouverts sur le chemin de ma vie, de «mes vies».

L’on peut considérer que le premier de ces carrefours a été l’ancrage animalier. Pour surmonter la situation compliquée qu’enfant je vivais, je me suis entouré d’animaux qui avaient à mes yeux une très grande importance… J’aimais en prendre soin, et beaucoup partageaient ma chambre!

Le second carrefour, s’est situé au niveau des études. J’avais la chance de pouvoir en poursuivre, sans trop d’ailleurs savoir que faire… Je suis parti dans une grande école d’ingénieur.

Un autre carrefour s’est ensuite présenté: l’on m’a proposé de rentrer dans la fonction ressources humaines que je trouvais être un joli métier: s’occuper de personnes, moi qui aurais voulu, si cela n’avait pas tellement contrarié mon père, faire médecine.

J’ai rempli ces fonctions pendant 10 ans, jusqu’à ce que je trouve frustrant qu’en tant que RH en entreprise nous ne décidons pas vraiment: c’est bien d’éclairer la route, mais c’est mieux de conduire! Du coup, je suis devenu directeur général au sein du groupe Allianz France entre autres, dans les assurances, puis dans le milieu bancaire, directeur général adjoint au Crédit Mutuel Arkéa…

Mais un côté très insatisfaisant de relations de pouvoir, d’argent a peu à peu fini par me fatiguer et m’amener à la conclusion que j’en avais fait le tour.

Nouveau carrefour, imprévu dans l’équation: alors que je ne souffrais d’aucune fragilité particulière, le Covid est arrivé et m’a fait vivre quatre mois difficiles entre la maison et l’hôpital. Je venais de quitter le Crédit Mutuel Arkéa, et ne savais plus trop que faire…

Une excellente place m’est alors proposée chez un gros promoteur immobilier à Paris: mais j’ai juste envie de fuir! Nous venions d’emménager à Perros-Guirrec, j’ai donc refusé cette offre pourtant très attractive.

A ce moment, autre carrefour: une annonce d’un ami sur Facebook m’apprend que le zoo de Pont-Scorff est mis en liquidation judiciaire. Ce projet incroyable coche la case animalière et celle d’une envie de redresser quelque chose: un gros challenge qui me pousse à tenter l’aventure… Et voilà comment on se retrouve à gérer un parc animalier!»

Que gardez-vous de ces expériences à des postes de direction dans ces grands groupes ? Vous aident-elles dans votre nouvelle aventure ?

«J’en garde trois choses. La première, ce sont les coups, les blessures que l’on apprend à surmonter, c’est important, c’est constructif. Mandela disait: «soit je gagne, soit j’apprends». C’est très vrai! Chaque expérience, même celle que l’on pense extrêmement négative, a toujours quelque chose de positif sur le développement et l’apprentissage personnels.

J’en garde aussi des amis. Aujourd’hui encore, j’ai beaucoup de gens qui viennent sur le parc, qui sont de Allianz, de Econocom, du Crédit Mutuel… et qui me disent: «C’était tellement bien les équipes à l’époque, ce qu’on a fait ensemble, etc.».

Il y a donc ces relations, ce noyau humain et enfin: des compétences. Quand on a travaillé dans la banque et que l’on doit redresser une entreprise en liquidation judiciaire, c’est très utile de savoir comment les banquiers discutent et comment ils réfléchissent. Quand on subit une tempête Ciaran qui dévaste le site au bout d’un an et demi, c’est précieux de bien connaître les sujets assurantiels voire ré-assurantiels. J’ai fait un peu de management, de la RH, de la fiscalité, de la direction, de la stratégie, du marketing… et j’en ai acquis une somme de compétences ainsi développées au gré d’aventures très différentes les unes des autres pour aboutir, comme naturellement semble-t-il, à la reprise d’un parc zoologique en liquidation judiciaire!»

Pouvez-vous nous retracer à grands traits l’histoire du parc animalier ?

«La création du fameux «Zoo de Pont-Scorff» remonte à l’année 1973. Pierre Thomas, un monsieur du Cirque qui voulait se sédentariser en est à l’origine. Passionné, il aimait profondément les animaux et n’hésitait pas à aller en présenter jusque dans les écoles. Il a aussi beaucoup développé les spectacles pédagogiques…

1987 est une autre date importante de son histoire: la tempête d’une rare intensité en Bretagne (que l’on a même appelé ouragan), a occasionné de gros dégâts sur le site, détruisant 70% du parc. Un formidable élan de solidarité des habitants de la région lorientaise va aider à sauver le zoo qui en acquiert toute une notoriété…

Mais le décès brutal de Pierre Thomas, emporté en 2003 par un infarctus, laisse du jour au lendemain le parc privé de l’homme qui en avait la vision… Dès lors, comme il arrive dans bien des entreprises à la disparition de leurs fondateurs sans transition, le zoo vit une période difficile, qui au gré de diverses reprises finit par aboutir à sa liquidation judiciaire prononcée par le tribunal de commerce et sa fermeture au public.»

Quelles motivations vous ont décidé à vous lancer dans ce projet ? Et quelle est la «philosophie», le «concept» des «Terres de Nataé» ?

«J’ai nourri très tôt une véritable passion pour les animaux, mais je n’ai jamais apprécié les zoos, j’en ai visité très peu. J’ai un rapport à la captivité un peu ambigu, je ne suis pas heureux de voir les animaux captifs…

Mais l’envie de créer quelque chose autour de ce redressement pour lui donner une utilité sociétale répondait à l’aspiration profonde d’être moi-même utile.

Et la question de savoir comment on peut, via la captivité, servir des enjeux sociétaux a été à la base de la rédaction de ce projet (que nous devions monter en l’espace de deux mois!). Deux enjeux ont rapidement émergé. Le premier, c’est la conservation: la captivité a sa raison d’être si on se focalise sur la reproduction qui sinon fait disparaître de la génétique. Mais en respectant des règles et des engagements forts: aucun spectacle, parce que c’est mettre en scène un animal d’une manière pas naturelle. De la même manière: pourquoi maintenir en captivité des animaux qui ne sont pas en danger dans l’espace naturel? Nous n’hébergerons que des espèces menacées, et en relation avec d’autres établissements qui ont les mêmes convictions que nous, pour augmenter ensemble le cheptel animalier jusqu’au moment où la base génétique sera assez représentée pour envisager des réintroductions ou, en tout cas, essayer de voir avec des pays en local pour sanctuariser, etc.

Pour ce premier enjeu, aux «Terres de Nataé» –qui ont failli s’appeler «l’arche de Nataé»– nous sommes donc en quelque sorte, des «éleveurs d’animaux sauvages».

Le deuxième enjeu est simple, c’est l’éducation, la sensibilisation. Voulant partager un message, à travers les panneaux, les animations, nous menons tout un travail de communication avec cet adage à l’esprit: «On ne protège que ce qu’on aime, on n’aime que ce qu’on connaît, on ne connaît que ce qu’on nous a expliqué, appris». C’est le lien entre la protection, l’amour, la passion et l’éducation.»

Vous travaillez en collaboration avec de nombreux partenaires (associations et autres), quels sont les principaux, et comment se concrétisent ces partenariats ?

«Cela fait partie du projet et des engagements pris au tribunal.

Il y a d’abord les associations qui nous aident sur le parc. Deux nous tiennent plus particulièrement à cœur. La première, «le chalet» est un établissement de travail adapté par le biais duquel des collègues autistes travaillent avec nous en tant qu’aide-soigneurs animaliers, notamment dans la préparation des rations alimentaires. La seconde, «la sauvegarde 56» permet à des personnes reconnues en situation de handicap, en rupture familiale ou qui ont connu des problèmes avec l’alcool, des stupéfiants, etc., d’exercer une activité professionnelle dans un but d’insertion… Sous l’égide d’un moniteur, jardinier, paysagiste, elles aident à l’entretien des espaces verts du parc.

A un deuxième niveau, nous travaillons avec un autre type d’associations sur les enjeux animaliers, de réintroduction, de travail, de pédagogie… A l’échelle d’un projet qui n’a pas encore deux ans d’ouverture aux visiteurs, nous avons huit, neuf associations partenaires dans les différents pays, que ce soit pour les félins en Afrique, les panthères au Sri Lanka, les aras de Lafresnaye en Bolivie, le panda roux au Népal, les lémuriens, le binturong, etc. Le but à terme étant d’être en relation avec les associations référentes de toutes les espèces pour lesquelles nous faisons de la reproduction.

Nous nous lançons également à un troisième niveau, sur deux axes complémentaires à la conservation des espèces menacées, qui consiste en l’accueil d’animaux un peu «perdus». Les animaux exotiques, de la faune sauvage, bien sûr – pour ce qui concerne les chiens et les chats, d’autres font déjà très bien ce travail. Il s’agit donc d’un sujet animalier au sens individuel du terme: des animaux de cirque qu’aujourd’hui ils n’ont plus le droit d’utiliser et qui doivent être placés, des animaux de laboratoire (comme les macaques crabiers), d’autres victimes de trafic à qui l’on peut offrir une seconde vie paisible, en leur évitant l’euthanasie… C’est pour pouvoir développer cet aspect du projet, que nous souhaitons acquérir des terrains à côté, en y incluant le troisième axe: la mise en place d’un centre de soins pour les nombreux animaux sauvages que compte la faune bretonne, avec une plate-forme téléphonique qui permet de répondre aux gens qui se trouvent face à un hérisson estropié ou une biche blessée et qui cherchent une solution… Cette plate-forme «SOS faune sauvage» existe déjà, nous l’avons montée main dans la main avec la LPO Bretagne (Ligue pour la Protection des Oiseaux). Depuis, des associations nous ont rejoints, comme la station ornithologique de l’Île Grande, Trisk’ailes ou Faune Éthique, et d’autres s’y intéressent…»

Comment fonctionne ce nouveau parc animalier ? Quel est son modèle économique ? Pouvez-vous nous donner quelques chiffres qui aident à mesurer ce qu’il représente (taille, nombre d’emplois, nombre d’espèces différentes, nombre d’animaux…) ?

«C’est un établissement qui en 2023 a drainé à peu près 200 000 visiteurs. Je parle toujours de visiteurs entrant sur le parc, parce que les enfants de moins de trois ans ne payent pas. Nous ne sommes pas dans une logique financière. Nous avons aussi des tarifs spéciaux pour les personnes à mobilité réduite ou en situation de handicap et la place offerte aux accompagnants qui les aident.

Ces 200 000 visiteurs équivalent donc à 140 000 entrées payantes, ce qui est déjà bien pour un parc rouvert au public depuis peu de temps et dans un contexte de grande perte de confiance…

Nous sommes cependant encore un peu loin des 175000 entrées payantes nécessaires à l’équilibre du budget dont elles constituent les seules entrées d’argent. Le modèle économique du parc fonctionne uniquement grâce aux visiteurs et à leurs consommations.

«Terres de Nataé», c’est aujourd’hui 330 à 350 animaux, un peu plus d’une centaine d’espèces, dont à peu près la moitié respecte la raison d’être que je souhaite, à savoir être au niveau vulnérable ou au-delà. Les 50% restants sont des animaux qui étaient là du temps du zoo de Pont-Scorff et que nous garderons évidemment aussi longtemps qu’ils vivront. C’est le cas des phoques par exemple, même s’ils ne font pas partie des espèces qui ont vocation à entrer dans le nouveau projet. Et contrairement à ce que certains peuvent penser, on ne peut pas les remettre dans la nature comme cela, ce n’est pas possible, ils mourraient.

C’est aussi aujourd’hui, 14 hectares que nous espérons étendre de quelques hectares supplémentaires…

Et c’est enfin presque 50 collaborateurs. A l’époque, quand nous l’avons repris au tribunal, il avait 12 postes de travail: sur les effectifs c’est donc quasiment quatre fois plus…»

Il y a différents corps de métier dans vos équipes, quels sont-ils? Comment articulent-ils leurs actions ?

«Il faut des process et de la méthode, de l’organisation, sinon tout le monde fait tout et finalement personne ne fait rien.

Il y a cinq typologies d’équipes différentes. Les soigneurs animaliers ont pour objectif évidemment de nettoyer, de désinfecter, de nourrir, d’observer et d’enrichir le milieu, de mettre des nouveautés, des stimulations permanentes.

La seconde équipe est constituée des vétérinaires. Pour moi, les soigneurs sont un peu les médecins généralistes et les vétérinaires, les médecins spécialistes.

Il y a une équipe technique(plombiers, serruriers, etc.), une équipe communication événementielle, marketing et une équipe bureau au sens large, administratif.

Enfin, quelque chose de très transversal et de vraiment important fait la 6e équipe: c’est la partie des visiteurs. C’est la pédagogie, les animations, les explications, la présence sur le parc. S’y ajoutent les équipes de la restauration, la boutique et la billetterie.

Tous les jours avant 16 heures, un «J+1» s’organise: c’est un petit groupe WhatsApp dans lequel tous ensemble, nous préparons la journée du lendemain avec les informations que chacun apporte dans son domaine, les événements particuliers prévus, etc.

C’est tellement complexe, toutes ces équipes qui doivent interagir, qu’être bien informé est capital… Il faut beaucoup d’échanges et de communication.

Si la journée est bien préparée, elle se passe forcément mieux !»

Quel y est votre quotidien ?

«Il n’y a pas de «quotidien»! Il faut réussir à gérer en même temps le passé, le présent et le futur. Le passé, parce qu’il y a tellement de retard… gérer le passé c’est par exemple qu’il n’y a pas de réseau d’assainissement ici. C’est un exemple, mais je pourrais vous en citer trente! Il faut absolument rattraper ces retards! Mais il faut aussi gérer le présent, selon la météo: il ne fait pas beau, combien de menus faut-il prévoir? Il pleut, faut-il sortir les girafes? Etc.

Quant au futur: ce sont les terrains d’à côté que nous aimerions pouvoir acquérir, transformer le PLU, avancer rapidement…

Les trois dimensions du temps se mélangent: certains jours sont davantage consacrés au passé, d’autres au présent, aux tracas du quotidien et parfois le futur s’en mêle!

Mais dans tous les cas, le rôle reste le même, c’est celui d’un chef d’orchestre qui doit s’assurer que tout le monde a la bonne partition, qu’elle est comprise de tous et que chacun joue dans le cadre de sa partition… faire en sorte qu’il n’y ait pas de fausses notes, ou le moins possible!»

Si vous étiez absent un temps (maladie ou autre cause…), le parc fonctionnerait-il sans trop de problèmes ?

«Je pense que nul n’est irremplaçable et que quand il y a un vide, il est comblé. Donc, à la question est-ce que cela continuerait? Oui, c’est à peu près certain. Mais cela continuerait-il avec le même niveau d’exigence, le même axe stratégique de raison d’être? Probablement pas, car le projet n’est vraiment mis en place que depuis deux ans… Ce n’est pas suffisant, il faudrait encore un peu de temps…»

Vous êtes aussi père de famille nombreuse, comment réussissez-vous à concilier l’ensemble ? Votre famille est-elle intéressée et peut-être partie prenante de votre vocation et de vos engagements ?

«Je regrette déjà de ne pas pouvoir consacrer plus de temps à ma famille, à mes quatre petits loustics et à mon épouse qui comptent tant pour moi, et je crains de le regretter encore plus fort dans quelques années…

Le défi que j’ai souhaité relever représente 18 heures pour le travail par jour… Même quand il m’arrive maintenant de télétravailler, je ne les vois pas, je ne quitte pas mon ordinateur pour traiter les dizaines de mails qui ne cessent d’arriver…

J’ai décidé malgré les quatre heures de route quotidiennes que cela impose, de rentrer coûte que coûte à la maison tous les soirs, ce qui me permet au moins de les embrasser même s’ils sont déjà couchés quand j’arrive…

Ce que veut ma femme, c’est que je sois heureux… Depuis longtemps, elle avait compris qu’il était temps que je parte vers autre chose et elle a trouvé ce projet extraordinaire… Elle me soutient et m’encourage, même si mes absences lui pèsent.

Toute la famille vit le projet plus «par procuration», car comme c’est un peu loin, ils viennent assez peu souvent, mais ils sont tous passionnés d’animaux: je leur ai transmis le virus!

Je pense qu’ils en sont fiers et j’espère que dans quelque temps ce sera plus facile et que je pourrai être plus présent auprès d’eux.»

Gérer un parc animalier, c’est se confronter à de multiples problématiques dans des domaines très variés, souvent insoupçonnées du grand public… qu’est-ce qui vous semble le plus difficile ?

«Le plus complexe, c’est l’humain !

J’ai eu la chance de voir des domaines extrêmement complexes: la banque, l’assurance sont hyper régulées avec des autorités dans tous les sens – l’autorité des marchés financiers, l’autorité de la concurrence, l’autorité du contrôle des risques… C’est très très réglementé mais le parc zoologique est encore au-dessus de tout cela, toutes les réglementations se mélangent: celle sur le respect de l’écologie bien sûr, celle sur la partie animalière, celle sur l’accueil de visiteurs, les incendies, les risques électriques, les risques pour les jeunes enfants quand ils jouent sur les jeux, etc. Il s’y trouve quasiment tous les codes, du code pénal au code de la concurrence, à celui de l’environnement …

Gérer une entreprise comme celle-là est extrêmement complexe, il faut accepter d’être toujours dans l’évaluation du risque et se rappeler que le droit à l’erreur existe, limité bien sûr! (Pas celle qui conduirait une panthère à sortir de son enclos!)

Et pourtant, le plus difficile dans tout cela reste pour moi les relations humaines.

Je crois qu’aujourd’hui, l’on n’habitue plus suffisamment les jeunes générations à l’écoute de l’autre, à l’empathie, à essayer de comprendre comment l’autre fonctionne avant de considérer comment on doit fonctionner et de rechercher quels sont ses droits à soi…

Je le dis souvent à mes responsables nouvellement nommés, ici comme je l’ai fait dans les autres entreprises: quand vous êtes responsables, vous avez d’abord des devoirs, les droits passent après.

Nous sommes dans une société qui est malheureusement tellement égocentrée, tellement dans la futilité d’une superficialité, d’un temps qui passe, d’une immédiateté, etc., que nous ne prenons plus ce temps-là. Et l’on peut échouer quand on essaie de bâtir un collectif à cause de simples réactions qui entraînent des mots voire des écrits (sur les fameux réseaux sociaux) qui peuvent «casser» définitivement des choses, laissant des cicatrices tellement profondes que les gens ne pourront plus travailler ensemble ou en tout cas, plus de la même manière…

C’est en cela, qu’après 24 ans d’expérience en RH, je dis que la plus grande difficulté c’est l’humain. On y perd beaucoup de temps et d’énergie!

Cessons d’être égocentrés, centrons-nous sur l’autre et essayons juste de nous dire que l’épanouissement personnel peut aussi passer par le fait de s’occuper de l’autre !»

Avez-vous connu des moments de réel danger auprès des animaux dans l’exercice de vos activités ?

«Non, mais je ne dis pas que cela ne peut pas arriver, ayons de l’humilité. Mais aujourd’hui, nous avons mis en place des protocoles, des organisations et nous avons affaire à des gens très responsables, y compris les jeunes qui nous rejoignent; ils sont très responsables, ils ne font pas trop de bêtises…

Le moment le plus dangereux que nous avons vécu, c’est la tempête Ciaran. Là j’ai d’abord dû sévir fort pour réussir à faire sortir tout le monde du parc ce fameux mercredi soir.

Nous nous sommes empressés de tout sécuriser, déplaçant des animaux de leur bâtiment habituel qui était en bois et en métal vers des bâtiments en béton… Il n’y a qu’une petite femelle panda qui s’est échappée: un arbre en tombant avait emporté une partie de la clôture de l’enclos. Mais nous l’avons retrouvée deux jours plus tard pas très loin, au golf de Quéven.

Nous avons ainsi eu plus de 60 arbres, entre 60 et 90 cm de diamètre, qui sont tombés sur le site, occasionnant de gros dégâts.

Et là, l’humain est beau, parce que la solidarité a été incroyable, opérationnelle comme financière…»

Le métier de soigneur est souvent idéalisé, quelle est sa réalité quotidienne ?

«Il est effectivement souvent idéalisé.

Rappelons les 5 niveaux de sa pyramide: le premier niveau c’est nettoyer, (ramasser les «crottes», ce n’est pas le plus drôle!). Le 2e niveau c’est désinfecter, le 3e, donner à manger et ensuite on arrive à observer, là cela devient intéressant! Mais il faut avoir le temps de le faire, que l’établissement ait les moyens de payer suffisamment de collaborateurs pour déjà couvrir les niveaux précédents.

Puis, au-delà de l’observation, c’est l’enrichissement: créer des nouveautés, stimuler par des jeux, par des montages, par des stimulations olfactives, etc. C’est passionnant parce que là, on crée quelque chose que l’on met à la disposition de l’animal en se demandant comment il va réagir, si cela va changer son comportement, égayer ou stimuler sa journée…

Il y a donc un côté «magique» dans ce métier. Mais c’est un métier de passion qui n’est hélas pas très bien payé et qui est très dur physiquement.

Un métier incroyable donc, si l’on est totalement passionné, physiquement costaud, résilient et que l’on sait s’émerveiller, parce que oui, il y a des instants magnifiques, à la naissance de bébés ouistitis ou castors comme nous venons de le connaître…

J’ajouterai enfin qu’il ne faut cependant pas oublier qu’être soigneur, c’est aussi être confronté à la mort… Il faut être capable de l’accepter, de l’appréhender avec recul… J’ai dû le rappeler tout dernièrement face à la consternation de l’équipe quand un de nos deux bébés castors est mort quatre jours après sa naissance. L’autopsie a révélé qu’il avait une grosse malformation cardiaque… Cela fait hélas partie de la vie!»

Comment faites-vous pour vous approvisionner en nourriture afin de subvenir aux besoins spécifiques de chaque espèce (quantités, variété de nourriture, etc.) ?

«Chaque espèce a une fiche nutrition établie par les vétérinaires. Elle est basée sur l’expérience soit dans la nature, soit dans les milieux captifs et régulièrement mise à jour.

Nous achetons pour une partie des aliments transformés qui sont dédiés: parce que le panda roux, par exemple, prend des petites boulettes très spéciales, mais il va aussi avoir du bambou et d’autres compléments.

Quant aux fruits et légumes, nous en récupérons auprès des grandes surfaces, ce qui évite qu’ils soient jetés. Les équipes de collègues autistes s’en chargent. Nous achetons par contre certains types de légumes tout comme les viandes, poissons et granulés de toutes sortes pour un budget avoisinant les 150000 euros par an.

La nutrition est un élément très important, c’est le premier déterminant de santé. Le climat en est un autre, et il faut souligner que celui de la Bretagne est excellent! Les températures jamais excessives, ni dans un sens ni dans l’autre, sont parfaites! Les animaux s’y adaptent très bien et pour ceux qui aiment avoir des températures plus élevées, nous mettons dans les loges des lampes chauffantes. Le seul bémol concernerait le vent, il n’est pas très bon pour les animaux et ils ne l’apprécient guère!»

L’image des animaux, de leur bien-être, etc., a beaucoup évolué ces dernières décennies, quel regard portez-vous sur ces évolutions (nécessaires, excessives, anthropomorphisme…)? Et comment les parcs animaliers peuvent-ils s’adapter pour résoudre la difficile équation entre préserver la quiétude des animaux d’un côté, et faire en sorte que les visiteurs parviennent à les voir de l’autre (sinon le modèle économique ne tiendrait pas) ?

«Je pense qu’il faut assumer le fait que dans une captivité, on paye pour venir, mais qu’on ne verra peut-être pas tout. Et cela fait partie des cinq messages clés que donnent les équipes de la billetterie à chaque visiteur: les animaux sont en accès libre, ils vont se cacher un moment dans la journée, il ne faut pas hésiter à repasser, se reconnecter avec le temps…

En prenant le temps de l’observation, il est tout à fait possible de voir 80% des espèces, (c’est à dire bien plus que si vous preniez un billet d’avion et que vous alliez au Kenya!).

Les gens y sont sensibles et le comprennent. Je pense qu’aujourd’hui nous sommes dans une société qui a bien évolué sur le rapport à l’animal. J’ai personnellement un profond respect pour l’animal mais je trouve que l’on va peut-être parfois trop loin dans l’équivalence de l’animal à l’homme. Quel est l’intérêt de vouloir à tout prix mettre tout le monde sur un même niveau d’égalité?

Nous sommes doués de sens et de facultés humaines qui nous permettent de nous occuper des animaux, respectons-les et faisons tout notre possible pour qu’ils vivent au mieux, sans nous demander si le lion est au-dessus de nous, etc.

L’anthropomorphisme est quelque chose qu’il faut expliquer aux gens.»

Comment se gère l’arrivée, et éventuellement le départ d’animaux dans un parc comme le vôtre ?

«Sur les «Terres de Nataé», l’enjeu étant la conservation des espèces, nous travaillons avec des programmes, nous n’achetons pas, nous ne vendons pas. Nous ne voulons pas entrer dans cette logique: il faut bannir la relation monétaire avec ces animaux, ils sont très précieux… mais sur les animaux sauvages, il n’y a pas de valeur.

Pour nous donc, pas de monétarisation de ces transferts.

En ce qui concerne le transport, les entreprises ont aujourd’hui pour les animaux sauvages des fourgons bien adaptés avec climatisation, systèmes pour boire et manger…

Ce qui est souvent très difficile, c’est la partie découverte de l’animal, de son nouvel espace et surtout la mise en contact, avec des degrés différents selon les espèces. En respectant un savant protocole, pour un mâle et une femelle panthères par exemple, cela aboutira au mieux à une naissance, au pire à la mort de l’un d’eux…»

Vous espérez un jour pouvoir participer à la réintroduction d’animaux d’espèces en voie de disparition dans leur cadre naturel. Comment cela se prépare-t-il pour donner à l’animal toutes les chances de réussir son changement de vie (autonomie pour se nourrir, se prémunir des prédateurs, etc.) ?

«Ce ne sont probablement pas les animaux que nous avons là, qui vont pouvoir être réintroduits, mais plutôt les petits de leurs petits… La première étape nous amène donc à travailler avec d’autres établissements pour mélanger la génétique, les rendre plus résistants.

L’étape suivante, c’est la sanctuarisation: déterminer dans le milieu naturel un périmètre fermé. Il s’agit donc encore dans un premier temps d’une sorte de captivité mais qui, en général, est très large. L’expérience est menée sur l’île de Taïwan, pour la réintroduction des panthères nébuleuses.

Il n’est pas exclu qu’à un moment donné, les petits des petits de nos petits puissent bénéficier de ce programme.

Au problème de l’impact des virus et bactéries dont ils peuvent être porteurs (et pour lesquels eux ont une résistance et les anticorps, mais pas la population des animaux où ils sont réintroduits…), s’ajoute la délicate question de la resensibilisation de l’animal à ses instincts naturels, manger, etc. Aujourd’hui, en fonction des espèces (c’est un peu différent entre les carnivores, les oiseaux…), à peu près 7 animaux sur 10 que l’on a réintroduits dans la nature sont morts à l’horizon d’un an.

Donc, quand on réintroduit des animaux, je parle là bien d’animal au sens individu, il faut que ce soit un vrai intérêt pour l’espèce…

Quoi qu’il en soit, cela doit se faire par étapes avec de nombreuses compétences, les autorités locales, les vétérinaires ou les autres parcs, les éthologues, les biologistes, sans oublier la population locale concernée elle-même, sinon l’expérience peut ne pas très bien se passer comme ce fut le cas pour la réintroduction d’hippopotames dans une région d’Afrique…»

Quel regard portez-vous sur la réintroduction de grands prédateurs tels que l’ours et le loup en France ?

«Elle n’a d’intérêt que si la frontière entre l’humain et l’espèce animale a encore un sens. Se battre pour réintroduire à tout prix une espèce dont on sait que, de toute façon, les mêmes causes produiront les mêmes effets, à savoir la mort de ces animaux-là, n’a aucun intérêt.

Je pense qu’il faut donc poursuivre un enjeu de protection, de biodiversité, de réintroduction de façon consciente et volontaire. Mais qu’on se dise aussi qu’on ne peut le faire que dans le moment où la frontière avec l’être humain est établie. Peut-être cela passe-t-il par des zones sanctuarisées fermées.

Le programme de réintroduction du vison d’Europe est typiquement un enjeu qu’il faut mener. Le vison vivait en France, il faut qu’on le remette en place avant qu’il ait complètement disparu. C’est aujourd’hui le carnivore en Europe le plus menacé d’extinction.

Est-ce que réintroduire l’ours dans les Pyrénées a un sens aussi? Je pense que oui, mais il faut maîtriser les populations…

Par contre, est-ce que réintroduire massivement du loup en Bretagne a un sens? Vu les zones urbanisées, peut-être pas…»

Un animal a-t-il particulièrement votre préférence ? Pourquoi ?

«C’est le Ara hyacinthe! Une espèce en danger de disparition qu’il faut protéger. Je suis éleveur d’oiseaux à la base et j’ai attendu 10 ans pour avoir le couple Blue et Pattaya. Je leur avais construit une belle volière à la maison… Mais maintenant je les ai emmenés ici, ils ont plus d’espace.

Sinon, la rencontre incroyable au parc, c’est celle des éléphants! Ce sont des animaux qui vous percent par le regard et vous vous dites toujours, quand vous les voyez, que vous n’êtes pas à la hauteur, jamais!

Le programme de reproduction a aujourd’hui près de 340 individus à travers le monde, il maintient plusieurs souches génétiques différentes mais si ce programme n’est plus là, on pense que l’éléphant d’Asie dans les 10 ans qui viennent aura disparu.»

Avec un peu de recul, comment jugez-vous le chemin parcouru ? Êtes-vous satisfait ou avez-vous des regrets ?

«Je pense que ce que nous avons fait tous ensemble est juste dantesque!

Quand nous avons reçu les clés au tribunal, le site était dans un état de délabrement indescriptible!

Les travaux avant de pouvoir à nouveau accueillir le public ont duré un an.

Une belle aventure humaine, avec des gens qui pour certains sont déjà partis mais qui sont venus poser des pierres. Un peu comme une cathédrale… On ne voit pas le début, on ne voit pas la fin, mais on a participé à une construction!

Dans les regrets, il y a les erreurs faites, dans le recrutement notamment, toujours l’humain… Et aussi d’avoir sous-estimé l’impact de la mauvaise image que les années de difficulté du parc ont laissé sur les gens qui hésitent à revenir. Le nombre d’entrées a été bien en deçà de ce que j’avais escompté… avec les conséquences dans les prévisions financières.

Regret aussi quant au sacrifice d’une partie de ma vie familiale: enfants, amis… Je n’en avais pas suffisamment mesuré l’ampleur: ce sont des temps qui ne se rattraperont plus…

Et un dernier regret enfin quant aux quatre « accords toltèques » que je n’ai pas toujours réussi à pleinement respecter! C’est pourtant une philosophie de vie et une base qui permettent vraiment d’avoir des relations apaisées et de construction avec l’être humain, avec l’autre…»

Nous avons évoqué tout à l’heure le changement de regard de notre société sur les animaux et leur bien-être. Rarement il a autant été question d’écologie dans les discours, pour autant d’autres évolutions sociétales (notamment le très fort développement des écrans) font qu’une très large majorité de la population a une bien plus faible connaissance du monde qui l’entoure que les générations précédentes, et par conséquent parfois, une vision faussée du monde animal.

Quel regard portez-vous sur cette double évolution de la société? Cela ne risque-t-il pas d’entraîner des problématiques avec une certaine «écologie de salon» qui serait quelque peu déconnectée du terrain (avec pour conséquence des attentes, des règlements, etc., qui pourraient avoir un effet inverse à la cause défendue)?

«Une prise de conscience des enjeux écologiques se développe et cette évolution est positive. Mais nous sommes dans une société qui est fragmentée, où s’opposent des blocs avec des gens qui sont toujours plus radicaux sur leurs croyances ou ce qu’ils pensent être bon, où se trouvent à la fois d’un côté une extrême dépendance aux écrans et à l’inverse tout un retour à la nature qui est presque trop radical chez certains pour qui il faudrait tout abandonner –la logique de développement économique, de développement humain– et revenir en pagne de bambou à se promener dans la nature comme à la préhistoire !

Je pense qu’en fait le vrai sujet, c’est de réconcilier cela en se disant qu’il faut de la mesure en tout et que cette mesure passe par l’éducation, une confrontation avec des scientifiques, de l’explication, du dialogue et de la modération.

C’est bien d’avoir une orientation écologique sur des enjeux de biodiversité. C’est bien aussi de ne pas nier tout le besoin de développement humain.

Reconnectons-nous à la nature, aux enjeux de biodiversité, mais faisons-le dans un rythme et dans une construction qui aient le respect de toutes les sensibilités. Éduquons nos jeunes à apprendre à être dans l’échange, dans la discussion, dans la confrontation. J’avais un patron qui me disait: «De la confrontation des idées naît l’excellence de la décision».

Les maîtres-mots pour moi sont l’éducation et le respect…

Aux « Terres de Nataé », nous cherchons à émerveiller bien sûr, mais aussi à transmettre et même à éduquer, dans le bon sens du terme.»