Pris d’un malaise, Tuomo est incapable d’avancer, et son épouse se trouve bien seule face à une situation dramatique.
Pourtant, ce couple de Finlandais, sportifs de haut niveau, habitués aux compétitions de courses d’orientation où Liisa, dans sa jeunesse, a même été championne du monde, s’était soigneusement préparé à ce périple annuel de ski de fond en Laponie, au-delà du cercle polaire. Ils ne sont plus très jeunes: Liisa a 65 ans et son mari presque 6 ans de plus.
Ils ont attendu cette période de la fin du mois de mars 2015 où les jours qui s’allongent font oublier quelque peu la longue nuit arctique hivernale.
Dès le départ, la météo est mauvaise…
Le point de départ se situe près de Kilpisjärvi, un village de Lapons, éleveurs de rennes. Il est environ 16 heures lorsqu’ils chaussent leurs skis pour une première courte étape, qui doit les conduire à leur première halte près de la frontière norvégienne, la cabane de Lossujärvi, un abri rudimentaire qu’ils espèrent atteindre pour 19 heures. Dès le départ, la météo est mauvaise. Le vent souffle à 72 km à l’heure et la neige tombe dru, réduisant la visibilité à environ 150 mètres.
Mais les courses d’orientation les ont habitués à affronter des intempéries, et pleins de confiance, ils commencent à se frayer un chemin dans la couche épaisse de neige. Ici, des pistes bien damées n’existent pas, c’est à la seule force de leurs bras et de leurs jambes qu’ils tracent leur route. Il leur faut près de trois heures avant d’atteindre le dernier sommet où ils s’attendent à découvrir leur abri.
Mais c’est là qu’une terrible surprise les attend. Aucune cabane n’est en vue. Ils se trouvent devant un paysage inconnu. Ils ne comprennent pas ce qui s’est passé. Comme le téléphone portable de Tuomo ne trouve aucun signal, ils supposent que c’est le mauvais temps… à moins que les champs magnétiques soient faussés…? Des questions sans réponse!
Une chose est certaine : ils sont désormais incapables de s’orienter. Ils continuent à skier encore une heure, cherchant en vain un repère permettant de se situer. La nuit tombe vite, et ils n’ont pas d’autre choix que de bivouaquer sur place. Après avoir creusé un trou dans la neige, juste assez grand pour étaler leur couverture imperméable, et après un repas rapide de quelques morceaux de pain, du fromage et des bananes, ils s’enfoncent dans leurs duvets, rajoutent une autre couverture imperméable par-dessus et s’endorment.
Enfin un repère !
Le lendemain, la visibilité est réduite à une trentaine de mètres. La neige continue à tomber effaçant tous les repères. Ils décident de partir vers le nord-est. Se fiant à une boussole qui les a sans doute trompés la veille, ils chaussent leurs skis et redémarrent. Une heure et demie plus tard, ils découvrent une clôture, qui sort par endroits de la neige profonde. Enfin un repère ! Ils connaissent cette clôture qui coupe ce vaste territoire en deux pour empêcher les rennes de s’éloigner trop du campement lapon et qui est même indiquée sur la carte.
Encouragés, ils décident de la suivre sur leur gauche, rassurés de ne plus skier à l’aveugle. Mais à peine ont-ils fait quelques centaines de mètres que Tuomo s’arrête, essoufflé. Au début, ils ne s’inquiètent pas. Ils boivent pour se réhydrater et repartent, Liisa en tête.
Mais à nouveau, Tuomo est contraint de s’arrêter. Il demande même à s’allonger. Il est évident que ce grand sportif, celui qui a toujours su faire obéir son corps, se trouve confronté à un problème qui le dépasse. L’après-midi se déroule ainsi : des arrêts de plus en plus fréquents et de plus en plus longs ralentissent leur course. Vers 17h30, ils réalisent qu’ils seront contraints de passer une deuxième nuit dehors. Tuomo commence à trembler de froid, il se sent nauséeux. Son état empire pendant la nuit, mais le lendemain matin, conscient de l’urgence de trouver la cabane, il se force à chausser à nouveau ses skis. Comme la veille, ils avancent un peu, se reposent pendant quelques minutes, reprennent leur route… de plus en plus péniblement jusqu’à ce que Tuomo s’écroule au sol. Son épouse l’aide à se glisser dans son duvet où il s’endort aussitôt.
Elle skie pendant 15 heures sans s’arrêter…
Désormais, Liisa est seule face au drame. Il est 20h, la nuit est là, mais elle n’a pas le choix : elle doit aller chercher du secours. Après avoir bien entouré son mari d’une couverture étanche, elle plante un ski auquel elle attache une lampe pour faciliter les recherches, puis elle part dans la nuit, s’éclairant d’une lampe de poche, sans savoir exactement où aller. Sans céder à la panique, elle continue ainsi, luttant contre la fatigue, surmontant la peur. Une seule pensée la guide : trouver la cabane, trouver du secours !
Puis, le mercredi matin, arrivée en haut d’une colline, elle découvre, au loin, un toit qui dépasse la couche de neige. Enfin ! Ce tout petit abri dans ce monde hostile est pour elle synonyme de vie, synonyme d’espoir de salut… !
A 11 heures ce mercredi matin, Liisa, épuisée, arrive à la cabane. Elle a skié pendant 15 heures sans s’arrêter ! A son immense soulagement, la cabane n’est pas vide : il y a là un Lapon, éleveur de rennes, Ole-Thomas Baal. En quelques mots, elle arrive à lui expliquer qu’elle a dû abandonner son mari, malade.
Sans perdre une minute, Ole-Thomas Baal démarre sa moto-neige et se lance à la recherche de Tuomo suivant les traces de ski de son épouse avant qu’elles ne s’effacent. Avec sa machine puissante, il ne met que trente minutes pour arriver à l’endroit où Liisa a dû abandonner son mari. Lorsqu’il découvre Tuomo, immobile dans la neige, il se demande s’il n’arrive pas trop tard. Mais non ! L’homme est toujours en vie. En quelques instants, Ole-Thomas réussit à établir le contact téléphonique avec l’Hôpital universitaire de Tromsö, en Norvège, et une demi-heure plus tard, un hélicoptère arrive sur les lieux pour évacuer le malade.
La température de son corps est descendue à 25°C, on doit enlever un mètre de son intestin, nécrosé par le froid, lui amputer quatre doigts de pied, ses reins mettent deux semaines avant de fonctionner correctement…
Les médecins sont incapables de comprendre exactement la cause de son épuisement, mais ils sont unanimes: dans cette nuit glaciale, Tuomo aurait dû mourir. Pour eux, deux choses ont contribué à le sauver: sa propre condition physique et surtout la détermination et le courage immense de son épouse qui a su garder son sang-froid dans cette situation dramatique et aller bien au-delà de ses forces pour chercher du secours.