Les médias ou les réseaux sociaux se font régulièrement l’écho de la situation des hôpitaux en France (notamment depuis la COVID-19). La situation est problématique, voire dramatique selon les cas. Mais le problème est plus ancien que les récents remous…
Je me souviens notamment de ce clip YouTube du personnel du service des urgences du Centre Hospitalier de Valence qui, en début 2019 (et donc avant l’apparition de la COVID-19), tirait une sonnette d’alarme au travers d’une reprise parodique de la chanson « A nos souvenirs », et qui disait entre autres :
«…. Ici se passe un drame, et là on sonne l’alarme ! Ne fermez plus des lits… conservez tous nos postes… le soin notre vocation, devenu désillusion… Ils coupent tous nos moyens, ils disent : « ça ira bien »… il y a urgence… Entendez notre peine… Ce qui se passe aux urgences ne peut pas rimer avec rentabilité !… Il y a de la colère dans le cathéter ! »
Mais pourquoi y-a-t-il donc « de la colère dans le cathéter » ?
Des choix politiques et de civilisation
C’est bien parce que la situation actuelle est le fruit de choix politiques et de choix de civilisation qui ont été faits, et qui nous y conduisent. On critique souvent les directeurs d’hôpitaux et les ARS, parfois à raison (!), mais ils ont une marge de manœuvre assez limitée, et parfois très limitée !
De mon point de vue, c’est un ensemble de critères qui nous a menés dans cette situation. Si l’on fait une analyse rapide, on peut partir du constat actuel : de plus en plus de lits fermés ici et là, des pénuries de personnel de plus en plus marquées… il y a une dizaine d’années c’était principalement des pénuries de médecins, puis de plus en plus de spécialités, puis cette pénurie a gagné d’autres métiers dits « en tension », comme les kinés, etc. mais maintenant la pénurie s’étend tous azimuts puisqu’elle touche même depuis quelques années les infirmiers (notamment dans les petites structures).
Dans le même temps, dans de nombreux territoires, l’offre de soins s’est également tendue en libéral.
Sans surprise, notamment l’hiver, les services d’urgences sont saturés, et les soignants cherchent partout des « lits disponibles » pour y placer leurs patients.
Les services sont donc de plus en plus souvent « saturés » et les soignants « débordés ».
Une crise de la vocation ?
Sachant qu’en parallèle, la « traçabilité » (et donc la « paperasserie ») a augmenté pour les soignants et que leur nombre par service a eu tendance à diminuer…, les conditions de travail se sont fortement dégradées. (Et pour les secteurs d’EHPAD, mais aussi plus largement, grâce à l’allongement de la durée de vie, il y a de plus en plus de patients « lourds », à savoir de plus en plus dépendants ce qui augmente aussi la charge de travail). Ainsi de plus en plus de soignants se disent « au bout du rouleau » et la profession attire moins, au point que l’on parle de « crise de la vocation » : les démissions ou prises de « disponibilités » se multiplient et les écoles peinent à faire le plein, ce qui n’est pas de bon augure pour l’avenir… !
Il serait un peu long de vouloir analyser en détail les raisons qui ont mené notre système de santé au bord du gouffre, mais il est possible de dégager quelques pistes.
Les explications sont sujettes à controverse, mais à mon sens il y a d’un côté une mauvaise gestion du numérus clausus qui a conduit à une sorte de pénurie programmée de médecins. Ce problème existe depuis des années (le fait de devoir recruter des médecins étrangers pour « combler les rangs » dans les hôpitaux n’est pas nouveau ; ils représentaient 24% des nouveaux inscrits à l’Ordre en 2014), il a été revu à la hausse il y a quelques années avant d’être supprimé au début de la crise COVID. Pour autant, les universités n’étaient pas forcément en capacité d’ouvrir beaucoup plus de places tout de suite.
Ce fameux numérus clausus a été instauré au début des années 1970 afin de limiter à environ 8000 par an le nombre d’étudiants en médecine sur la France. Le but était de limiter la concurrence pour les médecins, et de limiter les dépenses de l’assurance maladie (moins de médecins = moins de prescriptions pensait-on).
Faut-il seulement un hôpital par département ?
Mais il semble que, entre autres, deux paramètres aient été sous-estimés ou négligés, sciemment ou non, je ne sais; la démographie (les médecins du «baby-boom» sont arrivés massivement en retraite en même temps, la population nationale a vieilli, nécessitant plus de soins), et les changements de mode de vie (les médecins sont de moins en moins « corvéables à merci » et de plus en plus nombreux à vouloir exercer dans des conditions d’horaires plus « classiques », voire à temps partiel, notamment avec la féminisation de la profession).
Est-ce volontaire ou non, je ne sais, mais il est vrai qu’à une époque (est-elle révolue ?) un certain nombre de dirigeants étaient des tenants de la théorie voulant que l’on n’est bien soigné que dans les grands centres et qu’il ne fallait donc que 100 ou 200 grands hôpitaux en France (environ un par département et des floppées d’ambulances pour y conduire les malades).
Quand la catastrophe a commencé à se profiler sérieusement dans les années 2000, le numérus clausus a été réaugmenté, pour être finalement supprimé durant la COVID-19. Mais comme il faut une dizaine d’années pour former un médecin…, il reste quelques années difficiles devant nous!
Boucher le «trou de la Sécu»
En parallèle, le financement des hôpitaux est également à mes yeux une des raisons majeures qui les a conduits là où ils sont…
On parle souvent de la fameuse Tarification à l’Activité (T2A). Elle est beaucoup remise en question, et c’est vrai qu’elle n’est pas optimale. Elle a été mise en place il y a près de 20 ans pour remplacer la Dotation Globale de Fonctionnement. L’objectif était d’avoir un système plus juste (un financement en fonction de l’activité réalisée par l’établissement), et aussi de faire des économies…
Il fallait boucher le fameux « trou de la Sécu».
L’idée pouvait être bonne, mais elle a eu pour effet pervers de donner trop d’importance à la notion de « rentabilité ». Elle a aussi amené beaucoup de « paperasse » supplémentaire pour les soignants (et donc du temps en moins auprès des patients) puisqu’il convient de tout tracer, coder, etc., mais c’est un peu une « usine à gaz ».
Quelles options pour demain ?
Il semble maintenant prévu de trouver un autre système, peut-être quelque chose d’hybride entre la dotation globale et la T2A… mais je ne pense pas que cela changera grand-chose. Car tout cela n’est en réalité qu’une clé de répartition d’une enveloppe plus ou moins fermée, celle du budget alloué chaque année aux dépenses de santé, et au fameux ONDAM (Objectif National de Dépense de l’Assurance Maladie) qui en découle. C’est cela qui détermine réellement les budgets !
Aujourd’hui, le budget de la Sécurité Sociale est majoritairement déterminé par les cotisations… Faut-il les augmenter? Ou prendre de l’argent public ailleurs pour le consacrer aux hôpitaux et à la santé…? Ce serait enclencher la démarche inverse d’un pays qui se développe (qui commence généralement par assurer la sécurité, puis la santé en construisant des hôpitaux, puis l’éducation via les écoles, etc., un peu dans l’ordre de la pyramide de Mashlow… Mais peut-on maintenir le haut de la pyramide si la base s’écroule?). Alors, où prendre cet argent public? A l’Eduction nationale? A la Justice? A l’Armée? A la Culture? … ? Ce sont des choix politiques et de civilisation.
L’hôpital sous perfusion ?
Comme il fallait faire des économies, c’est sur ce chiffre (l’ONDAM) que les pouvoirs publics ont joué pour… transférer le « trou de la Sécu » vers le budget des hôpitaux.
Quand les hôpitaux ont commencé à avoir des déficits croissants, il leur a été demandé de fermer des lits, de mettre moins de personnels dans les services, etc. Des ratios déterminant le nombre d’infirmiers ou d’aide-soignants par unité ont parfois été donnés sans tenir compte de l’architecture des locaux… les grilles indiciaires ont été gelées durant des années…
Cela a beaucoup «usé» le personnel des hôpitaux.
La crise COVID est arrivée là-dessus et a fait «exploser le système». Mais elle n’a été que l’étincelle… voire même simplement le révélateur d’une crise bien en place depuis des années…
Depuis, il y a eu une certaine prise de conscience et de l’argent a été injecté dans les hôpitaux. Mais c’est un tout. Une «perfusion financière» ne sera pas suffisante. C’est tout le système qui est arrivé à bout de souffle !
Guillaume Keller