Solidement encordés, David Finlayson et son fils Charlie, 13 ans, poursuivent leur ascension vers le sommet, lorsque, soudain, un gros rocher se détache et vient frapper le père, le projetant dans le vide. Son fils, qui se tient sur une corniche étroite une dizaine de mètres plus bas, voit, avec effroi, le corps de son père disparaître.

Cela fait plusieurs jours que le père et le fils cheminent ensemble dans cette région sauvage de Frank Church-River of No Return, une immense étendue de paysages sauvages, située dans le centre de l’Idaho, avec des sommets de 3000 mètres et des pics spectaculaires.

Ils se sont bien préparés pour cette randonnée de deux semaines au mois d’août 2015. Après avoir établi leur camp de base près du très beau lac Ship Island Lake, ils se lancent à l’assaut des cimes alentour. Pour le jeune garçon, déjà habitué à de longues randonnées avec son père, c’est une étape nouvelle où il doit acquérir une bonne technique d’alpinisme.

Des appels désespérés sans réponse

Et c’est le lundi matin de la deuxième semaine, lors de leur troisième montée vers un sommet, que l’accident arrive. Dans un passage délicat, un rocher de la taille d’un réfrigérateur se détache, frappant le père de plein fouet. Inconscient, il est projeté dans un ravin profond.

Atterré, le jeune garçon regarde le vide où il a disparu. Instinctivement, il a tiré sur la corde pour déclencher le dispositif de freinage automatique qui arrête la chute.

Debout au bord de l’étroite corniche, incapable de voir son père, il lance des cris désespérés:

«Papa, ça va?»

Comme il voit la corde tendue, il sait que son père est là. Mais comme son appel reste sans réponse, il s’imagine le pire : son père peut être inconscient, peut-être même mort. Plus tard, il racontera: «Durant ces cinq minutes, j’ai prié, je pense que j’ai probablement prié 20 fois pour qu’il soit en vie; et j’ai attendu…»

Puis, au bout d’un temps qui lui paraît très long, il entend enfin une voix: «Charlie, es-tu là?»

En effet, David se trouve suspendu dans le vide à quelque 12 à 15 mètres plus bas. Grièvement blessé, assommé par le choc, il vient juste de reprendre conscience. Son bras et son pied gauches sont brisés, le tibia fracturé sort de la peau et il saigne abondamment. Une douleur intense dans le haut du dos lui fait craindre une fracture de vertèbres. Son casque a certes protégé sa tête du pire, mais très endommagé par le rocher qui l’a heurté, il n’a pas pu empêcher un violent traumatisme crânien.

Malgré la douleur et bien qu’étant au bord de l’évanouissement, il s’efforce de donner des instructions à son fils. La corde qui le maintient est équipée d’un système permettant de donner du mou et ainsi de faire descendre quelqu’un en douceur, par paliers. En suivant les instructions de son père, Charlie réussit à descendre son père sur les quelques mètres qui le séparent d’une corniche où il pourra s’allonger.

Dans son sac d’escalade, il trouve la trousse de premiers secours. Et là, de sa seule main valide, David enduit sa blessure à la jambe de crème antibiotique, la recouvre de compresses de gaze et commence à l’envelopper de ruban adhésif. Il ne veut pas que Charlie voie l’os qui ressort. Une fois la plaie recouverte, il demande au garçon de descendre en rappel pour l’aider à soigner ses nombreuses blessures.

Sur l’étroite corniche, une situation dramatique

Ils sont vivants, ils sont réunis, mais sur cette étroite corniche, leur situation reste dramatique.

Le garçon de 13 ans sera-t-il capable de descendre son père en rappel, palier par palier? Ils sont si haut et si seuls que David se demande vraiment si une telle opération est possible, et si, entre-temps, il ne va pas perdre trop de sang.

Ils sont équipés d’un GPS Garmin, mais c’est un modèle qui ne permet pas de lancer un appel d’urgence. Ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes.

Malgré le risque, il faut donc tenter de descendre le blessé en rappel le long de la paroi rocheuse. Mais l’opération est très délicate. A chaque longueur de corde, David doit enfoncer un piquet dans le rocher en utilisant sa seule main valide et Charlie doit démêler 50 mètres de corde et l’enfiler dans cet ancre de fortune.

Ils progressent lentement et le crépuscule approche lorsqu’ils atteignent le pied de la falaise. La température a chuté à quatre degrés. En short et veste légère, David tremble de froid et d’épuisement. «Cela suffit pour aujourd’hui, dit-il. Tu vas devoir aller chercher nos sacs de couchage pour qu’on ne meure pas de froid.»

Tout leur équipement se trouve à leur camp de base, à plus d’un kilomètre et demi. Charlie descend la pente raide en courant et remonte aussitôt, son sac à dos rempli de vêtements chauds et de deux duvets.

Le lendemain matin, après une nuit pratiquement sans sommeil, ils se remettent péniblement en route, conscients que ce jour sera décisif. Ils se trouvent maintenant sur un terrain certes en pente raide mais où ils peuvent marcher. Aidé par son fils, David tente d’avancer sur sa seule jambe valide. Parfois, il est contraint de rouler par dessus des rochers qu’il ne peut pas contourner, et à plusieurs reprises la douleur est telle qu’il perd conscience.

Ils arrivent à leur camp de base au bord du lac à 16 heures de l’après-midi, mais ils sont encore très loin de leur voiture. David sait qu’il lui est impossible de poursuivre à pied. Lorsqu’il demande à son fils de continuer tout seul pour aller chercher de l’aide, celui-ci fond en larmes. Abandonner son père grièvement blessé lui est insupportable.

«Désolé, mon garçon, lui dit son père, nous n’avons pas le choix.»

« Je ne reviendrai pas sans un hélicoptère »

Tôt le troisième matin, obéissant aux instructions de son père, Charlie est prêt. Avant de se mettre en route, il déclare solennellement: «Je ne reviendrai pas sans un hélicoptère.»

Pour trouver de l’aide, il doit suivre un sentier qui monte d’abord jusqu’à près de 3000 mètres d’altitude avant de plonger dans une autre vallée pour ensuite remonter à nouveau. A moins de croiser des randonneurs en route, il faut qu’il arrive jusqu’au point de départ du chemin de randonnée. Les bois alentour sont fréquentés par des grizzlis et des pumas, et tout en marchant, Charlie donne des coups de sifflet pour les éloigner.

A quelques kilomètres du but, il entend enfin des voix et peut appeler à l’aide. Il explique aux randonneurs la situation en leur précisant où se trouve son père. Puis, il leur demande en pleurant d’aller auprès de lui, alors que lui-même continue son chemin afin de pouvoir alerter les secours pour qu’ils envoient un hélicoptère. Il croise ensuite un ancien Marine qui l’accompagne en courant jusqu’à un poste de secours près de 15 kilomètres plus loin. De là, rapidement, un hélicoptère est envoyé à la recherche du blessé, et le soir même, David Finlayson se réveille à l’hôpital. Grâce au sang-froid de son fils, à son courage, il a pu être sauvé. Sa vie n’est plus en danger, mais au cours des mois suivants, il doit subir plusieurs opérations délicates. Sa première nuit à l’hôpital, il essaie de se remémorer son sauvetage. Mais c’est surtout le lendemain, lorsque Charlie arrive à son chevet, qu’il explose littéralement de joie en exprimant sa profonde reconnaissance à son fils de 13 ans qui a tenu sa promesse en envoyant l’hélicoptère pour sauver son père.