Les traditions celtes anciennes étaient alors mises à l’honneur, les rites bardiques et druidiques avaient été réinventés pour l’occasion. Les Bretons d’Armorique furent invités à participer à ce rassemblement, et c’est le Centre-Breton François Jaffrenou qui fut chargé de lancer les invitations à cette fête de la fraternité celte.
Une Bretagne plus grande et plus belle
Les Bretons furent intronisés comme bardes par Roland Williams (Hwfa-Môn), l’archidruide du Pays de Galles. François Jaffrenou avait choisi comme nom bardique «Taldir ab Hernin» (front d’acier fils d’Hernin), tandis qu’Anatole Le Braz devenait « Skreo ar Mor » (Sterne des mers), et Charles Le Goffic « Eostik ar Garantez » (Rossignol d’Amour)… Ces Bretons de Cardiff étaient des militants qui venaient de créer à Morlaix, le 13 août 1898 l’Union Régionaliste Bretonne, dont le but était, sans passéisme excessif, de développer le sentiment breton et la culture ancestrale menacée de disparition : « Si nous respectons le passé, nous voulons surtout préparer l’avenir, nous voulons que la place qu’occupe la Bretagne au foyer de la patrie française, devienne de plus en plus grande et belle » (tract programme de 1898).
Il voulut honorer la terre qui l’accueillait
François Jaffrenou devint secrétaire de sa section de langue et littérature bretonnes. Cette même année, il publia dans le journal La Résistance de Morlaix une traduction de l’hymne national gallois « Hen wlad fy nhadau » (Vieille terre de mes pères) adaptée à la Bretagne, c’est le fameux «Bro gozh ma zadoù» (Vieux pays de mes pères).
C’est en septembre 1903 que l’Union Régionaliste Bretonne décida d’adopter le «Bro gozh ma zadoù» de Taldir comme hymne du mouvement. En fait, il figurait déjà depuis 1895 dans un recueil de cantiques en breton « Teleen ar c’hristen » (La harpe du chrétien), et avait été composé par un pasteur gallois de Quimper, William-Jenkyn Jones. Celui-ci, arrivé en Bretagne en 1882, avait voulu honorer la terre qui l’accueillait en traduisant l’hymne de son pays. Ce chant en breton avait alors pour titre «Doue ha va Bro» (Dieu et mon pays, sur l’air de «Bro va zadou coz»).
Quand il eut connaissance de la version de François Jaffrenou, Jenkyn Jones n’y vit qu’une variante de son œuvre, mais fut ulcéré de constater que le barde carhaisien s’en attribuait la paternité.
« Faire sa réputation avec la propriété d’un autre ! »
Un enseignant bigouden, Daniel Quillivic, a beaucoup étudié l’origine du Bro Gozh. Il évoque dans un article du Télégramme (avril 2010) la réaction du Gallois dépossédé de son œuvre: «De son vivant, le pasteur Jenkyn Jones ne s’est que très peu battu pour faire reconnaître ses droits sur le «Bro gozh ma zadoù». Le 16 janvier 1904 il écrivait: « Je ne comprends pas cette ambition de faire sa réputation avec la propriété d’un autre. Car tôt ou tard, la déloyauté se fait jour »». On peut tout de même penser que c’est grâce au barde de Carhaix que ce chant s’est répandu dans les milieux bretonnants. Il a particulièrement bénéficié d’un regain d’intérêt ces dernières années. Souvent chanté lors des rencontres officielles, culturelles ou sportives en Bretagne, il le fut aussi à Chicago en 1982 par les 150 élus bretons qui avaient fait le déplacement à l’occasion du procès de l’Amoco Cadiz.
Alan Stivel à la finale Rennes-Guingamp
Sa notoriété fut hissée au niveau national quand, le samedi 9 mai 2009, après la finale de la coupe de France de football Rennes-Guingamp, Alan Stivel au micro du stade de France chanta le «Bro gozh ma zadoù», soulignant le particularisme de ce match qui opposait deux clubs bretons. La Région Bretagne consciente de la valeur symbolique de ce chant, décida en 2021 de l’adopter comme hymne officiel. La reconnaissance de l’œuvre du Gallois de Quimper fut encore soulignée quand un hommage lui fut rendu, sous la plume d’Agnès Ouda, dans les premières pages du volume annuel (2021) de l’Association Bretonne, également héritière de l’Union Régionaliste Bretonne.
F.K.