Voudriez-vous vous présenter brièvement?
«Je suis Julien le forgeron, j’ai 38 ans. Je suis lorrain d’origine, issu d’une famille militaire, moi-même ancien militaire devenu forgeron…
J’aime beaucoup de choses, je suis « geek ». Je déteste tout ce qui va être injustice, tout ce qui va être négatif, je pars du principe que dans la vie tout se positive.
J’aime beaucoup de loisirs, des loisirs d’ancien militaire –qui ne font pas de mal!– et des loisirs sportifs aussi, je suis ancien rugbyman, j’ai beaucoup pratiqué ce sport.»
Pourquoi avez-vous quitté votre région, la Lorraine?
«Je n’ai pas eu le choix, mes deux parents étant dans l’armée, la famille a suivi la succession des mutations. De ma naissance jusqu’à à peu près 16 ans, je n’ai jamais habité plus de deux ans au même endroit. J’ai fait à peu près toute la France. A 16 ans, j’ai intégré un lycée maritime à La Rochelle. J’étais parti pour faire des études dans la marine marchande, mais dans la branche qui m’intéressait, il n’y avait pas trop de débouchés, je suis donc entré dans l’armée.
J’ai été indépendant très tôt, dès 16 ans, j’étais très loin de ma famille et je me débrouillais.»
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager?
«J’ai beaucoup grandi en caserne, je n’ai toujours vu que l’uniforme dans ma famille, que ce soit mes parents, mon oncle…
J’avais un attrait particulier pour l’armée, c’était très important pour moi d’y entrer pour beaucoup de raisons, en quelques mots: fortifier, solidifier… cohésion et patrie. Il y a ce côté patriote –non extrême!– qui est pour moi très important.
On peut dire ce que l’on veut de l’armée mais c’est vraiment la cohésion à tous les niveaux: au niveau « homme de rang » on est tous frères, il n’y a aucune histoire de quoi que ce soit et tout avance tranquillement.
Patriote pour servir son pays est à l’heure actuelle un mot péjoratif, je ne vois pas pourquoi. Beaucoup de pays arborent fièrement leur drapeau, pourquoi ne le ferions-nous pas?»
Quels ont été vos premiers pas dans l’armée?
«J’ai fait mon école GAV (Gendarme Adjoint Volontaire) à Montargis. J’avais 18 ans. Je voulais faire 5 ans mais pas y faire carrière car j’ai toujours vécu en caserne et souhaitais voir autre chose. J’ai donc choisi ce format: 5 ans, c’était très intéressant.
J’ai ensuite intégré le PSIG (peloton de surveillance et d’intervention de la Gendarmerie), puis j’ai fait la frontière allemande, La Rochelle et j’ai fini à Meaux.»
Quel est le parcours pour intégrer le PSIG?
«D’abord un parcours basique de sortie d’école, après c’est une mutation. A partir de là on entre en unité, ensuite on suit des formations spécifiques plus poussées: entraînements sur tout ce qui est tactique, armement spécifique, colonne d’assaut, psychologie… on est formé au même titre que certains commandos.
Il faut être opérationnel, très réactif… C’est mon ancienne unité à Meaux qui a géré les frères Kouachi à Dammartin-en-Goële le temps que le GIGN (Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale) arrive.»
Quel est le quotidien au PSIG et quels sont ses principales missions?
«C’est un peloton de surveillance et d’intervention. Nous faisons de la patrouille générale, notamment de grosses patrouilles nocturnes. Quand il ne se passe pas grand-chose, nous sommes un peu l’équivalent de la BAC (Brigade Anti-Criminalité).
Sinon nous sommes sur appel, quand la gendarmerie départementale a besoin de renforts ou pour intervenir sur des choses beaucoup plus dangereuses…
Nous sommes spécialisés dans tout ce qui va être extractions et déplacements judiciaires, interpellations matinales, etc.»
Avez-vous des anecdotes de « temps forts » de vos années au PSIG?
«Il y en a beaucoup mais malheureusement, c’est un métier où les temps forts vont plutôt être négatifs donc je ne vais pas m’étendre là-dessus. On y voit la nature humaine dans tous les aspects, les plus néfastes possibles. Les temps forts vont plutôt être de ce côté-là…
Cependant, il y a aussi des temps forts avec les collègues, de bons moments. Mais en général si on est là, c’est que ça ne va pas!»
Quelle est votre vision sur l’évolution de l’armée et de la police et de l’actuel projet de réforme de la police judiciaire?
«On voit que cela a fonctionné pendant un temps mais que tout est en train de changer, de bouger…
Nous étions tellement axés sur une armée de métier (avec l’abandon de la conscription N.D.L.R.) que s’il arrive le moindre souci, nous ne tiendrons pas une semaine, il faut être clair là-dessus.
Il faut se préparer à tout ce qui peut arriver à l’heure actuelle…
Il y a moins d’engagement, dans le sens où on a tellement perdu de patriotisme… ce qui est logique, puisque nos politiques ne vont clairement pas dans ce sens-là. C’est plus difficile actuellement de recruter, que ce soit dans la gendarmerie ou la police.
Il faut dire que c’est compliqué pour eux, ils sont coupables de tout: quoi qu’il se passe, c’est de leur faute… Il faudrait arriver à changer ces mentalités, évoluer et voir comment nous pouvons nous préparer à ce qui peut survenir parce que quand on voit comment le grand échiquier mondial est en train de changer à grande vitesse… il faut «jouer les bonnes pièces»…
Quant à la réforme de la PJ, il n’y avait jamais assez d’OPJ (officiers de police judiciaire) pour traiter vite. Si j’ai bien compris, maintenant les gens qui sont en école de gendarmerie passent directement l’OPJ pendant leur formation d’un an en tant que gendarme. Tout le monde sera donc OPJ, mais tout le monde n’est pas apte à cela… Et la justice doit suivre derrière, le problème majeur est là!
La plupart des gens qu’on arrête, multirécidivistes, etc., sont dehors dès le lendemain et narguent tout le monde. C’est bien beau d’avoir des OPJ partout, si c’est pour que les individus arrêtés ressortent le lendemain, il n’y a pas grand intérêt!»
Quelle est votre vision sur l’évolution de notre société? Comment analysez-vous l’évolution de l’insécurité dans notre pays?
«Question très sensible à l’heure actuelle, très compliquée. Il faut être ouvert mais pas trop… Il y a un défaut majeur de valeurs, les gens n’ont plus de valeurs, de sens à quoi se rattacher, tout va dans tous les sens. Et j’ai l’impression qu’à aller ainsi dans tous les sens, on ne va nulle part. Ça va être très compliqué…»
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous reconvertir?
«Je voulais faire l’armée absolument. C’était important pour moi, je voulais servir mais je ne voulais pas faire carrière parce que j’ai toujours grandi dans ce milieu. En gendarmerie, c’est particulier, on vit en caserne non-stop. J’aime bien aussi la liberté et je souhaitais voir autre chose, j’en suis donc parti. Je voulais faire quelque chose qui me plaise vraiment, qui me passionne et qui ait du sens.»
Pour quelle raison avez-vous choisi la forge?
«Je regardais des vidéos de forge, j’étais passionné et un jour un orage s’est déclenché, il y a eu un éclair: c’était Thor! Il m’a dit: «Prends un marteau et on y va»!
Après, en étant sérieux, je me suis demandé comment concrétiser cela. J’ai toujours été attiré par ça, la forge pure, la transformation de matière.
J’aime tout ce que recoupe la forge, ce côté mystique aussi, côté particulier, symbolique, où on travaille avec les quatre éléments sur un matériau comme le fer et l’acier qui est dans l’univers depuis si longtemps! C’est un métier très ancien qui suit l’histoire humaine depuis la base, l’âge du cuivre, du bronze… C’est le lien humain pratiquement, ce métier!
Les films, les jeux vidéos ont complété mon attrait pour cette activité. Je voulais vraiment devenir forgeron…
Jeune, j’allais souvent au Puy du Fou et je savais qu’il y avait des forgerons, je me suis dit alors que j’allais tenter. J’ai envoyé un mail… et j’ai eu une réponse: «Viens une semaine, nous avons besoin de renfort pour vendre sur place ce que nous forgeons. Tu viens nous aider à la boutique de la forge et parallèlement, on te fait une initiation». Cela s’est tellement bien passé –j’apprenais très vite– qu’au final, j’y suis resté presque 3 ans.»
Comment avez-vous vécu ces années « de l’intérieur »? Quel était votre quotidien au Grand Parc?
«Ces années furent très sympathiques, j’étais habillé en viking toute la journée, je forgeais toute la journée, on ne faisait vraiment que cela! J’ai donné mes premiers coups de marteau là-bas, en public! Ça met la pression mais l’avantage, c’est que l’on se fait très vite la main. Les premières semaines sont très difficiles, se faire une main de forgeron rapidement, ce n’est pas facile: beaucoup d’ampoules, de sang… Mais ça le fait, on avance et on progresse!
L’ambiance y est géniale, on vit hors du temps, c’est ce qui est fascinant! Le soir, aller se poser au milieu de l’arène romaine sous les étoiles quand il n’y a plus personne… Beaucoup de moments sympathiques comme cela!
Il y a le contact avec le public également, la forge attire beaucoup… C’est intéressant mais parfois un peu répétitif aussi, l’humain est amusant: chacun a l’impression d’être unique et arrive avec sa petite phrase qu’il croit originale, seulement c’est la centième de la journée!
Il y a beaucoup de personnes qui ratent des spectacles à cause de la forge: c’est l’évasion, le feu attire les gens, ils sont « scotchés » sur les flammes…
Le parc est ouvert d’avril à octobre ainsi qu’à Noël. Hors saison, quand il n’y a plus personne, le parc est en « régénération »: remise en état, création de nouveaux décors, de nouveaux spectacles, entraînements pour les cascadeurs et autres… Nous, les forgerons, nous avons un atelier complètement à part, un vrai atelier complet où nous continuons les commandes. Ces nombreuses commandes extérieures prises au Puy de Fou, font vivre l’entreprise de la forge.
Par ailleurs , il nous arrive aussi de réparer les armes qui servent aux spectacles, mais nous ne les fabriquons pas; à la base nous sommes de vrais forgerons, nous fabriquons donc de vraies armes, forcément pas pour les spectacles!
Il y a aussi de gros chantiers d’hiver. A cette époque-là se construisait le dernier hôtel du Parc appelé « le Clovis »: hôtel gaulois sur pilotis, nous avons réalisé toutes les ferronneries intérieures: chaînes, barres de lits… Nous l’avons senti passer tout l’hiver, « c’était sport! »».
Quel a été ensuite votre parcours?
«Après ces années là-bas, j’ai décidé de concrétiser tout ça et me suis inscrit à une formation pour adulte dans le Jura afin d’y passer un diplôme de ferronnerie d’art, en alternance dans les grosses entreprises de ferronnerie sur Paris, comme les ateliers Bataillard, ferronnerie européenne renommée qui participait par exemple aux travaux de la célèbre place Stanislas à Nancy, et d’autres très gros chantiers de luxe sur Paris… Là ne travaillent que des compagnons purs, pour moi qui faisais une formation adulte et n’étais pas compagnon, c’était donc plus compliqué mais tellement formateur!
Ma compagne parallèlement faisait ses études de médecine, elle m’a toujours suivi dans mes « délires » de forge. Nous étions sur Paris le temps qu’elle termine ses études et sa première mutation en interne venue, nous avons choisi la Bretagne. J’ai toujours été attiré par la Bretagne.
Il n’y avait pas d’emploi dans la forge. C’est très compliqué de trouver un métier ici. J’ai donc fait complètement autre chose en attendant, pendant trois ou quatre ans. Mais un jour est survenue l’opportunité: ici à la forge de Plouézoc’h, les anciens propriétaires mettaient la clé sous la porte après liquidation judiciaire. J’ai appris qu’allait avoir lieu une vente aux enchères. Avant même cette vente, j’ai présenté au commissaire priseur mon projet de reprise de la forge elle-même et du maximum de matériel qu’elle contenait pour relancer l’activité. J’ai eu l’appui de tout le monde (y compris de mes prédécesseurs) et l’aide financière de ma famille et j’ai donc réussi à l’obtenir!
Si je ne l’avais pas reprise, cette forge serait aujourd’hui un entrepôt de stockage, ce qui aurait été dommage car c’est une forge depuis 126 ans maintenant!»
« Forgeron » est-il un terme générique qui recouvre plusieurs métiers?
«Forgeron c’est forgeron! Ce qui va être générique, c’est le travail des métaux. Il y a beaucoup de métiers différents: forgeron, métallier, chaudronnier, taillandier, dinandier, restauration pure, soudure, outillage, puis dans le travail de la coupe: affûteur, rémouleur, cela regroupe beaucoup de choses… Sans oublier la branche sidérurgique: fabrication d’acier, hauts fourneaux, bas fourneaux à l’ancienne, extraction du minerai…
Forgeron, ça reste spécifique, c’est vraiment de la forge elle-même avec ses deux branches majeures qui sont aujourd’hui la ferronnerie et la coutellerie, la partie maréchal-ferrant est un métier à part.»
Tout le monde a à l’esprit l’image du fer rougi au feu puis martelé par le forgeron. Mais qu’est-ce que forger?
«Forger c’est l’art de modifier, déplacer la matière. Il faut savoir utiliser la matière, savoir comment elle fonctionne et comment la placer. C’est de la mise en forme de matériaux. C’est propre à tout l’artisanat : on ne force pas la matière, on la déplace, on l’aide à se déplacer, si on la force, elle nous le fera payer, il y aura des erreurs, des soucis, ça va casser…
L’art de la forge, c’est arriver à travailler une matière pour l’emmener là où on aimerait qu’elle aille et faire en sorte qu’elle y aille avec plaisir!
La forge c’est physique, mais ce n’est pas la force! C’est un art et c’est vraiment technique, il faut être très précis. Je dis toujours qu’il faut savoir utiliser son marteau comme un pinceau.
Dans le monde, il y a d’excellentes forgeronnes, elles sont très douées. Les femmes vont avoir ce côté très poussé du déplacement de la matière et de la précision. Elles vont réaliser par exemple, des ferronneries très fines avec un niveau de finition vraiment poussé à l’extrême, elles ont cette patience de pousser la matière dans le moindre de ses retranchements.»
Comment fonctionne la forge?
«Le principe est donc de déplacer la matière, un acier par exemple, dans le but de le forger. Il faut le monter en température pour qu’il y ait un changement de structure moléculaire et qu’il devienne malléable. Pour ce faire, on a besoin du feu afin d’amener cette matière à une certaine température.
Nous utilisons les quatre éléments: le feu pour la température, la terre représentée par le charbon et l’acier lui-même, l’air pour attiser le feu et l’eau d’abord pour la gestion du feu et aussi pour les traitements thermiques (eau, huile…).
Le fonctionnement de la forge, c’est donc l’utilisation de tous ces éléments, ces outils afin de transformer la matière.
On chauffe, puis on déplace la matière au marteau sur l’enclume, puis on chauffe encore et on recommence jusqu’à ce que l’on ait obtenu la forme souhaitée.
En forge, on monte jusqu’à 1100 degrés pour tout ce qui est fer. Pour l’acier, on essaye de ne pas dépasser 900°C car après il y a une perte de carbone, ce qui est dommage surtout pour un couteau.
Tout se fait à l’œil, à la couleur et c’est pour cela que nous travaillons dans un milieu assez sombre.
On peut faire beaucoup d’erreurs, ça va très vite!
Si le fer est rouge, c’est qu’il est aux alentours de 700°C, ce qui n’est pas encore assez chaud, on va plutôt chercher dans les jaunes qui se situent autour de 900, 1000°C…
Les marrons, jaunes, violets et bleus, c’est pour tout ce qui est traitement thermique dans les basses températures, dites de revenu afin d’obtenir une certaine structure moléculaire…
Les couleurs de hautes températures vont du rouge au blanc. Au-delà du blanc (1200°C), l’acier se désintègre, ce que l’on appelle la brûlure. Au-delà de 1400°C, c’est la fusion de l’acier, il devient liquide. Nous travaillons avec l’oxygène mais il est aussi l’ennemi de l’acier!
Après une trempe, la couleur se situe dans les bleutés.
Ce qui est fascinant avec cette matière, c’est qu’elle peut être aussi bien solide que liquide et qu’elle a de nombreuses structures moléculaires différentes qui sont malléables tout le temps ! »
Quelles sont les différentes étapes pour forger un couteau?
« Dans les grandes lignes, sans entrer dans des détails trop compliqués ni leurs appellations précises, il faut d’abord former la lame au feu –mise en forme–, opérer différents traitements thermiques et viennent ensuite les finitions : du polissage jusqu’à l’affûtage qui est la dernière étape pour à la fin avoir une lame.
L’acier de base pour la lame est la ferrite, à partir de 850°C, on passe le point de Curie où l’acier perd son magnétisme, s’opère alors un changement de structure moléculaire complet. Le fer va se dilater, tout se met en place avec le carbone. Ensuite, par la trempe, on cristallise l’acier. Quand l’acier est devenu cristallin, on continue d’autres traitements thermiques pour chercher des états différents et obtenir ainsi un effet « ressort », par exemple, et optimiser la qualité de l’acier, qu’il soit à la fois assez souple et tranchant…
Tout le monde a en tête l’étape de la fameuse trempe, mais au sortir de la trempe, l’acier est très cassant!»
Forger un couteau, une hache ou un garde-corps ouvragé… requiert-il une technicité différente?
«En ferronnerie, il y a moins de traitements thermiques mais une plus grande technicité du déplacement de matière à l’aide d’outils plus techniques. C’est beaucoup plus expansif!
Pour tout ce qui est décoratif, restauration de patrimoine, création de forme, pièces spécifiques…, il n’y a pas de limites, on peut créer toutes sortes de formes très particulières, tout est dans l’imagination pour la création et dans les traditions pour la restauration: on peut faire tout ce que l’on veut!
Quand la matière est chaude, c’est de la pâte à modeler!»
Quels grands types d’acier travaillez-vous et quelles sont leurs caractéristiques et leur évolution?
«En ferronnerie : c’est le fer avec un peu de carbone pour le maintien (sinon il y a longtemps que la tour Eiffel se serait effondrée!), en outillage et coutellerie: beaucoup de types d’acier différents. De l’acier basique simple mais efficace et tranchant jusqu’à des aciers très techniques auxquels on peut rajouter beaucoup de choses (chrome, inox, vanadium, molybdène, manganèse, cobalt, tungstène…) en fonction de ce dont on a besoin: que ce soit inoxydable, plus dur ou plus tendre, etc.
Il existe aujourd’hui dans le monde, des aciers très techniques, militaires, tactiques, balistiques…, des aciers aux caractéristiques très spécifiques comme dans la construction par exemple pour que les immeubles dans les zones sensibles résistent aux tremblements de terre, etc.
Il faut réussir à gérer tous ces types d’acier!
Personnellement, j’aime bien l’acier carbone pur, les aciers scandinaves, très bon inox avec très haut pouvoir tranchant, le VG10 acier plus tactique et je viens de recevoir un tout nouvel acier tactique militaire APEX que je n’ai pas encore testé. J’ai hâte de voir ce que cela va donner, apparemment c’est très solide, très tranchant !
Il faut évidemment évoquer aussi pour la coutellerie le fameux « Damas », l’acier sandwich et le Wootz…»
Quels sont les outils du forgeron du 21e siècle et quelle a été l’évolution de ce métier?
«En forge pure, les techniques n’ont pas beaucoup évolué, l’évolution se situe plutôt en sidérurgie: les types d’acier, les avancements techniques de l’acier. En outillages, il y a tout de même quelques avancées, notamment pour tout ce qui est outil à main électrique, les marteaux-pilons, il y en a maintenant de plus perfectionnés, pneumatiques qui font presse… L’évolution est plutôt dans les grosses machines de presse. Mais en soi, ces machines font ce que le forgeron fait à la main. Il faut savoir gérer, déplacer la matière, il faut un instinct.
On reste sur la base de la forge : marteau, enclume, pinces et divers outils forgés (le forgeron fabrique lui-même une partie de ses outils).
En coutellerie, l’évolution va plutôt être dans tout ce qui est finition, machine à main, backstand, dans le domaine du meulage, de l’affûtage…
Le feu reste un élément très important. Sur ce point, je commence à avoir des échos: je fais partie des pollueurs parce que j’utilise du charbon! Mais quelle alternative: la forge à gaz? L’induction très chère et avec laquelle on ne peut pas tout faire non plus? L’électricité qui devient problématique aussi?… Pour l’instant, c’est le charbon traditionnel à la forge!»
Quelles activités pratiquez-vous le plus?
«Coutellerie, ferronnerie d’art… je fais moins de grosse ferronnerie parce que je suis tout seul et que je commence à vieillir: faire d’énormes portails tout seul c’est trop difficile, je préfère plutôt de la petite ferronnerie. J’aime donner naissance à quelque chose qui va être utile, servir… Par exemple, « Le Damas », c’est beau mais c’est avant tout très solide, utile et je serais déçu que le couteau reste en exposition, je préfère qu’il serve!
En coutellerie, j’ai énormément de commandes. J’ai créé mes propres modèles de couteaux et je me suis aussi créé un personnage, toute une image… On est à une époque d’images, il faut savoir en jouer… A l’heure actuelle, on ne peut pas se passer de la « com », il faut être sur les réseaux sociaux tout le temps, partout, sinon ça ne marche pas! Comme je dis souvent:«On peut être le meilleur, si personne ne le sait, il n’y aucun intérêt! Dans l’autre sens, si on est vu partout, il y a intérêt à savoir de quoi on parle!». L’outil numérique est indispensable.
J’ai des clients de partout. J’ai fait pas mal d’émissions TV qui sont diffusées, rediffusées en France, dans les DOM-TOM et les pays francophones (Canada, Québec…).»
Quels conseils donneriez-vous au lecteur qui recherche un bon couteau? Que doit-il regarder?
«Tout dépend de l’utilisation qu’il souhaite en faire. Si c’est pour « le casse-croûte », un bon opinel suffit largement. Si c’est pour un collectionneur qui aime la tradition, il va plutôt chercher un couteau d’artisan forgeron. Il y a également les couteaux de grande marque mais il faut bien se renseigner sur les aciers (s’assurer qu’ils soient certifiés), savoir où et comment ils ont été forgés.
La principale différence reste: couteau forgé ou pas, aciers sandwich ou pas, sachant que cela induit une grosse variation dans le budget…
90% des couteaux du commerce ne sont pas forgés. Ce sera soit de l’emporte-pièce, soit de la découpe laser (des processus d’enlèvement de matière a contrario du déplacement de matière pour la forge N.D.L.R.). Les propriétés de la lame vont être différentes: il est évident que rien ne vaut le forgé fait-main! Ceci sans dénigrer les grosses entreprises françaises: Nontron, Opinel, Laguiole, tout le savoir-faire du bassin de Thiers qui est très poussé. Ils ont de très bonnes connaissances en coutellerie, Farol aussi à La Rochelle, avec ses fameux couteaux en forme de cachalots…
En France, on dit qu’il y a autant de couteaux que de fromages, et l’avantage c’est qu’ils sont aussi bons les uns que les autres!»
Vous proposez également des stages de découverte…
«Ces stages d’initiation à la forge fonctionnent très bien pour plusieurs raisons:1-ça intéresse les gens, (et il faut transmettre, c’est un savoir qui doit perdurer!) 2-quand on voit tout ce qui se passe en ce moment, les gens se rendent compte que revenir à des métiers comme ceux-là est important, 3-les gens ont besoin d’évasion: tout est compliqué, il n’y a que des mauvaises nouvelles partout!
Je fais en sorte que le temps d’une journée, les gens « décrochent », s’évadent et se détendent au maximum, qu’ils puissent repartir avec de bons souvenirs et une bonne expérience. Il y a beaucoup de formations dans beaucoup de domaines maintenant parce que les gens ont besoin de vivre autre chose… On s’est rendu compte avec les crises dernièrement que pour les artisans et tous les métiers manuels en général, il n’y a pas de crise: il y a du boulot tout le temps!
Je propose donc ces journées d’initiation et d’autres formules pour ceux qui veulent approfondir certaines techniques.
Tout est possible, cela dépend de la personne, il faut être motivé, il faut avancer!
Des personnes viennent de très loin, ce sont des hommes, des femmes de tous les milieux, de toutes les classes sociales: la forge est universelle, elle est à la base de tout!
Il y a beaucoup de demandes de stages dans tous les métiers manuels… mais c’est tout un savoir. Ce n’est pas après un stage ou quelques vidéos sur internet que l’on peut ouvrir une forge!»
Quelles qualités faut-il avoir ou acquérir pour être un bon forgeron?
«A mon sens, cela englobe tous les artisans: il faut de la curiosité, vouloir toujours progresser, avancer, rechercher, ne jamais rester sur ses acquis, s’adapter et persévérer. Surtout ne pas baisser les bras. Mais l’époque étant vraiment compliquée, parfois il faut aussi savoir lâcher…
C’est très difficile à l’heure actuelle d’être à son compte: ça devient compliqué de s’approvisionner, le prix des matériaux flambe, l’acier a pris plus de 200% et le charbon que je payais avant les deux crises confondues 15 € le sac est à presque 40 € maintenant, sachant que pour l’instant, je ne bouge pas mes prix…
Les gens eux-mêmes ayant de moins en moins de sous, ça devient compliqué d’avoir des commandes, les personnes se regroupent maintenant pour offrir un stage à quelqu’un… A long terme, est-ce que ça va valoir le coup de continuer et je le dis en tant qu’artisan assez médiatisé quand même…
Tout baisse sauf les charges et les impôts. Il y a de plus en plus de fermetures dans beaucoup de domaines. C’est vraiment très compliqué pour tous les indépendants: pas d’arrêts maladie, pas de vacances, travail non-stop. Ce n’est pas facile non plus avec les clients: je dis, en souriant, qu’il faut « savoir les éduquer ». Le client est de moins en moins éduqué, les gens sont pressés, ils n’ont plus le temps, il faudrait leur « donner » et « pour hier », évidemment! Chaque client est persuadé qu’il est tout seul, tout lui est dû, même s’il sait que l’artisan fait à la main et que ça prend du temps, il lui faut tout de suite et pas cher. Moi je leur dis que j’ai un gros marteau et qu’il va falloir discuter avec!»
Quelles réactions provoquent chez vos interlocuteurs l’annonce que vous êtes forgeron?
«Ah bon!», «C’est possible?» «Ça existe encore!? ». Après, il y a le retour imaginaire, films, jeux vidéos… tout le côté mystique qui apparaît.
Il y a même des personnes qui arrivent à la forge me demander si je peux les « rebouter »: dans les légendes, on dit que comme le forgeron touche aux quatre éléments, il a ce côté rebouteux… Il y a aussi pour les gens ce côté solide: la forge est là, elle ne bouge pas, l’enclume est stable…»
Y a-t-il beaucoup de forgerons en France?
«Il y en a beaucoup en amateur qui forgent chez eux, qui font de la forge à travers des forums, des vidéos, la forge est revenue en force.
Quand j’ai commencé, il n’y en avait pratiquement pas, c’était un petit milieu vraiment fermé mais depuis quelque temps à cause du cinéma, des jeux vidéo et certaines séries en particulier, on est à une époque où tout le monde veut être forgeron, d’où toutes les demandes de formation.
En professionnel, il y en a bien moins. Beaucoup essaient de s’installer mais c’est difficile de perdurer dans la forge à l’heure actuelle. La plupart des gens ont le fantasme de devenir forgeron pour la coutellerie, mais ce n’est pas la coutellerie qui va les faire vivre. Il faut savoir faire autre chose à côté. Tout ce qui est ferronnerie est très demandé, moins en Bretagne que dans le sud de la France où il y a énormément d’entreprises de ferronnerie. Le métier majeur de la Bretagne, c’est couvreur. Paradoxalement, on est dans une région vraiment ancrée dans l’histoire de la forge et il y a moins de forges qu’il ne devrait y en avoir… Mais ça revient! Il y en a de plus en plus qui ouvrent à droite à gauche, après il faut qu’elles perdurent.
Il y a donc très peu de forges pures professionnelles en Bretagne mais il y a quelques couteliers. »
Quand on prend de l’âge, le travail devient-il plus pénible?
«Vrai forgeron à l’ancienne, ça reste très physique. Déjà on « bouffe » du charbon toute la journée, c’est tous les jours, il faut encaisser, récupérer. Plus l’on vieillit, plus c’est difficile de récupérer. En plaisantant, on dit que les forgerons finissent sourds à force de taper, aveugles à force de regarder le feu et n’arrivent plus à lever le bras, mais ça fait partie du métier…»
Pourquoi ce nom « forge du loup »?
«Je suis originaire de la Lorraine où le loup comme le lynx et l’ours sont des animaux très importants qui ont disparu à cause d’une classe de personnes qui ne les aimait pas. En Bretagne, il n’y avait absolument plus de loups, il y a trop de légendes néfastes, fausses. Le loup est une création, pourquoi n’aurait-il pas le droit d’être là? Il faut faire attention, protéger…, mais il y a d’autres solutions que de massacrer une population entière sur un territoire: c’est un peu particulier comme méthode! Tout le monde peut vivre ensemble et tout se passe bien…»
D’où vient votre passion pour le celte et le viking? L’engouement actuel pour ces thèmes impacte-t-il votre travail?
«J’ai toujours eu cela dans le sang, parce que j’ai pas mal d’origines celtes et scandinaves. Nous tous, les Européens, nous avons ces origines communes… Il y a cet attrait du respect de nos ancêtres dans ce sens où si nous sommes là, c’est que nous venons de quelque part, il ne faut pas perdre cela:d’où on vient, où on va…
Il y a une telle perte de valeurs que les gens ont besoin de se rattacher au passé. Je ne dis pas qu’il faut idéaliser les époques d’avant, les fantasmer, je n’aurais pas aimé vivre à l’époque romaine, c’était un peu spécial pour beaucoup de raisons mais il y avait quand même certaines valeurs, certains codes et l’humain a besoin de savoir d’où il vient…
Là, en ce moment, on mélange tout, à tous les niveaux. Je ne fais pas de « politico quoi que ce soit » mais à force de tout mélanger, ça ne ressemblera plus à rien, et c’est dommage. On parle beaucoup de mixité mais si on mélange tout, tout le monde sera identique à la fin, tout le monde sera pareil, on perd ce qui fait que chaque personne, chaque culture, chaque société est unique… Si on mélange plein de couleurs ensemble, ça ne ressemble plus à rien à la fin.
C’est pour cela que beaucoup de gens reviennent à leur culture. Tout ce qui est culture orientale, africaine revient, nous les Européens c’est pareil. On tend à vouloir revenir aux valeurs d’avant, que ce soit celte… Les gens ont besoin de se rattacher, de retrouver des valeurs, de s’ancrer dans un espace-temps. Quand j’ai commencé la forge, il n’y avait pas cet attrait viking. Maintenant, c’est une vague (il y a eu les séries télévisées…). Il y a aussi de plus en plus de rassemblements médiévaux… Les gens ont besoin de s’évader… Avec les confinements, les gens ont également eu le temps de réfléchir, ils ont parfois eu envie de changer de vie, de métier…»
Peut-on vivre de la forge au XXIe siècle? Comment voyez-vous la place de l’artisanat en France?
«On peut en vivre, mais il faut savoir gérer une énorme partie de communication, c’est le « nerf de la guerre ». Pour tous les artisans à l’heure actuelle, ça revient: il y a de plus en plus de demandes sauf que, paradoxalement, on est complètement étouffé par le reste, tout ce qui peut être taxe, augmentation des prix à tous les niveaux, façon de vivre. Tous les artisans, les indépendants, nous ne sommes pas du tout protégés: la retraite, on oublie, le moindre souci de santé, c’est à notre charge, on ne peut pas trop s’arrêter sinon tout s’arrête… C’est donc très compliqué à l’heure actuelle de s’installer et de perdurer. Tout est fait pour que les gens s’installent: tout ce qui est micro entreprise a été créé par nos gouvernants pour que les gens se gèrent eux-mêmes parce qu’il n’y a plus d’emplois qui se créent nulle part…
Beaucoup d’artisans qui ont tenté l’aventure, arrêtent. Pas de vie, pas de vacances, tout ce que l’on gagne part en taxes, en charges ou aux impôts…
Mais on fait avec!
Honnêtement, à ceux qui me demandent comment faire pour être forgeron à l’heure actuelle, je dis: «Garde ça en passion, à côté, comme ça tu ne perdras pas le plaisir…»
Moi je n’ai pas perdu le plaisir… mais artisan, il faut s’acharner: ce n’est pas qu’un métier, c’est plein de métiers différents: la comptabilité, l’administratif, la communication… et être disponible tout le temps! On verra comment ça va évoluer…»