Retenu par une corde au-dessus d’un abîme noir, la jambe fracturée, le jeune Ian Holmes réalise la gravité de sa situation.
Depuis sept jours, il chemine avec deux compagnons sur la glace dans un des endroits les plus inhospitaliers du monde : l’Antarctique et plus particulièrement l’île Heard, un rocher isolé d’environ 20 kilomètres de large.
Ils font partie d’une mission scientifique australienne qui a pour but de recenser les phoques et les manchots de cette île et aussi d’évaluer l’état des glaciers. Un médecin, le docteur Grahame Budd, âgé d’une quarantaine d’années, responsable de l’équipe, est accompagné de deux assistants, Ian Dillon et Ian Holmes, âgés respectivement de 23 et de 24 ans.
Des ponts de neige fragiles
Après 10 jours dans un campement, suivis de 7 jours de marche épuisante où il a fallu s’imposer une extrême prudence en sondant régulièrement la glace et la solidité des nombreux ponts de neige qui jalonnent leur route, ils pensent avoir fait le plus dur.
« Ce 10 février 1971, raconte Ian Holmes, je commençais à me sentir heureux et fier à l’idée que nous avions triomphé d’un des reliefs les plus terribles du monde. »
Hélas, son soulagement est de courte durée! En franchissant une crête étroite qu’il décrit comme une « lame de rasoir entre deux crevasses », il est déstabilisé par une terrible rafale de vent, il perd pied, et dans une glissade incontrôlée, il est projeté dans une crevasse profonde, s’arrêtant cinq mètres plus bas, où la corde qui le relie à ses deux camarades le stoppe net.
Une douleur aiguë à la jambe droite lui fait comprendre sans aucune hésitation que celle-ci est fracturée. Non seulement, il est en danger de mort lui-même, mais son accident met également ses deux compagnons en péril.
En effet, pour affronter les glaciers de cette île, une cordée doit comprendre au minimum trois hommes pour déjouer les pièges et pour se soutenir mutuellement dans une coordination rigoureuse.
En entendant la mauvaise nouvelle, ses deux compagnons ne disent rien. Se lamenter sur leur sort ne sert à rien, il faut agir.
Après avoir solidement ancré la corde qui retient le blessé, ils réussissent à hisser leur camarade sur l’étroite corniche où ils se trouvent.
Le Dr Budd essaie tant bien que mal d’immobiliser la jambe fracturée, puis administre une dose de morphine pour diminuer la douleur dans l’urgence.
La suite s’avère autrement difficile. Lorsqu’ils avaient quitté le camp de base, ils n’avaient emporté que pour six jours de vivres. Ils disposent tout juste d’un minimum nécessaire pour arriver à ce camp, qui se situe à 50 km. La situation est donc pour le moins dramatique.
Une attente terriblement éprouvante
Après avoir installé le blessé dans la tente de 2 m sur 1,50, les deux hommes valides lui font part de leurs intentions. Se souvenant qu’une équipe semblable avait laissé un petit dépôt de vivres ainsi que quelques médicaments, du plâtre et un bidon de pétrole huit ans auparavant dans un lieu appelé Long Beach, à peu de distance, ils ont décidé de s’y rendre dans un premier temps pour rapporter ce qu’ils pourraient et pour décider ensuite de la marche à suivre.
La journée d’attente dans le froid intense et la douleur lancinante de la jambe fracturée est terriblement éprouvante pour le blessé, et lorsque, enfin, ses compagnons reviennent, c’est pour lui annoncer des nouvelles loin d’être réjouissantes: la nourriture est pratiquement inutilisable, il n’y a plus de pétrole, et le plâtre s’effrite lorsque le médecin essaie de le préparer. Seuls quelques cachets d’aspirine peuvent encore soulager la douleur du blessé.
Devant cette situation, il n’y a qu’une solution, mais elle est tellement risquée pour tous les trois qu’ils ne l’adoptent qu’en dernier recours : laisser le blessé seul sur place pour que ses deux compagnons essaient d’atteindre, au plus vite, le camp de base. Mais abandonner Ian Holmes à cet emplacement où de gros blocs de glace s’écroulent régulièrement est très risqué. Toute la glace peut s’effondrer d’un moment à l’autre. Pour les deux hommes qui doivent partir, la situation est également périlleuse, d’autant plus que le Dr Budd souffre depuis plusieurs jours de douleurs dans un genou.
Le septième jour, soudain, un bruit le réveille!
Si tout va bien, les deux hommes peuvent espérer atteindre le camp de base en deux journées de marche, puis il faudrait réussir à contacter un navire équipé d’un hélicoptère.
A quatre heures du matin, après avoir entassé à côté du blessé la nourriture qui restait plus un peu de combustible pour le petit réchaud dont il disposait, le Dr Budd et Dillon partent donc laissant leur camarade seul sur le glacier.
Abattu, il écoute le hurlement du vent et le craquement de la glace qui l’accompagneront dans les jours à venir. Il essaie de lire un livre que ses compagnons ont laissé, mais il fait trop froid pour sortir les bras du duvet.
Comme il le dit dans son récit « Perdu dans l’Antarctique », « il ne me restait plus qu’à prier que mes compagnons se tirent de l’aventure et reviennent à temps pour me trouver en vie. »
Rapidement, il est confronté à un problème supplémentaire. C’est l’été dans l’Antarctique, et même si les températures nocturnes sont toujours basses, dans la journée, la glace fond et l’eau commence à envahir la tente. Lorsqu’il tente de préparer un potage à partir d’un peu d’eau et d’une tablette d’extrait de viande, le réchaud bascule et son repas se répand au sol.
Il ne peut qu’avaler un somnifère pour sombrer dans un sommeil agité. A son réveil, il grelotte de froid. La chaleur de son corps a fait fondre la glace et il baigne dans une quinzaine de centimètres d’eau.
Angoissé, complètement désespéré, il se demande comment il va pouvoir tenir jusqu’à l’arrivée des secours… Pendant plusieurs jours, il se bat pour ne pas sombrer, se forçant à allumer le petit réchaud de temps à autre pour chauffer un peu d’eau jusqu’à ce qu’il soit trop épuisé et reste prostré dans un état de semi-léthargie. Il commence à envisager la perspective de terminer sa vie sur ce glacier, et prépare, dans sa tête un mot pour les siens.
Puis, le septième jour, soudain, un bruit qui ne vient pas du vent ou de la glace le réveille brusquement. Dans un ultime effort, il arrache la toile de tente et découvre, juste à six mètres au-dessus de sa tête un hélicoptère rouge, et le Dr Budd qui lui fait signe. Il est sauvé. En sécurité sur le navire Nella Dan qui avait été contacté par ses deux compagnons alors qu’il naviguait à 1600 kilomètres de là et qui avait dû parcourir 700 kilomètres jusqu’à atteindre la base australienne de Mawson afin d’embarquer deux hélicoptères avant de se rendre sur les lieux du sinistre, il apprend combien ses deux compagnons et notamment le Dr Budd, avec un genou démis, ont souffert pour rallier la base.
Il peut aussi écouter le reportage à la radio australienne de son sauvetage.
« Vous faites la une des journaux, lui raconte un membre de l’équipage. Toute l’Australie a prié pour vous. »