J’ai considéré chacun d’eux comme un mentor, chacun avec ses approches particulières, ses nuances. Tous étaient des leaders dans leurs domaines, et ils œuvraient ensemble dans une grande cohésion, que je ne retrouve guère aujourd’hui…
J’ai conscience d’avoir vécu là un moment un peu unique dans l’histoire de la fin du XXe siècle, pour notre région… »
Yvon Le Cousse répond rarement à votre question sans laisser s’installer un silence chargé de réflexion : il en soupèse soigneusement les termes, tout comme les mots de sa réponse…
Mais la vivacité et la mobilité de son regard pénétrant révèlent alors une vivacité d’esprit qui a fait le tour du problème, et livre une pensée nuancée, dosée, posée, synthétique, où le non-dit en dit autant que le dit, surtout lorsqu’un sourire contenu et une lueur amusée lui fendent les lèvres et les yeux, témoins d’une discrète jubilation intérieure, qui éclate parfois en un long rire, franc et sympathique.
Ce Morlaisien de naissance, frontalier du Léon et du Trégor, dit aimer travailler avec les disciplinés Léonards mais vivre avec les Trégorrois, leurs plus fantasques voisins d’outre-Queffleuth… tout un programme !
Et il sait ce dont il parle : plus de quatre décennies durant, il a œuvré au développement de
ce Nord-Finistère, en particulier, vivant dans le sillage de l’épopée menée par des hommes tels Alexis Gourvennec : la transformation de l’agriculture, notamment en zone légumière, l’organisation du monde agricole – et au-delà, de tout un territoire – la mise sur pied d’équipements emblématiques, comme la Brittany Ferries…
Homme de terrain, et non seulement de dossiers, Y. Le Cousse a acquis au long de ces années extraordinairement fertiles une solide expérience du développement local, territorial, qu’il met
notamment aujourd’hui – en tant que maire – au service de sa vaste commune de Plougonven, terre d’Armor et d’Argoat aux confins du Centre-Bretagne.
Nous avons voulu ce mois jeter avec lui un regard rétrospectif sur les années d’un Ouest-Bretagne conquérant, et prospectif sur les clés de sa prospérité de demain. Des propos et réflexions chargés de sens, à lire entre les lignes, autant que dans le texte…
Voudriez-vous vous présenter brièvement ?
« Je suis un Morlaisien d’Après-guerre. J’ai eu 20 ans en 1968, entre le mouvement du 31 mars et les grandes manifestations du 13 mai…
J’étais plutôt destiné à faire de longues études, assez théoriques, mes résultats scolaires n’étant pas mauvais du tout, mais j’ai été impacté par ces événements de Mai 68, et par toutes les remises en cause de l’époque.
Je ne suis pas parti pour Katmandou, mais j’ai pris conscience – alors que ma destination aurait plutôt dû être l’administration d’Etat – qu’il y avait peut-être des choses à faire dans l’ouest de la Bretagne…
Simultanément avec les événements de Mai 68 – hasard ou conséquence ? – l’agriculture bretonne connaissait aussi des remises en cause. Une grande réfl exion était menée
sur les conditions de développement de cette agriculture.
Des mouvements comme le Comité d’Action pour la Bretagne Occidentale – qui était un mouvement non structuré, à la différence du CELIB, par exemple – m’ont attiré et fortement
influencé…
Si bien qu’après des études de Droit public et de Droit européen, et l’obtention d’un DESS, au lieu d’aller à Bruxelles, je suis revenu en Bretagne étudier toutes les institutions agricoles.
Et un jour, alors que je faisais pour le Télégramme, à Morlaix, ce que l’on appelle des « piges » dans le jargon journalistique, un des journalistes m’a dit :
«Tu devrais aller voir ce qui se passe à l’ancienne souspréfecture, rue Ange de Guernisac. Ça a l’air sympa et très animé !… »
En fait, c’était Alexis Gourvennec et Marcel Léon qui avaient investi les locaux de l’ancienne sous-préfecture pour y installer les bureaux de la SEMENF (Société d’Economie Mixte d’Etudes du Nord-Finistère)…
Je monte un escalier plongé dans le noir, je frappe, j’entre… Et je ne suis jamais redescendu !
Mon profil les intéressait. Il y avait déjà à la SEMENF un ou deux économistes, chargés de mission, qui travaillaient sur la structuration des institutions économiques agricoles
et l’accueil d’entreprises, parce qu’il y avait alors un grand mouvement de décentralisation ; non pas administrative, mais industrielle.
Mais Gourvennec et Léon voulaient absolument associer aussi les collectivités publiques locales au développement de la région. Ils cherchaient à inciter les maires des communes
rurales et des petites villes à rejoindre la SEMENF, car seul Georges Lombard, maire de Brest, avait à l’époque répondu à l’appel de Gourvennec…
Ma formation en Droit public et Droit européen les intéressait pour les aider à « accrocher au wagon » ces maires ruraux…
J’ai donc été chargé de monter une formation en gestion pour les élus locaux. Mais le but était surtout – A. Gourvennec et M. Léon étaient assez rusés – de trouver un angle pour intéresser ces élus. J’ai monté un service de formation pour les collectivités rurales : finances et urbanisme au départ, puis développement économique… C’était dans les années 70.
Voilà d’où je viens. Moi qui suis né et ai passé mon enfance à l’ombre du viaduc de Morlaix, j’ai toujours travaillé avec des Léonards, mais habité et passé tous mes loisirs parmi les Trégorrois !
Je suis marié, et père de deux enfants, qui ont aujourd’hui 44 et 39 ans. Je suis aussi grand-père.
Ma passion, c’est la pêche – toutes les formes de pêche – et plus largement la nature, le contact avec la nature… »
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