Napoléon voulait faire de Surcouf l’un de ses grands capitaines…
Mais le célèbre corsaire tenait trop à son indépendance… Aussi quand en 1803, Napoléon alla jusqu’à se déplacer lui-même pour tenter une fois encore de convaincre le redoutable Malouin, l’entretien prit soudain une étonnante tonalité :
« Je ferai de vous un homme riche », dit le futur empereur…
Surcouf lui répondit : « J’ai tout ce qu’il me faut : mon cabinet est pavé de lingots d’or ».
Napoléon, scandalisé, pensant à son effigie, réagit en ces termes :
« Mais vous me marchez sur la face ! »
« Non, Monsieur, répliqua l’indomptable mais prudent corsaire, je les ai disposés sur la tranche… »
Dialogue surréaliste ? Peut-être moins qu’il n’y paraît.
Ce Napoléon, l’un des plus grands conquérants de l’Histoire, qui régna sur un empire (ce qui faisait dire à sa mère, vivant avec les siens dans le luxe et la gloire : « Pourvu que ça dure ! »)
et R. Surcouf, le richissime guerrier envié et redouté se tenaient face à face !
(Quand plus tard l’empire sombra, les Prussiens occupèrent St-Malo… et lors d’une querelle, Surcouf défia en duel tous les officiers du régiment. Les Prussiens, étant experts au sabre, relevèrent le défi… Les quinze qui se présentèrent furent l’un après l’autre mis à mal… Seul le plus jeune fut épargné, le corsaire voulant qu’il puisse témoigner que tout s’était passé dans l’honneur et suivant les règles !).
Alors, surréaliste, la conversation de ces deux hommes illustres ?
Non, certes !
On peut même se permettre d’en sourire, tant la vanité ostentatoire de Surcouf n’avait d’égal que l’orgueil exacerbé et incommensurable de Napoléon…
Grands hommes et petites mesquineries qui prêtent à rire ou à méditer !
Les grands ou supposés grands de ce monde,
ceux de « l’Histoire » ou de ce temps, aiment à se présenter comme « autre », bien au-dessus du commun des mortels !
Les empereurs romains ne s’étaient-ils pas « divinisés » (!) ? Et bien d’autres également se prétendaient tels ou comme ayant du « sang bleu » !
Et pourtant, « les grands », « moins grands » ou « moins grands encore »…, font tout pour paraître et susciter l’adulation, la crainte, voire l’idolâtrie.
Mais comme l’ont écrit plusieurs auteurs de manières différentes :
« Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre »… laissant à penser que nombre de grands personnages, dans l’intimité, loin des yeux, des oreilles et des… caméras et micros… laissent leur naturel reprendre le dessus… C’est alors que les mesquineries, les commérages, les actes et même les attitudes et comportements vulgaires se font jour…
Le grand homme, ou la femme célé- brissime sont donc pour la plupart « bien communs » et parfois plus bas que le commun…
Mais il est heureux et tout aussi réel que l’on rencontre, de temps à autre, chez des hommes et femmes d’apparence la plus modeste, et de condition humble, une élévation d’esprit, une noblesse de cœur et de comportement qui surprennent et réjouissent.
Qui est véritablement « grand » et digne d’être loué et imité ?
Les livres, films et échos divers du passé et du présent mettent en évidence les conquérants, les chefs de guerre, d’industrie… les stars et autres athlètes ou sportifs encensés… les rois et reines, princesses… dont on fait les héros « à la vie de conte de fée » (!) offerts à l’admiration et à la fascination des foules…
Mais toutes ces personnes sont-elles vraiment dignes de l’aura, des lauriers, de la légende qui les accompagnent ?
Je songe aux véritables grands, qui refusent pratiquement toujours d’être appelés ainsi… et qui, dans l’anonymat ou dans l’ombre, se dévouent toute leur existence pour le bien de leurs semblables… Peu d’entre eux recevront, leur vie durant, louanges ou honneurs.
L’un de ces personnages, que j’aime à citer – celui que les Africains ont surnommé « le grand docteur » – Albert Schweitzer, l’a vraiment été.
Alors que, théologien, organiste talentueux, il commençait une carrière brillante et pleine de gloire, il choisit de renoncer à tout… recommença des études, pour devenir médecin… puis s’en alla au cœur de l’Afrique, dans un des pays les plus déshérités et les plus inhospitaliers, où la mort frappait de multiples manières…
Jeune, il devait logiquement mourir jeune…
A une époque où ni télévision, ni les médias ne pouvaient faire écho de sa mission en faveur des « Noirs »… il donna ses années, ses forces, son savoir, pour secourir au cœur de la forêt vierge les malades, les handicapés et les blessés de toutes sortes..
A l’étonnement de beaucoup, il ne mourut pas jeune, mais eut une longue vie.
Et plus tard, son œuvre à Lambaréné fut connue en Occident… Il reçut même le prix Nobel.
Les honneurs ? La gloire ? L’argent ? ne l’intéressaient pas…
De tels hommes et femmes méritent d’être honorés, et donnés en exemple…
A une époque où les médias et autres moyens de communication abondent, et où trop souvent le sensationnel, le paraître sont exaltés (et monétisés !), comment ne pas être abusé… ?
Un commentateur quelque peu cynique peut-être, devant l’afflux des candidats aux postes élevés, et notamment dans la course présidentielle, ne concluait-il pas :
« Il parle de faire don de sa personne à la France… mais ne serait-ce pas plus juste de dire qu’il veut faire don à sa personne, de la France ? »
Cynisme… réflexion désabusée ?
Comme cet autre observateur très expérimenté de la vie sociale, défenseur persévérant et talentueux du vrai bénévolat qui aimait à faire remarquer que parmi les nombreuses associations dites « sans but lucratif »… il existait « des associations lucratives sans but ! »
Trait féroce ? Ou langage de vérité ?
« Il faut de tout pour faire un monde » dit un dicton à l’apparence sage.
Mais il faut aussi beaucoup de lucidité, pour ne pas être subjugué, circonvenu, et encore moins entraîné dans des voies qui peuvent se révéler hypothéquantes…
Lucidité ?
Oui, tant en ce qui concerne Napoléon, Surcouf… que les « grands » ou « moins grands » de ce temps.
Mais sans pessimisme, ni critique systé- matique ! Un réalisme teinté de bonhomie tout simplement.
La Bible nous enseigne cette approche mesurée et sage, pleine de discernement, et qui ne sombre jamais dans le nihilisme ni la désespérance.