«Il est heureux? Il progresse… Alors, il est à sa place!»
Ce psychologue scolaire n’était pas seulement un homme d’expérience, mais de cœur!
Il ne s’agissait, en effet, pas de classer des objets, ni d’établir des catégories d’anonymes personnages… mais d’un petit enfant de maternelle souffrant d’un grand handicap intellectuel, «de difficultés d’apprentissage», et ayant de réels problèmes de relations sociales.
Depuis plusieurs années, il avait tant bien que mal suivi les diverses étapes de la classe maternelle, et malgré toute l’attention qui lui était prodiguée, il ne progressait que très lentement…
De plus, aucune structure pour enfants handicapés ne correspondait à son cas.
D’où la question posée:
«Fallait-il l’accepter pour une nouvelle année supplémentaire ou tenter de trouver une autre voie?»
Le psychologue scolaire a alors proposé, comme l’évoque le début de cet éditorial, une solution toute simple, évidente, marquée du sceau du bon sens et de la sollicitude portée à chaque enfant en particulier:
«Il est heureux? Il progresse, même si c’est à son rythme à lui? Alors, il est à sa place!»
Une enseignante d’expérience, qui fut directrice d’école, faisait remarquer combien la vie scolaire imposait des choix délicats, soulignant le danger que comportaient «les étiquettes que l’on collait aux personnes» en les «catégoriant», ce qui pourrait les éloigner des autres et de la vie partagée…
Quelle leçon d’humanité et de vraie sagesse le psychologue scolaire a donnée à tous!
Il introduisait dans un débat académique, dans les considérations administratives… un élément souvent oublié: «le cœur».
Certes, ce mot peut évoquer maintes situations et être utilisé à toutes sortes de fins… à tel point qu’il peut perdre sa signification profonde en étant banalisé à l’excès.
La littérature en présente de nombreuses facettes, des plus émouvantes aux plus fades.
Ainsi Corneille, dans son remarquable ouvrage: «Le Cid», ne fait-il pas peser sur Rodrigue, interpellé par son père, blessé en son amour-propre et en son honneur, un poids redoutable, lourd d’inconnues et de menaces:
«Rodrigue, as-tu du cœur?»
Et le fils, acceptant de suppléer, au péril de sa vie, à l’amoindrissement dû à l’âge de son père, répondit, par cette formule orgueilleuse devenue célèbre:
«Tout autre que mon père l’éprouverait sur l’heure!»
Dans ce drame si riche d’émotions, le cœur est totalement éprouvé, tant dans son aspect filial, que sentimental, Chimène –l’aimée– étant la fille de Don Gormas, l’ennemi à combattre…
La puissance d’évocation de l’auteur a fait vibrer bien des cœurs au cours des siècles…
Et, quelque différentes que soient notre culture et notre civilisation, les sentiments demeurent bien présents dans la vie des hommes et femmes de notre temps.
Il est heureux qu’il en soit ainsi, car un «monde» robotisé, numérisé, déshumanisé… quelles que soient ses réussites techniques et matérielles, ses connections toujours plus performantes… n’a rien d’attirant.
Et si le sentimentalisme excessif peut être préjudiciable et avoir des effets négatifs, voire pervers,
l’absence de compassion, de compréhension, d’attention, d’affectivité, d’amour… l’est beaucoup plus encore!
Le cœur… Aimer!
N’est-ce pas ce qui différencie l’homme de l’ordinateur, et l’enfant de l’animal, bien que ce dernier puisse manifester envers son maître un très grand attachement allant dans certaines situations jusqu’au sacrifice de sa vie…
«Il ne lui manque que la parole» assure telle personne, exprimant l’attachement et l’amitié qu’elle éprouve envers son chien ou un autre animal familier.
Sans «sensiblerie», sans faiblesse hypothéquante, ne faudrait-il pas réintroduire «un peu de cœur» également dans les relations humaines, à tous les niveaux et dans tous les cercles…
Et si la « diplomatie» ne lui laisse guère de place, les nations elles-mêmes ne gagneraient-elles pas en atténuant les froids calculs et pour certains le cynisme par des considérations empreintes d’humanité?
Une question que chacun peut se poser à lui-même:
«As-tu du cœur?»
Et sans sortir l’épée comme le fit Rodrigue,
sans réagir en personnage froissé, car une interrogation semblerait introduire un doute,
répondre, après avoir réfléchi, ce que les faits et les réactions révèlent, en toute honnêteté.
«L’amour, aimer, dit la Bible, est plus grand que tout.»
C’est Dieu qui le dit!


Yvon Charles