Chirurgien militaire originaire de la région de Troyes, Pierre Joseph Dyèvre découvrit la Bretagne vers 1755 alors qu’il suivait son régiment.
Il s’établit alors à Carhaix où il épousa Charlotte Dallet et s’orienta vers la médecine civile. Distingués des barbiers par l’édit royal de 1691, les chirurgiens virent leur profession peu à peu réglementée au cours du 18e siècle alors que se mettaient en place les prémices de la santé publique en France.
Leur rôle consistait notamment à réduire les fractures, soigner plaies et abcès, arracher les dents, pratiquer saignées et amputations.
Au service de ses concitoyens
Vers 1772, Pierre Joseph Dyèvre fut également nommé «chirurgien appointé» de la ville de Carhaix, qui le rémunérait pour dispenser gratuitement soins et remèdes aux malades indigents, alors que seules les familles aisées pouvaient payer ses honoraires.
Il avait également pour mission de visiter les malades admis à l’hôpital de Grâce tenu par les religieuses hospitalières. Situé sur l’actuelle place de la Tour d’Auvergne, cet établissement, fondé en 1663, accueillait les malades sans ressources ainsi que des militaires de passage à Carhaix.
Par ailleurs, soucieux de développer ses connaissances en matière d’accouchement, le praticien avait suivi à Rennes les cours dispensés par Madame du Coudray, célèbre sage-femme, qui parcourut la France pendant plus de 20 ans, pour former plusieurs milliers d’élèves, transportant partout son illustre «machine», ou mannequin, destiné aux cours pratiques.
Le chirurgien carhaisien s’était enfin impliqué dans la lutte contre l’épidémie de dysenterie de 1779 qui ravagea le Poher, et dont le nombre de victimes est estimé à 45000 morts en Bretagne.
Une étonnante décision
Pierre Joseph Dyèvre exerçait ainsi à Carhaix depuis 32 ans, dont près de 15 années comme chirurgien appointé de la ville, lorsque survint en 1787 une étonnante délibération de la municipalité qui décida d’utiliser le budget consacré à son salaire pour le destiner à l’établissement d’un maître d’école, dont la fonction faisait cruellement défaut.
Alerté par Maurice Pourcelet de Tréveret, son subdélégué à Carhaix, l’Intendant de Bretagne, qui manifestait un certain intérêt pour les questions sanitaires, ordonna alors à la municipalité de conserver le poste du chirurgien sans nécessairement renoncer à son projet scolaire, «si l’état des finances de la ville peut le permettre».
Les édiles locaux prirent-ils ombrage de la lettre de l’Intendant ? Toujours est-il que maire et conseillers nommèrent alors «d‘une voix unanime le Sieur Chupeau, chirurgien juré à Carhaix, au lieu et place du Sieur Dyèvre». Ils justifièrent leur choix en reprochant à ce dernier de ne pas se consacrer suffisamment à sa mission, en raison d’un second emploi d’huissier, qu’il avait dû prendre afin de subvenir aux besoins de sa nombreuse famille.
Rétabli dans sa fonction
Soutenu par le subdélégué, Pierre Joseph Dyèvre fit valoir ses états de service auprès de l’Intendant. Il joignit à sa requête les lettres de soutien de la supérieure des religieuses de l’hôpital, ainsi que du Comte de Musillac, et de la Comtesse de Roquefeuil, châtelains du Poher, qui n’en avaient «entendu dire que du bien».
Mais il put surtout compter sur l’appui de Daniel Le Boucher, médecin dévoué, qui s’était établi et investi à Carhaix, après une longue période d’instabilité médicale dans la ville. Cet homme aux compétences reconnues, écrivit ainsi que le chirurgien avait «constamment rempli et exécuté ses ordonnances dans les hôpitaux de la ville… avec autant de zèle que de dextérité».
Convaincu du bien fondé de ces témoignages, l’Intendant de Bretagne, Bertrand de Molleville, imposa le 30 novembre 1787 aux officiers municipaux de Carhaix de radier de leurs registres la délibération contre Pierre Joseph Dyèvre. «J’aurais pu rendre une ordonnance pour faire rayer les termes… que contient votre délibération» ajouta-t-il avec sévérité.
Le sieur Chupeau occupa par la suite un poste de «chirurgien des épidémies», pour les paroisses rurales du Poher, alors que Pierre Joseph Dyèvre poursuivait sa carrière à Carhaix. Il mourut en 1813, à l’âge 80 ans, chez son fils Louis, chirurgien aux mines de Poullaouën. Ses descendants sont restés attachés au Centre-Bretagne où ils ont construit au 19e siècle le manoir de la Salle en Poullaouën, qui demeure encore aujourd’hui un lieu de rassemblement familial.
N.L.