Qui n’a pas vu les images du «7e continent» comme est parfois appelée cette immense étendue de déchets plastiques flottant dans les océans? Découverte en 1997, la plus grande de ces étendues est estimée à 1,6 millions de km² (soit environ 3 fois la superficie de la France) et à 80000 tonnes de déchets, selon l’organisation Ocean Cleanup. Face à ces désastres écologiques, une «guerre» est lancée contre les déchets plastiques; il faut tout faire pour les limiter (notamment les emballages jetables). Mais quelle alternative?
Dans cette lutte contre les emballages plastiques, les initiatives fusent tout azimut. Remplacement des gobelets et couverts plastiques par des gobelets papier, couverts en bois, emballages biodégradables, etc.
Pour réduire ces emballages, le remplacement de l’eau minérale en bouteille par l’eau du robinet est prôné. Mais des études scientifiques ont démontré qu’il faut éviter de réutiliser les anciennes bouteilles plastiques plus d’une fois car, en vieillissant, ces bouteilles libèrent diverses substances chimiques nocives dans l’eau.
Dès lors, les impératifs d’écologie et de santé publique exigeaient de trouver une alternative sérieuse. Il n’en fallait pas plus pour que des entreprises s’emparent du sujet.
Des gourdes pour tous les goûts !
Un concept séculaire, jamais vraiment disparu, est alors remis en lumière: la gourde!
Il en existe de toutes tailles, formes, matières… et prix! Mais ce dernier point pourra être compensé par une eau environ 150 fois moins chère au robinet que dans le commerce.
On trouve notamment des gourdes en plastique, en verre, en aluminium, en inox, en silicone, ou encore en peau (moins en vogue à l’heure du véganisme)…, chacune ayant des avantages et des inconvénients.
La gourde en plastique est généralement la moins onéreuse (moins de 10€ pour les entrées de gamme) et la plus légère. Mais elle a plusieurs inconvénients; si l’eau y demeure 24h ou plus, des odeurs, un goût altéré, ainsi qu’une contamination chimique de l’eau viennent généralement assombrir le tableau, notamment si elle a été exposée aux UV. Comme l’ont montré des chercheurs de l’Université de Copenhague dans une étude sortie en début 2022, cette contamination est démultipliée si la gourde ou la bouteille plastique a été nettoyée au lave-vaisselle (la chaleur et le produit vaisselle accélèrent la détérioration du plastique qui libère dans l’eau des substances chimiques mais aussi des résidus de produit vaisselle… on trouve alors trace de plusieurs milliers de produits différents).
Les alternatives les plus plébiscitées sont donc les gourdes en verre et en métal. Si les gourdes en verre ont l’avantage d’être sans danger pour la santé, elles ont l’inconvénient d’être plus lourdes, et plus fragiles que les autres.
Pour ce qui est de l’aluminium, pour être sans danger pour l’organisme, la gourde doit avoir un revêtement en résine à l’intérieur car l’aluminium libère des substances nocives pour la santé et donne un mauvais goût à l’eau. Le problème est que ce revêtement peut avoir tendance à se détériorer dans le temps s’il n’est pas d’excellente qualité.
La gourde en inox semble la plus prisée pour remplacer les bouteilles jetables en plastique. Cette solution ne représente en effet aucun danger connu à ce jour pour l’organisme et a l’avantage d’être très résistante. Elle offre même la possibilité de se décliner en version isotherme.
Une alternative vraiment écologique ?
Il est estimé qu’une personne utilise en moyenne 96 bouteilles d’eau jetables par an. La moitié seulement était réellement recyclée en 2018. L’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) estime que l’utilisation d’une gourde au lieu de bouteilles jetables permet d’économiser entre 7 et 15 kg de CO2 par an, plus 3 à 5 kg de déchets par an… ce qui est relativement peu si on le rapporte à la « production » annuelle moyenne d’une personne qui est de 11 tonnes de CO2 par an, et 568 kg de déchets…
Mais une gourde, quel que soit le matériau utilisé, a une empreinte carbone plus élevée qu’une bouteille plastique jetable (elle est plus polluante à fabriquer). Pour que son utilisation soit plus écologique que la bouteille en plastique, il faut qu’elle soit utilisée suffisamment longtemps.
Selon une étude du producteur Gobi et de l’ADEME, une gourde en verre est «écologiquement rentabilisée» au bout de 2 mois d’utilisation exclusive. Pour une gourde en plastique, ce temps est porté à 3 mois, tandis que celles en inox mettront… 3 ans(!), portés à 6 ans pour les versions Isotherme (uniquement produites en Chine)!
Quand l’opportunité commerciale prend le pas sur l’écologie…
Et pourtant, si c’est l’argument écologique qui est le plus souvent mis en avant, fabricants et vendeurs rivalisent d’imagination pour créer des modes et des versions décorées, qui ne pousseront pas les consommateurs à conserver leur gourde 3 ou 6 ans!
De même, divers accessoires sont proposés, depuis le mousqueton à la housse de protection, en passant par des bouchons élaborés, ou des filtres purificateurs d’eau… ayant chacun leur empreinte carbone à ajouter à celle de la gourde. Et que dire des gourdes connectées qui vous permettent d’estimer le nombre de bouteilles plastiques que vous économisez? (Là encore il ne faudra pas oublier d’ajouter l’empreinte carbone de ces circuits et autres puces électroniques contenant souvent des matériaux très énergivores à produire!)
Un marché en plein essor
Si donc l’impact écologique est très dépendant de l’utilisation que l’acheteur fera de sa gourde, l’impact économique de cette mode est bien réel, et ce, quelle que soit l’utilisation (ou non utilisation) de la dite gourde!
C’est effectivement un marché en plein essor! La gourde n’est plus cantonnée aux sportifs, campeurs et autres ; elle s’est installée dans le quotidien de beaucoup, jusque sur les chantiers, dans les bureaux, ou les écoles.
En effet, selon une étude menée par le fabriquant Gobi et l’institut Opinion Way en mai 2022, 54% des Français auraient adopté la gourde au quotidien. En moyenne, ils en possèdent 2 et les gardent 2 ans (ce qui n’est donc pas forcément gage d’éco-rentabilité).
Avec un taux de croissance en France supérieur à 10% depuis 3 ans, le marché de la gourde a explosé sur les 5 dernières années.
Le marché mondial de la gourde doit quant à lui croître de 3,9% par an entre 2018 et 2025, pour atteindre les 11 milliards de dollars en 2030 (selon une étude de Fact Market Research).
Le made in France bien présent
Plusieurs marques françaises se sont bien implantées dans ce secteur, comme Gobi (made in France, conçues en Tritan, un plastique spécifique, à partir de 20€), Qwetch (en inox, isotherme à partir de 16€), Gaspajoe (à partir de 16,90€ pour l’inox simple ou 22€ pour l’isotherme), Zeste (made in France, inox simple, à partir de 38€), Balzeo (en inox isotherme à partir de 20€), Le Grand Tétra (made in France, en aluminium, intérieur recouvert de polyamides, à partir de 39€), etc. L’engouement pour les gourdes est donc à n’en pas douter une véritable opportunité économique pour les entreprises, un phénomène de société, la (re)découverte d’un ustensile pratique, qui peut aussi avoir un impact positif sur l’environnement… selon l’utilisation qui en sera faite.
Guillaume Keller