Ce brick-goélette à deux mâts, conduit par le capitaine Thomas Grayston, assisté par quatre matelots, transportait de Liverpool à Londres une importante cargaison composée de «5 paquets de 900 livres de papier gris, 3 barrils de bierre, 300 sacs d’avoine d’Irlande, 16 tonneaux de bois des Indes, 700 barrils de térébenthine et 14 barrils d’essence de térébenthine», ainsi que «10 tonneaux de bois de teinture, 2 tonneaux de charbon et de la cannelle».
Capturé sans combattre
Il avait été arraisonné le 13 mars à midi à 2 lieues (9 km environ) au large des côtes de Start Point, dans le sud-est de l’Angleterre, par le corsaire morlaisien le Vautour.
Ce cotre de 30 tonneaux avait été affrété par les négociants bretons Perron et Fils et leurs associés Sommier et Cie, lorsque la Première République française, en février 1793, avait rétabli la guerre de course en abandonnant aux corsaires la totalité du produit de leurs prises.
Monté par 21 hommes d’équipage commandés par François Froment, un capitaine originaire de Dunkerque, il était armé de «2 canons, 2 obusiers, 4 espingoles (gros fusils à canon court et bouche évasée), 45 fusils, 20 sabres et 11 coutelas».
Depuis le début du mois de mars, il guettait l’apparition d’une éventuelle proie anglaise en croisant près des îles Scilly.
Selon les dires du mousse John Welham, seul prisonnier ramené à Brest sur le Deben, Thomas Grayston avait amené son pavillon «au premier coup de fusil» tiré par le corsaire.
Comme le préconisaient les règles de la course, les trois autres marins anglais avaient été transférés sur le Vautour avec leur capitaine, sans avoir été molestés, mais en abandonnant tout ce qui leur appartenait.
Une prise exceptionnelle
D’après les documents déposés au XVIIIe siècle dans les 9 amirautés bretonnes, la plupart des navires marchands, faiblement armés et montés par des équipages réduits, se rendaient en effet généralement ainsi sans résister dès les premières sommations.
Rares, mais mémorables, étaient donc les combats héroïques livrés par quelques capitaines audacieux, tel Robert Surcouf, qui s’était illustré le 7 octobre 1800 dans le Golfe du Bengale en capturant le Kent, un «indiaman» (gros navire de commerce de 1200 tonneaux, armé de 40 canons et monté par 437 hommes d’équipage), qui appartenait à la Compagnie anglaise des Indes Orientales.
Le célèbre corsaire malouin, âgé de 27 ans, commandait alors la Confiance, une petite corvette à 3 mâts, portant 24 canons, avec laquelle il avait arraisonné en 6 mois 9 navires ennemis dans l’Océan Indien.
Le 7 octobre au matin, après une course-poursuite menée de main de maître, il avait accosté le Kent en évitant avec habileté un duel d’artillerie qui risquait fort de lui être défavorable.
Puis il était monté à l’abordage à la tête de ses 150 marins, et s’était emparé de l’indiaman en moins de 20 minutes à l’issue d’un combat acharné.
Des armateurs très bien rétribués
La vente du Kent et de sa cargaison, ramenés à l’île de France (l’actuelle île Maurice) le 16 novembre 1800, rapporta à Surcouf et à ses armateurs la coquette somme de 100 millions de livres.
Les marchandises contenues dans la cale du Deben, ainsi que ses agrès et tout son mobilier, de bien moindre valeur, furent regroupés en lots et vendus aux enchères à Brest du 3 avril au 27 mai 1799, dans la salle des ventes située au n°9 de la rue de la Loi.
Ils rapportèrent 27572 francs 15 centimes, une fois déduits les frais de justice, de gardiennage, de déchargement, de magasinage, etc.
Les armateurs du Vautour en reçurent les deux tiers, tandis que les membres de l’équipage se partageaient le tiers restant, chacun recevant une part proportionnelle à son grade.
Le capitaine Thomas Grayston et ses matelots, quant à eux, furent vraisemblablement débarqués par le Vautour à Morlaix, port d’armement du navire corsaire.
Y restèrent-ils incarcérés jusqu’au 25 mars 1802, date à laquelle fut signée la paix d’Amiens entre la France et l’Angleterre ?
Ou bénéficièrent-ils d’un des échanges collectifs pratiqués depuis 1798, nombre pour nombre selon le rang et la qualité des prisonniers français détenus dans de terribles conditions sur les pontons anglais ?
Les documents consultés aux archives départementales du Finistère ne le précisent pas.