C’était la deuxième nuit que Rudi Gonsales passait dans la montagne roumaine, perdu, sans rien à manger, transi de froid dans cet univers hivernal, glacé.
Cet Anglais de 50 ans, originaire d’Epson Downs, au sud de Londres, était venu faire du ski en Roumanie. Il avait choisi la station la plus réputée du pays, celle de Poiana Brasov, située au pied de la montagne Postavaru (1799m) qui marque la limite entre les Carpates du Sud et les Carpates de l’Est. Ce site splendide, disposant d’un très vaste domaine skiable, offrait aux débutants comme aux skieurs expérimentés des pistes adaptées. Rudi, éducateur sportif, s’élança sur la piste noire, la plus difficile, sans aucune crainte.
Au départ, le temps était idéal, la neige très bonne. Mais soudain, le ciel s’obscurcit et la neige se mit à tomber. La piste s’estompait dans cet environnement ouateux, Rudi voyait à peine les autres skieurs, et ce fut au tout dernier moment qu’il vit arriver droit sur lui un gros engin, le dameur de pistes.
Il eut juste le temps de se jeter sur le côté pour l’éviter, mais ce faisant, il se trouva en dehors de la piste et se vit dévaler une pente très raide vers un précipice. Lorsque, enfin, il parvint à freiner et à s’immobiliser, il était tout contusionné. Il avait cependant évité le pire, il n’avait rien de cassé, ses skis étaient toujours accrochés à ses chaussures.
Il lui suffirait donc de remonter la pente pour retrouver la piste. Facile à dire, mais pas si facile à réaliser. Il se trouvait là dans une neige fraîche profonde, une neige qui n’avait pas été damée. Bien que remontant en escalier, les skis perpendiculaires à la pente, il tombait sans cesse et dut, au bout d’un temps s’avouer vaincu. Il ne pourrait jamais remonter jusqu’à la piste, il lui fallait donc essayer de se frayer un chemin pour descendre.
La nuit tombait déjà, et la descente s’avéra très difficile. Chausser les skis était beaucoup trop dangereux, il avançait donc pas à pas, s’enfonçant profondément dans la neige molle, les skis sur l’épaule. Après trois heures de marche pénible, il était à bout de forces. Le froid s’était intensifié avec l’arrivée de la nuit, et malgré l’effort fourni, il frissonnait de la tête aux pieds. Arrivé dans un bois, il décida d’y passer la nuit.
Un abri de fortune dans la neige…
Pour se protéger autant que possible du froid mordant, il creusa un trou dans la neige sous les branches basses d’un sapin, et ramassant quelques branches mortes, il réussit à allumer un petit feu avec son briquet. Pour faire prendre le feu, il dut sacrifier quelques billets de banque qu’il trouva dans sa poche et deux bonnets de rechange.
Mais dans son abri de fortune, il reprit courage. Il n’allait pas abandonner. Il pensait surtout à sa femme, restée en Angleterre parce que trop sujette au vertige pour venir en montagne. Il n’osa pas s’endormir, craignant de ne jamais se réveiller. Recroquevillé devant son petit feu, il passa une nuit très longue à écouter les bruits de la nature, espérant l’arrivée d’un sauveteur, même s’il dut admettre que cela était tout à fait improbable.
Peu avant l’aube, un énorme craquement de branches le fit sursauter. Paniqué, pensant à la présence possible d’un gros animal, il cria de toutes ses forces tout en tapant ses skis l’un contre l’autre, et à son grand soulagement, il entendit l’animal s’enfuir.
A la lumière du jour, il découvrit des traces fraîches dans la neige : des empreintes de plus de 10 centimètres de large. Les pensées se bousculèrent dans son esprit: pourrait-il s’agir d’un ours brun ? Il se souvenait d’avoir lu récemment un article sur la présence de cette bête redoutable dans la région.
Quoi qu’il en soit, il avait hâte de se remettre en route, conscient qu’une deuxième nuit dans ce monde froid et hostile pourrait bien s’avérer fatale.
Quatre heures pour faire 500 mètres !
Mais la progression fut désespérément lente. Comme il était affaibli par le manque de nourriture et le froid, chaque pas dans la neige profonde lui demandait un effort extrême… Au bout de quatre heures, il lui semblait qu’il n’avait progressé que de quelque 500 mètres.
En fin d’après-midi, il n’arrivait plus à avancer. Et il ne pouvait même pas allumer un feu, son briquet était gelé !
Jusqu’à minuit, il resta ainsi accroupi, appuyé sur les racines saillantes d’un arbre. C’est alors qu’il entendit distinctement un bruit lugubre qui lui glaça le sang : cela ne pouvait être que le hurlement d’un loup, c’était tout près de lui, et lorsqu’il aperçut trois paires d’yeux qui le fixaient, tout doute disparut. Soudain, pleinement tiré de sa torpeur, il réalisa combien sa situation était dramatique. Les loups étaient là, à quelques mètres de lui, et il n’avait rien pour se défendre !
«Non, vous ne m’aurez pas!» hurla-t-il de toutes ses forces. Et, chose étrange, au bout d’un temps, les animaux se retournèrent et partirent, laissant Rudi étreint d’angoisse. Trop effrayé pour attendre sur place la lumière du jour, il se remit en route avant l’aube, conscient que la journée allait être décisive. Mais il avait retrouvé sa lucidité, il avait repris courage.
«Mon corps fonctionne toujours, se dit-il, mon cerveau pense toujours, la montagne ne m’aura pas !»
Cependant, son épuisement était tel qu’il dut rapidement, à nouveau, s’abriter sous un arbre où il sombra dans un état de mi-sommeil, mi-conscience. Cela aurait sans doute été la fin pour lui si un bruit insolite ne l’avait tiré, encore une fois, de sa torpeur.
50 heures dans le froid glacial !
Mais cette fois-ci, ce n’était pas le bruit menaçant d’un animal sauvage, c’était le vrombissement puissant d’un moteur. Se relevant, il vit alors, un peu plus loin dans la neige, les traces d’un tracteur. Celui-ci avait déjà disparu, mais Rudi, dans un dernier effort, réussit à se traîner, en suivant les traces et une clôture qui sortait de la neige, jusqu’à une petite route de campagne, où il s’écroula, ne pouvant plus faire un pas. Et c’est là qu’un paysan, conduisant un attelage de deux chevaux, le trouva et le ramena dans sa maison.
Il était sauvé. Après lui avoir fait avaler plusieurs bols de lait chaud, le paysan le reconduisit jusqu’à l’hôtel. Pour les gens de la contrée, c’était un miracle qu’il ait pu survivre 50 heures dans ce froid glacial.
Rapatrié d’urgence en Angleterre, il passa deux jours à l’hôpital, mais il ne garda de cette aventure aucune séquelle. Lui-même est convaincu que seul l’amour pour sa femme lui avait donné le courage de continuer le combat jusqu’au bout sans se laisser aller au désespoir.