«Ce guide connaît un succès absolument incroyable». Quand, à l’automne 2016, Philippe Gloaguen, fondateur du guide du Routard, fait un premier bilan des ventes de son dernier-né, il n’en revient pas. Certes, le guide touristique «de la visite d’entreprise», premier du genre en France, sort réellement des sentiers battus… mais de là à imaginer que, quelques semaines après la sortie, il faille prévoir une réimpression! «Un tel engouement est bien la preuve qu’il y avait une attente du public» conclut-il. Oui, le «tourisme de découverte économique» a le vent en poupe. Il serait même en passe de devenir une spécialité française !
Quoi qu’il en soit, celui qui est encore appelé «tourisme industriel» est riche non seulement de découvertes, donnant nombre de clés de compréhension du monde d’hier, d’aujourd’hui et de demain, mais aussi d’opportunités économiques et sociales insoupçonnées pour nos territoires !
Vous avez dit rébarbatif, ennuyeux la visite d’entreprise? Demandez donc aux plus de 160 000 visiteurs annuels de la biscuiterie de la Pointe du Raz (septième entreprise la plus visitée en France et première en Bretagne), aux dizaines de milliers de nos concitoyens qui, ces derniers temps, ont découvert de l’intérieur les salines de Guérande, la conserverie la Belle-Iloise, l’entreprise Hénaff, Armor-Lux ou encore l’usine marémotrice de la Rance… oui, demandez-leur s’ils se sont ennuyés!
15 millions d’entrées par an !
Plus de 9 Français sur 10 qui, l’an dernier, ont tenté l’expérience déclarent être réellement satisfaits par ce tourisme d’un nouveau genre ! Enfin, nouveau… Peut-être pas ! Car l’Histoire se souvient, par exemple, de la visite de Louis XIV à la manufacture des Gobelins ou de la rencontre de Napoléon Ier avec Alexandre Volta, afin de comprendre le phénomène de la pile électrique! Plus proches de nous, les déplacements du Général de Gaulle à l’usine Citroën de Rennes en 1960 ou de François Mitterrand chez Airbus en 1990 firent découvrir, «par procuration» et médias interposés, aux Français la modernité de «leur industrie» et le savoir-faire du «made in France».
Mais il faut bien l’avouer, c’est au tournant du XXIe, que le tourisme «de découverte économique» va prendre son réel essor, se «démocratisant» au point de représenter, en quelques années, 2 puis 5, 8 puis 10 et aujourd’hui 15 millions d’entrées annuelles dans près de 2500 entreprises de l’Hexagone !
Alors comment expliquer cet engouement ?
Eh bien, ce tourisme de découverte est celui de l’économie passée et présente, celui de la technique en action, d’une richesse patrimoniale matérielle et immatérielle mise en valeur, tant en milieu urbain que rural, mais c’est avant tout une histoire qui est transmise.
Ainsi, il offre l’opportunité de découvrir ou redécouvrir des entreprises, singulières de par leurs racines, leurs valeurs, leurs rôles dans l’économie locale, mais aussi profondément humaines, puisque souvent le reflet de la vie d’hommes et de femmes qui ont su entreprendre, développer et faire évoluer leur outil de production au gré des vicissitudes économiques ou politiques comme au gré des découvertes ou innovations ingénieuses…
Enracinement territorial et ouverture sur le monde
Mais cette trajectoire économique imprègne bien souvent le présent. Et si les techniques et les méthodes de production d’aujourd’hui ne sont pas celles d’hier, il est rare qu’elles ne soient le reflet d’un savoir-faire, transmis et parfait au cours des ans, de décennies, voire de siècles… Savoir-faire qui souvent a fait et fait encore la richesse de ce que l’on nomme toujours «nos terroirs» !
Or cet enracinement territorial d’activités économiques d’hier et d’aujourd’hui, ne peut-il pas, en ces temps de globalisation, de mouvances en tous genres et de pertes de repères, offrir à réfléchir… et pourquoi pas agir à contre-courant ?
Réfléchir, comprendre… c’est ce qu’offre à ces «touristes» la visite de lieux de production (actuels ou passés), la découverte de laboratoires, de sites industriels, comme d’ateliers artisanaux, voire de fermes… véritable fenêtre ouverte sur une partie du monde qui les entoure.
Les secrets de la gavotte ou des bottes en caoutchouc Aigle
À l’heure où tant de reportages, qui se veulent «cash», blâment toutes les formes de production et où les polémiques s’enchaînent, rendant difficile aux non-initiés de distinguer le vrai du faux et le bon du mauvais… venir à la source pour voir, interroger, être éclairé sur des réalités souvent complexes pour, in fine, se faire sa propre opinion, n’est pas dénué d’intérêt !
Qui ne s’est pas un jour interrogé sur comment est fabriqué tel objet, tel produit ou même l’électricité omniprésente dans notre quotidien ? Sans obligatoirement chercher à comprendre la complexité du processus qui permet en bout de chaîne à un avion Airbus de voler, d’autres secrets de fabrication méritent d’être approchés.
Du bonbon des Vosges à l’authentique savon de Marseille Marius Fabre, des couteaux Laguiole aux verres de Biot ou à l’huile de Lucques d’Oulibo, la palette à explorer est large! Et que dire des mystères du pétillant des caves du cloître des Cordeliers, de la légèreté des gavottes de Loc Maria ou des caramels tantôt durs tantôt mous d’Isigny ?
Et pourquoi ne pas se laisser conduire à comprendre le processus de transformation qui donnera, avec quelques matières premières brutes, les bottes en caoutchouc Aigle ou les fragrances des eaux de parfum de Galimard ?
Une vraie aventure…
À ce jour, plus de la moitié de ces visites d’entreprises concernent d’abord des entreprises agro-alimentaires… «Certes il y a un aspect «gourmandise», découverte de saveurs… mais aussi une recherche de transparence… Connaître réellement ce qui se passe derrière, ce qu’est vraiment la traçabilité des produits… C’est une démarche quasi citoyenne de vérification in situ qui est très importante» explique Cécile Pierre, co-fondatrice de l’agence d’ingénierie ADEVE (Agence de Développement de la Visite d’Entreprise).
Bref, au travers de ce «tourisme expérientiel», qui offre de pénétrer dans les coulisses de la production de nombre de nos produits du quotidien, le visiteur d’un jour se donne la possibilité par la suite de devenir un consomm’acteur… ou du moins un acheteur mieux averti.
Depuis 2012, l’association «Entreprise et découverte» promeut au niveau national ce tourisme de découverte économique, cherchant à fédérer les différents sites ouverts au public et travaillant sur les campagnes de communication. Elle aide aussi industriels comme PME à franchir le pas et à se lancer dans l’aventure. Car nous sommes en France, royaume des normes, et des contraintes… Ouvrir ainsi les portes d’une entreprise au public n’est pas forcément une sinécure.
« Redonner la fierté du métier… »
Dès lors, se faire accompagner peut être d’une grande aide… Et ce, aussi bien pour les modalités de la visite (durée, nombre de visiteurs, parcours…) que pour les mesures de sécurité à prévoir, mais aussi pour l’expographie, voire la muséographie! «Nous avons reculé certaines machines, délimité des couloirs de passage, installé des passerelles,…» explique Yves Noirot, directeur des fonderies de Sougland, récemment engagé dans la démarche.
Et de compléter: «En s’ouvrant au public, notre objectif était multiple. Certes, il s’agit de valoriser notre savoir-faire, de faire connaître l’histoire de la fonderie et du métier, notamment auprès de scolaires… Mais il est aussi de former l’ensemble des salariés à la connaissance de leur usine, de leur rendre, au travers du regard des autres, la fierté du métier. À terme, nous espérons donner envie à de plus en plus de personnes de faire le détour par notre territoire, mais aussi attirer des jeunes talents».
Il est bien entendu deux autres enjeux, non négligeables, qui entrent en ligne de compte et incitent des entreprises à «s’ouvrir», comme l’explique Cécile Pierre.
«D’abord la communication… Pour ces entreprises, il y a une volonté de parler en direct au consommateur, de créer une proximité, du lien… et donc une relation de confiance. Puis, en second lieu, il y a clairement un intérêt économique, au travers de la vente de produits ! 90% de ces entreprises ont un lieu de vente, une boutique.
Des touristes… ambassadeurs
Or, on sait que le prix du panier moyen est 2,5 fois plus élevé quand on a fait une visite. Dans cet achat, il y a clairement le début de la mise en place d’une relation affective, de fidélité et, au travers de la volonté de rapporter de cette visite un «souvenir», la possibilité de faire de ces «touristes de savoir-faire» des ambassadeurs !»
Et le poids économique de cette vente directe est parfois loin d’être négligeable… Les salines de Guérande, grâce aux visites payantes (10€), ont généré une activité de 2,6 millions d’euros de chiffre d’affaires supplémentaires et créé 20 emplois équivalent temps plein… la boutique en fin de parcours écoulant 135 tonnes de sel !
Et Emmanuel Blanc, responsable de Terre et Sel, la filiale touristique des Salines de conclure: «J’invite les entreprises à faire cette transition, cela permet réellement de créer une activité rentable et créatrice d’emploi». Manifestement ce tourisme de visite d’entreprise a bien des avantages dont il serait dommage de se priver !