La situation de Paul Fozzard est dramatique. Cet Écossais sportif de 36 ans avait décidé de faire une dernière randonnée dans les Highlands ce 22 juin 1995 avant de reprendre son travail. Il connaît bien ces montagnes sauvages, splendides, qui bordent la côte septentrionale de l’Écosse. Du haut du Sgurr a Chleirich, un des sommets du Ben Loyal, la vue sur 360° est tout simplement époustouflante.
Impossible de continuer !
Dans la matinée, il réussit à escalader les cinq sommets de cette chaîne montagneuse appelée « la reine des cimes écossaises ». Bien qu’en altitude modeste, cette randonnée peut présenter des difficultés certaines. Pour descendre le plus rapidement possible, Paul Fozzard choisit un chemin escarpé, praticable, selon le guide qu’il a consulté, « à condition d’être prudent ».
Dès le début, le chemin encaissé, creusé dans le roc par un ancien cours d’eau, est extrêmement raide – au moins 45° – et s’avère bien plus difficile qu’il n’avait pensé. Cependant, en montagnard expérimenté, il est confiant. Il s’y engage donc résolument, mais la pente s’accentue de plus en plus, et il se trouve bientôt devant un à-pic pratiquement vertical. Impossible de continuer! Il doit donc remonter la pente raide jusqu’au départ et essayer de trouver une autre voie.
C’est là que l’accident se produit, et en quelques instants la paisible randonnée se transforme en drame. Étendu sur le sol rocailleux, Paul Fozzard, chef scout depuis quinze ans et habitué à faire face à toutes sortes de difficultés, tente d’évaluer la situation.
Il faut d’abord stopper l’hémorragie, mais l’épaule gauche le fait tellement souffrir qu’il ne pourra pas se servir de son bras. Il arrive à défaire les bretelles de son sac à dos, qui pèse terriblement sur l’épaule blessée et à en extraire la trousse de secours qu’il emporte toujours. Avec son seul bras valide, il essaie de soigner la plaie, mais le saignement continue.
Dans l’état où il se trouve, il est hors de question de monter, il ne peut que continuer la descente jusqu’à la vallée, environ 500 m plus bas, mais sur une pente très raide. Une fois en bas, il lui resterait un bois à traverser pour arriver à sa voiture. Il évalue la distance à 6 km.
Le sac : sa « bouée de sauvetage »…
Incapable de se tenir debout et de marcher normalement sur cette pente abrupte, il ne peut avancer qu’en rampant à reculons, mètre après mètre. Mais comment transporter son sac? Il ne peut absolument pas l’abandonner. C’est sa « bouée de sauvetage », avec la trousse de secours, des vêtements chauds, une couverture de survie, une carte, une boussole, une bouteille d’eau, deux sandwiches et une tablette de chocolat. Mais il ne peut pas le porter sur le dos. La seule solution qu’il trouve est de le pousser avec ses pieds tout en rampant.
Au bout de 100 m, ses genoux et ses mollets sont en sang. Le sac ne suit pas une ligne droite, mais selon le terrain part sur la gauche, sur la droite. Après quatre heures d’efforts surhumains, il est à bout de forces, sa vue se brouille.
Il continue néanmoins à ramper jusqu’à minuit. Cela fait dix heures depuis sa chute à 2H de l’après-midi. Le bilan est décevant. Il n’a pas beaucoup avancé, il se trouve encore en altitude, mais il doit se résigner à passer la nuit sur place.
Couvert d’un blouson et de sa couverture de survie, il essaie de se reposer, mais il a tellement peur de glisser dans la pente qu’il n’arrive guère à dormir.
A l’aube, il fait le point. Il souffre beaucoup, la distance qu’il a parcourue est ridicule, mais il est encore en vie, et il est décidé à se battre jusqu’au bout.
Il se remet péniblement en route, et avance mètre par mètre. Son œil droit ne voit presque plus rien, et au bout d’une heure, soudain, il réalise qu’il a perdu son sac à dos. Il est alors saisi de panique, car il sait bien combien son sac est indispensable. Il devra donc rebrousser chemin, remonter cette pente terrible qu’il a mis tant d’heures à descendre.
Laborieusement, essayant de ne plus penser à son corps qui le fait souffrir, il se remet en route, à genoux… Il gagne quelques mètres, puis il redescend en glissant, mais chaque fois, il repart. Il est devenu comme un automate qui sans réfléchir refait les mêmes mouvements.
Une heure pour faire 300 mètres !
Il met six heures pour retrouver son sac. Il lui reste un sandwich qu’il dévore avant de se tourner de nouveau vers la vallée, si proche à vue d’œil, mais si difficile à atteindre. C’est déjà la fin de l’après-midi du deuxième jour. Le temps presse. Il doit continuer. Il refuse d’écouter sa souffrance. Arrivé sur un terrain un peu plus plat, il parvient à se redresser, à mettre le sac sur son dos, et avance en titubant, penché en avant, s’exhortant constamment: « J’irai jusqu’au bout! »
Et cette deuxième nuit, il fait juste quelques courtes pauses pour reprendre son souffle. Il n’ose pas s’endormir. Il a peur, s’il s’arrête, de ne plus pouvoir repartir. A l’aube, il estime qu’il lui reste encore environ trois kilomètres à parcourir pour rejoindre l’endroit où il a garé sa voiture. Mais il lui faut une heure pour faire 300 mètres, donc la journée entière pour atteindre le but.
A 8 heures du soir, il arrive enfin. Épuisé, il s’effondre sur le siège du passager, et ce n’est que le lendemain matin qu’il trouve la force de se glisser derrière le volant et se mettre en route.
Au premier village, il demande de l’aide. Une ambulance l’emmène à l’hôpital le plus proche, puis il est transporté par hélicoptère jusqu’à l’hôpital d’Inverness. Il souffre notamment d’une fracture de l’épaule gauche et d’une vertèbre fêlée, et il doit passer douze jours immobilisé dans une gouttière. Après trois mois de soins et de repos, il peut reprendre le travail, mais la leçon qu’il a apprise, restera toujours dans sa mémoire : il ne faut jamais sous-estimer les dangers de la montagne.
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