Lorsqu’il se réveille ce matin-là, le garçon de six ans découvre avec effroi qu’il est tout seul dans la hutte familiale délabrée où jusqu’alors il a vécu avec ses parents et ses neuf frères et sœurs. Il se lève, cherche partout, mais il ne trouve aucune trace de sa famille. Il a tout simplement été abandonné au milieu de la nuit.
Charles Mully est né en 1949, dans un petit village du Kenya. Son père, alcoolique et violent, a fini par devenir un mendiant, incapable de nourrir sa famille nombreuse, et dans une fuite en avant, il est donc parti avec toute sa famille… sauf le plus jeune, abandonné sur place.
A 6 ans, contraint de mendier son pain
Errant dans ce village africain, frappant désespérément aux portes des huttes pour demander un peu de nourriture, le jeune Charles survit dans des conditions très difficiles. A force de quémander son pain quotidien, il finit par devenir une nuisance pour les habitants du village. Parfois, il est repoussé, mais comme il le raconte plus tard: «J’ai préféré avoir honte et être embarrassé plutôt que de mourir de faim.»
Il arrive malgré tout à survivre, mais sa vie est bouleversée et sa scolarité très compromise. Grâce à l’aide ponctuelle de quelques membres de sa famille, il peut quand même aller à l’école primaire qu’il termine à l’âge de 17 ans, mais il n’a jamais pu fréquenter l’école secondaire. Plus d’une fois, il a la tentation de mettre fin à ses jours, puis, un jour, il est invité à accompagner un camarade dans une église évangélique, et touché par le message de l’Évangile, il reprend courage et trouve à nouveau un sens à sa vie.
Déterminé à sortir de la misère, l’adolescent quitte son village natal pour parcourir à pied les 70 kilomètres qui le séparent de Nairobi, la capitale, où il frappe aux portes pour demander du travail jusqu’à ce qu’il obtienne un poste de domestique dans la maison d’un riche homme d’affaires.
Soudain, son passé resurgit dans sa mémoire
Accomplissant avec sérieux les tâches qu’on lui demande, il finit par gagner la confiance de son patron qui commence à lui déléguer des responsabilités dans son entreprise de travaux agricoles.
Il gravit rapidement les échelons et se voit confier des postes de plus en plus importants. Au bout d’un temps, il crée lui-même une entreprise de transport, «Mullyways» qui assure la liaison entre Nairobi et les villages locaux alentour. Les affaires prospèrent, et le jeune orphelin finit par devenir un homme d’affaires important, créant plusieurs autres entreprises florissantes, notamment dans les secteurs du pétrole, du gaz et de l’immobilier.
Il s’installe confortablement dans une grande propriété avec son épouse Esther et leurs sept enfants auxquels s’ajoute une jeune fille adoptée. Un avenir de bonheur lui semble assuré, et même s’il n’a pas oublié son enfance si difficile et pense souvent à tant d’autres enfants abandonnés, laissés à eux-mêmes, il est tellement pris par ses responsabilités qu’il ne trouve pas le temps de s’intéresser à ceux qui souffrent autour de lui… jusqu’au jour où un événement presque banal de la vie quotidienne va à nouveau bouleverser son existence.
Ce jour-là, Charles Mully est en voyage d’affaires. Arrivé dans la ville où il a des rendez-vous importants, il gare sa belle Mercedes et, alors qu’il se hâte vers le lieu de ses rencontres, il est abordé par plusieurs jeunes garçons –des enfants de la rue– qui lui proposent de garder sa voiture en échange d’une somme d’argent. Pressé et préoccupé par son travail, il les méprise, les écarte même de sa route. A son retour, quelques heures plus tard, une surprise l’attend: sa voiture a disparu. Humilié et contraint de rentrer chez lui en empruntant les transports en commun, Charles a le temps de réfléchir. Tout ce qu’il a vécu dans son enfance resurgit dans sa mémoire, toutes ses souffrances, sa solitude, son besoin des autres pour survivre… Il traverse une véritable crise intérieure. Les questions se bousculent dans sa tête: «Pourquoi a-t-il repoussé ces jeunes garçons, ces enfants qui étaient comme lui dans son enfance?»
Plus de 12 000 orphelins secourus
Et, en novembre 1989, il prend une décision qui va bouleverser toute sa vie. Incapable de poursuivre ce chemin de réussite personnelle, de bonheur égoïste, il ressent comme un appel profond, irrésistible, à tout abandonner pour désormais venir en aide aux enfants délaissés, si nombreux dans son pays. Il est prêt à quitter toutes ses entreprises, à consacrer tout son temps et tous ses biens pour secourir ces enfants.
«Cela a été un grand tournant pour moi, raconte-t-il. J’avais 40 ans. Le lendemain je suis allé dans la rue.»
Rapidement, le couple accueille trois enfants dans leur vaste maison. Six années plus tard, ils avaient accueilli 300 enfants.
Petit à petit, pour financer ce travail, il vend ses entreprises, les unes après les autres.
Si, tout au début, son nouveau projet rencontre une certaine incompréhension au sein de son entourage, rapidement son épouse et aussi ses enfants partagent sa vision et deviennent des compagnons précieux dans ce travail qui les mobilise souvent 24 heures sur 24.
Après avoir commencé dans leur propre maison, ils ouvrent un grand centre d’accueil avec écoles, terrains de sport, des terres agricoles à la fois pour nourrir ces enfants mais aussi pour leur donner du travail.
Ils créent l’association MCF : Mully Children’s Family (Les enfants de la famille Mully).
Depuis les débuts en 1989, la famille Mully a accueilli plus de 12000 orphelins des quartiers difficiles de Nairobi et autres villes du Kenya, les nourrissant, les éduquant, créant ainsi la «plus grande famille du monde». Pour tous, il est «Papa Mully»! Aujourd’hui, les six campus de l’association Mully Children’s Family hébergent ou touchent environ 3500 enfants.
Dans sa biographie, Charles Mully retrace les années difficiles de son enfance, sa réussite personnelle, puis s’attarde sur ce choix que beaucoup n’ont pas compris, lorsqu’il a tout abandonné pour consacrer sa vie et ses biens au service des enfants de la rue, un choix qui a donné un vrai sens à sa propre vie et qu’il n’a jamais regretté.