«Le 1er thermidor an 9 (20 juillet 1801), les préposés à la perception de la taxe d’entretien de la route conduisant de Carhaix à Gourin, ont dressé contre les citoyens Lebec, Thomas et autres cultivateurs des procès verbaux constatant le refus de ceux-ci d’acquitter le droit déterminé par les lois.» 

En fait, ce droit était une taxe, l’octroi, qui était généralement perçu aux portes des villes, au niveau de ce qu’on appelait la «barrière de l’octroi». Dans l’ancien régime, les municipalités percevaient des taxes sur certains produits: vin, alcool, bois, fourrage… Elles furent souvent à l’origine de révoltes paysannes! L’Assemblée constituante supprima l’octroi le 20 janvier 1791, le considérant comme «arbitraire, favorisant les nobles, les bourgeois, et les riches». Mais le Directoire le rétablit le 18 octobre 1798. Le Consulat décida en 1802 de prélever 5% de ces taxes pour l’approvisionnement en pain de l’armée, et même 10% sous l’Empire.  L’équilibre du budget de la nation n’est pas une question nouvelle.

Des hommes embusqués surgirent soudain

Le procès verbal dont furent l’objet les citoyens Lebec, Thomas et consorts était-il une banale opération de police? Certainement pas, car la manière d’agir des préposés de la barrière de Gourin était tout à fait inaccoutumée, et leur valut une plainte des contrevenants auprès du Juge de paix de Carhaix. En effet, il s’avéra, après enquête et audition de témoins, que les paisibles cultivateurs verbalisés, n’habitaient pas Carhaix, et avaient été arrêtés à un quart de lieue (1200 mètres) de la barrière de la route de Gourin.

Pour le juge de Paix, il s’agissait clairement d’une arrestation illégale avec violence et abus de pouvoir.

Quels étaient les faits? Le groupe de cultivateurs avait pris le chemin le plus direct de chez eux pour rejoindre la route de Gourin, par une voie de traverse. Mais en chemin, ils virent des hommes embusqués qui surgirent soudain, venant précipitamment à leur rencontre, les forçant à les suivre jusqu’à la barrière. Ceux-ci mirent leurs chevaux en fourrière chez un aubergiste de la ville, et leur infligèrent une amende de 50 frs.  

Les citoyens Pichon et Stude, préposés aux taxes, trouvaient-ils que l’argent ne rentrait pas assez rapidement? Les paysans avaient-ils été l’objet de la vengeance d’un particulier qui avait rameuté ses amis de la barrière de l’octroi de la route de Gourin?

Comment avaient-ils été avertis du passage à 1 km de la barrière de ce groupe se rendant au marché de Gourin?

Les textes n’apportent pas de réponse à ces questions. Toujours est-il que le jour même une plainte était déposée par les victimes de ce zèle parfaitement abusif. Les préposés aux taxes affirmèrent que les prévenus avaient délibérément fait un détour pour éviter la barrière, mais aucune preuve n’appuyait cette thèse, bien au contraire!

Ils ont usé de violence

Le Juge de Paix considéra le 16 thermidor, que de la part du gouvernement «il n’était jamais entré dans ses vues d’autoriser des préposés de s’éloigner de leur barrière d’un gros quart de lieu, à se répandre armés sur les grandes routes, pour y attendre en embuscade des cultivateurs  qui ne font que suivre leur chemin direct, que si cet exemple était toléré, il peut en résulter de grands malheurs…»

C’est ainsi qu’il décida d’annuler l’amende, de restituer les chevaux, et de charger les préposés d’assumer les frais de fourrière et autres dommages et intérêts pouvant être décidés par le tribunal de Police.

Celui-ci se réunit le 23 thermidor suivant, confirma les décisions du Juge de paix, précisant que  «s’il résulte des déclarations des témoins, que les plaignants n’ont pas dévié de leur route directe, il n’en résulte pas moins que les préposés ont usé à leur égard de violence, en les arrêtant sans droit, sans qualité, à un gros quart de lieue de leur barrière, à main armée, dans un chemin de traverse, en heurtant et poussant l’un d’eux avec la crosse de son fusil, pour le faire descendre de cheval, en les menaçant et en les menant violemment vers leur barrière».

La conclusion, provisoire nous le verrons, de cette affaire fut que «le tribunal condamne le citoyen Pichon à une amende de la valeur de trois journées de travail, et le citoyen Stude à une amende de la valeur d’une journée seulement», de plus il leur fallait régler aux dépens la somme de 161 francs 29 centimes.

Devant le tribunal de cassation

 «La justice n’est pas une vertu d’état», a dit Corneille. De fait, ce jugement fut dénoncé au tribunal de cassation pour vice de forme. Par jugement du 13 Ventôse an X de la République Française une et indivisible, (4 mars 1802) il donna cette conclusion: «Le tribunal casse et annule pour excès de pouvoir, les jugements de la justice de paix et du tribunal de police  du canton de Carhaix des 16 et 19 thermidor an 9 entre les préposés aux barrières de la commune de Carhaix et les citoyens Lebec, Thomas et consorts».

On ne sait si cette affaire connut de nouveaux rebondissements. Ni si les Carhaisiens supportèrent longtemps des agissements de brigands de grands chemins. Ce que l’on sait, c’est que ces barrières subsistèrent fort longtemps comme source de revenus pour les communes, car au niveau national, elles ne furent supprimées qu’en 1948 !

F.K.