On ne travaille pas sur un objet, un « dossier », mais pour des personnes qui ont des problèmes, avec des enjeux humains parfois lourds, graves…
En cela, c’est peut-être plus qu’une profession. Il faut l’incarner, « habiter » ce métier, et la défense que l’on mène…», nous a confié Mme G. Plunier.
C’est d’une voix posée – à l’instar de son propos et de sa réflexion– que cette jeune avocate aborde chaque question. Elle le fait sans esquive mais en laissant souvent s’installer un court silence avant de livrer une réponse mûrie, nuancée… qui révèle une recherche de justesse dans la pensée, comme dans son expression, sans jamais amenuiser la clarté et la force d’un avis tranché ou d’une ferme conviction quand le sujet abordé s’y prête…
Une lueur un rien malicieuse brille un instant dans des yeux au regard grave, quand un trait d’humour vient – accompagné d’un sourire ou d’un rire un peu moqueur – tempérer la sobre gravité des paroles…
Mais les propos sont empreints d’une culture et d’une profondeur de réflexion que l’on aurait plus volontiers prêtées à un maître pétri d’une longue expérience du barreau !
Après avoir donné la parole à des acteurs expérimentés du monde judiciaire –juges, procureur, bâtonnier, greffière…– au fil des années, «Regard d’Espérance» a donc choisi cette fois un autre point de vue pour porter sur ce «monde» un regard renouvelé : celui d’une jeune avocate évoquant son parcours et la découverte de son métier, l’évolution de la justice dans une société de plus en plus «judiciarisée»… Et les facettes d’une profession bien plus diverse et bien moins connue que le laissent penser les clichés ou l’imagerie populaire.
Voudriez-vous vous présenter brièvement ?
«J’ai 25 ans. Je suis née et je vis à Carhaix. Mes parents – Laurent et Gaëlle Le Floch – habitent à Kergloff et sont tous les deux professeurs des écoles. Ils enseignent depuis bien plus de vingt ans à « l’école du Bois » de Treffrin. J’ai un frère et une sœur, plus jeunes, actuellement en études universitaires.
Notre grande famille est originaire du Centre-Bretagne, et y vit d’ailleurs, en quasi totalité, depuis mon arrière-grand-mère jusqu’à mes neveux et nièces.
Je suis jeune mariée. Mon mari est infirmier au centre de dialyse à Carhaix. Nous aimons la région et allons rester y vivre, d’autant que nous sommes membres de la paroisse protestante du Centre Missionnaire.
J’ai donc suivi toute ma scolarité, jusqu’en terminale, à Carhaix, puis mes études supérieures à Brest, où j’ai fait une licence et un Master de Droit, et à Rennes, à l’École des Avocats…
Ayant prêté serment en décembre dernier, j’exerce en tant qu’avocate depuis janvier, dans le cabinet L.G.P. à Brest, où j’avais effectué mon stage de six mois, et où j’ai travaillé ensuite pendant trois mois en tant que juriste, jusqu’à la prestation de serment qui permet d’entrer dans la profession d’avocat.
Ce cabinet, très connu à Brest et bien au-delà, est spécialisé dans le droit public, essentiellement, et encore plus particulièrement dans le droit de l’Urbanisme… Il regroupe 10 avocats, pour un personnel global de 15 personnes, et accueille beaucoup de stagiaires, étant soucieux de contribuer à la formation professionnelle des jeunes.
Malgré des activités professionnelles actuellement très prenantes –puisque je débute dans le métier– mon mari et moi allons faire un peu de course à pied plusieurs fois par semaine, et aimons les activités de pleine nature, après avoir pratiqué le scoutisme pendant de nombreuses années, et continuant à encadrer des activités de jeunesse au Centre Missionnaire.»
Vous voici donc jeune avocate – «en titre» – et commençant dans la profession… Est-ce un intérêt pour le Droit, de manière générale, ou pour le métier d’avocat spécifiquement qui vous a conduite à embrasser cette carrière de juriste ?
«Ce n’est qu’en classe de terminale que je me suis intéressée au Droit, sans avoir nullement la pensée d’en faire mon métier. Je voulais simplement étudier autre chose, car j’avais suivi jusqu’alors une filière scientifique. La culture générale et le côté littéraire m’attiraient…
Je voulais connaître le droit… Et il se trouve que cela m’a passionnée, tout au long de mes années de licence, qui comportaient beaucoup d’histoire, de sciences sociales, de culture générale…»
Quel âge aviez-vous quand, pour la première fois, la pensée de devenir avocate a surgi dans votre esprit ? L’avez-vous considérée d’emblée ou repoussée ?
«Ce n’était pas du tout ma pensée au départ. Bien au contraire: je me faisais du métier d’avocat une image très négative, y voyant surtout la défense peu scrupuleuse de mauvaises causes!… Et je ne voulais surtout pas faire cela !
Mon idée était plutôt de m’orienter vers l’administration, ou l’économie sociale…
C’est en deuxième année que mon intérêt pour la profession d’avocat a été éveillé: le droit administratif, qui rebute la plupart des étudiants, m’a au contraire passionnée. Et un enseignant nous a dit à peu près ceci :
«Vous voulez tous faire avocat en droit pénal… Mais ouvrez un annuaire et vous verrez qu’il y en a pléthore, alors que l’on manque beaucoup d’avocats en droit public et administratif. Il n’y en a presque pas !»
J’ignorais tout de cette spécialisation, mais je m’y suis intéressée de près, et me suis inscrite à l’Institut d’études judiciaires de Brest, qui prépare à l’examen d’entrée à l’École des Avocats, dès la fin de la licence, afin de préparer cet examen pendant mon année de Master 1…»
Qu’auriez-vous aimé faire si vous n’aviez pas choisi cette voie ?
«Petite je rêvais de devenir dentiste. Je découpais même des articles de journaux sur les dentistes… Mais ce n’était qu’un rêve d’enfant, vite abandonné par la suite. Mon autre idée était d’être pharmacienne. Mais un stage en pharmacie m’a montré que la réalité du métier ne me convenait vraiment pas…
J’étais aussi tentée par un métier plus manuel, comme c’est parfois le cas quand on fait surtout un travail intellectuel, mais j’ai écouté les conseils de mon père qui me disait de garder l’activité manuelle pour mon temps libre.»
Y a-t-il quelque fait ou lecture qui vous ait confortée dans le désir de choisir cette profession ?
«Tardivement, puisque je ne m’étais pas intéressée auparavant à la profession, j’ai lu des biographies ou d’autres ouvrages d’avocats qui m’ont donné un certain engouement, notamment par les nombreuses anecdotes d’expériences professionnelles qui sont relatées dans ce genre d’ouvrages, surtout écrits par des pénalistes, et souvent sur des procès médiatiques, voire sulfureux parfois…»
Quelques grands noms du «barreau» vous ont-ils impressionnée ?
«Pas vraiment… Je me suis surtout inspirée de l’exemple d’avocats que j’ai pu côtoyer à l’université pendant ma formation. Des gens dont j’ai pu apprécier la manière d’exercer leur métier, la façon d’être, l’humilité et la proximité avec les étudiants, la disponibilité… Plutôt que de «grands noms» dont on ne connaît finalement que la facette médiatique.
Nous avions la chance d’être peu nombreux en droit public – une dizaine en T.D. de Licence sur 300 étudiants en Droit – et donc de pouvoir vraiment échanger avec nos professeurs.»
Des enquêtes célèbres, des plaidoiries magistrales ont-elles influencé votre manière d’envisager ce métier ?
«J’avais lu quelques récits d’enquêtes célèbres, mais je ne les ai pas forcément reliés à ce que j’imaginais de l’exercice du métier tel que je l’envisageais. Je scindais l’histoire ou l’extraordinaire de la pratique quotidienne du métier, ne me « projetant » pas dans ce genre de cas exceptionnels…»
Ce que l’on a appelé «l’Affaire Seznec…» a provoqué en vous quelles réactions ?
«L’Affaire Seznec m’a toujours intéressée, parce que ce genre de grands procès, d’affaires non élucidées ou d’erreurs judiciaires m’ont intéressée de manière générale, durant mes études; mais celle-là en particulier parce que j’en ai toujours entendu parler dans ma famille : l’un de mes arrière-arrière-grands-pères maternels était un proche voisin de Guillaume Seznec à Morlaix, à l’époque précise de la disparition de Pierre Quéméneur. Se rendant très tôt au travail, à pied, le lundi matin, il avait croisé un Guillaume Seznec à l’air hagard, qui se tenait dans l’obscurité sur le pas de sa porte…
Ce fait, et d’autres indices, avaient amené la famille –et d’autres voisins– à des convictions fermes et étayées sur les tenants et aboutissants de «l’affaire»…»
Quelles motivations profondes vous animent ?
«La première est de mener à bien la tâche qu’un client me confie dans sa défense : donner et faire tout ce que l’on peut pour cela.
A la différence du droit pénal, le droit public ne nous confronte pas, généralement, à la misère, au drame humain tels qu’ils se voient dans les procès en correctionnelle, aux Assises… Il y a plus de technique et moins de passion.
C’est davantage la vie locale, celle des collectivités – ou de personnes pour des questions de propriétés, de biens… – qui sont en jeu.
Souvent il s’agit d’aider des décideurs locaux à organiser leur territoire. L’on prend part à la vie locale… C’est ce que j’aime dans mon métier.
Une très large part de l’activité du Cabinet L.G.P., où je travaille, est consacrée à la défense, au conseil, à l’assistance contentieuse aux collectivités territoriales, à leurs établissements publics, leurs groupements… Et aussi aux entreprises ou aux administrés qui ont affaire aux pouvoirs locaux ou nationaux. Cela inclut une grande partie d’assistance juridique, pour laquelle les collectivités passent avec nous des contrats à l’année…
A côté de cela, chaque avocat peut avoir sa propre activité libérale, et certains font donc également du pénal, du droit des étrangers… Dans ce cadre, j’assure des permanences pénales à Brest: assistance à des personnes en garde à vue, à des justiciables arrivant sans avocat au tribunal…»
Comment devient-on aujourd’hui avocat ? Voudriez-vous nous résumer votre parcours ?
«Il faut avoir au minimum un «Master 1», soit avoir suivi avec succès quatre années d’études supérieures de Droit. L’on peut alors passer l’examen d’entrée en École des Avocats. La formation y dure 18 mois, qui se scindent en 6 mois de cours, 6 mois de stage professionnel en cabinet d’avocat, et 6 mois de stages dans une administration publique, une juridiction… Ou la poursuite d’études en «Master 2», ce que j’ai fait.
C’est la voie la plus courte pour devenir avocat, mais beaucoup attendent d’avoir leur Master 2 avant de passer le concours d’entrée à l’École, auquel l’on a droit de se présenter trois fois, après quoi c’en est fini du projet d’être avocat !
Cet examen est en réalité une sorte de concours, car les places sont limitées… Depuis peu, cet «examen» est national, et non plus régional.
A la sortie de l’École des Avocats, il reste à passer le CAPA (Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat) et à prêter serment.
Mais c’est l’examen d’entrée qui est le plus redouté, et surtout le «grand oral», que l’on passe devant 7 examinateurs réunis, et pas toujours bienveillants…»
Est-il quelque aspect de ce métier qui vous attire particulièrement, et d’autres qui vous rebutent au contraire ?
«L’aide que l’on peut apporter aux gens est le premier aspect qui m’attire. Le second, c’est la diversité des situations, des dossiers que l’on est amené à traiter. Ce n’est jamais routinier. Et le troisième – chose que certains auront sans doute du mal à comprendre – c’est le plaisir intellectuel de se plonger dans des situations juridiques complexes. C’est la rigueur de la démarche juridique, le raisonnement…
J’aime cette gymnastique intellectuelle, qui peut être très prenante: récemment, j’ai passé toute une semaine à «décortiquer» un plan local d’urbanisme – soit plusieurs centaines de pages, de documents, de cartes… – afin de vérifier si tous les règlements et lois étaient bien respectés…
Un aspect un peu moins plaisant, pour moi, est la comptabilité. Un avocat est – comme c’est le cas dans les professions libérales – son propre «chef d’entreprise» et doit donc assurer la gestion administrative et financière de son activité.
Enfin, il faut veiller à maintenir un équilibre de vie, car cette profession peut vite «manger» toute la vie, personnelle, de famille, sociale…»
La profession est diverse: quels sont les principaux champs de son exercice, ou les principales spécialisations ?
«Il est vrai que la profession d’avocat est surtout perçue au travers des «ténors du barreau» et des grandes affaires médiatisées, donc principalement du droit pénal. C’est aussi là que les avocats sont les plus nombreux, trop nombreux même car cette branche est engorgée. On déconseille aujourd’hui aux jeunes avocats de s’inscrire en pénal, ou même en droit de la famille.
En fait, ces avocats sont un peu généralistes. Ils font du pénal, du droit de la famille, du civil… donc les litiges entre particuliers, surtout.
La tendance actuelle est davantage à la spécialisation, et même à trouver des «niches» où les avocats sont peu nombreux. Le droit des affaires est en vogue – le conseil aux entreprises…– le droit social se développe également, le droit public, le droit fiscal…
La spécialisation est aussi rendue nécessaire par la complexité croissante du Droit. Face aux procédures spécifiques pour chaque droit, un avocat ne peut se dire compétent en tout.»
Votre formation et vos premiers pas dans le métier vous ont-ils permis d’en découvrir déjà les réalités «de terrain»… Quelles expériences ont été pour vous fortes, voire marquantes ?
«Notre formation a déjà ceci d’intéressant, c’est que plus elle avance plus on a pour intervenants des professionnels qui nous livrent leurs expériences: des avocats, procureurs, magistrats qui « jouent le jeu » et nous expliquent vraiment le métier, nous conseillent, nous présentent des cas concrets…
Les stages nous confrontent aussi au «terrain», très concrètement. J’ai fait, par exemple, un stage de trois semaines à Châteaulin où j’ai voulu voir ce qu’est l’exercice du métier en droit pénal et en droit de la famille, sachant que je n’en ferais plus par la suite… On y rencontre beaucoup de misère humaine.»
Avez-vous trouvé la pratique du métier telle que vous l’imaginiez ou vous la représentiez en le choisissant après vos études secondaires ?
«Ne m’étant pas fait une image idéalisée du métier pendant les études, je n’ai pas eu de mauvaise surprise ensuite. J’avais aussi voulu voir les différentes facettes des métiers du Droit, en faisant des stages chez un huissier, chez un notaire, au Tribunal de Grande Instance, en cabinet d’avocat…»
Comment votre première plaidoirie s’est-elle passée ?
«Elle s’est déroulée au tribunal administratif de Rennes, et a duré deux minutes !…
Car en droit public, la procédure est essentiellement écrite, et l’oral tient peu de place. Il n’y a pas de surprise: chaque partie a déjà livré au préalable tous ses arguments. Seul le rapporteur public – qui est un peu l’équivalent du procureur – propose aux juges sa solution au litige pendant l’audience. Mais nous pouvons avoir accès au sens de ses conclusions 24 heures avant, sur Internet…
Nous, avocats, pouvons réagir si nous sommes en désaccord avec ce que nous avons entendu. Sinon, notre intervention est une courte synthèse du dossier et a pour but d’insister sur ce que le juge doit en retenir, à nos yeux.
Assez souvent, les avocats se contentent de dire à l’audience qu’ils se rapportent à leurs conclusions écrites.
En procédure de référé – c’est-à-dire quand il y a urgence – l’oralité et les débats ont beaucoup plus de place, ce qui est plus intéressant.
Mais il faut comprendre qu’en droit administratif, le travail de recherche et de rédaction en cabinet occupe l’essentiel du temps. C’est la plus grande part de notre travail. Nous avons des moteurs de recherche spécialisés pour nous aider, notamment à trouver la jurisprudence, l’interprétation de lois, la «doctrine » juridique…»
S’entraîne-t-on à plaider lors de la formation ?
«Oui, surtout à l’École des Avocats. Nous avions à l’université des cours d’expression orale, mais à l’École des Avocats, l’on nous préparait à la plaidoirie, en nous plaçant en situation, simulant un vrai procès.
Nous étions en petits groupes, avec des avocats, de vrais sujets à étudier et à défendre… Et même, en portant la robe d’avocat.
Nous avions une plaidoirie à faire dans chacune des matières juridiques, quel qu’ait été notre choix d’orientation: droit pénal, droit civil, droit de la famille, droit des affaires…
On peut aussi s’entraîner à plaider ensuite durant les stages, en situation réelle, au tribunal. Le maître de stage demande au tribunal l’autorisation pour que son stagiaire plaide à sa place…
A l’école, nous avions également des cours dispensés par un spécialiste en communication qui, par des exercices sortant de l’ordinaire, nous faisait travailler notre expression corporelle, notre voix, la manière de se tenir, notre regard, la gestion du stress, la manière de construire un discours. On se rend alors compte de «tics» et d’habitudes parasites qu’il faut corriger. Par ces ateliers, chaque élève avocat a beaucoup progressé dans l’oralité.»
Pratique-t-on l’art oratoire et l’apprentissage de plaidoiries célèbres ?
«Non, pas l’apprentissage de plaidoiries célèbres… Mais l’art oratoire, en revanche, connaît un regain d’intérêt. Il existe de plus en plus de concours d’éloquence. La faculté de Brest en organise un chaque année, qui a un vrai succès. Le Bac va inclure un grand oral… C’est intéressant car j’ai l’impression que ce travail de la qualité de l’expression orale s’était un peu perdu.»
Les études telles qu’elles se déroulent vous paraissent-elles aujourd’hui bien préparer les futurs avocats à leur métier ?
«Oui. Les stages, en offrant une immersion dans le concret du métier, complètent bien les enseignements plus théoriques, et bien diversifiés, de l’université. Et l’École des Avocats fait un réel effort pour mettre les élèves en situation par les ateliers de plaidoirie, d’entretien avec des clients fictifs par exemple…
La formation de l’avocat se poursuit après les études, car nous avons une obligation de formation continue, de 20 heures annuelles au minimum, afin d’actualiser nos connaissances juridiques.»
Défendre… Est-ce une profession ou une vocation ?
«Vocation», cela pourrait paraître un peu prétentieux, même si certains, à les entendre, semblent nés pour ce métier… Je dirais plutôt «profession», même si on ne peut l’exercer sans être habité par une volonté de mener à bien la cause qui nous est confiée.
On ne travaille pas sur un objet, un «dossier», mais pour des personnes qui ont des problèmes, avec des enjeux humains parfois lourds, graves…
En cela, c’est peut-être plus qu’une profession. Il faut l’incarner, «habiter» ce métier, et la défense que l’on mène.
Cela peut être très prenant, en temps et en mobilisation des pensées. On pense et repense à un dossier, on y revient encore et encore… avec le risque de se faire dévorer par ce métier, comme c’est le cas pour beaucoup d’avocats.»
Qu’est-ce qu’un «bon avocat» ?
«Je reprendrais pour le définir les termes du serment que nous prêtons avant d’exercer : humanité, conscience – donc responsabilité – dignité, probité et indépendance. Cela me semble bien définir les qualités essentielles que doit avoir un avocat… Nous avons beaucoup de cours de déontologie pendant la formation, et la profession est très réglementée, ce qui est nécessaire car elle peut aussi être vite dévoyée…
L’indépendance de l’avocat est importante, y compris vis-à-vis de son client. Il reçoit de ce dernier un mandat, mais peut y mettre fin dès lors que ce qui lui est demandé va à l’encontre de sa conscience.
Il peut refuser de défendre un dossier pour motif de conscience, même s’il est commis d’office par le bâtonnier pour une défense…»
Juges… Procureurs… Avocats… Quelles sont en général leurs relations au sein du tribunal ? Et en dehors ?
«L’on nous demande précisément – ceci dit en lien avec la question précédente – d’être loyaux dans nos relations avec les juges et procureurs. Les vieux avocats, qui nous enseignaient à l’École, nous disaient toujours que l’on ne doit jamais mentir en plaidant, que l’avocat doit établir une relation de confiance avec les magistrats, surtout pas de défiance ou de méfiance; des propos que les avocats plus jeunes ne tiennent plus guère…
Mais, de manière générale, je constate que les relations sont plutôt bonnes, respectueuses, entre les divers acteurs de la Justice. Et même si les débats peuvent s’échauffer un peu en audience, cela reste généralement circonscrit à cette audience, et n’altère pas les bonnes relations.»
Et qu’en est-il des autres composantes de la Justice : greffiers, policiers…?
«En école et dans les cabinets d’avocats, on dit toujours de veiller à avoir de bonnes relations avec les greffiers, car leur travail nous est indispensable et précieux: durant la procédure, pour la transmission de documents, pour les demandes que nous sommes amenés à faire, c’est à eux que nous nous adressons…
Je n’ai pas vraiment eu l’occasion de travailler avec des policiers, hormis pour les gardes à vue, où certains peuvent essayer de montrer à l’avocat qu’ils sont à la manœuvre, en jouant un peu au shérif. Mais là aussi, généralement, les relations sont plutôt bonnes, dans le respect mutuel…
Récemment, j’ai aussi pris part pour la première fois à une commission de discipline en Maison d’Arrêt, ce qui permet de connaître le milieu carcéral…
Finalement, partout, les relations dépendent beaucoup des personnes et de leur bonne volonté; du respect que l’on a les uns envers les autres.»
Que préférez-vous dans ce que l’on peut appeler «l’ambiance du prétoire» ?
Travail et compassion peuvent-ils aller de pair ?
«Je pense qu’ils doivent aller de pair dans un procès ! Car sans un gros travail en amont, l’on ne pourrait pas faire une bonne plaidoirie ; et sans une certaine compassion, on n’emportera pas l’adhésion, on manquera de conviction…
Mais un dossier peut «tomber» sur un simple détail technique, un vice de procédure résultant d’un manque de travail ou de vigilance !
Passion ou compassion ne suffisent pas…
Mais il faut aussi que l’avocat ait de l’empathie envers son client et sa cause, sans quoi il me paraît difficile de plaider avec conviction. C’est pourquoi, il arrive qu’un avocat mette un terme au mandat confié par un client avec lequel il ne se sent plus en adéquation… Certains clients considèrent que l’avocat doit dire et faire ce qu’ils veulent, d’autres craignent au contraire que celui-ci raconte tout ce qu’ils lui confient, ne comprenant pas que l’avocat dispose du secret professionnel…»
Quelles situations aimeriez-vous plaider ? Et lesquelles ne souhaiteriez-vous pas avoir à traiter ?
«Je n’aimerais pas devoir défendre certains dossiers, criminels par exemple, des dossiers lourds, des drames humains…
Je ne comprenais pas, auparavant, comment les avocats pouvaient défendre des criminels, qui avaient commis des crimes avérés et horribles…
Mais j’ai mieux compris par la suite, en réalisant que le mandat de l’avocat n’est pas de disculper à tous crins, de mentir pour «sauver» son client de toute peine…
Notre rôle est d’accompagner la personne dans les méandres judiciaires, et expliquer son geste, sa situation, le contexte… Nous sommes parfois son seul soutien dans ces circonstances.
Il arrive que des clients se confient beaucoup, et que l’avocat devienne presque l’assistante sociale… On sort du juridique pour entrer dans une relation humaine qu’il faut savoir gérer avec patience, compréhension.»
L’évolution du Droit est constante… Quelles orientations récentes vous semblent positives, et lesquelles vous paraissent négatives ?
«L’évolution du Droit suit l’apparition de nouvelles problématiques qui résultent de l’évolution de la société. En droit public, nous rencontrons beaucoup de situations, de questions qui ne se posaient pas il y a seulement quelques années…
Le Droit français évolue aussi sous l’influence du Droit européen, des décisions de la Cour Européenne des Droits de l’homme…
La France, qui avait du retard en la matière, s’est vu condamner plusieurs fois et obliger de revoir la procédure pour mieux respecter les Droits de l’homme. En droit public, par exemple, la justice française a dû revoir le rôle du rapporteur public, qui manquait d’impartialité, assistant aux délibérés…
Les droits de la défense ont progressé, avec la présence de l’avocat lors de la garde à vue, par exemple. Mais sans avoir un droit d’accès au dossier, notre rôle est limité puisque nous ne savons pas pourquoi la personne se trouve là… La France a encore des progrès à faire en ce domaine.»
Vous avez découvert la «Justice» en France : le système judiciaire, les tribunaux… vous ont-ils paru aussi accablés de difficultés de fonctionnement que les échos médiatiques le donnent à penser ?
«Oui… Et je pense que la Justice se plaint moins que d’autres administrations alors qu’elle a sans doute matière à le faire davantage !
Certains tribunaux travaillent dans des conditions déplorables.
J’ai entendu tel haut magistrat raconter que son vieil ordinateur mettait parfois dix minutes à un quart d’heure à se mettre en marche après allumage !…
Il y a un réel manque de moyens, ce qui a des conséquences sur le temps que prennent les procédures: il faut souvent un an à un an et demi, voire plus, pour qu’une affaire soit jugée au tribunal administratif, après dépôt de la requête… Les administrés ne comprennent pas ces délais interminables. Les conditions matérielles et les effectifs humains ne sont pas à la hauteur de la mission assignée à la Justice.»
«Il faut réformer la Justice»… Tel un serpent de mer, cet appel ressurgit régulièrement… Quelles réformes vous semblent prioritaires et urgentes ?
«Toutes celles qui peuvent permettre au temps de la justice de rejoindre enfin le temps des justiciables…»
Les avocats du barreau de Quimper ont récemment mené un mouvement de protestation… Quels griefs voulaient-ils faire entendre ?
«Les barreaux de Quimper et de Brest –soutenus par les magistrats– protestaient contre un projet du gouvernement qui vise à réunir en un seul tribunal départemental les différents tribunaux d’un département, soit les deux tribunaux de Brest et Quimper pour le Finistère. Celui de Quimper aurait disparu – ne demeurant plus qu’une chambre annexe de Brest, aux prérogatives et à l’activité réduites – et les avocats se demandaient même si les deux barreaux auraient survécu à ce regroupement…
Les bâtonniers de Brest et de Quimper ont rédigé un Livre blanc à destination des responsables politiques et du Ministère de la Justice, afin de mettre en évidence les spécificités géographiques du Finistère…
Car un tel regroupement irait à l’inverse de toute notion de «justice de proximité», théoriquement voulue par l’État !»
«Complexité croissante du Droit»… «Judiciarisation de la société»… L’on entend également évoquer souvent ces évolutions sociétales. Qu’en dites-vous ?
«Cette judiciarisation est la conséquence d’une évolution sociétale, et elle est probablement liée à une déresponsabilisation personnelle des gens, à la recherche de «responsables» extérieurs à leurs situations et problèmes, de «boucs émissaires» même, de plus en plus…
En amont de cela, c’est le fameux «principe de précaution» qui se développe.
Elle vient aussi d’une évolution «à l’américaine», qui veut que tout soit réparé, compensé, que tout préjudice a un prix et peut se monnayer. L’argent doit tout compenser…
Certains clients se retournent contre leur avocat quand ils estiment qu’il ne leur a pas obtenu assez d’argent, et lui font un procès afin d’en avoir davantage. C’est pourquoi l’on nous conseillait à l’École de souscrire de bonnes assurances!»
La Justice ne se charge-t-elle pas elle-même de trop de responsabilités ? N’élargit-elle pas à l’excès son périmètre, et ne lui en demande-t-on pas de trop ?
«Peut-être… Mais le problème est que les personnes et la société lui en demandent toujours plus! La Justice tient sa compétence de la loi, qu’elle ne crée pas elle-même. Elle répond à la demande du législateur.
Le juge peut rejeter cependant certaines demandes abusives. En droit public, il existe maintenant des mesures contre les recours abusifs, fixées par la loi. Un tribunal peut aussi se déclarer incompétent…
Mais l’on pourrait effectivement imaginer en amont de la Justice, des systèmes de résolution de contentieux, d’arbitrage pour certaines situations conflictuelles.
Devant ce réel besoin, certains avocats se forment à la médiation, au droit collaboratif. Ainsi, la conciliation ou la médiation conventionnelle peuvent être mises en œuvre avant tout procès par un tiers impartial (conciliateur de justice ou médiateur), pour régler à l’amiable les différends.
En cours de procédure, le juge peut également proposer aux parties une mesure de médiation, quand il estime que le litige pourrait se résoudre par cette voie.
Et depuis avril 2015, il n’est en principe plus possible d’introduire une instance civile sans justifier d’une tentative de résolution amiable. Il y a donc un réel effort aujourd’hui dans la recherche de solutions alternatives au recours systématique au juge, qui n’est pas la réponse adéquate à tous les litiges. Mais cette culture du règlement amiable des différends ne semble pas encore bien ancrée dans les mentalités de nos contemporains. »
Qu’est-ce à vos yeux qu’un procès équitable ?
«La question est très vaste ! Tout procès a un côté plus ou moins subjectif. Mais l’équité tient largement à l’impartialité du jugement, à la recherche de la vérité, au respect des droits de la défense et des grands principes de justice : le contradictoire, l’échange des preuves et des arguments…
L’image que renvoie le juge par son attitude est fondamentale.
Les médias peuvent porter atteinte à l’équité d’un procès en martelant des éléments partiels, des insinuations…
On constate une dérive grandissante et préoccupante en ce domaine ces derniers temps, qui met notamment à mal la présomption d’innocence, même si son principe est rappelé de façon théorique et formaliste.»
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