Les balles sifflent autour du jeune Norvégien qui nage désespérément dans l’eau glaciale pour échapper aux soldats allemands. Une balle lui arrache un gros orteil. Arrivé au rivage, il se trouve face à une paroi abrupte qu’il doit remonter alors que ses poursuivants le talonnent. Il est seul, il est blessé, ses vêtements sont trempés, il a perdu une de ses bottes… Mais dans la neige profonde, il continue sa course effrénée sachant que c’est sa seule chance de survivre.
Nous sommes à la fin du mois de mars 1943, au plus fort de la Deuxième Guerre mondiale. La Norvège est occupée par l’Allemagne nazie depuis avril 1940, et Jan Baalsrud, 25 ans, fait partie d’un groupe de résistants qui ont pour mission de saboter des installations allemandes sur la côte norvégienne bien au-delà du cercle polaire.
Après s’être battu dans l’armée de son pays jusqu’à la défaite de celle-ci, ce jeune Norvégien fuit sa patrie. Après des péripéties incroyables, il réussit à rejoindre, en Angleterre, la Compagnie Norvégienne Linge, établie dans ce pays dans le but de former des résistants et d’organiser des opérations de commandos contre les forces allemandes en Norvège.
Un combat à chaque instant pour survivre
C’est ainsi que, ce 29 mars 1943, 12 hommes, dans un bateau de pêche pour ne pas éveiller les soupçons de l’ennemi, s’approchent de la côte déchiquetée où de nombreux fjords pénètrent dans le pays. Leur mission de sabotage, nommée Martin, pourtant soigneusement préparée, va, hélas, rapidement échouer.
Dans un premier temps, ils doivent prendre contact avec un commerçant qui fait partie de la Résistance norvégienne, un homme sûr. Mais ils ne savent pas que cet homme est récemment décédé, et que son commerce a été repris par un autre homme sous le même nom. Ce nouveau commerçant, par crainte de représailles, les dénonce aux autorités, et le jour prévu du sabotage, les Allemands, prévenus, les guettent. Devant l’attaque-surprise des soldats ennemis, Jan et ses compagnons n’ont pas d’autre choix que d’abandonner leur bateau et tenter de fuir, d’abord dans un petit canot pneumatique, puis, lorsque celui-ci est coulé par les tirs des Allemands, à la nage.
Sous les yeux de Jan, deux de ses compagnons sont abattus, les autres sont capturés, et lui-même se retrouve acculé dans un ravin, dans la neige molle du rivage, poursuivi par plusieurs soldats ennemis. Dans un sursaut d’énergie, il arrive à échapper, mais il est loin d’être sauvé.
A partir de ce moment, c’est un combat de chaque instant pour survivre. D’un côté, il y a le danger réel d’être repris par les soldats allemands, de l’autre la nécessité de trouver de la nourriture et un abri pour se protéger du froid, surtout avec des vêtements trempés et un pied sans botte. Partout où il passe, il laisse une trace bien visible dans la neige, accentuée par le sang qui coule de son pied blessé.
Quelques enfants qu’il croise sur son chemin, rassurés lorsqu’il leur parle en norvégien, acceptent de le guider jusqu’à la ferme de leurs parents où il est accueilli avec beaucoup d’affection. Mais se souvenant qu’il est toujours traqué par les Allemands, soudain, Jan se trouve confronté à un immense dilemme, qui va le poursuivre tout au long de son périple: doit-il laisser ces gens l’aider? Sa vie en vaut-elle la peine? Peut-il, en tant que soldat, consciemment mettre la vie de ces hommes, femmes et enfants qui l’accueillent, en danger pour sauver la sienne? Il connaît le triste sort qui attend ceux qui essaient de cacher des fugitifs. Ne devrait-il pas s’en aller et se battre seul? Ce sont des questions qui restent sans réponse…
Par deux fois, enseveli dans la neige
Contraint quand même de demander de l’aide, il sait toutefois qu’il doit rester extrêmement prudent pour ne pas dévoiler son identité. Un pêcheur lui fait cadeau d’une paire de skis, d’autres l’hébergent pour une nuit ou parfois plus, mais il doit toujours rester caché. Dans la contrée montagneuse, il est surpris par une avalanche et se trouve presque totalement enseveli dans la neige. Il ne sait pas combien de temps il reste inconscient, mais lorsqu’il revient à lui, sa tête seule est hors de la neige, ce qui lui a sauvé la vie en lui permettant de continuer à respirer. Le restant de son corps est bien enseveli, ce qui lui a sans doute évité de mourir de froid. Son sac à dos avec quelques provisions que des gens lui ont données a disparu, ses skis sont cassés et, quand enfin il réussit à se libérer de sa véritable «prison» de neige, il doit poursuivre sa route à pied.
Plus tard, une autre tempête de neige le bloque. Pour la deuxième fois, il est littéralement enseveli dans une coulée de neige et reste quatre jours prisonnier sur place. Il est comme un animal traqué et, constamment exposé à la blancheur immaculée du paysage hivernal, il sent les premiers effets de la cécité des neiges.
Lorsque, enfin, il arrive à se dégager et à s’abriter dans une cavité, il découvre que ses doigts de pieds ont été tellement abîmés par le gel qu’il doit prendre son couteau pour en couper la plupart par crainte de voir la gangrène se développer et se répandre.
Il perd la notion du temps qui passe, son corps s’engourdit chaque jour sous l’effet du froid, il confond rêves et réalité et commence à avoir des hallucinations. Incapable de maintenir la même direction, il erre au gré des obstacles qu’il rencontre. Il a des pensées suicidaires, mais lorsqu’il décide de mettre fin à sa vie, il n’a même plus la force de se tirer une balle dans la tête.
Un terrible périple de plus de deux mois
Il est dans un état d’épuisement total et tout près de la mort lorsque des habitants de la région de Manndalen, très au Nord, le trouvent sur un plateau enneigé. Ils le descendent dans la vallée sur une civière. Jan n’a même plus l’air humain. Grâce à l’aide des nomades du peuple sami, il peut atteindre d’abord la frontière finlandaise puis, par la Finlande, au début du mois de juin, après un périple de plus de deux mois, gagner la Suède où, enfin, il peut recevoir, pendant sept semaines, les soins nécessaires dans un hôpital, à Boden.
C’est dans son livre « We die alone » (Nous mourons seuls) que l’auteur britannique Howarth David retrace l’itinéraire incroyable de ce résistant norvégien qui dès que ses forces le permettent demande à être renvoyé en Angleterre pour continuer l’entraînement d’autres patriotes norvégiens, prêts à poursuivre le combat contre l’envahisseur.
Il se marie, et après la fin de la guerre, il est heureux de pouvoir regagner son beau pays, libéré du joug nazi. Il reçoit deux décorations pour ses actes de bravoure durant la guerre.
Profondément reconnaissant envers ceux qui l’ont caché des soldats allemands tout au long de son périple, il a fait graver sur sa tombe : « Merci à tous ceux qui m’ont aidé à trouver la liberté en 1943».