Il a froid, il a faim, il est sans abri.
Avançant sans but dans les rues de Houston, dans le Mississippi, le jeune Larry Stewart est au bord du désespoir.
Au chômage depuis que la petite entreprise de vente de porte-à-porte où il travaillait a fait faillite, il se trouve sans aucune ressource. Il n’a pas mangé depuis deux jours, et il dort dans sa voiture. Il ressasse ses malheurs, essayant en vain de trouver une issue lorsque, soudain, il arrive devant un restaurant connu de la ville, le Dixie Diner. N’en pouvant plus, il entre, s’installe à une table et commande un copieux petit-déjeuner.
Pour régler la note, il a déjà une petite idée: jouer la comédie en se tâtant les poches, faisant croire qu’il a perdu son portefeuille.
Il dévore les plats qu’on lui apporte, profitant au maximum de ce moment magique dans la chaleur de la salle, mais le temps passe vite et trop rapidement arrive le moment où on lui apporte l’addition.
« Monsieur, je pense que vous avez perdu ceci… »
Il fait semblant d’avoir perdu son portefeuille, mais lorsque le patron de l’établissement quitte le comptoir pour se diriger vers sa table, il n’est pas tranquille.
Cependant, à sa grande surprise, l’homme se baisse comme pour ramasser quelque chose par terre, sous la table puis, se relevant, il lui tend un billet de 20 $, une somme importante pour le jeune homme, avec ces mots:
« Monsieur, je pense que vous avez perdu ceci… », avant de retourner derrière le comptoir sans autres commentaires.
Larry regarde, incrédule, le billet dans sa main, paie son repas, ajoutant même un pourboire au serveur, puis sort dans la rue, toujours perplexe. Il parvient à pousser sa voiture jusqu’à la prochaine pompe à essence, met un peu de carburant et part en direction de l’ouest, désireux d’aller ailleurs pour un nouveau départ dans la vie.
C’est là dans la voiture qu’il réalise soudain la portée du geste du propriétaire du restaurant qui lui a donné ce billet en laissant croire aux autres clients que le jeune homme l’avait réellement perdu afin de ne pas le mettre dans l’embarras: une façon très délicate de secourir quelqu’un sans l’humilier.
Ému, il fait alors une promesse: « …si jamais je me trouve un jour dans une situation où je pourrais aider d’autres, je le ferai. »
« Quand les semelles de mes chaussures étaient usées,
ma grand-mère ajoutait un bout de carton »
Larry avait vécu une enfance difficile. Il n’avait jamais connu son père, et il avait été élevé par ses grands-parents très pauvres qui avaient juste réussi à lui offrir la nourriture et de quoi se vêtir. « Quand les semelles de mes chaussures étaient usées, ma grand-mère ajoutait un bout de carton », raconte-t-il.
Mais ce billet de 20$ provoque une réaction positive chez ce jeune homme. Décidé à faire tous ses efforts pour réussir, il part dans l’État voisin du Kansas où il s’installe à Kansas City.
Il trouve du travail, fonde une famille, mais pendant huit longues années il doit se battre avant de pouvoir sortir de la pauvreté en créant sa propre entreprise.
« J’ai emprunté de l’argent pour démarrer, raconte-t-il, et c’est en transpirant que j’ai assez gagné pour rembourser. Une première fois, j’ai échoué, mais la deuxième fois, ce fut un succès. »
A partir de 1979, la réussite est au rendez-vous, et c’est alors qu’il se souvient de sa promesse.
Certes, il n’a pas encore une grosse fortune: juste 600$ en banque. Il est marié, il a des enfants à nourrir. Il pourrait se dire qu’il ne faut pas toucher à cette somme, finalement assez modeste pour quelqu’un qui a charge de famille. Mais sans tarder, il commence à regarder autour de lui, guettant les occasions d’aider quelqu’un en difficulté, et c’est un jour de neige, autour de Noël, dans la ville d’Independance qu’il voit une serveuse dans un drive-in qui grelotte dans des vêtements bien trop légers et usés. Pour payer un hamburger, il lui tend un billet de 50$, lui disant de garder la monnaie.
Les larmes aux yeux, la jeune serveuse lui dit : « Monsieur, vous ne pouvez pas imaginer ce que cela veut dire pour moi. »
Sur les 600$ en banque, il en retire 200 par coupures de 5 et de 10, puis, il commence à les distribuer autour de lui à l’époque de Noël, déguisé en Père Noël.
Ce sera le début d’une longue chaîne de largesses où Larry Stewart aura l’occasion d’aider des multitudes.
« Faites au moins un acte de bonté par jour ! »
Au fur et à mesure que son entreprise, spécialisée dans la téléphonie et dans la télévision par câble, se développe, les billets de 5 et 10$ se transforment en billets de 100, et pour trouver des gens qui ont réellement besoin d’aide, outre son « coup d’œil » personnel qui le guide toujours, il se renseigne auprès des autorités compétentes. Il donne aussi à des associations connues pour leur sérieux, comme l’Armée du Salut.
Un jour, pour ne prendre qu’un exemple, il entre dans une maison de Kansas City où une grand-mère se bat pour élever 10 petits-enfants. Elle venait juste d’annoncer aux enfants que cette année, il serait impossible de fêter Noël, quand Larry Stewart, désormais connu sous le nom de « Secret Santa », le Père Noël secret, frappe à la porte et lui donne 3000$.
Pendant des années, Larry Stewart reste anonyme, et il interdit aux journalistes qui veulent parler de sa générosité, de dévoiler son identité. Les premières années, même son épouse et ses enfants ignorent tout de ses distributions. Mais par contre, par un petit mot joint aux dons, il exhorte ceux qui reçoivent l’aide à s’intéresser, à leur tour, à leur prochain, et non seulement pour aider financièrement. « Faites au moins un acte de bonté par jour », dit-il.
Son exemple est contagieux et, petit à petit, d’autres « Secret Santas » commencent à œuvrer à divers endroits, et c’est finalement une véritable chaîne de solidarité qui se crée à partir de l’exemple de Larry Stewart.
En 1999, 20 ans après leur première rencontre, il retrouve dans la ville de Houston, dans le Mississippi, Ted Turner, le propriétaire du restaurant qui lui avait fait don de ces 20$, ce qui avait déclenché toute cette aventure de générosité. Il lui dit que les 20$ qu’il avait reçus ce jour-là équivalaient pour lui à un don de 10000$ qu’il souhaitait maintenant rembourser pour aider le couple, arrivé à un âge avancé et dont l’épouse était souffrante.
En quelque vingt années, Larry Stewart a distribué 1,3 million de dollars.
Ce n’est que lorsqu’il apprend qu’un journaliste s’apprête à divulguer son secret au grand public qu’il le fait lui-même, préférant retracer avec ses propres mots ce qui, depuis le début, l’a motivé.
En janvier 2007, il se trouve hospitalisé, atteint d’un cancer incurable qui va rapidement l’emporter.
Peu avant sa mort, un ami qui l’a aidé à distribuer de l’argent et qui, après son décès, va, avec d’autres, poursuivre ces actes d’altruisme, lui pose la question :
–Avez-vous des regrets ?
–Oui, répond L. Stewart : « J’aurais juste souhaité pouvoir aider plus de gens. »