Les « Écuries d’Armor » se découvrent aux confins de la campagne costarmoricaine, là où la nature est préservée…
Pour y accéder, des petites routes serpentent entre les vallons verdoyants. Quand vous laissez sur votre droite le pittoresque manoir à tourelle dans son ensemble de « vieilles pierres » rénovées, les magnifiques « pur-sang arabes », qui se redressent fièrement à votre passage, ça et là derrière les clôtures, vous indiquent que vous approchez du but… Et, au détour d’un chemin, la silhouette élégante d’un cavalier sur sa monture le confirme: c’est Jean-Marie Ollivier, le maître des lieux, qui entraîne une jeune pouliche.
Au cours de la conversation, vous apprendrez que le chemin que vous venez de parcourir est aussi emprunté par des visiteurs venus parfois de fort loin tels ces richissimes Émiratis, intéressés également –mais pour une autre raison– par les « Chevaux d’Armor », élevage d’exception en terre bretonne…
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Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
«Je vais avoir 48 ans cette année. J’habite Saint-Gilles-Pligeaux où je suis éleveur et entraîneur de chevaux. J’ai commencé à 14 ans ma formation à l’École du Cheval, je l’ai suivie de la quatrième au Bac. Par la suite, mon père, éleveur lui-même, m’a lancé dans le métier… Avec lui et mes deux frères Pierre et Jérémie, j’ai travaillé sur l’exploitation familiale que je gère seul maintenant.
Sur l’année, j’ai de 30 à 40 chevaux, entre les poulinières, les chevaux d’élevage, ceux de compétition et quelques-uns d’autres propriétaires que j’entraîne…»
C’est votre père, Yvon Ollivier, qui a initié l’élevage des Chevaux d’Armor et commencé à élever, sélectionner, entraîner et monter, participant avec succès aux premières compétitions officielles… Comment est née cette aventure ?
«Mes grands-parents paternels étaient agriculteurs dans la région de Plouha, mon père est arrivé ici en 1981 pour tenir une ferme laitière également. Il avait quelques chevaux de trait, de selle et en élevait aussi un peu pour le CSO (Concours de saut d’obstacles) avec son frère.
Un jour, il a lu dans la presse un article sur l’endurance équestre et une course qui allait avoir lieu… Il a pris la ponette de mon frère et est allé faire un tour sur cette compétition… Cela lui a énormément plu! Petit à petit, il a pris des étalons et commencé comme cela!
Mes frères et moi, nous sommes aussi pris au jeu, nous avons appris à monter à cheval très tôt et suivi notre père sur les courses. Nous avons progressé et monté peu à peu en compétition aussi…»
Après s’être intéressé à d’autres disciplines équestres, notamment la course et le saut d’obstacle, votre père s’est passionné pour l’endurance. Pour quelles raisons ?
«Au début, dans les années 80 même 90, l’endurance était vraiment une discipline amateur, même si les compétitions étaient déjà de bon niveau… Mais à la fin des années 90, quand les pays du Golfe ont commencé à s’y intéresser fortement, cette discipline a vraiment pris de l’ampleur. Le niveau a monté, les petits éleveurs, amateurs à la base, ont perfectionné leurs élevages. Ici, la transition entre la ferme laitière classique et celle d’élevage de chevaux s’est petit à petit réalisée…
Il a donc, dans un premier temps, élevé des chevaux pour le CSO, mais quand il a découvert l’endurance, il a tout de suite été conquis: cette discipline permet tout à la fois d’élever, d’entraîner et de monter en compétition. Ce qui est plus compliqué dans les autres disciplines équestres.»
Il a transmis cette passion à ses fils mais vous-même, n’avez- vous jamais été tenté de vous lancer dans d’autres disciplines équestres ?
«Au cours de ma formation, j’ai effectué des stages dans diverses structures spécialisées dans le CSO ou le galopeur. Les courses me plaisaient beaucoup, j’aurais bien aimé aussi entrer dans ce métier…
Aujourd’hui, je m’y mets d’ailleurs un peu, doucement… J’ai peut-être un cheval qui va partir à l’entraînement galopeur en course d’arabes… mais je tâtonne, je débute dans ce domaine en tant qu’éleveur…»
Quelles sont les spécificités de l’endurance, comment se déroule une course de compétition ?
«Si la course a lieu en Bretagne, nous partons la veille, si c’est dans le sud de la France, nous partons trois ou quatre jours à l’avance pour que les chevaux récupèrent du voyage. La veille de la course a déjà lieu un contrôle vétérinaire ainsi que le lendemain matin au départ de la course puis à chaque fin de boucle (entre 20 et 40 km) tout au long de celle-ci. L’on y vérifie les allures du cheval, son rythme cardiaque, sa respiration et tous les métabolismes. Ce bilan détermine s’il est apte ou non à poursuivre la course. On ne le laisse repartir qu’après un temps de récupération et un retour à 64 pulsations/minute… 50% des chevaux ne concourent pas jusqu’au bout! Et il ne suffit pas de franchir le premier la ligne d’arrivée pour gagner, il faut encore passer le contrôle vétérinaire final. Si le cheval est boiteux ou qu’il n’est pas « bien » au niveau cardiaque ou métabolique, il peut encore être éliminé!
La présence des vétérinaires sur les courses et ces contrôles sont une bonne chose, sinon, je pense qu’avec certains cavaliers il y aurait des dérives…
L’épreuve reine est le « 160 km ». Il y a aussi les petites épreuves de 20 et 40 km et même depuis 2 ou 3 ans, les épreuves de découverte de 5 et 10 km pour les enfants.
En France, sur les terrains variés, les courses les plus difficiles se gagnent à 16–17 km/h sur 160 km en alternance de trot et de galop (rarement au pas; seulement dans les passages les plus délicats). Les plus rapides au monde, c’est à 20–25 km/h mais elles se jouent dans les pays du Golfe où le fait que le désert soit tout plat, permet au cheval de maintenir le galop tout du long…
Un cheval issu de notre élevage, sacré champion du monde en son temps, a même remporté une épreuve de 130 km là-bas, en menant la course à plus de 26 km/h de bout en bout!
En endurance, on ne se bat pas contre les autres chevaux, mais contre le terrain. Il faut savoir s’adapter aux difficultés de celui-ci. Il faut très bien connaître sa monture et adapter constamment son allure. Tous les 5–10 km sur la piste, se trouvent des points d’eau pour abreuver et arroser les chevaux. Des voitures d’assistance, des grooms et des entraîneurs y sont présents ainsi que les juges de course…»
L’entraînement physique, musculaire du cavalier est-il contraignant…
En quoi consiste-t-il ?
«Le cavalier s’entraîne avec son cheval, des heures en selle… En pleine période, je fais 3 « lots », ce qui représente 60 km au quotidien, voire 120 ou 160 avant les grandes courses qui ont lieu le week-end.
En début de saison, j’ai parfois un peu de mal sur les grosses compétitions, mais peu à peu ça revient!
Je fais un peu de course à pied et d’étirements également.
Les jambes sont très sollicitées, les mollets et les cuisses, le dos aussi (certains chevaux sont plus « raides » à monter…).
En équipe de France, nous faisions des tests d’effort sur vélo. Les trois disciplines à obtenir les meilleurs résultats sur ce genre de tests sont le cyclisme bien-sûr, l’haltérophilie et l’équitation.»
La maîtrise de soi, l’équilibre psychique… se cultivent-ils continuellement ?
«Oui, mais c’est l’entraînement… et c’est un tout. En endurance on est tellement « dedans » sur les longues distances… Il faut du sang-froid, savoir attendre, attendre pour tout donner à la fin ! Il faut être très patient, très froid, très lucide sur sa course. C’est ancré en soi naturellement… Ce sont toujours les mêmes cavaliers qui font les mêmes bêtises!
Tout le monde peut se tromper. Il faut essayer d’apprendre de ses erreurs et ne pas les répéter!
Pour l’éleveur comme pour l’entraîneur et le cavalier, il est important aussi d’avoir un regard, un avis extérieurs. Mon père et moi travaillons ensemble depuis 30 ans, nous nous concertons beaucoup, je continue à lui demander conseil pour ne pas me tromper et faire toujours mieux…»
Les blessures légères ou graves sont-elles fréquentes… et quelles en sont les causes principales ?
«Il y a peu d’accidents.
L’été dernier, je me suis blessé à un adducteur, en le forçant sur un freinage brusque, mais j’ai quand même réussi à finir la course…
Pour les chevaux, ce ne sont pas non plus de grosses blessures: des petites boiteries, des problèmes de tendons dus à l’effort physique, l’usure sur les kilomètres. Ces chevaux sont de vrais athlètes de haut niveau, on leur demande un réel effort… Certains feront une saison, d’autres en feront 10! Mais il ne faut pas leur « tirer » trop dessus: pour moi, il faut « attendre » les chevaux. On ne devrait pas « tirer » sur un bon cheval d’endurance avant 8 ans et plutôt 9 même! Il en est qui gagnent des courses de 120 km à 6 ans, une ou deux saisons et on ne les voit plus! C’est trop tôt, ils ne sont pas encore « finis » physiquement…»
Peut-on être, dans un âge avancé, un cavalier… un entraîneur ?
«Mon père a monté en compétition à haut niveau jusqu’à 70 ans, une course de 200 km sur deux jours. Et mon oncle, son frère qui va sur ses 72 ans, vient de faire avec moi une 160 km!
On peut commencer à concourir à 14 ans sur des 120 km, mais à cet âge il ne faut pas en faire tous les week-ends…
Les jeunes et les « moins jeunes » concourent ensemble, les hommes et les femmes aussi.»
Quel est le comportement, quelles sont les relations des cavaliers, entraîneurs entre eux… durant les courses, et en dehors ?
«En général les relations sont bonnes, c’est toujours « fair play », on se connaît tous… Il y a beaucoup de concertation, d’échanges de renseignements et de conseils entre entraîneurs et cavaliers. A ce niveau chacun connaît bien son métier et cela se fait naturellement…
Sinon, il y a les juges de courses et leurs « cartons » comme au football!»
Vous êtes tout à la fois éleveur, cavalier, et entraîneur… pourquoi ? Quelle « fonction » préférez-vous ?
«Le travail d’éleveur et d’entraîneur n’est pas du tout le même, celui de cavalier est encore différent, et les trois sont intéressants et complémentaires…
Quand tu élèves, tu peux avoir un crack étalon et une crack poulinière mais en les mettant ensemble, tu n’auras pas forcément un beau cheval… des croisements ne vont pas bien se mêler… c’est un travail de recherche!
Même avec les bonnes origines, les bons courants de sang, les bons croisements… il peut encore arriver que le poulain meure, ou la jument. Il y a une partie d’aléas naturels…
Le plus dur pour en vivre financièrement, c’est éleveur!
Si je devais ne faire que l’un des trois… je crois que je préférerais quand même cavalier, monter en compétition: c’est la finalité, c’est valoriser le travail!
Mon frère Jérémie a été champion de France avec un cheval que nous avions eu la chance avec mon père de faire naître, d’élever, d’entraîner et de mettre en compétition… gagner dans ces conditions, c’est le summum! C’est encore plus fort!
J’ai aussi gagné des courses avec une de nos juments que nous avons par la suite vendue et que j’ai vue devenir championne du monde aux Émirats arabes. J’ai assisté aux championnats du monde là-bas quand elle a gagné: c’est une très grande satisfaction en tant qu’éleveur. C’est le fruit de son travail.»
Est-il aisé d’exercer les trois fonctions en même temps ? Requièrent-elles des qualités communes ou au contraire spécifiques ?
«Pour les trois, c’est la passion! C’est sûr: il faut être passionné!
Pour l’éleveur, il faut être ouvert, avoir le « coup d’œil », savoir repérer les étalons et les juments et essayer de se les procurer… Le « coup d’œil » aussi ensuite pour être efficace dans la sélection, ne pas hésiter à être « dur », vraiment sélectif, au moindre défaut décelé. Il n’y a pas le droit à l’erreur, sinon on le paye cher!
Un certain nombre entraînent et montent, mais il n’est pas fréquent qu’ils élèvent aussi… Nous ne sommes pas les seuls bien sûr, mais peu font ainsi tout de A à Z en réussissant à faire performer eux-mêmes les chevaux à haut niveau…»
Comment sélectionnez-vous vos chevaux ? Sur quels critères ? Et quelles sont les principales étapes du dressage d’un cheval d’endurance ?
«Au tout début, nous choisissons une jument sélectionnée que l’on saillit avec un étalon sélectionné aussi, pour obtenir ce que nous pensons être un bon croisement. Quand la jument est pleine, nous surveillons la gestation. A la période du poulinage, nous allons voir la jument toutes les demi-heures. La nuit, nous nous arrangeons pour nous relayer!
Si tout se passe bien, commence la partie élevage. Nous l’observons: il faut vérifier sa conformation, ses aplombs… Il peut déjà s’opérer un premier tri.
Le poulain reste entre 6 et 8 mois « sous la mère ». Puis vient le sevrage: nous le séparons de sa mère, au box, je le manipule beaucoup et je le promène à la longe pour le « désensibiliser ». Cette étape dure une semaine à quinze jours selon les caractères: certains au bout de deux, trois jours sont faciles, d’autres après quinze nous « embêtent » toujours un peu!
Ensuite, ils sont à l’élevage par tranches d’âge: les poulains de un an, de deux ans, trois, etc. J’observe comment ils évoluent, tous les jours je les regarde galoper dans les champs et je m’en sépare si je détecte quelque chose…
Si tout va bien, à quatre, cinq ans, je commence le débourrage et observe encore comment il évolue, ses aptitudes à se déplacer y compris monté. Certains sont précoces, d’autres plus tardifs… il faut parfois savoir attendre un peu. Commence alors l’entraînement, pour certains les premières courses et un nouveau tri selon le « cardiaque », le métabolique, les allures… Les vétérinaires sont là aussi pour nous aider avec des tests, des radios… La « solidité » est l’aspect le plus difficile à évaluer et pourtant c’est essentiel. Pour faire un bon cheval il faut: la solidité, le mental et l’envie de bien faire. Certains ont la capacité de bien faire mais ne le veulent pas! Or, s’il faut y aller au bâton, ce n’est pas la peine!
Très vite, on peut dire: celui-ci va être bon, celui-ci moyen et celui-là va être un « tocard »! Les poulains qui ne correspondent pas aux critères, je les réforme en les vendant pour la balade, des centres équestres ou des particuliers qui veulent faire des petites courses en endurance…
Les autres passent les étapes et vont à haut niveau, mais il arrive aussi qu’ils régressent. L’évolution laisse parfois des surprises… dans les deux sens!
Une très bonne jument que nous avons, a été très tardive. Je sentais du potentiel en elle, donc j’attendais, j’attendais… elle est « sortie » à 11 ans! Et elle a tout gagné à 11 ans!
Nous avons eu à l’élevage un « étalon référence » exceptionnel: Fadasir. En termes de ratio: nombre de poulains engendrés, nombre de victoires remportées, il était parmi les trois meilleurs mondiaux, voire le meilleur mondial de sa génération. Ses talents ont suscité bien des convoitises, mais il est resté finir paisiblement ses jours sur l’exploitation jusqu’à sa mort à 24 ans. J’ai gardé des poulinières issues de lui.»
N’est-il pas difficile de devoir se séparer d’un cheval prometteur que l’on a élevé, monté et auquel on s’est attaché ?
«Nous nous y attachons, sinon nous ne ferions pas ce métier. Il y a toujours une part de sentiment…
Et nous nous attachons à certains plus qu’à d’autres, pas forcément les meilleurs, mais ceux dont le caractère nous plaît… avec certains « performeurs », nous avons parfois moins d’affinité. Mais c’est toujours difficile de se séparer d’un cheval. Moins peut-être d’un poulain de deux ou trois ans que l’on n’a pas monté en compétition, l’attache n’est pas aussi forte… mais pour un cheval que l’on a monté à haut niveau en compétition par contre, c’est sûr que c’est très dur! C’est le dilemme entre la passion et la raison…
Nous n’avons cependant pas le choix: financièrement, il faut vivre!
En endurance, il n’y a aucun gain sur les courses, on ne vit que de la vente des chevaux.
Je les fais donc naître, les élève, les entraîne avant de les mettre en compétition pour les vendre ensuite… Ce sont les résultats en compétition qui font la renommée et la publicité de l’élevage et permettent de vendre.»
Quels chevaux vous ont le plus marqué ?
«Celui qui m’a le plus marqué, c’est Niac Armor. Et j’ai encore du mal à en parler!
C’est une jument que mon père a fait naître (nous travaillions ensemble, nous avions fait le bon croisement). Je l’ai débutée en compétition puis je l’ai vendue, mais j’ai dû la racheter parce que cela ne se passait pas bien avec son nouveau propriétaire. La première course que j’ai refaite avec elle, nous avons terminé deuxième, derrière le cheval sacré champion de France juste avant, avec mon frère Jérémie. Dès le lendemain, elle est vendue au Qatar. Deux mois après, elle était aux Émirats et battait un record de piste là-bas, gagnant aussi les quatre courses du moment dont la plus prisée: « la Président Cup » à Dubaï. Elle revient ici participer au Championnat du monde et elle le gagne! J’y étais, c’était le summum!
Après elle, Hantares Armor m’a aussi marqué. Je l’ai montée en Équipe de France: une très très belle jument, ce n’était pas une crack mais elle était toujours à l’arrivée! Elle ne boitait jamais, elle avait un mental d’acier et était capable de parcourir 160 km seule et de gagner la course sans avoir vu un autre cheval! Elle allait toujours au bout de ses courses!
Son caractère m’a donné beaucoup de mal au début, mais c’est elle qui m’a amené à haut niveau. Je l’avais vendue, mais la personne ne s’en sortant plus avec elle, me l’avait replacée à l’entraînement…
Il y a aussi Alrika Armor que mon père avait achetée à quatre ans et que nous avons entraînée, débutée en compétition et valorisée en courses… Jérémie a également eu Major Armor qui a continué à gagner beaucoup de courses une fois vendu, un « crack cheval »!
C’est une satisfaction en tant qu’éleveur: tu as « performé » avec le cheval, il part dans une bonne écurie et cela se passe bien, il continue à performer… Tu as bien fait ton travail et c’est bénéfique pour l’élevage…»
Quel est votre quotidien aux Écuries d’Armor ?
«Une journée type commence par les écuries auprès des chevaux en box. En les nourrissant, je vérifie qu’ils vont bien, qu’il n’y a pas de « bobos » (pour ceux qui sont en paddock ou aux champs, c’est la première chose aussi), je mets du foin et paille les boxes…
Cela me prends deux bonnes heures, ensuite je vais chercher un cheval que je monte. Je fais un ou deux « lots » (de deux, trois chevaux ou plus), chaque matin et chaque après-midi quel que soit le temps… En pleine saison cela représente une soixantaine de kilomètres, mais sur les gros entraînements, pour préparer les chevaux aux grandes courses, j’arrive à 120, 160 kilomètres par jour.
Les courses ont lieu le week-end et les jours fériés, peu en semaine, si ce n’est les épreuves pour jeunes chevaux le mercredi…
J’essaye de développer la pension « travail – entraînement » et la pension « pré-box » pour les chevaux de cavaliers de loisir qui cherchent à les placer…
Je fais également du débourrage, un peu de « coaching » à la demande et de la formation auprès de stagiaires…
Je suis aussi étalonnier pour des juments de l’extérieur…»
Derrière le métier qui peut faire rêver bien des jeunes, quelles contraintes cachent l’élevage et le dressage de chevaux ?
«C’est un métier de rêve… Mais je dis aux jeunes qui viennent en stage: N’aie pas peur de faire des heures, ne les compte pas! N’aie pas peur de « crocher » dans une fourche ou un balai: nettoyer les boxes fait partie du métier… sois passionné, sinon cela ne vaut pas la peine! Il faut être curieux aussi, s’intéresser à tout, regarder, observer beaucoup…
Nous ne disposons pas de beaucoup de temps libre et il n’est pas facile de s’absenter. Je prends deux semaines de vacances par an (et encore… c’est surtout pour ma compagne qui, même si elle partage ma passion du cheval, à juste titre les réclame!).
C’est un mode de vie, c’est une passion!»
Comment se positionne la France dans le monde de l’élevage équin et des compétitions équestres? Et plus particulièrement dans l’endurance ?
«En endurance, au niveau mondial, pour la partie élevage, c’est la plus grosse et la meilleure. C’est le pays qui sort les meilleurs chevaux au monde. Et en compétition, les Français sont aussi toujours au « top niveau ». Ils ont encore obtenu la médaille d’argent par équipe aux derniers Championnats du monde et reçu des titres individuels aussi… Quasiment chaque championnat (d’Europe ou du monde, en alternance tous les deux ans) apporte une médaille! Je garde d’excellents souvenirs de mes sélections en Équipe de France…
Que ce soit éleveur, entraîneur, cavalier, nous sommes toujours dans les meilleurs mondiaux.»
Les compétitions équestres semblent parfois dominées par les pays du Golfe. La richesse de ces pays y est probablement pour beaucoup, mais d’autres facteurs, comme leur histoire, l’expliquent-ils ?
«Ils sont passionnés de chevaux!
Et ils achètent les meilleurs chevaux certes, mais ils s’entraînent aussi de plus en plus là-bas. Ils ont su se former en venant travailler dans de bonnes écuries françaises notamment.
Ils élèvent très peu… ils auraient, bien sûr, les moyens de faire pousser de l’herbe et du foin… mais le désert ne se prête vraiment pas à l’élevage!
Nos chevaux s’y adaptent assez bien. Une de nos juments –quand mon père est allé plusieurs mois entraîner dans une écurie à Dubaï– a cependant mis une année à s’adapter. Très bonne en France, la première saison là-bas, elle n’a rien donné. Par contre la deuxième, elle a tout gagné!»
Vous avez parfois reçu des clients peu communs en Centre-Bretagne, avez-vous quelques anecdotes à partager ?
«Quand nous travaillions beaucoup avec les pays du Golfe (nous le faisons toujours, mais un peu moins), nous recevions fréquemment la visite d’acheteurs venus de là-bas ou d’autres pays lointains. Les fils de l’émir de Dubaï ou le roi de Malaisie lui-même sont venus…
J’en reçois encore trois ou quatre fois l’an qui viennent repérer des chevaux sur place.
Et à l’époque où le cheikh Mahomed Al Maktoum, passionné de chevaux et ministre de la défense des Émirats Arabes Unis, avait contacté mon père pour qu’il aille là-bas entraîner quatre de ses chevaux, il n’était pas rare de voir arriver ses fils en hélicoptère à Guerlédan ou à Landivisiau. Une fois, il était prévu qu’un hélicoptère atterrisse ainsi ici à Kergornec, mais finalement au dernier moment… c’est une voiture qui est arrivée!»
Vos chevaux se vendent dans différents points du globe, quels sont vos principaux débouchés ?
«Les principaux sont les pays du Golfe, le Qatar, les Émirats Arabes Unis, le Koweït qui s’y est mis un peu, l’Arabie Saoudite un peu également et beaucoup Dubaï… Il y a un peu de vente au plan européen aussi, mais c’est minime et là est le problème: ce sont eux qui font les prix!»
Comment traite-t-on avec les riches Émiratis ?
«Ils m’appellent précisant leurs critères de recherche: tels modèles ou origines, telles tranches d’âge ou qualifications, etc. Ils demandent des photos et ils font un tri à partir de celles-ci (je n’y suis pas favorable du tout: les photos, on peut en faire ce que l’on veut…), mais ils en veulent: donc je leur en envoie! Après, ils viennent voir sur place, ils se déplacent toujours pour voir plusieurs chevaux, rarement un seul. Parfois je propose donc à des collègues d’amener aussi de leurs chevaux, on s’arrange ainsi…
Ils observent le modèle, le regardent se déplacer, galoper, demandant parfois à le voir monté… Ils mettent un prix et l’affaire se fait… ou pas. Ils sont de plus en plus durs en affaires ! Ils viennent aussi sur les compétitions voir les chevaux et l’affaire se conclut là parfois.
Nous sommes depuis longtemps dans le monde de l’endurance, l’élevage est connu mondialement… sinon ce serait un peu compliqué en ce moment, comme un peu partout d’ailleurs…»
Vous évoquiez, voici quelques années lors d’une interview chez des confrères, que le milieu de l’endurance est peu médiatisé, sans sponsors ni investisseurs… les sommes astronomiques n’y existant guère. Est-ce toujours le cas? Il y a donc de grandes différences en ce domaine entre les disciplines équestres ?
«C’est toujours le cas, il faudrait que ce soit sponsorisé, médiatisé… Il faudrait une clientèle riche qui s’y intéresse comme ce fut le cas pour le tennis, où tout est parti de l’intérêt d’un milliardaire. Or, les clients français qui ont de l’argent et seraient éventuellement capables d’injecter de grosses sommes se comptent sur les doigts de la main!
Un « crack cheval » aujourd’hui peut valoir 200 ou 300000 euros (je n’en ai pas vendu à ce prix- là! Pas encore…).
Mais les prix ont cependant baissé. Avant je vendais un « cinq, six ans » juste débourré entre 20 et 30000 euros (avec les origines, le modèle, les frais… il les valait!), aujourd’hui un cheval que j’élève jusqu’à cet âge avec en plus des qualifications et des titres, je le vends moins cher!
Certains ont cassé les prix: le particulier par exemple, qui a une ou deux juments et qui élève un ou deux poulains par an en les vendant pas cher… Nous sommes aussi concurrencés par des pays comme l’Uruguay ou l’Afrique du Sud qui ont des fermes de 5000 hectares avec 500 chevaux. Ils peuvent vendre un poulain 5000 euros, mais si moi je fais la même chose, je perds de l’argent!
L’endurance est plus difficile à médiatiser parce qu’il faudrait des hélicoptères pour filmer les courses (comme au Tour de France) mais cela coûte cher! Pour filmer un court de tennis, il suffit de caméras, c’est plus facile!
Et par rapport aux autres sports équestres, l’endurance est aussi plus difficile à comprendre pour le grand public, avec les contrôles vétérinaires, etc. Un galopeur court 2000 mètres et franchit la ligne d’arrivée: il y a un premier, un deuxième… tout le monde comprend!
Et il y a tout ce qui concerne les paris… Cela n’existe pas en endurance, même dans les pays du Golfe où tout est filmé et très suivi, les paris sont interdits.
Ils commencent cependant à doter les courses, même un peu en France…»
Comment voyez-vous l’avenir de votre exploitation et de la discipline ?
«Comme je le disais, en ce moment c’est compliqué, cela semble repartir un peu mais pour l’endurance, les bonnes années sont passées: 2000, 2010… 2015, ça avait explosé. Les CSO, eux tournent très bien en ce moment mais pour nous, depuis quatre ou cinq ans, c’est plus difficile: les prix cassés, la concurrence des pays qui produisent à moins cher…
Les pays du Golfe préfèrent acheter 100 chevaux à moindre prix en espérant tomber sur un ou deux cracks, plutôt que d’acheter un crack cher, c’est un peu dans leur mentalité…»
Beaucoup d’éleveurs connaissent des crises à répétition, notamment dans l’agriculture, êtes-vous concerné, et quel regard portez-vous sur la situation de l’élevage en France?
«La mondialisation fait la concurrence… mais pour le cheval, que ce soit en endurance, CSO, galopeur ou même trotteur, la France a un solide savoir-faire et les origines. Dans le monde équestre français, toutes disciplines confondues, nous élevons depuis des générations, c’est ancré en nous et c’est ce qui nous sauvera: le savoir-faire et l’expérience!
Si je ne parvenais plus à m’en sortir financièrement…, je ne pourrais pas me séparer de chevaux que j’ai sélectionnés, entraînés… c’est un travail de sélection de 50 ans pour mon père, de 30 ans pour moi… J’irais travailler ailleurs, mais j’en garderais pour le loisir, pour les monter en course pour moi.
Les courses de galopeur m’intéressent vraiment aussi, mais c’est un milieu où il y a beaucoup d’argent: pour avoir les bonnes origines, il faut investir énormément. Les saillies sont extrêmement chères et les éleveurs gardent les meilleures mères pour eux. C’est un monde très dur et la concurrence arrive aussi. Recommencer une sélection, serait encore plus d’investissements!
J’aime toutes les disciplines équestres, mais l’idéal pour moi serait de continuer ainsi!»
Pour participer à des compétitions, ou suivre vos chevaux, vous avez voyagé à travers le monde. Quels pays avez-vous ainsi visités et qu’est-ce qui vous y a le plus frappé ?
«J’ai bien aimé les pays du Golfe, Abu Dhabi, Dubaï, les déserts… il y a de très beaux endroits!
Tu te trouves dans le désert, et 500 mètres après, parmi les grands buildings: tout y est démesuré!
J’ai fait deux saisons d’entraînement au Bahreïn, huit mois la première année, six mois la deuxième…
J’ai aussi participé à des compétitions en Malaisie: des courses de nuit à la lampe frontale!
Ils disent qu’il y a trop de chaleur et d’humidité pour courir le jour. Mais je trouve que c’est pire la nuit: il fait peut-être moins chaud, mais c’est encore plus humide! Il ne pleuvait pas et pourtant j’étais à chaque fois complètement trempé! Les bruits de nuit y étaient très impressionnants: j’avais l’impression d’être dans un film sur la guerre du Vietnam! Cela m’a beaucoup marqué!
J’ai été dans les pays européens, Angleterre, Portugal, Espagne, Italie et en Europe de l’Est aussi…»
La Bretagne est une très ancienne terre de chevaux… Quels sont ses atouts, quels avantages offre-t-elle pour leur élevage et la pratique de l’équitation?
«En Bretagne, nous avons tout pour vivre!
Nous avons la nature, l’agriculture: je cultive sur mon exploitation mes céréales, mon foin, je produis donc à moindre coût et achète très peu d’aliments…
Ici en Centre-Bretagne à Saint-Gilles-Pligeaux, j’ai mes terrains d’entraînement aux portes des écuries. Des collègues entraîneurs sont obligés d’atteler les vans aux véhicules et de faire des kilomètres pour trouver des chemins: cela représente un coût et une perte de temps… Moi, j’ai tout sur place!
Les nouvelles technologies qui se développent facilitent aussi les démarches à distance pour la vente et les réseaux sociaux pour la publicité…
Et en Bretagne, nous avons beaucoup de petites courses pour former nos chevaux. C’est une des régions qui en organise le plus (dans certaines régions, ils doivent faire 200 km pour participer à une course de 40 km…). Nous avons même des courses internationales à Corlay, Landivisiau, Plougonven, etc.
Par contre, pour certaines compétitions nationales et internationales, on ne peut effectivement éviter les longs trajets. Mais les jeunes chevaux s’habituent peu à peu à aller de plus en plus loin, d’abord dans la région, puis ailleurs en France et enfin à l’étranger… Le transport fait partie de l’éducation, de leur formation. Pour les destinations les plus lointaines, ils voyagent en avion dans des conteneurs, ou en bateau surtout vers l’Angleterre…»
Cet engagement professionnel vous a amené à vivre en Centre-Bretagne, en pleine campagne… Quelles réflexions ou sentiments vous laisse ce choix de vie?
«Je suis heureux!
Certaines personnes se plaisent en ville, je le conçois, mais je me vois mal y vivre! Je me plais là, à la campagne… peut-être parce que j’y suis né?
Je me sens heureux à la campagne, heureux dans mon travail. Je fais ce que j’aime, même si parfois c’est difficile… J’arrive à vivre de ma passion, c’est très important !»