«Malgré la densification du trafic au fil des décennies, les routes sont quand même sûres. Le nombre de décès a beaucoup baissé en 30 ans, c’est un bon signe…

L’on ressent par contre beaucoup de tensions sur la route, mais je pense que c’est global: la moindre petite faute, le moindre petit écart… L’on n’est plus juste pardonné par un «excusez-moi», on sent tout de suite un regard méchant voire une insulte. C’est plus un stress général qui se manifeste au volant aussi.»

A l’heure où de plus en plus de personnes changent radicalement de cadre de vie, de profession… d’autres, moins nombreux, choisissent encore de reprendre le flambeau d’entreprises familiales, se consacrant de père en fils avec persévérance à des tâches qui font vivre leur région…

Les « cars Croissant » sont une « institution » pour des générations de petits Centre Bretons: combien y sont montés pour la première fois, le cœur battant sous l’œil bienveillant du chauffeur déjà au volant et le regard attendri de leurs parents devant l’école… Ils partaient ainsi pour la grande aventure que représentait à leurs yeux une simple petite sortie scolaire, tellement fiers de prendre place dans les trop grands fauteuils pour un « voyage » dans ces fameux cars…

Après François son grand-père, Jean-François son père, c’est désormais Mathieu qui est à la tête de cette flotte de véhicules et de tous les services de transport divers que propose la maison aux habitants du Poher…

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Pouvez-vous vous présenter brièvement ?

«Je suis né en 1985 à Quimper et j’ai grandi à Carhaix jusqu’au bac.

Je suis ensuite parti faire mes études à Brest, sans trop savoir ce que je voulais faire comme beaucoup de bacheliers… jusqu’à ce que je comprenne que ma voie était plutôt dans l’économie. Comprendre comment fonctionne la société, par ce biais-là en tout cas, était ce qui m’attirait le plus. J’ai poursuivi jusqu’au master.

Ces études très intéressantes, assez larges, m’ouvraient beaucoup de portes… mais contrairement à ce que j’aurais pensé plus tôt, j’ai écouté ce que je ressentais au plus profond de moi-même pour finalement faire le choix de revenir ici. Dans un premier temps, je n’avais pas en tête de reprendre l’entreprise familiale, mais plutôt d’en créer une moi-même…

Le déclic s’est produit quand, en revenant, j’ai accepté d’aider un peu mon père. Je me suis alors demandé pourquoi vouloir partir de zéro alors que prendre la main sur ce bel outil, là depuis deux générations, pouvait également être un très beau projet!

Outre ce parcours universitaire et d’étudiant, rechercher une ouverture d’esprit maximum est ce que je retiens de l’éducation que j’ai reçue de mes parents et grands-parents. Tous les voyages qu’ils m’ont permis de faire m’ont beaucoup marqué en ce sens, ils ont changé ma vision du monde, toutes ces rencontres avec des étrangers qui ont d’autres modes de vie…

Et cela sans pour autant vouloir aller vivre à l’étranger… juste une ouverture qui me laissait attaché ici.

J’ai par contre ma petite sœur, de 2 ans plus jeune, qui, après avoir fait une école de commerce à Rennes, a fait le choix de partir à l’étranger, elle vit en Inde depuis 6 ans…

Voilà notre petite famille: un grand frère qui est resté vraiment là où il a toujours grandi et une petite sœur qui est à plusieurs milliers de kilomètres…

Ma compagne est étrangère, elle est chinoise et c’est aussi une autre culture qui arrive dans la famille… Nous essayons de trouver un équilibre pour que tout le monde s’y retrouve et que cela se passe bien. Cette multiplicité de cultures qui cohabitent, qui vivent ensemble, peut définir un peu notre cocon familial.»

Après des études universitaires dans un tout autre domaine que le transport et la logistique, vous avez donc décidé de suivre les traces de vos père et grand-père en intégrant l’entreprise familiale avant d’en prendre vous-même les rênes en 2017… Pourquoi ce choix ?

«Quand je suis revenu, je voulais créer ma propre entreprise comme, je pense, beaucoup d’enfants de chefs d’entreprise qui veulent tracer leur propre chemin.

Chaque été, j’aidais mon père dans l’entreprise, mais je l’ai fait cette année-là pour la première fois, non plus avec le regard de quelqu’un qui vient juste faire ce qu’on lui demande, mais avec celui de quelqu’un qui s’imagine ce qu’il pourrait bien faire de cette entreprise…

Comme dans toute activité, il y a des cycles qui se mettent en place, des évolutions dans la société auxquelles toute entreprise doit s’adapter, pour rester en vie tout simplement…

Pourquoi vouloir partir de zéro, de quelque chose que je ne connaissais pas et tout créer moi-même pour essayer de me lancer et espérer en vivre? Ne valait-il pas mieux faire basculer mon projet sur la reprise d’activité d’une belle entreprise qui existait déjà et m’y insérer? Elle avait son vécu, son histoire, une équipe en place que je connaissais, tout fonctionnait très bien…

Et les études que j’avais faites avaient aussi changé mon regard…

Cette démarche a d’ailleurs aussi un peu été celle de mon père jeune. Tout en poursuivant les études qu’il avait choisi de faire dans un domaine lié à la nature et l’agriculture qui l’intéressaient, il avait passé son permis de transport et commencé à conduire les cars de son père pour des excursions et des voyages pendant ses vacances… Et il a trouvé cela tellement passionnant, que ses études menées à bien et le diplôme d’ingénieur agronome en poche, après son service militaire, il a finalement opté pour la profession de transporteur. Comme moi, c’est un métier qu’il avait côtoyé depuis longtemps mais dont il ne connaissait que l’aspect extérieur, c’est en le pratiquant réellement qu’il l’a vraiment découvert, aimé et choisi!

D’où l’intérêt aussi de temps d’études en alternance et des stages que je conseille vivement aux jeunes d’effectuer avant de vraiment se lancer dans une voie…»

Vous dirigez cette entreprise après votre père et votre grand-père… Qu’est-ce que cela vous inspire ?

«C’est un petit surplus d’émotions, un sentiment de fierté par rapport à racheter une entreprise avec laquelle on n’a pas de lien particulier…

Il ne se passe pas une journée sans que l’on me parle de mes parents et même de mes grands-parents (ces derniers pourtant décédés depuis des années!). Je trouve que c’est beau ces retours de personnes qui les ont connus avant moi et qui en savent parfois plus que moi sur eux. J’apprends des choses sur leur vie, c’est intéressant et cela me touche et me fait plaisir de voir qu’ils ont marqué les gens qu’ils ont rencontrés.»

Pouvez-vous présenter l’entreprise des «Transports Croissant» aujourd’hui (activités, personnel…) et retracer son histoire qui remonte à l’après-guerre ?

«1952 est la date de sa création par mes grands-parents.

Ils ont commencé par ce que l’on appelle le transport de marché: ils conduisaient au marché les gens et ce qu’ils avaient à vendre, autour de Carhaix, principalement dans les Côtes-d’Armor à Maël-Carhaix…

Aux alentours des années 60, ils ont eu l’opportunité de reprendre une activité à Carhaix disposant de plus de véhicules.

Par la suite, quand mon père a intégré l’entreprise, dans les années 80, ils ont commencé à mettre en place les activités de taxi et d’ambulance. Il y avait à l’époque peu de réglementations: on achetait un véhicule, on mettait une blouse blanche et on devenait ambulancier!

Répondant à ce besoin qu’ils avaient identifié, ils ont mis sur pied cette double activité.

Et cette demande en sanitaire s’accroissant parallèlement à celle des voyages, il a fallu recruter, se développer…

Les voyages qui commençaient à s’étendre, représentaient encore une autre «casquette» de mon grand-père, voyages à la demande d’associations, de groupes déjà existants ou organisés par ses soins puis proposés et vendus à la place…

A la fin des années 90, mon père a acheté une autre entreprise de transport à Rostrenen qu’il a baptisée «Autocar Bretagne Centrale, ABC». Elle comprenait uniquement les services de car mais permettait d’avoir une meilleure assise territoriale avec un pied dans chaque département et une flotte de véhicules plus étendue.

Aujourd’hui nous avons toujours ces deux entités. Et si l’on compte l’ensemble des deux entreprises, nous arrivons à une vingtaine de cars, une dizaine de voitures, taxis ou ambulances, et une trentaine de personnes dont une quinzaine à Carhaix comme à Rostrenen.

Nous sommes ainsi sur deux départements et cela se ressent: ce n’est pas du tout la même façon de travailler, pas les mêmes relations entre les gens non plus… Les deux façons de fonctionner sont très différentes et c’est intéressant, il faut que chacun garde son identité!»

Depuis sa création dans les années 1950, jusqu’à aujourd’hui, les moyens de transport ont beaucoup évolué (véhicules, routes, réglementations…) Quel regard portez-vous sur ces évolutions, et quelles stratégies votre entreprise a-t-elle mises en œuvre pour s’adapter ?

«C’est sûr que l’on est passé d’une époque –que je n’ai pas connue– où il y avait très peu de réglementation et où qui voulait pouvait se lancer, à quelque chose de maintenant très très encadré rendant même ces professions difficiles d’accès…

Il est dorénavant impossible de se lancer à partir de rien: il faut respecter beaucoup de critères (sécurité, assises financières…). Cette réglementation s’est imposée à toutes les activités, que ce soit le car, l’ambulance, les voyages, tout doit être cadré, assuré, sécurisé et chaque domaine est devenu une activité professionnelle à part entière.

Un chauffeur qui auparavant chez nous pouvait faire du transport scolaire le matin et le soir, et remplir sa journée en faisant des taxis ou des ambulances pour arriver à un temps complet, ne peut plus vraiment le faire.

Chaque branche se spécialise avec son bagage spécifique (formations, permis…) en une équipe sanitaire, une équipe car et une équipe tourisme.

De ce fait, le recrutement de chauffeurs de car commence à sérieusement poser problème. C’est en ce moment un métier sous tension. Il est difficile pour un jeune qui veut aujourd’hui se lancer dans le car de trouver un débouché qui lui offre un temps complet… Il y a beaucoup de demandes mais peu de candidats et la fédération travaille sur l’attractivité de ce métier pour essayer de trouver des solutions et assurer la relève…

Le métier d’ambulancier par contre continue d’attirer, il y a toujours régulièrement des gens qui se forment.

Et aujourd’hui, pour ce qui concerne le transport sanitaire, le besoin est davantage dans l’accompagnement que dans le transport lui-même… Tout le monde –ou presque– a une voiture pour aller à ses rendez-vous, mais ce que recherchent les gens qui nous réservent une ambulance ou un taxi, c’est cet accompagnement que l’on va proposer en dehors de la consultation à laquelle ils se rendent, pouvoir converser, évoquer la maladie ou au contraire l’oublier le temps du trajet…

Quelqu’un que l’on conduit par exemple pour faire une série de séances de rayons à Brest, peut passer entre 3 et 4 heures chaque jour dans la compagnie de l’ambulancier; l’aspect relationnel, humain est alors essentiel!

Il n’est pas compliqué aujourd’hui de devenir ambulancier mais ce côté humain, cette capacité à avoir de l’empathie sont primordiaux!

L’une des spécificités du territoire est d’une part l’augmentation des besoins de soins d’une population assez âgée et d’autre part la distance à parcourir pour bénéficier de ces soins, dont l’offre se trouve rarement à Carhaix, imposant donc des trajets de longue distance vers Brest, Quimper, Morlaix ou Saint-Brieuc.

C’est une particularité par rapport à nos confrères qui déjà dans des grandes villes, vont y tourner toute la journée. Nous sommes beaucoup sur la route, ce qui amène forcément à tisser ce lien…»

Lors d’une interview en 1989, votre père expliquait dans les colonnes de ce journal que malgré l’essor des déplacements en avion, et en véhicule personnel, les voyages en car avaient toujours le vent en poupe. Est-ce toujours le cas en 2024?

Les préoccupations écologiques favorisent-elles ce moyen (transport en commun) ou au contraire souffre-t-il d’un regard critique (polluant) ?

«Je pense qu’il y a toujours la demande de voyages en car, mais nous –et nos confrères, c’est général– n’arrivons plus à suivre cette demande, par le manque de main d’œuvre. Ici comme à Rostrenen, nous recevons des demandes de toute la Bretagne et même bien au-delà. Les personnes ont frappé aux portes de tous les autocaristes de leur région sans succès…

Même s’il est lent par rapport à l’avion, le car dont le confort s’est également considérablement amélioré, conserve l’avantage de pouvoir aller partout, exactement là où l’on veut et sur plusieurs jours si besoin… L’avion ou le train qui vous transportent d’un point A à un point B n’offrent pas cette souplesse!

En termes de rapport à l’écologie, je m’en tiendrai au discours de la fédération des transporteurs selon laquelle nous arrivons en 2e position derrière le train, notamment pour ce qui concerne le rejet de CO2. Bien sûr, tout dépend du nombre de personnes qui se trouvent dans le car… Plus le car est plein, mieux c’est!

Mais à ce niveau-là, c’est donc un transport qui reste dans l’air du temps!»

L’augmentation des prix des carburants favorise-t-elle ce mode de voyage (plus économique), ou au contraire risque-t-elle de mettre en péril cette activité (plus suffisamment rentable) ?

«A notre échelle, nous n’avons pas ressenti le fait que les gens se déporteraient de leur voiture pour aller vers le transport collectif.

Par contre, nous avons fortement ressenti l’impact en termes de dépenses, de manière différente selon qu’il s’agisse des cars ou des ambulances. Pour le car, nous sommes maîtres de notre prix et si nos coûts augmentent, on peut le reporter sur nos prix. En sanitaire, le prix est fixé par la Sécurité Sociale: «un trajet Carhaix-Brest, c’est tant», même quand la charge augmente de 20%, le prix, lui, reste fixe, à nous de trouver des solutions pour que cela demeure rentable!

Le transport de plusieurs personnes en même temps permet d’absorber une partie de ce surcoût. C’est alors une question d’organisation entre nous, pour que les journées aient un niveau d’activité suffisant en ne coûtant pas trop cher non plus… En cela, le Centre-Bretagne présente l’avantage de pouvoir créer ses circuits, former des boucles…

L’augmentation du coût du carburant a donc eu un impact sur notre réflexion à savoir comment nous organiser pour pouvoir rester rentable. C’est vital pour l’entreprise!

En car, c’est juste une augmentation des prix, en sanitaire c’est plus une adaptation…»

A ce jour, si votre activité a pour tronc commun le transport de personnes, elle se divise en quatre branches: les transports scolaires et de groupe (réguliers ou ponctuels), le transport sanitaire, le taxi, les voyages en autocar. Ces différentes activités ont-elles un poids similaire dans l’entreprise ou l’une est-elle prépondérante ?

«A Carhaix, 50% de l’activité, c’est le transport sanitaire, et 50% le transport en car au sein duquel le transport scolaire représente 70% de l’activité, les 30% restants concernant le transport collectif autre: sortie à la journée, tourisme… Depuis l’après Covid, accaparés par les besoins en transport sanitaire, nous n’avons pas trouvé le temps de relancer vraiment les voyages, mais la demande est là et nous n’y avons pas renoncé!

Le taxi compteur représente à peine 1% de l’activité. Les trois taxis que nous avons, sont en fait employés au transport sanitaire toute la journée…»

Comment avez-vous vécu la crise de la COVID-19? Quels ont été les impacts pour votre entreprise, à court terme (durant la crise), et à plus long terme? Des impacts s’en ressentent-ils encore ? Certains changements de comportement ou d’habitudes se sont-ils durablement ancrés ?

«L’impact a été différent dans chaque activité: en car, les confinements ont été un coup d’arrêt radical. Pour le sanitaire, un petit filet a continué, pour les traitements lourds ou vitaux. Bien que divisée par 3 ou 4, cette activité n’a donc jamais cessé…

D’autre part, le fait de pratiquer principalement le transport scolaire en car, nous a permis d’être soutenus par la Région Bretagne qui a continué à nous verser une partie de ce que nous percevions quand nous faisions le ramassage scolaire, pas en totalité mais en tout cas suffisamment pour couvrir nos charges. Ce fut un gros avantage par rapport à d’autres confrères qui s’étant davantage lancés dans le tourisme, se sont retrouvés sans rien du tout…

Cela nous a permis d’être plus sereins pendant cette période-là et en capacité de redémarrer plus facilement quand les activités ont pu reprendre.

Beaucoup de gens n’ayant pas eu les consultations qu’ils auraient dû avoir et par là même, beaucoup de diagnostics de maladie n’ayant pas été effectués, l’activité en transport sanitaire a redémarré très fort et nous en avons ressenti le contrecoup par une suractivité qui a duré quasiment un an.

Je pense qu’aujourd’hui, nous sommes à peu près revenus à la normale…

L’on ne ressent plus actuellement vraiment d’effets de la période Covid, en tout cas pas d’impact de longue durée.

Et j’ai été surpris de constater que certaines habitudes prises pendant ces mois particuliers comme les téléconsultations n’ont en fait pas perduré…»

Vous-même, avez-vous pratiqué (et pratiquez-vous encore) tout ou partie de ces types de conduite ?

«Oui, je pense que c’est mieux avant de reprendre une entreprise pour savoir exactement comment cela se passe…

J’ai d’abord suivi la formation d’ambulancier, j’ai ensuite passé mon permis car pour faire du transport scolaire et des voyages aussi… J’ai tout fait, c’est important pour bien connaître le fonctionnement de toute l’entreprise.

Et encore aujourd’hui, même en tant que gérant, il m’arrive de reprendre le volant… en roue de secours, en cas de «coup de feu». Quand arrivent ces imprévus, mes parents eux-mêmes répondent encore parfois aussi présents!»

La fatigue occasionnée par la conduite d’un grand véhicule doit être importante: comment faites-vous pour y remédier, et pour «récupérer» ?

«La concentration qu’exige cette conduite engendre après quelques heures de la fatigue…

Les coupures régulières évitent de la ressentir et de prendre des risques. Et quand il s’agit de gros kilométrages, il est prévu que deux chauffeurs se relaient. Selon le trajet, la destination et d’autres paramètres, ils sont présents ou non, tous les deux en même temps dans le car.

Suite à la survenue de quelques drames médiatisés, cette pratique tend à se généraliser chez la plupart des confrères. Et avant de prendre le volant d’un car, chaque chauffeur insère systématiquement dans un lecteur une carte à puce personnelle qui va calculer en permanence la vitesse, le temps de conduite, celui des pauses, etc., la réglementation obligeant de s’arrêter à certains moments…

Les ans passant, cette fatigue n’altère-t-elle pas votre santé et votre mode de vie ?

«Les chauffeurs aiment conduire, ils aiment le car, cela fait partie des « métiers passion »!

Si l’on parle des chauffeurs de tourisme qui roulent beaucoup et qui sont absents longtemps, il arrive effectivement un âge où l’envie n’est plus trop là… Ce sont des métiers contraignants, avec des vies de famille plus compliquées, comme pour les routiers…

On voit peu de chauffeurs âgés en tourisme et la possibilité de revenir à quelque chose de plus facile comme les trajets locaux est souvent pour eux une porte de sortie avant la retraite.

Ceci dit, l’évolution des véhicules, plus confortables et plus faciles à conduire, a considérablement amélioré les conditions de travail, évitant beaucoup d’usures musculaires dont les chauffeurs pouvaient souffrir avant…»

Le chauffeur d’un car est responsable de ses passagers… Doit-il parfois intervenir pour éviter des disputes ?

«Effectivement, c’est une partie qu’il ne faut pas négliger…

Dans les transports scolaires, cela peut arriver: de petites échauffourées dans les cars ou à leurs abords.

Et il y a une évolution, pas tant du nombre de problèmes ou de la violence des enfants elle-même, mais plutôt de la façon de les traiter, d’essayer d’y apporter une solution.

Avant, une bonne remontrance réglait la question, un peu « à la dure », certes, mais la page était tournée! Maintenant, à cause d’une pression parentale, d’une pression de l’encadrement éducatif qui est souvent présent à la montée dans le car, élever la voix devient de moins en moins la solution. Pour le pire ou le meilleur, il faut maintenant avoir recours à des sanctions administratives qui s’appliquent aux enfants, comme celle dernièrement prise interdisant pour un temps l’accès au car à deux petits chahuteurs…

L’autorité naturelle que pouvait avoir le chauffeur et cette façon qu’il avait de se faire respecter, tout en étant proche des élèves, est remise en question.

Là où il pouvait gérer la survenue d’un problème « en bon père de famille », il lui faut dorénavant signaler et enclencher toute une mécanique administrative qui fait prendre au problème des proportions encore plus difficiles à gérer, et en voulant nous décharger, nous mettent dans une position non pas de solution, mais de dénonciation où l’on ne se sent pas à l’aise…

Je pense que c’est un peu général dans toute la société et dans bien des métiers où la part administrative prend de plus en plus de place et où l’on fait de moins en moins confiance aux humains qui sont sur place…

Mais en échangeant avec des collègues de centres urbains ou périurbains, je constate qu’en Centre-Bretagne, nous sommes vraiment préservés!»

Quels comportements sont acceptables lorsque vous transportez des groupes, et quels comportements ne peuvent être tolérés ?

Un groupe de jeunes est-il plus difficile «à gérer» qu’un groupe de personnes âgées ?

«Généralement, les passagers sont respectueux du moyen de transport et du chauffeur. Ils ont conscience que conduire un car n’est pas comme conduire une voiture et que le chauffeur a besoin de concentration.

Mais il se dit communément qu’il est finalement plus facile de conduire un groupe d’enfants que d’adultes, à cause notamment de l’autorité que l’on peut plus facilement exercer sur les plus jeunes quand il est nécessaire d’intervenir, en cas de bruit, par exemple…»

Quel est votre quotidien au sein de cette entreprise ?

«Il est beaucoup au bureau! Le planning sanitaire est une grosse partie du travail, d’autant plus qu’il est toujours amené à évoluer: retards, annulations et divers imprévus le font changer en permanence. Il faut aussi répondre sans cesse aux nombreuses sollicitations, de la Région, des autorités régulatrices, pour des devis… et parfois aussi être prêt à prendre le volant. Mais une secrétaire y travaille également, gérant l’administratif à temps plein.»

Comment jugez-vous l’évolution des comportements sur les routes ?

«Malgré la densification du trafic au fil des décennies, les routes sont quand même sûres. Le nombre de décès a beaucoup baissé en 30 ans, c’est un bon signe. Et je trouve que la généralisation des radars –même si on les critique et que l’on trouve pénible de recevoir une amende pour un kilomètre-heure en trop– a vraiment fait baisser le niveau de la vitesse. J’ai l’impression que c’est contraignant mais efficace !

Quand j’étais étudiant et que je faisais régulièrement le trajet Carhaix- Brest, même en roulant au maximum de la vitesse autorisée, j’étais « lent » et me faisais doubler, ce qui est beaucoup moins fréquent maintenant…

L’on ressent par contre beaucoup de tensions sur la route, mais je pense que c’est global: la moindre petite faute, le moindre petit écart… L’on n’est plus juste pardonné par un «excusez-moi», on sent tout de suite un regard méchant voire une insulte. C’est plus un stress général qui se manifeste au volant aussi.»

Vous participez au «ramassage scolaire» et en assurez des lignes régulières. Comment avez-vous intégré cette activité ? Comment est-elle financée ? Quelles en sont les particularités ?

«C’est une activité qui a été lancée, à l’époque, à l’initiative des transporteurs eux-mêmes, pour acheminer les enfants des campagnes vers les écoles. Puis, petit à petit, les autorités publiques l’ont organisée, chaque département a officialisé les lignes scolaires que les transporteurs avaient mises en place dans leurs patelins.

Aujourd’hui, chaque département a encore ses propres «agences locales», mais c’est la Région qui a ce budget en main. Elle lance les appels d’offre sur les départements entiers pour 6, 7 voire 8 ans. La durée de ces contrats permet aux entreprises retenues d’investir et d’amortir en investissement sur ces périodes-là.

Même s’ils sont consultés et font remonter les informations, les transporteurs ne sont donc plus organisateurs mais opérateurs. Les lignes et points d’arrêt sont gérés par la Région. Chez nous, Poher communauté, qui a la compétence transport, y joue également un rôle…»

Votre activité est-elle fortement saisonnalisée, ou la diversification opérée au fil des décennies vous permet-elle de «lisser» davantage votre activité sur l’année ?

«Pour le transport sanitaire, il n’y a pas de variation: c’est régulier sur toute l’année.

Ce qui n’est pas le cas du car: périodes creuses pendant les vacances scolaires et « rush » chaque année fin de printemps, début d’été. Mai-juin est la grande période des sorties touristiques… Ce sont à la fois les écoles qui font leurs excursions de fin d’année et les associations qui veulent profiter du beau temps…»

Les transports sanitaires sont souvent des points de crispation dans les structures d’accueil que sont les hôpitaux, EHPAD, etc. Trouver le transport ad hoc (assis, allongé…) au bon moment est parfois un casse-tête, et souvent davantage pour les trajets courts que longs.

Comment analysez-vous cela ? Et quelles sont vos relations avec ces structures? Sont-elles aisées ou parfois tendues…?

«On sent bien qu’il y a des difficultés… Et nous sommes les premiers à le savoir, n’ayant plus forcément les moyens de répondre à la demande des petits transports locaux. Cela pose problème notamment pour les consultations sur Carhaix.

Ce n’est pas une question de rentabilité, on pourrait remplir une journée à faire du « Carhaix-Carhaix », mais c’est une question de disponibilité de véhicule. Quand nous avons un transport organisé, nous partons pour 3 heures…

Et nous sommes par ailleurs contraints par le nombre de véhicules licenciés, les quotas pour les VSL (véhicules sanitaires légers) ne nous permettent pas d’en augmenter le nombre…

Heureusement qu’existe encore l’esprit d’entraide entre confrères… La solution est souvent l’appel à un collègue pour savoir s’il est en mesure de dépanner acceptant de faire le trajet à notre place…

Les établissements sont passés à l’outil informatique pour réguler les demandes et soulager le personnel des nombreuses démarches téléphoniques. Cette saisie sur informatique est traitée par une régulation qui se fait à Brest, sur la base des entreprises de transporteurs sélectionnées. Mais cela ne résout pas forcément le problème car il n’y a pas plus de disponibilités en face pour autant… Nous avons vu le cas d’ambulanciers qui venaient de très loin pour faire des petits trajets sur Carhaix, eux étaient disponibles!»

Comment voyez-vous les moyens de transport de demain ? (personnels ou collectifs, l’électrique, etc.)

«Là aussi il va y avoir des évolutions. Nous allons devoir nous adapter aux contraintes imposées aux constructeurs, c’est comme cela que ce sera décidé… Jusqu’à présent, nous ne nous posions pas de question : c’était le diesel pour cars et voitures!

Mais aujourd’hui, du fait de l’augmentation du prix du carburant et de l’offre du diesel qui s’est restreinte au fil des ans, en voiture notamment, nous sommes obligés de nous poser la question.

Je pense que l’électrique peut être une solution, bien que pour nous, se pose le problème de l’autonomie. Nous passons nos journées à faire des allers-retours Carhaix-Brest: avec un moteur électrique, on ne va pas pouvoir en faire beaucoup!

Que ce soit dans les hôpitaux ou sur les parkings, il n’y a pas beaucoup de possibilités de faire des recharges au cours de la journée. Pour l’instant en ce qui concerne les voitures, l’autonomie représente donc une limite pour pouvoir basculer sur un autre mode de propulsion.

Pour le car, l’offre des constructeurs est plutôt timide… L’alternative au diesel n’est pas inexistante, mais à des prix exorbitants et il n’y a actuellement pas non plus de possibilités d’infrastructures pour utiliser le véhicule au quotidien.

Je vois donc qu’il y a une évolution à venir mais pour l’instant, concrètement elle ne se manifeste pas. Je pense qu’on en a encore pour quelques années avec le diesel, même s’il va bien falloir d’une manière ou d’une autre s’adapter, réussir à faire notre activité en polluant le moins possible et en respectant au mieux l’environnement, c’est inévitable pour tout le monde, que ce soit privé ou professionnel. A chaque usage, il faut trouver le bon mode de propulsion et la bonne utilisation du véhicule, que ce soit individuellement ou collectivement, en électrique, au biogaz ou à l’hydrogène…

Mais je ne crois pas qu’il y aura tout de suite un mode de propulsion qui va remplacer l’essence et le diesel. Ce sera plutôt une multiplicité de modes de propulsion, selon l’usage du véhicule…

Et pour nous, je pense que ce sera l’électrique et toujours un peu de thermique pendant un petit moment encore!»

Et les véhicules autonomes ?

«A titre personnel, contrairement à d’autres confrères, j’ai du mal à imaginer que cela pourrait se faire. Imaginer un car scolaire se débrouiller de manière autonome dans les petites routes de campagne, j’aurai un peu de réticences tout de même!

La question peut se poser sur des trajets Carhaix-Brest, qui se font en grande partie sur la voie express. Je pense que les véhicules qui sont développés seraient capables de faire ce type de trajet. Entre pouvoir le faire et vouloir le faire, il y a cependant encore un monde…

Dans d’autres pays, cela est déjà arrivé, mais en France, en Europe, nous avons quelques garde-fous avant que cela se mette vraiment en place…

Ceci dit, l’intelligence artificielle, de façon générale, que ce soit dans les véhicules comme au niveau médical ou quotidien, va changer beaucoup de choses… mais peut-être pas tout de suite quand même!»

Comment voyez-vous l’avenir de votre entreprise ? Êtes-vous optimiste ?

«Oui, je pense que l’enjeu pour nous va être de continuer à répondre à la demande privée. Il y aura toujours de la demande de transport, que ce soit en sanitaire ou en car.

Pour moi l’avenir, c’est surtout pérenniser l’entreprise. Je n’ai pas d’ambition de développement ou d’aller m’étendre à l’extérieur du territoire du Poher. Et ce n’est pas forcément gagné, car comme dans beaucoup de secteurs d’activité, il y a de moins en moins de PME de notre taille. Il faut être soit très gros, soit très petit… pour les moyennes entreprises, c’est de plus en plus difficile. Rester une entreprise indépendante, familiale, qui continue son petit bonhomme de chemin est donc mon objectif!

Mais je ne suis pas inquiet au niveau de la demande d’activité, ni de l’avenir du territoire en général. Je pense que le Centre-Bretagne va garder sa spécificité et l’attractivité qu’il a pour un certain type de personnes. Je ne vois pas le Centre-Bretagne mourir, ni l’activité disparaître… C’est plus une question de trouver les ressources pour pouvoir répondre à la demande… C’est la main d’œuvre, les chauffeurs qui vont être plus difficiles à trouver, surtout pour les cars.»

Vous aviez travaillé en 2009 en liaison avec l’hôpital de Carhaix. Comment jugez-vous son évolution depuis ? Quel avenir lui voyez-vous ?

«En 2009, avec un collègue de l’université, nous avions effectivement mené un grand travail d’étude qui avait pour thème le poids économique, social et sanitaire de l’hôpital de Carhaix sur le territoire. L’idée était de mesurer son poids sur ces trois axes-là… Passionnant mais difficile à réaliser, à cause notamment, pour la partie enquête, de toutes les tensions que généraient l’inquiétude quant à l’avenir de la structure et les divergences d’opinions face aux deux principales pistes envisagées, à savoir: maintenir un hôpital indépendant, mais très limité en termes d’offres ou opter pour la fusion avec Brest en essayant de garnir ses propositions…

La conclusion de l’enquête était évidemment la même qu’aujourd’hui: cet hôpital est absolument indispensable à son territoire sur ces trois plans!

15 ans après, son poids n’a pas changé, mais l’inquiétude de le voir carrément disparaître n’est plus la même, même si le risque de le voir diminuer en activités est toujours là… (et si le cas de maternités qui ferment ailleurs inquiète.)

La situation a évolué: en fonction des services, c’est assez hétérogène… Il y a du positif et du négatif!

D’après ce que nous voyons aujourd’hui, les consultations de spécialistes répondent de manière plutôt satisfaisante au besoin qu’il y avait. Des spécialistes viennent de Brest assurer des consultations à Carhaix, il pourrait y en avoir davantage…

Le gros souci étant bien sûr au niveau des urgences! En tant que transporteur, nous pouvons constater ce changement négatif au quotidien. Nous assurons des «gardes SAMU» trois voire quatre fois par semaine. Avant, quand nous prenions quelqu’un en charge à Carhaix, nous l’emmenions à Carhaix –c’était la première porte d’entrée, même si des cas très sérieux nécessitaient parfois d’aller ailleurs– aujourd’hui, c’est rare que nous allions à Carhaix…

Une intervention SAMU qui avant prenait une heure–le temps d’aller chercher la personne, de faire un premier diagnostic et de revenir à Carhaix– actuellement, c’est 3-4 heures! L’ambulance est donc partie pendant 3-4 heures, ce qui veut dire que sur le secteur, l’ambulance de garde à ce moment-là, n’est plus sur Carhaix, mais à Brest ou à Morlaix…

Le délai d’intervention s’en trouve évidemment considérablement rallongé… On espère qu’une solution va être trouvée!

Et au-delà de l’hôpital, le manque de médecins se fait ressentir partout. De plus en plus de gens que nous transportons toute la journée, nous disent qu’ils n’ont plus de médecin traitant, plus de dentiste, plus d’ophtalmo…

C’est un manque de médecins global, pas seulement à l’hôpital… Former des médecins prend du temps et j’espère qu’à l’avenir le nombre de médecins formés en France sera suffisant pour combler les manques actuels.

Aujourd’hui, attirer un médecin à Carhaix induit qu’un autre parte d’ailleurs… C’est «déshabiller Paul pour habiller Jacques», il faut vraiment qu’il y ait davantage de médecins!»

Ne regrettez-vous pas d’avoir choisi ce métier alors que d’autres voies s’ouvraient à vous ?

«Non, je ne regrette pas du tout!

Je parle beaucoup autour de moi, à mes amis, de cette bonne décision que j’ai prise à l’époque, même si cela représente des sacrifices parce qu’une entreprise prend beaucoup de temps…

Je suis vraiment content d’être revenu, d’une part, et d’avoir repris l’entreprise familiale d’autre part, très content aussi de voir comme les choses peuvent évoluer ici…»