Le choc est violent. C’est un moment intense dans le match qui oppose les deux équipes de football tchèques, le FK Slovàcko et les Bohemians 1905 de Prague ce 25 février 2017. Francis Koné, un des attaquants du FK Slovàcko, en pleine action pour intercepter le ballon et foncer vers le but, entend soudain le bruit sourd de deux têtes qui se télescopent. Un défenseur de l’équipe adverse, dans une ultime tentative de stopper l’action, vient d’entrer en collision avec Martin Berkovec, le gardien de but, tête contre tête. Le défenseur est projeté à plusieurs mètres dans la surface de réparation, tandis que le gardien de but tombe inanimé sur le sol.
Le but est ouvert, un tir facile permettrait d’ouvrir le score, mais immédiatement, Francis Koné arrête son action et se précipite à côté du goal blessé pour lui porter secours.
Il fallait agir vite…
Et voici comment il expliquera, plus tard, son geste à un journaliste anglais:
«J’ai vu que le défenseur bougeait, je ne me suis donc pas inquiété pour lui. Mais le gardien était immobile, couché sur le dos, et je pouvais voir le blanc de ses yeux… Il était soit inconscient, soit pire encore. J’ai donc mis un pied sur sa poitrine pour maintenir son bras gauche serré car parfois le corps se met à convulser, et vous ne pouvez pas toujours le contrôler, et j’ai essayé de forcer mes doigts dans sa bouche. La mâchoire était bien bloquée, mais il fallait que je m’assure qu’il n’avait pas avalé sa langue. L’heure tournait. Quelques-uns de ses coéquipiers sont venus m’aider en le mettant sur le côté, ce qu’il faut faire pour s’assurer que les voies respiratoires restent dégagées, et j’ai fini par écarter ses dents et tirer la langue. Elle était glissante à cause de la salive et, à un moment donné, il m’a mordu, les mâchoires se resserrant, mais cela n’a pas d’importance. Tout s’est terminé en quelques secondes et lorsque le gardien a essayé de dire quelque chose, j’ai su qu’il allait s’en sortir…»
A ce moment, le médecin de l’équipe des Bohemians, le Dr Martin Vavra est arrivé sur place. Il n’a pu que constater l’efficacité du secours apporté par le joueur du FK Slovàcko. Il a salué la rapidité de son intervention, cruciale à ses yeux, pour sauver la vie du gardien de but.
«Dans ce genre de situation, chaque seconde compte, a expliqué le porte-parole des Bohemians, Tomas Mutinsky. La personne qui avale sa langue commence à s’étouffer, le cerveau est privé d’oxygène. Il faut agir le plus vite possible».
La quatrième fois qu’il sauve la vie d’un joueur
Francis Koné est togolais par sa mère, mais né en Côte d’Ivoire. Son rêve de jeune garçon, était, comme pour beaucoup de ses camarades, de devenir footballeur professionnel. S’il n’avait pas réussi à rejoindre une de ses grandes équipes préférées en Angleterre, il était néanmoins parvenu à se faire engager par des clubs à l’étranger, d’abord en Thaïlande, puis en République tchèque.
Ses premières années comme professionnel avaient pourtant été difficiles. Souvent, il avait souffert d’un certain mépris et même de réactions franchement racistes qui lui avaient fait très mal. Mais il s’était toujours efforcé de se montrer amical et serviable. Son intervention au stade Dolicek de Prague n’était pas sa première action pour secourir un joueur blessé. Il raconta aux journalistes que c’était la quatrième fois qu’il sauvait la vie d’un joueur sur un terrain. A deux reprises, cela était arrivé en Côte d’Ivoire et une fois en Thaïlande. Sa deuxième intervention avait été la plus difficile, faisait-il remarquer. Le joueur était en train de mourir, parce qu’il avait déjà avalé sa langue. Heureusement que ce n’était pas la première fois. « Si ça ne m’était pas arrivé auparavant, disait-il, je ne pense pas que cet homme serait encore en vie. »
«Le football, ça ne se résume pas à courir derrière un ballon…»
Son intervention auprès du gardien de but de Prague va non seulement sauver la vie de ce joueur, mais cela va aussi changer l’attitude du public envers ce joueur discret et pas encore très connu venu d’Afrique. Certains spectateurs ont admis avoir passé la première demi-heure du match à imiter des cris de singe chaque fois que le joueur togolais touchait le ballon.
Après son acte courageux, plusieurs sont venus le féliciter, et dans ce grand stade Dolicek de Prague, il s’est à ce moment-là passé quelque chose de remarquable: ceux qui l’avaient auparavant insulté à cause de la couleur de sa peau, scandaient maintenant son nom comme celui d’un héros.
«J’ai reçu un message de supporteurs des Bohemians qui imitaient des cris de singe durant le match, raconte-t-il. Il se sont excusés parce qu’ils n’imaginaient pas qu’un Noir pouvait sauver l’un de leurs joueurs. Le football, poursuit-il, ça ne se résume pas à courir derrière un ballon. Le football, c’est aussi le respect de l’adversaire. La vie est quelque chose de sacré. Je ne peux pas voir quelqu’un en train de mourir sans rien faire, et ce quelle que soit sa nationalité ou sa couleur de peau. J’ai le devoir d’aider les gens.»
Miroslav Koubek, l’entraîneur de l’équipe des Bohemians exprime, lui aussi, sa grande reconnaissance en soulignant la manière très professionnelle dont Francis Koné a prodigué les soins permettant ainsi de sauver la vie de son gardien de but. «En ce qui me concerne, souligne-t-il, c’était plus important que tout le match.»
La reconnaissance officielle est venue lors de la remise des prix, en octobre 2017, récompensant les meilleurs joueurs de la saison 2016-2017.
Aux côtés de deux joueurs bien connus, Cristiano Ronaldo, élu meilleur joueur de l’année et Olivier Giroud, qui reçoit le Prix Puskas pour le plus beau but de la saison, il y a le joueur togolais Francis Koné qui reçoit, lui aussi, une belle récompense: le prix du «Fair-Play» pour avoir sauvé la vie d’un adversaire, «récompensant une attitude exemplaire au service du fair-play et de la compassion, sur le terrain comme en dehors.»