Outre les aptitudes qu’ont développées en lui ses côtés artisan, artiste, architecte, Gildas Le Floch est quelqu’un de naturellement discret mais aussi sociable et affable, disert même, quand il trouve une oreille intéressée…
Il a ainsi consacré beaucoup de temps aux dernières années de sa belle-mère centenaire qui appréciait tant sa compagnie et sa conversation autour de la petite table de cuisine dans sa vieille «maison de toujours» qu’il lui avait rénovée avec goût…
Et combien de petits-enfants, amis ou collègues ont aussi prolongé une simple visite à son atelier d’ébénisterie ou celui d’architecture attenant, captivés par les explications ou les démonstrations riches d’une si longue expérience.
L’on peut admirer les hermines et triskell qu’il a sculptés avant même d’entrer dans son bureau où esquisses et plans divers occupent encore souvent la grande table à dessin inclinée sur laquelle il aime toujours se pencher… car peu des nombreuses réalisations qui continuent de sortir de ses ateliers – pour son plaisir, et celui des autres – échappent aux croquis détaillés et cotés, préalables à l’exécution.
Avec ce large sourire qui éclaire si souvent son visage et le désir de partager sa passion qui demeure, il a retracé pour nous son parcours fait de réflexions et de décisions, ici surtout, mais ailleurs aussi…
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Voudriez-vous vous présenter brièvement ?
«Je suis né à Plévin, il y a 84 ans. J’habite Le Moustoir depuis 1976. J’y ai développé mon activité de maître d’œuvre en architecture jusqu’en 2000, année où j’ai fait valoir mes droits à la retraite.
Mon épouse Annie et moi avons trois enfants, nous sommes aussi les heureux grands-parents de huit petits-enfants et pour l’heure quatre arrière-petits-enfants.
J’ai longtemps aimé pratiquer le cyclotourisme mais maintenant je préfère la marche et le Taï Chi. J’apprécie aussi la musique et joue de l’accordéon.»
Vous avez passé votre enfance en Centre-Bretagne à Plévin, quels souvenirs en gardez-vous ?
«A 9 ans, j’ai failli mourir. Frappé par le tétanos, je me trouvais allongé sur un lit de l’hôpital de Carhaix, tous les membres raides, incapable du moindre mouvement, ne pouvant donc pas m’alimenter ni même parler… Une petite fille à côté venait d’en mourir et mon père désespéré avait prévenu le menuisier du bourg qui fabriquait les cercueils, de s’apprêter à en préparer un petit…
Finalement, je m’en suis petit à petit sorti, mais j’ai dû réapprendre à marcher. Et comme il n’existait pas dans le commerce de béquilles à la taille des enfants, mon père m’en a bricolé une paire à partir de branches, un morceau de bois et un chiffon dans le haut. A la rentrée suivante, quelques mois plus tard, j’ai pu retourner à l’école et poursuivre normalement ma scolarité.
Aux beaux jours, une de mes activités favorites –inconcevable aujourd’hui– consistait à dénicher et collectionner les œufs d’oiseaux !
Il fallait repérer les nids dans les arbres, y grimper pour en redescendre le précieux larcin: un petit trou à chaque extrémité de la coquille et un souffle léger en vidait le contenu… Délicatement enfilés les uns aux autres, ils formaient une belle guirlande. J’en possédais deux qui s’allongeaient au fil de la saison.
Nous étions experts pour les distinguer: œufs de merle, de pigeon, de grive…
Nous en faisions tout un trafic. Un copain qui parcourait plus de kilomètres par les chemins et à travers champs chaque matin pour venir à l’école m’en rapportait discrètement. Je les lui échangeais contre des crayons de couleur que ma mère m’achetait à Carhaix, parce que lui – issu d’une famille très nombreuse– n’en possédait pas…
Je me souviens aussi du petit sabot que nous devions porter si par malheur nous avions été surpris nous exprimant en breton, notre langue maternelle à tous. Souvent dans la spontanéité des jeux en récréation, il passait de l’un à l’autre, et le dernier à s’être «oublié» le conservait… Chaque soir, à la question fatidique de l’instituteur, le pauvre élève qui l’avait en sa possession baissait la tête et levait le doigt: il savait dès lors qu’il allait devoir rester en pénitence après le départ des autres, seul dans la salle de classe à recopier sa punition…
Mais le lendemain, il guetterait à son tour les mots interdits pour être sûr de se débarrasser avant la fin de la journée du symbole dénonciateur…»
Votre mère a été parmi les toutes premières crêpières au bourg et votre père, parmi les derniers ardoisiers de la mine du «Réchou» à Plévin, un rude métier qui a ruiné la santé de plus d’un…
«Ma mère a toujours beaucoup aimé faire des crêpes, elle en faisait régulièrement… Dans un premier temps, elle travaillait pour notre tante Germaine qui tenait un café, elle faisait du ménage, etc. Mais elle s’est décidée à faire des crêpes tous les jours et à se lancer dans la vente. Les gens venaient sur place les acheter et une cousine dont le mari était boulanger au Moustoir en vendait également dans leur boulangerie. Ce commerce se développait bien, il y avait ainsi deux autres crêpières à Plévin.
Par la suite, elle a en plus tenu deux poulaillers construits sur un terrain que mes parents avaient acquis après s’être installés au bourg.
Mon père, quant à lui, a travaillé toute sa vie dans les carrières d’ardoises. Celle du «Réchou» était la plus proche de chez nous. Le jeudi, jour sans école, je m’y rendais à pied, puis à bicyclette pour lui apporter son repas de midi. Un jour, des carriers m’ont pris et mis dans la petite benne métallique, qu’ils désignaient par un terme spécifique en breton, et m’ont fait descendre au fond de la mine où ils travaillaient. J’étais très impressionné, je découvrais un univers méconnu qui me paraissait hostile: de la poussière bleue partout, des immenses blocs d’ardoises qui semblaient prêts à s’effondrer au passage, quelle étrange ambiance dans ces profondes galeries tellement obscures et chargées d’une humidité si intense…
C’est dans ce sombre décor que des heures durant, de jour comme de nuit, mon père et ses collègues creusaient dans la roche à la barre à mine pour en détacher des grands blocs qu’ils faisaient remonter à la surface où d’autres ardoisiers les taillaient…
Cela représentait une activité importante pour la commune, plusieurs dizaines d’hommes y étaient employés.»
Comme beaucoup de jeunes hommes de notre région à cette époque, vous êtes parti effectuer votre service militaire dans la Marine Nationale. Du fait de la guerre d’Algérie, il durera 27 mois… Comment l’avez-vous vécu ?
«A cette époque, l’on recherchait des jeunes pour les armées, un responsable du bureau de la Marine nationale de Saint-Brieuc venait régulièrement dans ce but au lycée de cette même ville où j’étudiais. Mon père avait lui-même fait son service militaire dans la Marine ainsi que des oncles et nous en parlions souvent…
Mais j’avais appris un métier, j’avais un emploi, je n’y pensais donc plus…
Cependant, un jour, alors que je ne me plaisais pas trop dans l’entreprise qui m’avait embauché, un courrier m’est arrivé du bureau de la Marine nationale suite aux contacts établis au lycée, m’incitant à m’engager… Pour en savoir plus, je me suis rendu à Saint-Brieuc: nous étions en pleine guerre d’Algérie et l’idée de devancer l’appel au service national sans forcément s’engager a fait son chemin… A Plévin, nous avions déjà vu deux jeunes envoyés en Algérie en revenir… dans un cercueil. Partir sur un bateau n’était peut-être pas un mauvais plan!
J’ai pris ma décision! Et très peu de temps après, je me suis retrouvé en caserne près de Rennes parmi quelques centaines de jeunes qui, plus âgés de deux ans, effectuaient leur service militaire. J’y ai rencontré un jeune Parisien avec qui j’ai tout de suite sympathisé: comme moi, il avait suivi une formation de menuisier et du même âge, il devançait aussi l’appel. Seuls dans ce cas tous les deux, nous étions incompris et parfois un peu chahutés par les autres.
Nous avons fait là «nos classes» pendant quelques mois avant d’être emmenés sur Paris au siège de la Marine.
Nous n’avions pas la moindre idée de ce qui nous attendait à terre ou en mer… Au bout de huit jours, on nous a annoncé que nous devions nous rendre à la base marine de Toulon pour embarquer sur le «De Grasse». Après une nuit passée dans le train, impressionnés par l’immensité de ce port, sac au dos et valise marine à la main, nous avons cherché un bateau qui pouvait porter ce nom.
Il se trouvait effectivement là, avec son pont long de 200 mètres, les diesels tournant car il allait bientôt partir… Un peu stressés, nous avons gravi l’échelle qui se présentait, pour nous faire quelques instants plus tard violemment invectiver par le capitaine présent à bord qui nous avait aperçus: erreur fatale, nous avions innocemment emprunté la coupée arrière réservée aux officiers, il nous aurait fallu passer par celle de l’avant, ce que nous nous sommes empressés de faire, bien refroidis par un tel accueil! L’aventure commençait bien!
J’ai passé plus de deux ans à bord. Et durant tout ce temps, je ne suis revenu que quatre jours à la maison, car j’avais bien obtenu une semaine de congé à la fin de la première année, mais les trajets, de Toulon jusqu’à ma chère Bretagne en passant par Paris, en occupaient déjà presque la moitié !
J’étais affecté au service sécurité – pompier, ce qui n’avait donc rien à voir avec ma formation professionnelle. (Et pourtant, il y avait un atelier de menuiserie à l’avant du bateau avec des machines à bois…). Nous faisions des exercices en cas de survenue de problèmes: voie d’eau, incendie à bord, etc.
J’ai beaucoup voyagé en mer Méditerranée pour commencer, puis j’ai fini plutôt en Atlantique. Et en dernier lieu, ce fut Dakar avant de regagner Brest, au large pendant deux ou trois mois, puis au port pour des travaux.»
Auriez-vous une ou deux anecdotes particulières à partager ?
«Oh oui ! j’aurais beaucoup de choses à raconter…
Arrivés donc le 1er mai sur le «De Grasse», déjà le 2, le navire quittait le port, nous emportant avec un terrible mal de mer, en direction d’Alger…
C’est là, que quelques jours plus tard, j’ai rencontré le général de Gaulle.
Reçu à bord, il passait en revue sur le pont, une délégation dont je faisais partie. Nous étions au garde à vous, en parfait uniforme blanc et devions décliner notre identité: «Matelot Le Floch» ai-je annoncé très impressionné, mon tour venu. «Le Floch, Le Floch, a-t-il alors répété plusieurs fois, mais! vous êtes breton?», «Oui, mon général, je suis breton.» Il s’est alors adressé à moi avec beaucoup d’empathie disant qu’il connaissait et aimait la Bretagne, etc. Il ne s’est, ni avant, ni après, adressé à personne d’autre… Les collègues éberlués sont ensuite venus me trouver, moi le petit jeune qui venait tout juste d’arriver!
Autre épisode un peu moins «réussi»: un jour, on nous annonce «Alerte en Martinique!». Le «De Grasse» est préparé, un commando monte à bord, du matériel de tir, des canons sont embarqués et le navire file en direction de l’île «où ça va mal»!
Après des heures et des heures de navigation, le bateau arrive de nuit à destination… A mon réveil au petit matin, j’étais bien curieux de découvrir enfin la Martinique, mais je n’en ai rien vu, seulement de l’eau, de l’eau à perte de vue comme souvent: en fait, entre temps, la situation sur l’île s’était rétablie, nous avions donc fait demi-tour et nous rentrions à Toulon!»
Considérez-vous cette expérience comme positive? N’avez-vous pas été tenté de vous engager comme vous l’envisagiez un peu au début ?
«Il est certain que cela m’a permis de voyager, mais j’y ai aussi et surtout beaucoup appris. Ces diverses expériences ont forgé mon caractère et m’ont donné la confiance en soi, l’assurance dont, très timide de nature, je manquais vraiment… La discipline est pour moi également un aspect positif que j’en ai gardé.
Mais je n’ai cependant finalement pas souhaité «signer» pour de bon.
J’ai entendu des plus anciens regretter cet engagement, surtout à cause de la vie de famille sacrifiée.
Je me souviens de ce marin marié, père de famille qui voyait son épouse et ses enfants tous les 12 mois! Quand rentré à Toulon, il espérait pouvoir rejoindre les siens –il habitait la région lilloise– une alerte ou un nouveau départ l’en empêchait…
Et quand vous aviez commencé sur un bateau, vous saviez que vous alliez finir sur un bateau…
Ils ont pourtant insisté auprès de moi, mais j’avais un métier et même une place dans une menuiserie de ma commune qui m’attendait à mon retour, mon père s’en était occupé. Je n’ai donc pas hésité.»
C’est au retour de ces longs mois de service dans la Marine nationale que vous avez entamé votre carrière professionnelle, comment vous a-t-elle mené de la menuiserie à la maîtrise d’œuvre en architecture ?
«Tout a commencé à 14 ans, quand mon certificat d’études en poche, mes parents m’ont inscrit à l’école de Binic de laquelle je ressortirais trois ans plus tard, formé et en possession d’un CAP.
Nous avions le choix entre l’ajustage, travail de l’acier, et la menuiserie, travail du bois.
Limer de la ferraille ne me plaisait pas du tout, tandis que manier ciseau à bois et rabot me ravissait! Le dessin me passionnait déjà aussi!
L’on m’a ensuite proposé de m’inscrire au lycée technique de Saint-Brieuc. Là j’ai découvert le dessin, non plus au crayon comme les trois années précédentes, mais à l’encre de Chine…
Sur de grandes planches à dessin, j’en réalisais de plus en plus compliqués. J’ai aussi appris à me servir d’un tour à bois.
Après quelque temps dans une entreprise de Gourin et mon service militaire achevé, j’ai donc été embauché dans une menuiserie à Plévin. Le patron m’y confiait beaucoup de tâches, j’apprenais un tas de choses à l’atelier et sur les chantiers. Mais à cette époque, j’ai rencontré un Plévinois qui travaillait dans une plus grande menuiserie à Perros-Guirrec, il pensait qu’il serait bien plus intéressant pour moi d’y travailler et m’assurait que le patron m’engagerait tout de suite si je me présentais à lui… C’était vrai! J’ai commencé comme traceur dans l’atelier puis responsable. J’ai suggéré des aménagements, des changements… et le patron a aussi découvert que je «savais» dessiner: lassé de toujours voir réaliser les mêmes modèles de portes d’entrée, je lui en avais présenté une dizaine, toutes différentes, que j’avais imaginées puis dessinées le soir dans ma chambre.
Il a trouvé lui-même que mon avenir n’était pas dans son entreprise… L’étape suivante m’a conduit à Laon dans le Nord-Est de la France. L’on m’a confié là davantage de responsabilités, des chantiers plus intéressants…
Étonné qu’en Breton, je me sois ainsi expatrié, un collègue m’a appris qu’une grande entreprise de Lorient recherchait des conducteurs de travaux–métreurs.
J’y suis venu, m’occupant du secteur de Vannes. Pour le chantier de la propre nouvelle maison du grand patron qu’il m’avait délégué, j’ai été amené à travailler auprès de fournisseurs basés en Angleterre, en Belgique, en Allemagne… C’était très formateur et je suivais par ailleurs aussi des formations. Quand après, on m’a confié le secteur de Rennes, nous avons déménagé. Mais nous suivions aussi de gros chantiers jusqu’en Normandie et en région parisienne, ce qui imposait beaucoup de déplacements, nous avions des réunions de chantiers avec des professionnels venus d’un peu partout en France… Par la suite le patron a décidé d’ouvrir une agence à Brest et de m’y envoyer pour la lancer à partir de zéro, tout en conservant les chantiers du Havre et de Paris… Je ne comptais plus mes heures travaillant nuit et jour, prenant régulièrement le train et l’avion, etc. Ce n’était plus vivable! La vie de famille était sacrifiée: j’ai pris la décision de donner ma démission. Cela s’est mal passé, mais j’étais déterminé. Mon projet était simple: je retournais «dans mon pays», en Centre-Bretagne, maître d’œuvre à mon compte!»
Comment s’est passé votre installation, en quoi consistait votre activité en tant que maître d’œuvre ?
«Je savais ce que je voulais faire: des plans de maisons! Et je savais que j’aurais du travail: la construction était en plein essor… Nous avons retenu une maison à Carhaix et j’ai lancé mon activité. J’aurais aussi pu entrer dans l’enseignement comme on me l’avait proposé ou ouvrir un atelier de menuiserie, mais concevoir, tracer des plans de maison et diriger des chantiers était une perspective qui me plaisait davantage et que je maîtrisais.
Quand mon épouse a pris le poste de secrétaire de mairie au Moustoir, nous y avons acheté un terrain et construit une maison dont les plans prévoyaient un bureau et un atelier pour y exercer dans les meilleures conditions ma «nouvelle profession».
J’ai bénéficié des conseils et de l’aide de collègues déjà installés, notamment Raphaël Robin qui m’a même amené mes premiers clients…
J’ai réalisé de nombreuses constructions mais la rénovation pour laquelle il y avait à ce moment-là de bonnes subventions, me plaisait beaucoup aussi. Et j’ai toujours aimé le contact avec les clients, les entrepreneurs et les artisans…
La législation a évolué, mais le maître d’œuvre réalisait la maison de A à Z: il en faisait les plans, conseillait sur le choix des matériaux, dirigeait le chantier, et assurait son suivi en coordonnant les interventions de tous les corps de métier présents jusqu’à l’habitation prête à l’emménagement!
Tout se passait pour le mieux !
Mais en 1977, les maîtres d’œuvre ont dû se mobiliser pour survivre à une loi qui visait à réduire leur activité, elle est tombée comme un couperet! L’ordre des architectes s’était rendu compte que le travail leur échappait au profit des maîtres d’œuvre qui eux se voyaient de plus en plus sollicités, parce que plus «techniciens» et hommes de terrain, ils obtenaient de bons résultats!
Nous avons passé des moments difficiles ! Il a fallu se battre pour obtenir le droit de continuer à travailler, vice-président pour la région, je me suis rendu aux congrès à Pau, à Dijon…
Cette loi exigeait des maîtres d’œuvre qu’ils passent devant une commission qui jugeait s’ils étaient aptes ou non à exercer et leur imposait de suivre des cours d’architecture à Rennes, à raison de deux jours par semaine, le tout à leurs frais!
Finalement, l’obtention de ce nouvel agrément m’a donné beaucoup de travail supplémentaire, mais il a aussi étendu mon champ d’action en m’ouvrant l’accès aux chantiers publics comme les bâtiments communaux, salles polyvalentes, etc. que je ne pouvais pas obtenir avant.»
La législation s’est beaucoup durcie ces dernières années concernant les constructions, tant sur les lieux, les contraintes du permis de construire, que sur diverses normes, d’isolation, etc. Quel regard portez-vous sur ces évolutions? Étaient-elles nécessaires, ou au contraire sont-ce de nouvelles tracasseries administratives dont nous aurions pu nous passer ?
«Avec l’administration, tout devenait de plus en plus compliqué! Il fallait s’adapter en permanence à l’évolution de la législation, des normes… Elles sont nécessaires mais souvent excessives! Combien de fois je me suis vu refuser des dossiers, pourtant bien ficelés, par les «Bâtiments de France» pour des détails: telle surface, telle fenêtre qui d’après eux ne convenaient pas ainsi, selon des «choix» qui paraissaient parfois arbitraires ou des exigences qui ne semblaient pas toujours justifiées…
A Saint-Brieuc pour les dossiers des Côtes d’Armor, c’était moins difficile, mais à Quimper pour ceux du Finistère, il fallait argumenter plans et longue expérience à l’appui… Le personnel changeait souvent et ils étaient certes diplômés, architectes, ils avaient peut-être fait l’École des Beaux-Arts, etc., mais ils ne connaissaient pas la réalité du terrain ni les attentes des clients…»
Quels conseils ou points de vigilance donneriez-vous à quelqu’un souhaitant faire construire ou acquérir un bien immobilier ?
«D’abord pour le choix du terrain lui-même: être vigilant sur l’environnement, les routes, voies d’accès, etc. Puis sur ce terrain: où prévoir la construction, pas toujours là où on l’avait imaginé… Et avant même de parler de plan, j’étonnais souvent les clients et même des collègues en venant sonder le sol, avec un bâton pointu muni d’un bout en métal –voire d’une pioche– pour tester la nature de celui-ci à différents endroits, déceler d’éventuels points d’eau, sources… L’on a parfois la surprise de voir de l’eau remonter en surface là où on ne s’y attendait pas… (le problème de maisons et caves inondées dans la récente actualité, n’est pas nouveau!)
Il faut tenir compte de beaucoup de paramètres importants ou en apparence plus secondaires…
Ne pas respecter certaines règles ou précautions peut entraîner de fâcheuses conséquences, sans en arriver forcément au cas extrême de la démolition d’une maison, rasée tout juste construite comme cela a dernièrement été le cas pas très loin d’ici ! Je me méfie des pavillonneurs…
Pour ce qui concerne l’achat d’un bien déjà bâti, la même vigilance s’impose…
Il convient d’abord de connaître l’année de construction. Pour des maisons très anciennes, il faut faire des recherches en profondeur, il y a des spécialistes pour cela. En cas de doutes… il n’est pas envisageable de refaire les fondations !
Il faut vérifier l’état de la toiture, des murs, du sol, des poutres, de la charpente, pour ce faire je prenais des outils de menuiserie et même un marteau. On peut ainsi découvrir des problèmes: vermoulure, etc. Actuellement, il existe des tests et diagnostics obligatoires, mais ils sont limités, il ne faut pas s’en contenter. Je pense qu’il est important d’avoir l’avis de quelqu’un du métier, qui connaît le bâtiment, pas ceux qui sont là pour vendre… Si l’on me demandait conseil pour l’achat d’une voiture d’occasion, je pourrais bien sûr dire si elle me paraît jolie, propre et bien entretenue mais pour ce qui est de la mécanique…»
Vous avez toujours aimé travailler le bois. D’où vous est venu cet amour pour cette matière noble ?
Et pourquoi le bois, quels sont ses atouts à vos yeux ?
«Lors de ma formation initiale à Binic, l’ajustage, le travail du métal était aussi enseigné, mais je n’avais jamais auparavant tenu une lime en main, ni travaillé de la ferraille et cela ne me plaisait pas du tout. Tandis que le bois était plus proche pour moi, enfant j’en préparais pour le chauffage avec mon père, j’en bricolais aussi…
Le métal est froid, le bois est une matière vivante, on le voit pousser: l’arbre qui grandit puis que l’on abat pour le travailler. Tirer parti d’une pièce de bois est un peu un défi… J’aime le «chant» du rabot, l’odeur des copeaux, de la sciure, manier ciseaux, bédanes et gouges au-dessus de l’établi en bois lui-même… Je n’ai découvert l’intérêt du travail avec les machines que dans une seconde partie de ma formation, le charme n’est pas le même!
Le bois est agréable à travailler… Il est partout présent dans la construction, l’ameublement et il en existe une telle variété!»
Quels types d’ouvrages préférez-vous réaliser ?
«J’ai tout aimé à vrai dire !
En menuiserie, l’escalier est l’ouvrage le plus difficile à réaliser. J’en ai fait beaucoup quand je travaillais à Perros-Guirec. Il faut en premier lieu en faire le plan, calculer avec les dimensions précises, préparer le bois préalablement trié dans le stock, le raboter, y faire les tracés, prévoir les emboîtements: tenons et mortaises, les marches et les contre-marches ainsi que les plus grandes pièces dans lesquelles elles vont venir s’emboîter: celle du côté de la main courante que l’on appelle le limon et en face, le long des murs la dite «crémaillère» avec ses «zigzags»…
Pour le plaisir, au fil des ans, j’ai continué à équiper mon atelier personnel et je me suis attelé à un peu tout ce qui peut se faire, de la menuiserie à la sculpture en passant par l’ébénisterie. J’ai réalisé toutes sortes de meubles: des bureaux, des bancs-coffres, des bibliothèques… j’ai fabriqué des jeux et des jouets: brouettes, bateaux, avions, voitures, épées, des ustensiles: cuillère, spatule, rozell et spanell pour la billig, et même des battes de thèque… J’ai aussi fait beaucoup de réparations, restauré également des meubles anciens, reproduit des motifs traditionnels…
Ce travail, dans sa diversité, m’a toujours passionné et je me suis plu à relever le défi de commandes étonnantes que me passaient parfois petits-enfants ou amis!»
Il y a de nombreuses essences de bois en France, et ce choix s’est encore élargi avec les bois plus «exotiques»… Quelles essences ont votre préférence ?
Et quelles essences correspondent mieux à quels types de travaux ?
«S’il fallait n’en retenir que deux, ma préférence irait au merisier et à l’acajou. Mais j’aime aussi travailler les essences bien de chez nous comme le chêne et le châtaignier. Patinés, avec leurs multiples teintes, ils sont magnifiques !
Le chêne demeure le plus cher, parce qu’il pousse moins vite, ses fibres sont très fines et sa qualité est inégalable ! Mais le merisier reste pour moi le bois le plus beau, on en tire du mobilier de grand prix mais superbe…
Les bois résineux, moins chers, sont réservés à la charpente et aux huisseries, des ouvrages que l’on va traiter ou peindre. Le pin des Landes, utilisé pour des lambris, est très décoratif.
Certaines charpentes sont également réalisées en chêne, comme des escaliers et des parquets, ils sont alors de grande qualité mais coûtent très cher.
D’autres bois exotiques venus d’Afrique du Sud, d’Afrique Centrale sont apparus, dont le Sipo qui est très intéressant et souvent utilisé lui aussi pour les escaliers et les fenêtres. Il arrive en très longues poutrelles et est facile à travailler.
Pour les lambris et bardages extérieurs, on préfère des bois exotiques et le Red Cedar américain imputrescible, le mélèze français aussi…
Aujourd’hui il existe sur le marché une variété impressionnante d’essences, venues du monde entier: d’Afrique, d’Amérique du Sud, de Chine, du sud-est asiatique, etc.»
Le bois a toujours eu une place importante dans la vie, voire le quotidien de l’homme. Dans la construction, qui est votre domaine d’expertise, il a eu une place prépondérante durant des siècles, puis connu des reculs avant un regain d’intérêt. Comment l’analysez-vous ?
«L’arrivée du Formica, du Polyrey comme du PVC (matière plastique particulière) a constitué une petite révolution et ils ont un temps détrôné le bois: dans nos campagnes, les traditionnels meubles bretons ont été remplacés par du mobilier en Formica trouvé plus moderne…
Aujourd’hui encore, certains meubles en décor et moulures PVC imitent tellement le bois que certains peuvent s’y laisser tromper. L’on peut tout faire avec du PVC !
J’ai travaillé du Formica, mais la plupart des ébénistes ne voulaient absolument pas en entendre parler!
De nouveaux matériaux de synthèse ont aussi, dans bien des domaines, remplacé le bois.
L’aluminium est également apparu pour les huisseries notamment, avec l’avantage de simplifier l’entretien: un simple coup de chiffon humide remplaçait les couches de vernis ou peintures à renouveler régulièrement!
Le PVC moins onéreux et qui arrive directement de l’usine prêt à être posé, a donc vite fait concurrence au bois pour les portes de garage, portails et barrières notamment… L’on en revient cependant un peu, à cause de son manque de résistance, de solidité, et à cause de l’esthétique aussi, en y ajoutant le souci écologique et le retour de la préférence aux matières plus naturelles et durables… Le bois peut aisément se réparer si besoin, difficilement le PVC !
Et quel recul a-t-on sur ces huisseries en PVC ou même en aluminium? Quand j’en avais posé les toutes premières à Carnac sur une maison en bord de mer, quelques années après il a fallu tout changer, elles étaient complètement rongées par le sel des embruns…
Des huisseries en chêne, 100 ans après, elles sont toujours là! Maintenant, il est certain que le sapin durera moins longtemps que le chêne ou le châtaignier… on en a pour son argent!»
Vous habitez Le Moustoir… vivre dans une petite commune rurale semblerait à certains une forme de vie «en retrait»… Quelle réponse donneriez-vous à un citadin qui ferait cette réflexion ?
«Je me plais beaucoup ici, je suis satisfait de ce cadre de vie, je m’y sens bien… C’est calme mais il y a du mouvement: des voitures, des gens qui passent, les enfants qui se rendent à pied à l’école du bourg…
Je n’aurais pas aimé habiter trop isolé dans la campagne, dans des endroits un peu difficiles d’accès et les problèmes que cela engendre. Ici, je suis tout près du bourg qui s’est beaucoup agrandi, là où il y avait des vaches quand nous avons construit, il y a maintenant des maisons. Et nous sommes aussi à quelques minutes de la ville de Carhaix.
Je comprends que pour leur travail des gens doivent vivre dans de grandes villes, je l’ai d’ailleurs fait moi-même, mais tout ce bruit, cette agitation, cette circulation, l’insécurité… Non, vraiment je n’en voudrais plus!
Arrivés au Moustoir, nous avons apprécié cette qualité de vie inestimable: mon épouse avait son secrétariat tout proche à la mairie, les enfants étaient à deux pas de l’école et moi j’avais mon bureau sur place, pouvant travailler et recevoir les clients en toute sérénité, avec la possibilité de sortir m’aérer un peu dans la verdure de mon jardin pour quelques petites pauses de temps à autre!
Beaucoup de collègues que j’y ai reçus enviaient vraiment mes conditions de travail!
Je dois avouer que j’avais l’impression inverse en découvrant leurs bureaux. L’un à Pontivy, qui n’est pourtant pas une si grande ville, était «caserné» entre des murs, un autre à Quiberon face à la mer, devait presque tout le temps garder portes et fenêtres fermées à cause du vent, des embruns, sans parler des tempêtes… En hiver, c’était désert: personne, pas un chat! Et en été, surpeuplé: du monde partout, pas un endroit pour garer sa voiture!»
Qu’est-ce qui, selon vous, caractérise les campagnes bretonnes, quels sont leurs charmes et leurs atouts ?
«C’est la nature, ses végétaux, leur variété. La richesse de cette végétation, tous les fruits et cette verdure tout au long de l’année. La terre dans les jardins et les champs où l’on voit les cultivateurs travailler sur leurs tracteurs: cette année c’est telle culture dans cette parcelle-là, la saison ou l’année prochaine, ce sera telle autre…
La campagne bretonne est vivante et belle, dans ses paysages et ses reliefs, ses cours d’eau et son canal. (Il ne faudrait cependant pas continuer à abattre les arbres et détruire la végétation sur les talus avant de finir par les raser eux-mêmes!)
L’habitat a aussi son charme et du caractère avec ses pierres et son granit, les maisons ne sont pas toutes identiques, on en voit de vraiment pittoresques et pas seulement dans les villages et hameaux.
Et l’on n’y trouve pas cette «tristesse» que j’ai rencontrée dans certaines régions de France en traversant des patelins…
La convivialité et la solidarité demeurent des réalités même si bien des choses ont évolué et que les gens se rencontrent moins dehors que par le passé où ils sortaient beaucoup pour effectuer toutes sortes de tâches ou tout simplement pour rechercher le contact et parler. Aujourd’hui, même les retraités ont tendance à rester à l’intérieur devant les écrans…
Contrepartie positive: nous disposons maintenant –un peu grâce à ces écrans– ici aussi de tous les nouveaux moyens de communication et de belles routes –quasiment enfin achevées!– nous permettent désormais de nous déplacer plus rapidement pour rejoindre les grandes villes ou, en une heure, retrouver la mer avec le choix entre la Manche et l’Atlantique…
Pas étonnant que tant de Bretons expatriés pour raison professionnelle reviennent au pays pour y vivre leur retraite! J’en ai eu beaucoup parmi mes clients…»
Avec le recul de la vie, quelle qualité humaine vous paraît-elle essentielle ?
«Je pense que c’est l’ouverture aux autres… l’intérêt, l’attention que l’on porte à l’autre, qui peuvent se traduire par le simple « bonjour » et les quelques mots échangés avec la personne croisée ou le service rendu à celle qui en a besoin…»