Plus besoin de «battre le briquet» dans le noir pour espérer faire jaillir l’étincelle qui donnera une braise qui, elle-même attisée pour la faire monter en température, permettra d’embraser quelque combustible, donnant une flamme et faisant enfin jaillir la lumière et la chaleur !
Nos sociétés d’opulence ont tendance à l’oublier, et pourtant, il y a encore peu de générations, ces gestes étaient le quotidien de nos aïeux et le sont encore dans certaines régions du globe.
Si l’électricité a toujours existé dans la nature, sous différentes formes (foudre des éclairs, poissons électriques…), ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle que les premières avancées majeures dans sa compréhension, son utilisation et sa «domestication» semblent avoir été répertoriées. Ainsi sont découvertes des manières de générer de l’électricité, les propriétés conductrices de certains matériaux (capacité à transmettre le courant électrique), mais aussi en 1799 la première pile électrique de M. Volta…
Une énergie aux nombreuses applications
Au cours du XIXe siècle, l’électricité va rapidement toucher de très nombreux domaines, depuis la santé à l’éclairage, en passant par la transmission d’informations, la force motrice, etc.
Le premier moteur électrique sera mis au point en 1822, en 1838 ce sera le télégraphe, en 1876 le téléphone, et en 1879 la lampe à incandescence… Les inventions et innovations se succèdent rapidement, tant les applications de cette nouvelle énergie sont variées.
A la fin du XIXe, l’utilisation de l’électricité commence à se répandre. Le moyen de quantifier son utilisation permettra de la vendre, et donc de la faire devenir une marchandise. Elle reste cependant encore peu répandue, car sa consommation doit se faire à proximité immédiate de la production.
A partir du début du XXe siècle, les lignes électriques aériennes vont commencer à former, petit à petit, un véritable maillage territorial et apporter l’électricité dans les usines, puis les foyers citadins, et au fil des ans, dans les campagnes. En 1920, les premiers éclairages publics électriques sont installés et les premiers appareils électroménagers voient le jour.
Le défi de la production électrique de masse…
Mais avec la croissance de son utilisation se pose le problème de produire de l’électricité à grande échelle.
Vont être développées, notamment après la guerre 39-45, les centrales thermiques (à énergies fossiles: fuel, charbon, gaz), à partir des années 1950 les centrales nucléaires, dans les années 1960 la géothermie, puis les autres énergies renouvelables (éolienne, photovoltaïque, hydraulique… bien que l’énergie hydraulique soit l’une des premières techniques utilisées pour produire de l’électricité).
Pour ce faire, après la guerre, les quelque 1300 producteurs français d’électricité vont être nationalisés pour former l’EDF (Electricité De France).
C’est le choc pétrolier des années 1970 et les crises qui ont suivi qui ont véritablement lancé le nucléaire en France, dans le but de réduire la dépendance aux énergies fossiles. Mais la catastrophe de Tchernobyl en 1986, et la difficulté à gérer les déchets du nucléaire vont amener la France à prioriser les énergies renouvelables.
La France demeure cependant troisième producteur mondial d’énergie nucléaire, et deuxième pays en termes de puissance des installations, avec 58 réacteurs répartis sur 19 centrales. Elle est d’ailleurs le second pays producteur d’électricité au monde avec 1,6% de la production mondiale. Sa production a quadruplé entre 1970 et 2010 et est aujourd’hui stabilisée autour des 500 TWh.
75% de sa production est autoconsommée, et 25% est exportée dans les pays voisins. Pour autant, elle importe environ 5% de son électricité chaque année (Source CRE, Commission de Régulation de l’Energie).
Le stockage comme le «talon d’Achille»?
En 2020, la production électrique française se décomposait comme suit: 67,1% de nucléaire, 13% d’hydraulique, 7,9% d’éolien, 7,5% de thermique (énergies fossiles), 2,5% de solaire, et 1,9% de bioénergie d’après les données de RTE (Réseau de Transport d’Electricité).
Pourtant, si les moyens de production se sont développés, le stockage de l’énergie produite reste problématique. Des solutions de stockage ont été imaginées et améliorées au fil des ans, mais à ce jour rien n’est au point pour stocker de grandes quantités d’électricité. Et c’est ce qui explique en partie la volatilité des tarifs; la très large majorité de l’électricité consommée doit être produite quasi instantanément… ce qui n’est pas sans poser des problèmes, car trop d’électricité produite et envoyée dans le réseau, ou pas assez, et c’est le black-out, la panne généralisée.
C’est donc là que se situe l’une des principales fragilités du système, et c’est également ce qui explique en grande partie les hausses de prix actuelles.
Pour l’appréhender, il faut tout d’abord comprendre la composition du prix de l’électricité, puis son mécanisme de détermination.
Au 1er février 2024, selon le CRE, le prix de l’électricité se décomposait de la façon suivante: 54% selon le coût de production effectif, 22% pour le transport (réseau), 15% de TVA, 7% de TICFE (Taxe Intérieure de Consommation Finale sur l’Électricité), et 2% de CTA (Contribution Tarifaire d’Acheminement).
Le prix du gaz détermine-t-il celui de l’électricité ?
Les acteurs du marché sont, en simplifié, les producteurs d’électricité, les marchés financiers, les fournisseurs d’accès et des réseaux et les clients. Le plus gros du prix se détermine sur le marché, au moment de mettre en adéquation l’offre et la demande. Le prix de la production va dépendre du moyen par lequel est produite l’électricité. Il comprend un coût de production, au sens strict, auquel s’ajoute une taxe carbone dont le montant varie selon que le procédé de production rejette plus ou moins de CO2 dans l’atmosphère.
Les énergies renouvelables ont ainsi un coût de production relativement faible, le nucléaire aussi, mais les thermiques, qui utilisent les énergies fossiles, coûtent plus cher et se voient augmentées d’une taxe CO2 importante. Dans ces énergies fossiles, les systèmes au gaz étant moins polluants, ils ont été privilégiés ces dernières années en Europe. Mais la crise avec la Russie, et la flambée des prix du gaz ont un impact très négatif sur le prix de ce type de production.
Bien que la France n’ait que 7 à 8% de son énergie d’origine thermique, pourquoi les prix augmentent-ils tant?
Des fragilités inquiétantes…
C’est parce que le marché est régi de telle sorte que le tarif général de l’électricité est déterminé par le coût de production le plus élevé des différents moyens sollicités.
Quand le besoin en électricité est déterminé sont d’abord privilégiées les énergies peu onéreuses, les énergies renouvelables, puis le nucléaire, et enfin, les énergies thermiques!
Or ces derniers temps, plusieurs réacteurs nucléaires avaient été mis en maintenance et plusieurs autres ont eu des pannes dans le même temps… certaines énergies renouvelables, tributaires de la météorologie ont également produit moins que d’autres années. Il a donc fallu recourir davantage aux énergies thermiques, dans un contexte où leur prix est particulièrement élevé, ce qui explique en partie la flambée du coût de l’électricité, le tout accentué par les taxes s’appliquant en pourcentage…
La France a cependant été moins impactée que ses voisins du fait de sa moins grande dépendance aux énergies fossiles mais aussi par la mise en place du bouclier tarifaire par lequel l’Etat français a pris en charge, principalement pour les particuliers, une part importante de l’augmentation des tarifs.
Face au constat d’un système de détermination des prix de l’électricité asphyxiant, l’Union Européenne a décidé de revoir le fonctionnement du marché déterminant ces prix.
Mais au-delà du seul problème du prix se pose aussi la question de la très grande dépendance de nos sociétés à l’électricité… dont les tempêtes et autres aléas climatiques nous rappellent régulièrement la fragilité de son réseau !
Guillaume Keller