«Camarades, le socialisme à la chinoise est entré dans une nouvelle ère… Le grand renouveau national est en marche… En 2049, anniversaire du centenaire de notre République populaire…, c’est avec la plus grande fierté que notre pays triomphera et se hissera au premier rang du monde.» C’est par ces mots que Xi Jinping ouvrait, en 2017, le 19e congrès du Parti Communiste chinois. La voie était tracée… Le leader ne s’en cachait guère, comme déjà en 2013, lors de la présentation de son projet des nouvelles routes de la soie.
S’il est clair que le centre de gravité de la géopolitique mondiale se déplace vers l’Asie, des signes autrement plus inquiétants que le Covid nous viennent de Chine. «La Chine m’inquiète», écrivait, il y a déjà une décennie, l’éminent sinologue Jean-Luc Domenach. Que dirait-il alors aujourd’hui ? Car la lecture du rapport de l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire, fleuron de l’analyse géopolitique des armées françaises, sur la stratégie, les agissements et les opérations d’influence mondiale de l’Empire du Milieu est effrayante à bien des égards !
Quand vous refermerez ce rapport de quelque 650 pages, inévitablement, votre vision du monde ne sera plus la même, y compris pour les Jeux Olympiques d’hiver, qui s’ouvriront à Pékin, le 4 février prochain.
Certes, chacun a déjà entendu parler de la réalité du «modèle sociétal» chinois aujourd’hui: des méthodes productives du «capitalisme rouge», à la société de l’omnisurveillance (200 millions de caméras reliées à l’intelligence artificielle) et son système du crédit social, en passant par les persécutions de tous les «déviants» (Ouïgours compris), ou l’exploitation à outrance des terres rares, au mépris de la santé d’une partie de sa population et de l’environnement…, le tableau interne chinois ne laisse guère insensible.
Le « moment machiavélien »
Si vous y ajoutez la course à l’armement conventionnel et nucléaire, la volonté d’annexion de Hong Kong et Taiwan, d’appropriation de l’ensemble de la «mer de Chine» (principe de la ligne en neuf traits) qui représente la moitié du trafic maritime mondial, la colonisation effective d’une partie de l’Afrique sous couvert d’aide au développement, mais aussi la mainmise progressive sur d’autres territoires, leurs terres et outils de production, leurs infrastructures (port du Pirée ou de Gênes), au travers du fameux projet des routes de la soie… Et vous comprendrez que, pour assouvir ses rêves de première puissance mondiale, la Chine ne saurait se contenter de régner sur ses frontières, mais compte bien imposer au reste de la planète ses conceptions, ses pratiques, et ses lois.
Une chose est de constater les premiers effets d’une politique…, une autre de comprendre comment des protagonistes s’y entendent pour la mettre en place.
C’est justement ce qu’analyse le dernier rapport de l’IRSEM, intitulé sobrement «Les opérations d’influence chinoises…». Énonçant le «moment machiavélien», les rapporteurs nomment d’emblée le nouveau credo chinois qu’explicite cette citation de Machiavel dans «Le Prince»: «Il est plus sûr d’être craint que d’être aimé».
Infiltrer et contraindre avec tout le spectre des possibles…
Et d’expliquer: «Pendant longtemps, on a pu dire que la Chine, contrairement à la Russie, cherchait davantage à être aimée que crainte; qu’elle voulait séduire, projeter une image positive d’elle-même, susciter l’admiration. Pékin n’a pas renoncé à séduire et il reste essentiel pour le Parti communiste (PCC) de ne pas «perdre la face». Mais, Pékin assume de plus en plus d’infiltrer et de contraindre… avec l’ambition de couvrir tout le spectre de l’influence, de la plus bénigne à la plus maligne».
Résumer une telle analyse, étayée de faits et d’exemples, serait trop long. Toutefois, plusieurs facettes de cette «stratégie», sur lesquelles s’appuie désormais la Chine pour donner sa mesure au reste du monde, méritent d’être connues.
Tout d’abord, les trois concepts :
– Le «front uni», qui consiste, pour le PCC, «à éliminer ses ennemis intérieurs et extérieurs, à contrôler les groupes pouvant défier son autorité et à construire des coalitions pour servir ses intérêts et projeter son influence à l’étranger».
Propagande et cyberdomination
– Les «trois guerres», elles, visent à créer une conflictualité sans combattre, ayant pour but de façonner un environnement qui lui soit favorable, au travers d’une guerre triple: celle de l’opinion publique, de la guerre psychologique et enfin celle du droit ou lawfare qui instrumentalise politiquement la justice.
– Enfin, dernier concept, celui «des mesures actives», comprenant aussi bien la désinformation massive, que les contrefaçons, le sabotage, les opérations de discrédit, la déstabilisation des gouvernements étrangers, les manipulations visant à fragiliser la cohésion sociale, le recrutement d’idiots utiles et la création de structures de façade… afin de peser sur les pays «ennemis».
La seconde facette recouvre les acteurs permettant la mise en œuvre de ces «opérations d’influence et de contrôle». Premièrement, le Parti, au travers notamment de son département propagande, en charge de l’idéologie et du contrôle de la culture et des médias, ou encore le fameux bureau 610 (agents agissant dans le monde entier pour éradiquer les opposants chinois); viennent ensuite l’État, au travers du ministère de la Sécurité, et aussi l’armée, avec sa force de soutien stratégique, dont la base 311, est dédiée «aux trois guerres» et à la cyberdomination.
Le « beau modèle » chinois
Enfin, il importe de comprendre que les entreprises publiques comme privées chinoises jouent un rôle majeur dans cette stratégie mondiale, notamment dans la collecte d’informations. Des infrastructures, comme les bâtiments aux câbles sous-marins ou relais 5G, «aux échanges professionnels» en passant bien entendu par les plateformes numériques (Wechat, Weibo, TikTok), et entreprises singulières comme Beidou, Huawei,… toutes les données doivent être à disposition du PCC, selon ce que les spécialistes nomment «l’autoritarisme numérique».
Reste la dernière facette, le levier primordial pour Pékin, afin de donner corps à cette volonté d’emprise mondiale, à savoir «les actions menées» qui relèvent de deux objectifs principaux :
D’abord séduire et subjuguer les publics étrangers, en faisant une narration positive de la Chine, au travers de quatre récits (le «modèle» chinois, la tradition, la bienveillance et la puissance). Le récit chinois de la pandémie Covid en est un cas d’école, avec in fine la rhétorique: «le modèle chinois est supérieur à celui de la démocratie, car, grâce à notre longue tradition médicale mais aussi au contrôle exercé sur la population, nous avons vaincu la maladie, notre économie puissante n’a pas été affectée…, nous avons été, nous, en mesure de produire des masques et dans notre grande bienveillance, nous en avons fait profiter l’ensemble de la planète…»! Qu’importe la vérité !
Impitoyable avec ses cibles
Mais le second objectif, désormais primordial pour Pékin, est «d’infiltrer et de contraindre en pénétrant lentement les sociétés adverses, afin d’entraver toutes velléités d’action contraire à ses intérêts». Elle est ainsi passée progressivement d’une diplomatie «coercitive», voire «punitive», à des politiques de sanction systématique contre tout État, organisation, entreprise ou individu menaçant les intérêts du Parti. Grâce à une nébuleuse d’intermédiaires à sa solde, la Chine «travaille» ses cibles.
– Les diasporas, avec le double objectif de les contrôler pour qu’elles ne représentent pas de menace pour le pouvoir (Pékin mène une répression transnationale qui, selon l’ONG Freedom House, est «la plus sophistiquée, globale et complète dans le monde») et de les mobiliser pour servir ses intérêts.
– Les médias, avec, comme objectif, d’établir «un nouvel ordre mondial des médias». Pour ce faire, depuis 2008, elle a investi 1,3 milliard par an, pour mieux contrôler son image et peser sur tous les réseaux de communication dans le monde, y compris ceux bloqués chez elle (Twitter, Facebook, Youtube et Instagram), mais aussi sur les médias sinophones à l’étranger et sur toute la chaîne de production et d’approvisionnement mondiale de l’information (TV, plateformes numériques, smartphones).
Enfin, la Chine est passée maître dans l’art de manipuler l’information, notamment sur le net, créant nombre de «fake news», pilotant de très nombreux «trolls» et développant des campagnes d’astrosurfing massives (simulation de mouvements populaires spontanés), avec, pour but, non seulement de promouvoir le modèle chinois, mais aussi de dégrader les autres modèles, et principalement démocratiques.
« Loup guerrier », entreprises, hommes politiques…
– Côté diplomatique, Pékin mène certes une «diplomatie classique», visant à influencer les organisations et les normes internationales, mais aussi désormais développe une diplomatie dite du «loup guerrier», réalisée par des «diplomates» faisant preuve d’une volontaire agressivité et menant des attaques, notamment sur des réseaux sociaux, avec un recours décomplexé à l’invective, à l’admonestation, voire à l’intimidation!
– Les entreprises sont également ciblées, au travers de leur dépendance économique (amont ou aval), à l’égard de la Chine. Elles se retrouvent bien souvent sous pression, face à des mesures de coercition, allant du déni d’accès au marché chinois aux embargos, en passant par des sanctions commerciales, des restrictions d’investissements voire l’organisation de boycotts. Beaucoup d’entre elles finissent ainsi par plier à toutes les exigences de Pékin!
– Le «monde politique» est aussi dans le viseur, avec comme objectif de pénétrer les sociétés cibles, afin d’influencer les mécanismes d’élaboration des politiques publiques. Entretenir des relations directes avec des partis et des personnalités politiques influentes (J.-P. Raffarin s’est ainsi vu remettre, le 29 septembre 2019, des mains de Xi Jinping, devant 6000 dignitaires chinois, la plus haute distinction possible pour un étranger!) permet d’infiltrer les sociétés cibles, de recueillir des soutiens officiels et officieux, et de contourner d’éventuels blocages au sein du pouvoir. Pékin développe de plus en plus également l’ingérence électorale (la Chine se serait ingérée dans au moins 10 scrutins dans 7 pays majeurs depuis 2012).
A Brest aussi…
– L’éducation et en premier lieu les universités sont une des principales cibles des efforts d’influence du Parti. Ses principaux leviers sont la dépendance financière (l’école de commerce de Brest n’est-elle pas passée en 2017 sous pavillon chinois !), engendrant de l’autocensure, mais aussi la surveillance et l’intimidation des enseignants et administrateurs, la pression sur le contenu des cours, ou la programmation d’événements, mais encore le façonnement des études chinoises, en incitant à l’autocensure et en punissant les chercheurs critiques. Cet entrisme dans les universités sert aussi à acquérir des connaissances et des technologies, par des moyens légaux (programmes de recherche conjoints), mais aussi par une palette de moyens illégaux et dissimulés (vol, espionnage).
Un récent rapport du Secrétariat Général à la Défense et la Sécurité Nationale ne s’inquiétait-il pas du nombre anormalement élevé de mariages entre des militaires bretons, ingénieurs de la base navale et des étudiantes chinoises à l’UBO?
Et que dire des Instituts Confucius, qui, sous couvert de culture… Car les méthodes sont les mêmes dans bien des domaines, et la culture n’y échappe pas, bien au contraire! Aujourd’hui, le cinéma et Hollywood particulièrement, sont l’objet de pressions majeures. Sous menace de non-accès au lucratif marché chinois, la Chine dicte sa volonté et son «politiquement correct». Nombre de studios de cinéma américains pratiquent l’autocensure, coupant, modifiant des scènes, voire font du zèle, en donnant aux personnages chinois le «bon» rôle.
Façonner le monde à sa convenance
Nombreux sont les autres leviers d’influence utilisés par Pékin… Citons encore peut-être la «diplomatie» des otages que Pékin n’hésite pas à mener plus souvent qu’on ne le sait !
Pleinement tendue vers son objectif de devenir le leader mondial, la Chine cherche à façonner le monde à sa convenance… Et pour ce faire, comme le soulignent Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, en conclusion de leur rapport: «La Chine a l’arsenal le plus complet de tous les États…».
Il serait peut-être temps de prendre la mesure du moment machiavélien que veut nous imposer la Chine !
La Chine, ou la société de surveillance généralisée…
Avec d’ores et déjà près de 200 millions de caméras partout dans le pays (sur 600 millions prévues), reliées à l’intelligence articifielle, la Chine a mis en place un système de contrôle total de sa population, nommé « crédit social », digne de la dystopie de Georges Orwell, « 1984 ».
C’est ce « modèle » de société que les Chinois veulent promouvoir partout dans le monde. Le théoricien du « crédit social » Lin Jinyue ne disait-il pas avec un certain cynisme et beaucoup de condescendance pour la démocratie française: « Si la France avait eu le système de « crédit social », elle n’aurait pas eu les gilets jaunes… »
Sur la photo ci-dessus, on voit l’écran de surveillance d’une rue chinoise, où toute personne et tout véhicule apparaissent avec les informations clés sur la personne et notamment son indice de bon ou mauvais citoyen au « crédit social ».