«Prenez le temps de vivre !»
Combien d’entre nous ont entendu cette amicale et sage exhortation…
Mais diront plusieurs: «Oui ! mais comment faire…»
Vous souvenez-vous de Diogène, cet homme à la philosophie si étrange qui vivait au Ve siècle avant le Christ? Diogène de Sinope, qui habitait dans un tonneau…
Disciple d’Antisthène, le cynique, il affichait son mépris envers le monde et les passions humaines et enseignait «la libération»…
Lorsque le célèbre et puissant conquérant Alexandre le Grand vint jusqu’à son tonneau, l’auguste personnage, imaginons-le un instant entouré de ses généraux, condescendit à demander à Diogène ce qu’il pouvait faire pour lui.
«Ôte-toi de mon soleil»! lui répondit celui-ci.
On peut admirer l’audace, l’outrecuidance du philosophe, mettant en pratique son étonnante doctrine,
on peut sourire en pensant à la mine déconfite du puissant roi, «remis à sa place d’homme mortel comme les autres…»
On peut frémir devant tant de témérité qui aurait pu très mal se terminer pour Diogène…
Mais sans être aucunement un adepte, ni même un sympathisant de ces «cyniques», il est possible de tirer un enseignement utile :
Face à la soif dévorante de pouvoir, de conquête, de domination d’Alexandre, Diogène affichait une autre conception de l’existence humaine ! Un autre but, un autre rythme de vie.
N’y aurait-il pas une application très pratique à réaliser pour beaucoup de nos contemporains, que la hantise du temps qui s’écoule tyrannise ?
«Vite, vite… j’ai pas le temps, je voudrais bien… mais il faut que…»
Il semblerait que la vie des hommes et femmes de notre époque ait été réduite à ce point qu’il faille sans cesse accélérer l’allure, celle de l’action, de la parole, de la pensée, des plans à exécuter…
Les gens de ce temps existent mais semblent ne plus vivre.
Je me souviens de cette parole amicale d’un religieux, dans un monastère des environs de Jérusalem :
«On a le temps ! disait-il paisiblement. Ici on est en Orient… On vit d’une autre manière !»
«Amzer zo » (traduction : «le temps il y a», on a le temps) avaient également l’habitude de dire les anciens Bretons, qui savaient prendre un moment lorsqu’ils se rencontraient, ne serait-ce que pour échanger «sur la pluie et le beau temps», savoir-vivre de ceux qui voulaient témoigner leur attention à l’autre.
La vitesse a gagné notre monde occidental et a bouleversé l’existence de nos contemporains, «Nous sommes happés par le sentiment d’urgence» a expliqué Gilles Finchelstein dans son nouveau livre «La dictature de l’urgence».
Il souligne en particulier : «…l’impression que nous sommes condamnés à accélérer ne va pourtant pas de soi, elle est liée à une nouvelle relation au temps…
L’urgence est devenue un mode de vie, depuis la banalisation des fast foods au recours massif aux urgences à l’hôpital, sans oublier le diktat de l’éphémère qui régit le monde des médias, de la mode au cinéma où tout est si vite oublié».
Cette accélération se serait imposée depuis les années 80…
L’évolution numérique, notamment Internet, qui a augmenté la rapidité des communications et des échanges, en est un des principaux facteurs. Mais également la pression de la mondialisation, dans les domaines financier, politique… sans oublier «le portable» et sa présence quasi permanente et dictatoriale.
Un exemple parmi d’autres : l’accélération du débit des paroles : les hommes politiques d’aujourd’hui, quand ils prononcent leurs discours, parlent deux fois plus vite que ceux d’il y a cinquante ans.
Les spots publicitaires sont passés en quelques dizaines d’années de 30 secondes à 5 secondes, la vitesse de succession des images s’est accrue…
Et le zapping est devenu une «manie».
On parle de «speed reading» pour les lectures, de «speed dating» pour les rencontres, etc.
Un restaurant japonais, dépassant tous les «quick» et «fast», propose à ses clients de ne payer qu’en fonction du temps mis à manger: il leur faut donc engloutir le maximum de nourriture dans le minimum de temps!!! Quel spectacle… Un proverbe avertit: «Le ridicule tue…»; il semble au regard des modes et des comportements de notre époque que cela ne soit plus le cas, encore que, dans ce restaurant notamment, l’animalisation des clients peut en étouffer plus d’un!
«Vite !» Cette véritable addiction a envahi les loisirs… et «le temps libre» n’est-il pas tout aussi agité… Ce qui devrait être repos, détente… se trouve phagocyté par des activités multiples, une boulimie de choses à réaliser pour «se réaliser», pour ne pas perdre le si précieux temps qui passe…
Et bien des retraités, notamment, se disent surmenés.
Même les enfants sont entraînés dans cette sarabande infernale et beaucoup d’entre eux ont un emploi du temps contraignant: à l’école ? Non, surtout durant leurs loisirs !
Un psychiatre renommé a conclu :
«La recrudescence des troubles bipolaires avec leurs phases maniaques pourrait être liée à ce «tout-de-suitisme» ambiant d’une société qui sollicite et donne des réponses immédiates».
N’est-il pas vraiment temps de reprendre la maîtrise de notre temps ! et de «donner du temps au temps» ainsi que le professait un ancien président de la République, homme de littérature… et d’apprendre à réguler nos instants et nos jours.
Il est des moments pour accélérer, d’autres pour ralentir, d’autres pour se détendre…
Notre «civilisation» ne s’y prête guère malgré tous ses slogans et publicités invitant à être «cool».
C’est un enjeu essentiel.
Et puis, ce qui est fait vite, trop vite, est-il bien fait ?
La qualité de vie va souvent de pair avec la qualité des fruits produits: travail, rayonnement, convivialité…
N’est-ce pas une gageure d’aborder ce sujet, alors que tant d’emplois du temps et de programmes s’élaborent en ce début de la nouvelle année scolaire et universitaire ? Ou, au contraire, c’est peut-être l’occasion de repenser sa manière de vivre, de réévaluer les divers domaines de l’existence et… de réaménager ce qui devrait l’être ?
Comme l’enseigne depuis des milliers d’années l’Ecclésiaste,
«Il y a un temps pour tout…»
Là encore, la Bible apporte la réponse.