Le «first-lieutenant» de l’Aréthusa portait un nom français, Philippe Dauvergne. Le secrétaire d’État à la Marine, intrigué par ce patronyme, en informa le Maréchal des camps et armées du Roi, Godefroy de la Tour d’Auvergne, duc de Bouillon.
Celui-ci, très intéressé par cette homonymie, obtint que le prisonnier bénéficie d’une permission sur parole pour venir le rencontrer en son château normand de Navarre, près d’Evreux.
A la recherche d’un héritier
Cette rencontre allait bouleverser la vie et l’avenir de l’officier anglais, originaire de Jersey, et peut-être priver un officier français originaire de Carhaix d’un titre prestigieux. Ce Carhaisien n’était autre que Théophile Malo Corret, dont la mémoire est célébrée chaque année dans la capitale du Poher.
En effet, cette même année 1779, Théophile Corret était entré en correspondance avec le duc de Bouillon, dans l’espoir que les origines de sa famille, que l’on disait issue des La Tour d’Auvergne, soient reconnues par le duc, chef de ce lignage auquel appartenait l’illustre Turenne.
Celui qu’on appela «le premier grenadier de France», avait été blessé lors d’un duel, et se remettait difficilement d’une plaie mal cicatrisée.
Pour passer le temps, il avait étudié ses papiers de famille, et trouva là le possible remède pour soigner une autre plaie, celle de son orgueil. Il trouvait en effet que son avancement n’était pas assez rapide, et que cela s’arrangerait certainement s’il portait un nom illustre.
En effet, le père du maréchal de Turenne avait eu un fils naturel, Henri Corret, d’une servante du château. C’était l’ancêtre direct de Théophile Malo. Le duc de Bouillon, après étude du dossier que lui avait envoyé le jeune Carhaisien, l’avait autorisé par courrier du 23 octobre 1779, à rajouter à son patronyme «La Tour d’Auvergne».
A cette époque, Godefroy de La Tour d’Auvergne, duc de Bouillon, cherchait à adopter quelqu’un qui pourrait devenir son héritier. Qui choisir ? Théophile Malo Corret avait-il des chances? C’est l’ancien prisonnier de Carhaix, Philippe d’Auvergne, qui allait devenir duc de Bouillon, pour son malheur!
Le maître espion voit ses biens confisqués
Tout d’abord il fallut que les services du duc de Bouillon réalisent une généalogie (fantaisiste en fait), démontrant le cousinage, remontant à 1322, du duc avec Philippe d’Auvergne. Ensuite le roi d’Angleterre donna son accord pour cette adoption (1789) puis pour la succession (1791) que son « sujet » pouvait dès lors accepter.
Le père de Philippe d’Auvergne dut renoncer à son autorité paternelle, nul ne pouvant avoir deux pères en même temps. C’est en 1791 que l’ancien détenu de la prison de Carhaix fut officiellement reconnu en France et dans le duché de Bouillon comme l’héritier du duc.
Mais Philippe d’Auvergne eut tous ses biens confisqués sous la Révolution. Ayant poursuivi sa carrière dans la Marine anglaise, il devint vice-amiral. Il fut chargé, à partir de Jersey, de la surveillance des côtes françaises, et de tout un réseau d’espionnage, qui fut actif tant sous la Révolution que sous l’Empire. Ses accointances avec les milieux royalistes français lui ouvraient bien des portes. Même s’il retrouva le chemin de la cour française lors de la Restauration, le pire était encore à venir!
Le congrès de Vienne qui en 1815 redessina la carte de l’Europe, supprima l’existence du duché indépendant de Bouillon pour l’intégrer aux Pays-Bas. Philippe d’Auvergne, le nouveau duc (son père adoptif était mort en décembre 1792) va résister 17 mois contre cette décision, s’endettant pour faire battre monnaie à son effigie, et procurer un uniforme à son armée ducale, qui finalement ne put tenir seule contre toute l’Europe.
Une adoption contestée
Philippe d’Auvergne aurait cependant pu être l’un des hommes les plus fortunés d’Europe, si la France n’avait pas contesté son héritage!
L’adoption par le duc de Bouillon avait été invalidée car ayant eu lieu une année avant l’adoption d’une loi la permettant. Philippe d’Auvergne était ruiné. Ses créanciers confisquèrent ses biens à Jersey, un nouvel héritier du titre et des biens fut aussi désigné. Philippe d’Auvergne perdit tous ses procès et mourut ruiné en septembre 1816, dans la chambre d’un petit hôtel de Westminster.
Théophile Malo Corret de La Tour d’Auvergne était quant à lui mort au champ d’honneur, le 27 juin 1800. Il avait refusé honneurs et richesse, et sa vie fut considérée comme un exemple de bravoure et d’altruisme.
Qu’aurait-elle été, s’il avait été choisi et avait accepté d’être duc de Bouillon? Nul ne le sait, mais il s’est certainement évité bien des tracas.
F.K.