Le but est de tirer les leçons des problèmes économiques qui ont suivi la Première Guerre mondiale, et de la crise de 1929.
Depuis des siècles, les monnaies étaient frappées directement dans les métaux précieux (or, argent…), puis elles ont été frappées dans des métaux plus quelconques, et les billets ont même fait leur apparition. La monnaie n’était alors plus en or, mais «convertible en or» (en tout cas pour les principales), c’est-à-dire qu’à une quantité de monnaie donnée correspondait un poids d’or. C’est ce qui donnait sa valeur à la monnaie et lui conférait la confiance des utilisateurs.
Mais à partir du moment où la fameuse «planche à billets» a petit à petit créé plus de monnaie que le stock d’or des pays n’était censé le permettre…, la convertibilité en or des monnaies s’est arrêtée, entraînant une baisse de la confiance dans ces dernières, une dépréciation des monnaies, et toute une spirale de crises financières et économiques.
Bretton Woods ou la consécration du dollar…
A Bretton Woods, les futurs vainqueurs préparent donc le nouveau système monétaire, qui devra éviter les écueils connus durant l’entre-deux-guerres.
Ils y décident que les monnaies ne seront plus indexées sur l’or mais par rapport à une monnaie de référence, qui sera le dollar américain (les états-Unis étant LA grande puissance économique), qui est alors lui-même indexé sur l’or (les USA détenant les 2/3 du stock mondial d’or).
Le FMI (Fond Monétaire International) est, entre autres, également créé à ce moment-là pour surveiller et encadrer ce système.
Cette place particulière du dollar confère aux états-Unis un rôle majeur dans l’économie mondiale et renforce sa suprématie (tous les états ont besoin de dollars pour échanger entre eux, et donc, afin d’en obtenir, soit de vendre des marchandises ou prestations aux états-Unis, soit d’acheter de la dette américaine, des «Obligations»).
Ces accords profitent majoritairement aux pays occidentaux qui connaissent les «Trente Glorieuses».
La fin de l’étalon-or
Mais quand ce système commence à vaciller au début des années 1970, et que des états commencent à vouloir échanger leurs dollars contre de l’or, les états-Unis suspendent la convertibilité en or du dollar (afin de ne pas perdre leur stock d’or).
Les taux de change des monnaies deviennent flottants, et en 1976 les accords de Jamaïque officialisent l’abandon de l’étalonnage des monnaies sur l’or. Leur valeur dépend donc maintenant des marchés financiers.
Pour autant, l’or reste la valeur refuge par excellence, et le dollar reste la monnaie d’échange internationale majeure. Les états-Unis gardent leur suprématie et, libérés de la contrainte de convertibilité du dollar en or, ils peuvent se permettre de créer davantage de monnaie. Ils peuvent emprunter sans problème de taux de change puisque, tant que le dollar est la monnaie internationale d’échange, tous les états sont intéressés par le fait d’en avoir… le dollar ne perd donc pas ou peu de valeur.
Mais depuis la fin des accords de Bretton Woods, ce n’est plus que la puissance économique et géopolitique des états-Unis qui assure au dollar son hégémonie… et cette dernière contribue grandement à la puissance économique et géopolitique américaine!
Mais ce «cercle gagnant» pour les états-Unis commence à s’enrayer avec la perte de sa suprématie économique. En effet, depuis le début du XXIe siècle, de nouvelles puissances économiques émergent, et le font rapidement, au point de commencer à faire de l’ombre au géant américain.
L’émergence et l’expansion des BRICS…
Les quatre principaux pays émergents se sont d’ailleurs regroupés en 2009 pour former les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), et ont été rejoints en 2011 par l’Afrique du Sud, devenant ainsi les BRICS, et pesant près du ¼ du PIB mondial et plus de 40% de la population mondiale.
Ces pays ne se satisfont pas de la domination américaine, et entendent bien la contester et peser dans l’ordre international. Pour cela, ils ont créé une Banque de Développement commune en 2014, et projettent maintenant de créer une monnaie commune. Cette monnaie pourrait alors concurrencer le dollar sur les marchés internationaux.
Déjà, ils ont commencé à payer leurs échanges entre eux (notamment d’énergies) en monnaies locales au lieu de dollars. Cette pratique commence également à faire école chez leurs partenaires commerciaux.
D’ailleurs, les BRICS ont la volonté de s’agrandir encore: depuis le début de cette année 2024, ils sont devenus les BRICS+ avec l’arrivée de l’Égypte, des Émirats Arabes Unis, de l’Éthiopie et de l’Iran…
Ce groupe de pays pourrait bien continuer à s’élargir à l’avenir puisque de nouveaux prétendants se portent candidats.
Quelle monnaie pour concurrencer le dollar ?
Cette monnaie commune pourrait être le yuan chinois (la seule monnaie en position suffisamment forte pour concurrencer le dollar actuellement), mais il n’est pas certain que la Chine le souhaite vraiment, ni que les autres pays ne veuillent reproduire avec la Chine le système qu’ils essaient de démanteler avec les états-Unis…
Les BRICS+ pourraient donc créer une nouvelle monnaie qui leur serait commune. Probablement pas à l’instar de l’euro, une monnaie utilisée par tout un chacun, mais une monnaie uniquement utilisée pour les échanges internationaux.
Certains observateurs ont d’ailleurs noté que la Russie, la Chine, et maintenant l’Inde étaient en train de chercher à accroître au maximum leurs stocks d’or. Si cela n’a rien d’extraordinaire dans une période aussi troublée géopolitiquement que celle que nous vivons, il se pourrait bien que ce soit pour adosser leur future monnaie sur l’or, ce qui lui conférerait une stabilité qui fait cruellement défaut depuis quelques décennies! Leur présence grandissante sur le continent africain pourrait d’ailleurs bien être l’un des piliers de cette stratégie.
Les BRICS parviendront-ils à relever les défis pour faire plier le dollar ?
Beaucoup de pays pourraient être intéressés par cette monnaie afin de s’affranchir du dollar et de la domination américaine. Ainsi 60% des pays du monde auraient un avantage à effectuer leurs échanges en monnaie BRICS plutôt qu’en dollars. La création d’une telle monnaie porterait probablement un coup terrible (fatal?) à l’hégémonie du dollar et affaiblirait du même coup considérablement les états-Unis.
Pour autant, la mise en place d’une monnaie commune aux BRICS ne sera pas un long fleuve tranquille. Ces pays sont très hétérogènes et les élargissements actuels et à venir ne feront que renforcer cette caractéristique…
Le point commun entre tous ces pays devient principalement une opposition au monde occidental. Mais une telle hétérogénéité rendra difficile la gouvernance.
Par ailleurs, certains pays, et particulièrement la Chine, détiennent encore de très nombreuses obligations américaines en dollars. Et bien qu’ils soient en train de les vendre petit à petit, ils n’ont pas intérêt à ce que le dollar s’effondre trop vite, sous peine de perdre beaucoup !
Si rien n’est donc encore fait, il est toutefois manifeste que le «centre de gravité du monde» se déplace encore un peu plus vers l’Asie…
Guillaume Keller