«L’hôpital de Carhaix se trouve confronté au même défi que tous les hôpitaux de France aujourd’hui : la médicalisation. C’est «le nerf de la guerre», car il n’y a pas d’hôpital sans médecins. Cela n’a rien d’original.
C’est même très banal que de le dire ainsi, mais c’est la réalité.
Et en ce domaine, l’appartenance au CHU est un atout décisif pour l’hôpital de Carhaix.
Au plan national, le desserrement du fameux «numerus clausus» donnera des résultats dans quelques années. Il y aura davantage de médecins. Mais nous avons encore plusieurs années difficiles devant nous.» nous a confié M. Philippe El Saïr.
En homme habitué à évaluer son vis-à-vis, M. El Saïr pose sur vous un regard scrutateur et un rien interrogateur, qui semble vous sonder…
L’abord franc et direct s’accompagne d’une attention, d’une sympathie teintée d’humour que noue le fil de la conversation. Elles confirment l’impression laissée par l’esquisse d’un sourire engageant et la fugace lueur amusée que vous aviez d’emblée perçue dans ce regard, dont la vivacité dit aussi l’homme de décision, l’énergie concentrée, la densité de la personnalité… Mais également l’homme de pensée quand les yeux paraissent se tourner vers l’être intérieur pour fouiller une réponse mûrie et nuancée à quelque question plus délicate.
Philippe El Saïr dirige le second acteur économique et employeur de la région brestoise : le CHRU de Brest. Un ensemble dont l’hôpital de Carhaix fait partie depuis la fusion intervenue en 2009.
Dix ans après le «combat» pour la sauvegarde de l’hôpital, «Regard d’Espérance» a souhaité faire avec lui un «tour d’horizon», à la fois rétrospectif et prospectif.
Les questions posées ont dit, sans concession, les inquiétudes, les espoirs, les lassitudes – parfois – devant les difficultés quotidiennes… Bref, la situation «vue d’ici», en Centre-Bretagne.
«Carhaix, c’est désormais le CHU !» a voulu rassurer M. El Saïr, au fil d’un entretien qui aborde des sujets d’une importance cruciale pour les habitants de Carhaix et de sa région.
Voudriez-vous vous présenter brièvement ?
«La particularité de mon parcours est que j’ai dirigé des hôpitaux de tailles très différentes : de très petits hôpitaux – plus petits que celui de Carhaix – puis des hôpitaux de taille moyenne, avant de m’occuper de grands établissements comme le CHRU de Brest.
Je considère ces diverses expériences comme très importantes car le fait d’avoir été seul en responsabilité, y compris dans un établissement de petite taille, permet de mieux se mettre à la place des autres, de comprendre leurs problèmes particuliers, la manière dont ils vivent leurs difficultés, parfois de façon solitaire…
Les hôpitaux travaillent aujourd’hui plus en lien, mais j’ai connu l’époque où ces liens n’existaient pas, et où le directeur d’un hôpital comme celui de Carhaix était seul. C’était difficile.
J’ai tout d’abord été formé en Rhône-Alpes, étant né et ayant grandi à Grenoble. Puis j’ai poursuivi mes études à Paris, dans un parcours classique, qui m’a conduit à l’école traditionnelle des directeurs d’hôpitaux, l’E.H.E.S.P. (Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique).
Je suis marié et j’ai trois enfants. Le temps libre que peut me laisser mon métier est particulièrement consacré à la lecture, au sport, à l’histoire, à l’histoire de l’art, aux expositions artistiques…»
Directeur général du CHRU… Pourriez-vous rappeler aux lecteurs de «Regard d’Espérance», à grands traits, les principales responsabilités et tâches qui vous incombent dans le cadre d’une telle charge ?
«Ce sont essentiellement les dimensions classiques que l’on retrouve, à peu près, dans toutes les fonctions de direction générale : la première, très importante, est de faire partager une vision. La deuxième est de s’assurer de la bonne avancée des projets – ce que l’on appelle «la gestion de projets» – avec l’espoir que ceux-ci soient porteurs de progrès à la fois pour la population et pour les professionnels.
Et la troisième dimension, c’est la gestion des crises. Le milieu hospitalier connaît immanquablement des crises, soit liées à son environnement, soit internes, l’hôpital étant une collectivité humaine.
Voilà les trois composantes essentielles de ma fonction, de mon travail, telles que je les ressens personnellement du moins.»
Etre ainsi à la tête du second acteur économique et employeur de toute la région brestoise ne doit pas être une sinécure… Quels aspects de vos fonctions vous plaisent-ils le plus…? Et lesquels sont-ils, à vos yeux, les moins agréables ?
«J’aime bien «donner envie» aux gens ; leur donner envie d’agir… Être un directeur général c’est, à mes yeux, être un diffuseur d’énergie.
J’aime également leur donner la possibilité de «grandir», leur permettre de se développer, et de réaliser finalement des choses qu’ils n’auraient pas pensé pouvoir réaliser par eux-mêmes. C’est toujours pour moi une grande satisfaction.
La troisième chose qui me tient à cœur – et celle-là est plus délicate – c’est de rappeler aux gens le réel. C’est une nécessité ! J’estime en effet que la démagogie est une facilité, mais que c’est aussi le pire des mépris. C’est finalement dire aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre, en les prenant pour des imbéciles.
Mon rôle de directeur général est donc aussi, un peu comme un père de famille, de rappeler qu’il y a des réalités incontournables à prendre en compte si on ne veut pas les subir.
Ce que j’aime le moins ?… La tâche est vaste et offre peu de temps libre ! Elle peut devenir très envahissante, et il faut savoir se réserver des moments de respiration, pour soi, pour ses proches. C’est une fonction qui exige d’avoir une grande hygiène de vie, si l’on veut préserver son équilibre.»
Quels sont vos premiers soucis ou principales préoccupations du moment ?
«Ils tiennent toujours à ce que nous venons d’évoquer : les multiples sollicitations qui viennent de partout, des professionnels et autres, du seul fait de la taille de l’institution, qui est grande. Le risque de dispersion est donc important et il faut y résister en permanence !
Il y a aussi des «gadgets», des effets de mode dans lesquels l’on risque de se laisser entraîner… Il faut donc sans cesse revenir aux priorités, à la définition de ces priorités, les rappeler et s’y tenir ; sans quoi l’institution peut se disperser et finir par ne plus réaliser de projet cohérent parce qu’elle part dans tous les sens.
Il faut savoir résister à cet effet de dispersion, qui tient aussi sans doute à l’époque.
Les priorités définies doivent renvoyer à des leviers précis et concrets, qui permettent de préserver et d’accroître la liberté de l’institution. Il faut penser au très court terme, au moyen terme et au long terme. J’aime la formule d’un dirigeant qui disait de façon imagée: «Il faut avoir un microscope dans l’œil gauche, et un télescope dans l’œil droit… Sans avoir de maux de tête !». C’est assez juste : il faut rester vigilant sur le micro-détail – sinon les idées ne s’incarnent jamais dans la vraie vie – tout en étant gardien du moyen et du long terme, c’est-à-dire de la vision…»
«Regard d’Espérance» – bien qu’ayant de nombreux lecteurs dans l’ensemble de la Bretagne, et au sein de la diaspora bretonne en France et à l’étranger – concentre la majeure partie de son lectorat en Centre-Bretagne… Et celui-ci attend naturellement et légitimement qu’un interview du Directeur du CHU de Brest-Carhaix porte essentiellement sur l’hôpital de Carhaix… Cependant, voudriez-vous nous dresser un tableau général de ce que représente le CHU : son activité, ses divers sites ?
«Quelques chiffres permettent d’en donner une idée : le CHU, c’est un budget de presque 600 millions d’euros; environ 7000 salariés ; 8 unités et équipes de recherches – dont 4 INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche) – et 7 établissements…
Le CHU se trouve, en outre, être l’établissement-support du Groupement Hospitalier de Territoire – regroupement d’hôpitaux constitué il y a plusieurs années – qui représente, lui, quelque 900 millions d’euros de budget et à peu près 9000 agents…»
Présente-t-il quelques spécificités ou particularités inhérentes à sa situation géographique, ou autre ?
«Une de ses caractéristiques très particulière, hors-norme même, tient de sa territorialité : 21% des médecins du CHU de Brest exercent en temps partagé sur plusieurs sites –une quinzaine au total– et si l’on se focalise sur les services de médecine et de chirurgie, l’on atteint les 30 à 33%, ce qui fait probablement de Brest le CHU le plus «territorialisé» de France ! Le CHU de Brest porte donc l’offre de soins de l’Ouest breton, et il est bien conscient de cette responsabilité…
La deuxième dimension qui fasse partie de «l’ADN» du CHU, c’est une politique globale d’innovation, non seulement dans le domaine scientifique, qui est notre vocation, mais également en matière d’organisation, d’architecture, de politique des services…
L’on essaie – et c’est une politique, un projet, je dirais presque un «combat» – de faire de l’innovation un état d’esprit, une culture.
Enfin, comme vous l’avez mentionné, le CHU est un important acteur économique du territoire, avec 15000 emplois générés, puisqu’un emploi au CHU génère un emploi supplémentaire en dehors du CHU. Il a aussi un effet sur le tissu économique puisqu’une douzaine de startup – dont certaines très connues – sont directement en lien avec lui…»
Quelle «place» occupe-t-il parmi les CHRU de France en termes de taille, d’activité générale et spécialisée… ?
«Il est de taille moyenne, ce qui présente l’avantage de conserver une taille humaine : cela permet, par exemple, aux professionnels de se connaître, aux problèmes de se régler…
La taille managériale demeure satisfaisante, évitant la crise du gigantisme qui peut être très problématique dans certains aspects…
Mais cette taille moyenne exige, à l’inverse, une vraie politique de complémentarité avec des établissements de dimension comparable, ce que nous mettons en œuvre dans le cadre du regroupement HUGO – Hôpitaux Universitaires du Grand Ouest – qui rassemble les six CHU et CHR du Grand Ouest, pour une population d’environ 10 millions d’habitants.
Nous sommes très volontaires dans la politique de complémentarité qui existe au sein de ce groupement.»
A quelles difficultés majeures se trouve-t-il aujourd’hui confronté ?
«Notre principale difficulté – et nous allons sans doute en reparler – est d’être confronté à une démographie médicale insuffisante. Mais cette pénurie de médecins n’est pas spécifique à la région, c’est un problème partagé par l’ensemble des hôpitaux du pays…»
A l’inverse, quelles sont ses forces ou atouts majeurs ?
«L’une de nos forces est la politique de recherche très claire et très dynamique, qui se traduit par d’excellents résultats en Recherche clinique à l’échelle du Grand Ouest, avec un Centre d’investigation clinique qui est parmi les plus importants de France. Et une recherche fondamentale et translationnelle qui est aussi très forte, très structurée, autour de trois axes : la génétique, les technologies de santé, et l’immunologie.
Notre politique d’innovation, plus globale, me semble également représenter un atout, en ce qu’elle dessine une démarche originale parmi les CHU, qui le distingue un peu des autres…
Une autre de nos forces est la territorialité que nous avons déjà évoquée. Elle donne une identité puissante au CHU.
Une réalité mérite d’être aussi citée: du fait de notre éloignement – à deux heures et demie de Rennes et trois heures de Nantes, ce qui fait du CHU de Brest le plus «éloigné» en métropole – nous avons très peu de «fuites» hors du territoire, c’est-à-dire que très peu de patients vont se faire soigner ailleurs. Le chiffre est d’environ 6%, ce qui est très faible.
J’ai dirigé un établissement qui avait 25% de fuites hors de son territoire…
Cela nous confère une responsabilité toute particulière vis-à-vis de la population: si nous ne faisons pas quelque chose, ou si nous ne le faisons pas bien, les gens seront moins bien soignés…»
Quel bilan global feriez-vous de la fusion entre l’hôpital de Carhaix et le CHU de Brest, une dizaine d’années après sa mise en place?
«Cette fusion fête effectivement ses dix ans… Et je dirais que cette vie commune a connu trois étapes : la première – de 2009 à 2011– où il a fallu sauver l’établissement de Carhaix. Est ensuite venue une deuxième phase –de 2012 à 2018 – où il nous a fallu reconquérir la confiance et l’activité de l’hôpital ; étape importante et parfois un peu ingrate…
Puis maintenant, 2019 ouvre une troisième étape, où Carhaix fait partie intégrante du CHU, et de son plan de modernisation…
L’activité ambulatoire, activité de jour où le patient entre le matin et ressort le soir, a augmenté de 40% depuis 2013 ; et les consultations ont progressé de 50% en dix ans…
L’on est aujourd’hui dans une situation où «Carhaix, c’est le CHU». Il n’y a là-dessus aucun doute, aucune ambigüité !»
Quand vous pensez à Carhaix, à son hôpital, quels sentiments, quelles réflexions naissent en vous ?
«Carhaix a permis au CHU de Brest de s’ouvrir sur son territoire, et d’être pionnier au niveau national en ce domaine, puisqu’il se trouve que cette implication territoriale a ensuite été demandée à tous les CHU de France. Je puis parler d’autant plus librement de cette dimension pionnière que ce n’est pas moi qui étais à l’époque en fonction.
Aujourd’hui le CHU de Brest est donc le CHU le plus territorialisé de France. L’on a eu, au début de la fusion, l’hôpital de Carhaix et le CHU de Brest. Puis, grâce aux développements intervenus ensuite, l’on a aujourd’hui le CHRU de l’Ouest breton et non celui d’une ville…
A la suite de cette première pierre qu’a été la fusion entre Brest et Carhaix, il y a eu tout un enchaînement, qui nous amène, par exemple, à avoir aujourd’hui une vigilance toute particulière pour les hôpitaux de Morlaix et de Quimper, qui connaissent des difficultés, ou pour la presqu’île de Crozon, qui se trouve isolée ; et pour les établissements du Groupement Hospitalier de Territoire, dont l’Hôpital d’Instruction des Armées, avec lequel le CHU est maintenant «marié», et les hôpitaux de proximité…
La fusion avec Carhaix a donc été le déclencheur d’une nouvelle culture territoriale pour le CHU de Brest, qui s’est développée ensuite.»
A Brest, au CHU… Quels regards porte-t-on sur Carhaix, le Centre-Bretagne, l’hôpital… ?
«Je crois que la collectivité, aujourd’hui, sait qu’elle a une vraie responsabilité en Centre-Bretagne. Ceci dit, elle ne peut pas tout : il y a des choses qu’elle peut faire, d’autres qu’elle ne peut pas, ou qui nécessitent un peu de temps…»
A l’inverse, autant qu’il vous soit possible de l’analyser au travers de vos entretiens, des échos qui vous parviennent… quels regards les Carhaisiens et les habitants du Kreiz Breizh –élus, populations locales, employés de l’hôpital– jettent-ils sur «Brest» ? Quelle devrait être, selon vous, leur analyse sur les relations et possibilités entre l’hôpital de Carhaix et celui de Brest ?
«Je pense qu’il y a eu, là aussi, plusieurs étapes : le temps d’une certaine et légitime interrogation, d’un questionnement, voire parfois d’une suspicion sur le degré d’implication du CHU : «Est-il assez mobilisé ? Fait-il assez pour nous ?»…
Mais je pense qu’aujourd’hui, quand la population locale voit les difficultés que rencontrent des hôpitaux pas très éloignés et plus gros que celui de Carhaix, elle peut mieux mesurer l’intérêt de l’appartenance au CHU.
Et je crois que, globalement, les gens sont conscients de ce que nous faisons le maximum ; ce qui ne signifie pas que cela soit suffisant, dans certains domaines. Et l’on pourrait nous-mêmes en convenir, nous dire que dans l’absolu, il faudrait faire davantage ici ou là…
Mais je crois percevoir, dans les relations entre les professionnels, du respect, de l’estime réciproques, parce que chacun sait que nous sommes au travail, ensemble, et que nous ne nous contentons pas de faire des moulinets…»
Pour les Carhaisiens et les habitants du Centre-Bretagne, l’hôpital local est «leur» hôpital, vital à leurs yeux, médicalement et économiquement… Pour les Brestois, il n’est qu’un site du CHRU parmi sept ou huit autres… Comment concilier ces deux regards, ces deux approches différentes ?
«Je crois qu’ils se rejoignent, comme je l’ai dit : «Carhaix, c’est le CHU». Les relations ont évolué.
C’est d’ailleurs pourquoi j’ai voulu que l’exposition sur le Fonds de Dotation du CHU INNOVEO – Fonds dédié à la recherche – soit présente à Carhaix, il y a quelques mois, pour bien marquer que l’hôpital de Carhaix est la présence du CHU en Centre-Bretagne.
Je sais que cela a parfois suscité quelques interrogations, mais je tenais à cette démarche significative.»
Comprenez-vous le combat qui a été mené à l’époque – et qui l’est encore – pour la survie de l’hôpital ?
«Très honnêtement, c’est une période que je n’ai pas vécue ici. J’en ai bien sûr entendu parler. On en parle moins aujourd’hui, dix ans après…
Mais j’en retiens qu’il y a un contexte propre à ce territoire du Centre-Bretagne, un isolement particulier. Et je crois que tous – élus, décideurs… – en ont aujourd’hui bien conscience.
Et il faut faire de ce contexte une opportunité pour y rendre le service public plus fort ! C’est en tous cas le parti pris du CHU.
Je suis très attaché à l’égalité d’accès aux soins. Or, la véritable égalité d’accès aux soins, c’est que – quelles que soient les ressources dont on dispose, les connaissances que l’on a en matière de santé… – l’on puisse se trouver face au bon médecin en fonction de la maladie que l’on a, et être bien soigné.
Dans notre jargon, cela signifie bâtir des filières de soins. Si l’on peut être bien soigné sur place, on reste sur place. S’il faut venir à Brest pour être bien soigné, on vient à Brest. Sinon, il se crée, dans les faits, une médecine à deux vitesses.
C’est pour moi une question d’éthique. Il faut que les malades souffrant d’une pathologie très grave en Centre-Bretagne, aient les mêmes chances de guérison que l’on a partout ailleurs dans le pays… Je crois qu’il faut avoir prioritairement cette «colonne vertébrale» éthique, avant de dire : «Qu’est-ce qu’il y a chez moi ?» «Qu’est-ce qu’il y a chez toi ?…»
La fusion des sites de Carhaix et de Brest n’a-t-elle pas été également très bénéfique pour le CHRU en lui permettant d’étendre ou de conforter sa zone d’influence qui – compte tenu de sa position géographique, adossée à l’océan – ne peut que se développer vers l’Est et le Centre-Bretagne ?
«Bien sûr… Et si l’on observe aujourd’hui les parts d’activités du CHU, l’on constate qu’elles sont importantes en Centre-Bretagne. Non seulement l’intuition de cette nécessité d’un développement à l’Est était juste; non seulement elle a été confortée par la demande de développement d’une «culture territoriale» adressée par l’État à tous les CHU ; mais au-delà de ces éléments qui pouvaient être considérés comme uniquement philosophiques, les chiffres révèlent que les parts d’activité du CHU sont plus fortes en Centre-Bretagne qu’à Brest. Cela montre la réalité d’intérêts partagés.»
Vues depuis Carhaix, il semblerait que deux attitudes principales cohabitent au sein du CHRU envers l’hôpital carhaisien : d’une part une réelle volonté de s’y impliquer, telle celle manifestée par le DrIrène Frachon, et d’autres… D’autre part, une indifférence, voire une hostilité vis-à-vis de sa pérennité…?
«C’est une perception, mais ce n’est plus la réalité. Et moi qui suis là depuis 2013, je puis témoigner que je ne vois pratiquement pas de service au CHU qui ne soit impliqué à Carhaix, qui n’ait pas de présence dans l’hôpital de Carhaix.
Il y a eu des difficultés en anesthésie, mais cela était dû au fait que le service d’anesthésie a lui-même connu des difficultés sur Brest. Nous manquions d’anesthésistes. Et nous ne pouvons pas projeter à Carhaix du personnel que nous n’avons pas à Brest…
Cette perception a une histoire. Le CHU a maturé dans sa propre perception de la territorialisation, et aujourd’hui tous les services sont concernés. Le moment viendra, même si ce n’est pas dans un avenir tout proche, où le service d’anesthésie pourra lui aussi s’investir sur Carhaix, comme les autres.
L’exemple d’Irène Frachon, qui consacre maintenant beaucoup de temps à Carhaix –et avec beaucoup de plaisir– illustre bien, effectivement, la conscience qu’a le CHU de sa responsabilité en Centre-Bretagne…
Cette conscience va de pair avec une vigilance particulière, en raison de l’isolement géographique d’une part, et de la situation de la démographie médicale d’autre part, qui est un défi national. Cela exige d’être très attentif, afin d’être très réactif, pour pallier tel ou tel départ, ou autre difficulté.»
La crainte récurrente, à Carhaix, est que l’activité de l’hôpital soit peu à peu absorbée par les sites brestois… Qu’en dites-vous ?
«Non, car c’est toute une filière de soins qui se met en place, avec des pathologies qui peuvent être prises en charge à Carhaix, et d’autres qui doivent l’être à Brest si l’on veut sauver des malades. Ne pas le faire serait ne pas agir de manière éthique, comme je l’ai dit précédemment.
D’autre part, notre vrai sujet est l’activité que nous n’avons pas encore sur Carhaix, parce qu’elle part en périphérie. Elle est importante, et il nous faut aller la chercher, la conquérir !»
La survie de l’hôpital, avec l’ensemble de ses services – urgences, maternité, médecine, chirurgie… – est-elle assurée, ou se dirige-t-on vers un service étoffé de gériatrie, et une sorte de «grand dispensaire» qui serait un lieu de «triage» vers Brest ?
«Quand on considère les faits, l’on constate que, par rapport à 2008, les activités qui se trouvaient alors menacées ont toutes été préservées : la maternité a des effectifs complets. La chirurgie a été maintenue dans toutes les spécialités, et d’autres ont été ajoutées.
On voit sur Carhaix des spécialités médicales qui n’étaient pas présentes à l’époque, comme l’ophtalmologie, la dermatologie, la neurologie, la pneumologie…
Le paradoxe est que nous avons plutôt quelques difficultés en ce moment sur les activités de médecine, qui n’étaient pas menacées en 2008, et qu’il nous faut consolider en médecins.
Mais c’est toujours ainsi : rien n’est jamais acquis. Il ne faut jamais se relâcher, mais au contraire rester vigilants…»
L’on sait que l’une des difficultés majeures rencontrées par l’hôpital de Carhaix est le recrutement de médecins – notamment – ce qui crée de grandes tensions… Pourquoi le CHU, qui est un centre de formation de médecins, a-t-il tant de mal à «médicaliser» l’un de ses hôpitaux ?
«L’hôpital de Carhaix se trouve confronté au même défi que tous les hôpitaux de France aujourd’hui : la médicalisation. C’est «le nerf de la guerre», car il n’y a pas d’hôpital sans médecins. Cela n’a rien d’original. C’est même très banal que de le dire ainsi, mais c’est la réalité.
Et en ce domaine, l’appartenance au CHU est un atout décisif pour l’hôpital de Carhaix.
Au plan national, le desserrement du fameux «numerus clausus» donnera des résultats dans quelques années. Il y aura davantage de médecins. Mais nous avons encore plusieurs années difficiles devant nous.»
Le Dr Roudaut – tellement apprécié à Carhaix pour son dévouement, sa compétence…– prendra bientôt sa retraite… Dans un contexte particulièrement contraint, comme l’ont récemment montré les difficultés du Centre hospitalier de Morlaix en ce domaine, qu’est-il prévu pour le remplacer ?
«Je voudrais précisément rendre tout d’abord hommage au Dr Roudaut, qui est une personnalité emblématique de Carhaix et de son hôpital, du Centre-Bretagne –médecin d’un très grand dévouement et d’une très grande compétence, effectivement.
Nous sommes bien conscients de l’importance de la cardiologie. C’est un grand enjeu pour Carhaix. Et nous travaillons avec le service pour anticiper le départ à la retraite du Dr Roudaut.»
Le service des Urgences a récemment connu des tensions, se trouvant très momentanément fermé à deux reprises… Cela a suscité de vives inquiétudes quant à son avenir, à la fois au sein de l’hôpital de Carhaix, et de la population…
«En réalité, les Urgences n’ont pas fermé. Il y a deux lignes d’urgentistes à Carhaix: une au sein des Urgences, l’autre pour faire fonctionner le SMUR.
Les problèmes que nous avons rencontrés de manière très ponctuelle – et cela a encore été le cas le 26 décembre – ont tenu à chaque fois à la défaillance d’un intérimaire. Cela a amené la fermeture très temporaire – pendant 12 à 24 heures – de l’une de ces deux lignes. Mais les Urgences n’ont pas fermé…
C’est donc très ponctuel, mais cela est néanmoins à replacer dans le contexte plus général des difficultés que rencontrent beaucoup de services d’Urgences, certains hôpitaux ayant eu des problèmes beaucoup plus graves que celui de Carhaix, avec des fermetures de leur service la nuit, ou pour une durée bien plus longue…
A Carhaix, l’été dernier, nous nous en sommes remarquablement tirés…»
L’activité de la maternité demeure en deçà des seuils officiels de pérennité ; celle-ci s’en trouve-t-elle menacée ?
«Son existence est actée dans le Programme Régional de Santé, qui a force de loi. Il n’y a donc pas de menace particulière sur la maternité.»
Le projet d’IRM – vieux «combat» carhaisien – devrait se concrétiser au printemps par la mise en exploitation d’un IRM mobile… Le confirmez-vous ?
«Oui. Je n’ai pas la date précise de son ouverture. Mais la construction, qui a été un moment ralentie par les fouilles archéologiques conduites sur le terrain, se poursuit. Le projet avance donc à bon train maintenant.»
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(NDLR : Selon les informations transmises aux médecins du Centre-Bretagne ces tout derniers jours, l’IRM mobile serait opérationnelle à Carhaix début avril.)
La reconstruction de la Résidence (EHPAD) de Keravel, et la mise sur pied d’un petit centre de soins dentaires à l’hôpital – en lien avec la Faculté de médecine de Brest – sont également prévues ou envisagées ?
«Le projet d’installation d’un centre de soins dentaires est à l’étude avec la Faculté d’odontologie, et n’est donc pas acté.
En revanche, la reconstruction de Keravel est certaine. L’on y travaille dans le cadre du plan de modernisation du CHU, dont Carhaix fait pleinement partie. 17 millions d’euros sont consacrés à cette reconstruction, et 1,2 million d’euros vont à la mise en place de l’IRM mobile.
Il faut aussi mentionner l’ouverture de l’IFAS (Institut de Formation d’Aide-soignant) qui a été créé pour assurer la formation d’aides-soignants sur le territoire même…»
Le plan gouvernemental «Ma Santé 2022», présenté au mois de septembre, compte, parmi les dix grandes orientations ébauchées, la labellisation de 500 à 600 «hôpitaux de proximité», dont les premiers seraient reconnus dès 2020… Ne serait-ce pas le statut «rêvé» pour l’hôpital de Carhaix ?
«Tout dépend de la définition qui va être donnée à cette notion d’hôpital de proximité, et donc au contenu du projet.
Il faut attendre que nous ayons des précisions, des éléments plus détaillés, dans les prochains mois, pour nous positionner.»
Quel est le projet, l’objectif visé, la ligne claire à suivre pour cet hôpital du Centre-Bretagne ?
«L’objectif clair est de continuer à répondre aux besoins de santé. C’est ce qu’il ne faut jamais perdre de vue. On ne peut pas développer un hôpital sans avoir ce souci de s’adapter en permanence aux besoins de santé de la population.
Notre métier, c’est la médecine, c’est de soigner !
Et il faut pour nous continuer à essayer de développer ce que nous appelons «l’activité programmée» – non urgente – qui commence souvent par l’activité de consultations, d’examen, et l’activité dite «de jour». Je crois beaucoup à cela…
Pour développer l’hôpital de Carhaix, il faut développer cette activité. Nous avons des choses à faire sur ce terrain. Il y a vraiment là des perspectives de développement.»
Quel message adresseriez-vous à la population de Carhaix et du Centre-Bretagne concernant son hôpital?
«Je leur dirais d’être confiants que Carhaix, c’est le CHU et que nous sommes «sur le pont» pour tout faire, en fonction de nos capacités, afin que l’offre de soins en Centre-Bretagne soit préservée. C’est vrai pour le CHU, c’est vrai également des autorités de tutelle, qui nous soutiennent, et du niveau national. La mobilisation est vraiment complète, et nous avons des atouts. Il n’y a pas de raison d’être inquiets.
De manière générale, je me félicite de la qualité des relations que nous pouvons avoir avec Carhaix, tant avec les professionnels que les élus du territoire, et les relais auprès de la population…
Les choses sont dites avec franchise, sur ce qui ne va pas comme sur les réussites. J’apprécie ces relations franches et sincères !»
Vos fonctions vous permettent de porter un regard des plus informés et prospectifs sur le «système de soins» et la «politique de santé» dans notre pays… Comment envisagez-vous la médecine de demain, au sens très large du terme ?
«Parmi les grands basculements que connaît notre époque, à l’échelle planétaire, deux d’entre eux concernent directement la santé : le vieillissement de la population mondiale d’une part, et les révolutions scientifiques et technologiques d’autre part.
A l’échelle de la planète, nous allons vers une population qui comptera autant de gens âgés de plus de 65 ans que de gens de moins de 16 ans. Ce qui entraîne une évolution des besoins de santé, de soins, et donc une évolution des dépenses de santé, avec un défi de financement considérable…
La révolution scientifique et technologique va concerner très largement le secteur de la santé. Celle-ci est au cœur de la quatrième révolution industrielle, que nous sommes en train de vivre.
Elle concerne des domaines très divers, depuis la génétique jusqu’au «Big data»…
Les perspectives de progrès sont très importantes, à la fois rassurantes et parfois inquiétantes. L’intelligence artificielle, par exemple, va être – et elle l’est déjà – une aide considérable au diagnostic des professionnels de santé: gain de temps, réduction des erreurs…
Elle va permettre à l’intelligence humaine de se concentrer sur ce que la machine aura repéré…
Elle va aussi être un facteur d’égalité dans l’accès aux soins, au repérage de la maladie: les mêmes logiciels de recherche de maladie pourront être implantés à Brest, à Carhaix ou dans un hôpital du continent africain…
Si l’on pense l’avenir du système de santé en termes d’organisation, cette fois, une autre évolution apparaît à l’échelle mondiale, car elle est recherchée partout: un déplacement du centre de gravité du système de santé, de l’hôpital vers le domicile. C’est un changement total de paradigme. Et la technologie le permet. On peut aujourd’hui implanter beaucoup de dispositifs techniques au domicile…
Cela signifie que l’hôpital ne sera qu’un maillon dans la prise en charge des malades, et que l’ouverture sur les soins à domicile, les services à la personne, les professionnels libéraux (…) devient un sujet majeur. L’hôpital aura un rôle plus ponctuel de suivi, dans une prise en charge qui sera plus vaste…
Avec, cependant, une vigilance à avoir pour les populations les plus fragiles, dans ce panorama qui ne doit pas être considéré comme idyllique.
Nous vivons une époque où se pose (en France comme dans l’ensemble des pays occidentaux) la question de l’inclusion d’une partie de la population à ces évolutions.
En tant que service public, nous avons – nous hospitaliers – une vigilance à avoir pour que tous bénéficient du progrès médical. Certains ont un accès facile à la «santé connectée» et en bénéficient sans problème. Nous devons aussi être attentifs à la population qui a plus de difficulté sociale.»